Dormir éveillée - Elisabeth Molina - E-Book

Dormir éveillée E-Book

Elisabeth Molina

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Beschreibung

Une série de meurtres dans le village d'Aurora...

Aurora est une petite fille à part terrorisée par le monde extérieur. Suite à un traumatisme qu'elle tente d'oublier, elle est confrontée à la dure réalité qu'elle a toujours fuie. Des meurtres ont lieu dans le village où elle vit et il semblerait que l'identification du coupable puisse être possible grâce aux rêves qu'elle fait...

Et si les rêves de la petite fille pouvaient résoudre ce mystère et désigner le coupable ?

EXTRAIT

Aurora et Gabriel habitaient une maison blanche, apaisante, au gazon parfait. L’air pur de la campagne faisait entrer de la sérénité dans leur âme. Aurora prenait de plus en plus goût à cette vie retirée. Le matin, Gabriel et Alba allèrent faire un tour près d’une rivière. Ils devaient rentrer vers midi. Tout en respirant l’air frais à la fenêtre de la cuisine, elle les regarda s’éloigner peu à peu. Lorsqu’ils disparurent de son champ de vision, elle eut l’impression de continuer à les voir. Elle sortit dans le jardin, éclairé par le soleil du matin, pour étendre le linge. En regardant tout autour d’elle, elle eut l’étrange sensation de se trouver dans un lieu proche du paradis. Autant de beauté donnait un côté irréel à cet endroit éloigné et idyllique. Aurora ferma les yeux et respira profondément. En communiant avec la nature, la jeune femme ressentait ce bonheur premier d’un monde harmonieux et équilibré. Il y eut même le chant des oiseaux qui vint accompagner ce moment magique. Aurora s’assit sur la murette de la clôture. Elle ne savait plus quel jour il était, ni quelle heure ni même l’année. Le temps flottait mais peu importait tant qu’elle se sentait bien et libre.

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Elisabeth MOLINA

Dormir éveillée

Roman

Éditions des Tourments

PREMIERE PARTIE

Chapitre 1

Elle marchait avec peine dans la pénombre. Les gens tout autour allaient à une allure d’escargot, au même pas, tels des automates. Lorsqu’elle aperçut sa mère à ses côtés, elle lui saisit le bras pour lui demander où ils allaient. La froideur de celle-ci lui fit comprendre que quelque chose de grave était arrivé. La jeune fille n’osa pas regarder par-dessus les épaules de ceux qui lui cachaient la vue, sentant le danger la guetter. La tension augmentait, son cœur battait à tout rompre. Puis une force incontrôlable l’envahit et l’obligea à lever la tête et la pointe des pieds. C’est alors qu’elle vit à quelques mètres devant elle, un corbillard...

Aaaaaaahhh !

Aurora se réveilla en sueur. Son cri alerta aussitôt sa mère.

— C’est rien ma puce.

Elle prit son enfant dans ses bras.

— T’as encore fait un cauchemar ?

— Oui.

— C’est fini ma chérie. Je suis là maintenant. Attends-moi, je reviens de suite.

Cela faisait plusieurs nuits qu’Aurora ne trouvait pas le sommeil. Les mauvais souvenirs refaisaient surface. Ce mois d’août annonçait l’arrivée du froid et la venue du brouillard, dans l’esprit de la petite fille.

— Tiens mon cœur.

Sa mère lui donna deux cachets. La jeune fille se rendormit en oubliant ce qui s’était passé.

Ce matin-là, les nuages recouvraient le village dans une obscurité presque totale. Aurora ne se souciait pas du temps qu’il faisait dehors car elle ne sortait que très rarement. Le monde de l’extérieur était effrayant. Lors des courses avec sa mère, les visages qu’elle croisait se transformaient en des figures difformes et diaboliques. Dès qu’elle sortait, le Mal lui semblait si proche qu’elle finissait par rentrer. Pourtant, à l’intérieur de sa maison, les démons pouvaient également y pénétrer.

Dans son jardin, Aurora contemplait les nuages. Elle aimait la pluie mais détestait le tonnerre qui faisait sauter les fusibles. Elle ne supportait pas de se retrouver dans le noir où elle croyait apercevoir des silhouettes à chaque coin de la maison. Perdue dans ses pensées, la voix de la voisine la fit sursauter :

— Bonjour Aurora.

— Bonjour Madame Combes.

— Ce mauvais temps m’a donné envie de cuisiner un bon gâteau au chocolat ! Tu veux une part ?

— Oui... hésita-t-elle. Mais Maman veut pas que je sorte de la maison sans sa permission.

— Ce sera notre petit secret.

— D’accord !

— N’oublie pas de fermer la porte à clé.

Dès leur arrivée au village, la mère d’Aurora s’était toujours arrangée pour éviter sa voisine dont l’athéisme la dérangeait. Mais au fil des années, le thème de la religion n’ayant jamais été abordé par Madame Combes, elle se dit qu’elle ne représentait pas un réel danger. Toutefois, elle se demandait pourquoi la vieille dame, élevée par les prêtres, s’était détachée de cette ambiance religieuse.

— Alors, c’est bon ?

— Très bon.

— Tu peux prendre un autre morceau.

— Merci.

— Qu’est-ce que t’as fait de beau aujourd’hui ?

— Rien.

— T’as pas fait des dessins ? lui demanda-t-elle en se rappelant l’avoir vue dessiner sur sa terrasse.

— Non mais hier, j’ai fait un grand dessin avec plein de couleurs ! Très joyeux. Je l’ai montré à Maman et elle a pleuré.

— T’avais dessiné quoi ? demanda la vieille dame.

— Une maison, un gros soleil, des petits oiseaux dans le ciel, Maman... moi... et Papa.

De sa main droite, Madame Combes caressa tendrement la joue de l’enfant au regard triste.

— Il te manque ton Papa ?

— Oui...

— Je suis sûre qu’il pense à toi.

***

La véranda était l’endroit qu’Aurora préférait. Assise sur le canapé, la quiétude qui y régnait la rassurait.

Il plut durant toute la semaine. Aurora aimait regarder l’eau couler sur les vitres comme des larmes. Peu à peu, la pluie se transformait en brise. Le vent léger apaisait la jeune fille, il emportait avec lui les voix intérieures terrifiantes.

Le dimanche était le jour le plus redouté par la jeune fille : la messe. Aurora ne s’était jamais sentie à l’aise en ce lieu si froid et en compagnie de ces personnes si farouches, venues d’un autre monde. Selon sa mère, pour combattre maux et tourments, il lui fallait prier régulièrement. Mais Aurora n’aimait pas s’agenouiller et se lever comme le faisaient tous les autres. On eut dit des robots. Pourtant, elle finissait toujours par se soumettre aux exigences de sa mère qui avait une forte emprise sur sa fille et avait persisté à l’élever dans cette atmosphère de dévotion et de souffrance.

Maria Valdés, enseignante dans une école privée catholique, était une femme de taille moyenne à la démarche rapide et décidée. Son visage pâle, sa peau marquée et ses deux grands yeux marrons exorbités révélaient le comportement d’une personne toujours à l’affût de tout. Agée d’une quarantaine d’années, c’était une femme qui ne négligeait jamais son apparence. Toujours un chignon, jamais sans maquillage et vêtue de robes longues au col montant, hiver comme été.

Maria était très appréciée dans le village pour sa bonté et son dévouement à venir en aide aux plus démunis. Maintes fois, elle se rendait à des associations caritatives ou rendait visite aux habitants pour apporter son soutien et surtout pour exercer son influence. Elle connaissait la vie de tous.

Pour Maria, ce lieu sacré était sa deuxième maison. Dès qu’Aurora pénétrait dans l’église, tous les visages ressemblaient à des anges. Mais à la sortie, ils se déformaient. La lumière qui sortait de leur regard s’éteignait, laissant place aux ténèbres. A chaque prière, la jeune fille manquait de s’endormir, seule la lueur de la bougie réussissait à la maintenir légèrement en éveil.

Après la messe, Maria et sa fille allaient se promener dans le parc. Aurora retrouvait une maman normale qui ne discutait plus avec les esprits de l’au-delà. Mais ce jour-ci, ce moment agréable fut de courte durée ; le temps orageux les obligea à rentrer plus tôt.

Sur le chemin silencieux du retour, le souvenir de son père réapparut. Elle se voyait au milieu du parc, sur l’herbe, courant et riant aux éclats. Avec sa mère, c’était différent, elle devait maîtriser toute émotion. Depuis combien de temps n’avait-elle pas vu son père ? Aucune idée ; elle avait perdu ses repères temporels.

— A quoi tu penses ? demanda Maria.

— A rien Maman, répondit Aurora, d’un air rêveur.

— T’as l’air fatiguée. T’as des cernes. Une bonne petite sieste te fera le plus grand bien.

Depuis plusieurs années, la fillette avait la sensation que sa vie stagnait, comme si le temps s’était arrêté. Elle ne se souvenait plus de son âge. Dans le miroir elle ne voyait aucun changement physique. Le trait marqué entre ses deux yeux traduisait son stress permanent.

Après le dîner, elle s’installa devant la télévision. Au bout d’une demi-heure, ses paupières se firent lourdes. Elle bâilla deux ou trois fois, se leva et se servit un grand verre de lait froid pour se réveiller. Mais la fatigue commença à la gagner. « Faut pas que je m’endorme, se répétait-t-elle inlassablement dans sa tête. Faut pas que je m’endorme, sinon... »

Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait dans son lit. Elle se cala sur un côté et n’osa plus se retourner. La présence, derrière elle, l’observait avec ténacité, à l’affût de la moindre agitation. Soudain, elle crut entendre quelqu’un respirer. Terrifiée, elle chercha désespérément l’interrupteur et se coinça la main entre les barreaux de son lit. Par un mouvement brusque de sa jambe, elle heurta quelque chose... On eut dit un genou, ou une cuisse. Elle se trouvait maintenant à sa merci. Quand elle parvint à se calmer, la lumière apparut. Personne dans sa chambre. Elle se rendormit en laissant la lampe allumée comme si la lumière pouvait faire fuir ses pensées les plus obscures.

***

Aurora passa l’après-midi chez la voisine. Pendant qu’elle nettoyait le four, elle demanda à la fillette d’aller chercher des draps dans l’armoire de sa chambre.

— Tiens, tu peux monter sur cette chaise.

Mme Combes retourna à la cuisine. Alors qu’elle chantonnait tranquillement, elle entendit soudain la petite crier. Elle jeta le chiffon par terre et accourut vers la chambre. Aurora était recouverte d’un drap. Celle-ci se débattait avec affolement, comme si elle se défendait contre une personne qui voulait l’étouffer. Mme Combes sourit de cette frayeur démesurée et aida Aurora.

— Faut pas te mettre dans un tel état, c’est rien... 

La jeune fille sanglota. En la prenant dans ses bras, la voisine sentit une sueur glacée sur le corps d’Aurora. Elle grelottait et son teint était devenu aussi bleuté que celui d’une morte. Ce n’était pas la première fois que la jeune fille faisait une crise d’angoisse à cause d’une banalité de ce genre. Mais Mme Combes connaissait le passé d’Aurora et savait combien celui-ci transformait son quotidien en un véritable enfer.

***

Ce matin-là, la jeune fille observait sa mère dans le jardin qui discutait avec la voisine. La mère dirigeait constamment son regard vers sa direction tandis que la voisine hochait la tête en signe de compréhension. Aurora s’approcha puis s’arrêta en milieu de chemin. Le visage inquiet de sa mère contrastait avec l’expression apaisante de Mme Combes.

Durant le repas, Maria donna une explication à sa fille.

— Ecoute ma chérie. Comme t’iras toujours pas à l’école à la rentrée, Mme Combes a proposé de te donner des cours de français, de mathématiques et d’histoire. Avec moi, quand je rentrerai du travail, tu étudieras quelques leçons sur le catéchisme.

Aurora gardait un souvenir douloureux de l’école à cause des constants rejets des ses camarades. Il en était de même lorsqu’elle se rendait au parc le dimanche. Personne ne voulait jouer avec elle. Les autres petits la regardaient d’un air ahuri et s’éloignaient. Aurora se sentait différente. Elle tentait de se convaincre que les enfants avaient peur d’elle à cause de sa grande taille. Mais au fond d’elle, elle savait que ce n’était pas là l’unique raison.

***

Deux semaines plus tard, Aurora débuta les cours le matin. Les après-midi, Mme Combes allait promener le chien de la voisine d’en face, Mlle Soledad, ou se reposait. Deux ans auparavant, cette dernière avait laissé le double des clés à Emilie. Mme Combes trouvait son amie fatiguée.

Mlle Soledad était une jeune femme de quarante ans qui en paraissait dix de plus. Connue pour sa joie de vivre et son dynamisme mais aussi pour sa solitude, elle était tombée du jour au lendemain dans la dépression.

Mlle Soledad avait une totale confiance en Emilie. Elles se connaissaient depuis bien longtemps et s’étaient toujours respectées. Mais malgré cette relation amicale, Mlle Soledad ne s’était pas confiée à son amie à propos du mal qui la tourmentait.

***

Au fur et à mesure qu’elle avançait, les gens disparaissaient. Quand elle posa son regard sur le cercueil, sa démarche devint saccadée. L’angoisse qui la prit à la gorge rendait sa respiration de plus en plus difficile. Elle tenta de s’arrêter, en vain, son corps ne semblait plus lui appartenir. Sans nulle autre alternative, elle continua sa marche forcée...

Aurora provoqua son réveil. Elle connaissait la suite du cauchemar et ne voulait en aucun cas le revivre.

***

Chez Mme Combes Aurora se sentait en sécurité. La tombée de la nuit était le moment le plus redoutable. Dans sa chambre, sa terreur ne faisait qu’augmenter. Son regard restait braqué sur la silhouette devant les volets fermés, à environ un mètre d’elle. Elle lui semblait à la fois si loin et si proche ! Elle criait : « Va-t-en ! Va-t-en ! », se tournait, fermait les yeux mais dès qu’elle les rouvrait, elle se tenait là, tout près, les bras tendus vers elle ! Aurora voulut allumer. Seule la lumière pouvait la faire disparaître ! Mais sa main tremblotante ne trouva pas l’interrupteur. En se tournant de l’autre côté, elle sentit sa respiration juste au dessus de son oreille. Ce souffle la paralysa. C’est alors qu’elle entendit une voix lui murmurer : Tu vas mourir...

Au lever du jour, Aurora se demanda si elle devait se réveiller ou se rendormir. Sa nuit blanche l’avait plongée dans un état de somnolence qui rendait sa vision floue. Etait-ce la réalité ou rêvait-elle ?

Mme Combes avait remarqué que la jeune fille était souvent fatiguée. Ses yeux rouges et ses incessants bâillements traduisaient son manque de sommeil.

Ce matin-là, Aurora resta quelques minutes toute seule dans la salle à manger. La voisine étendait le linge. A son retour, elle retrouva la petite assise sur son canapé, un livre à la main. Il s’agissait d’une œuvre de Stephen King, intitulée Simetierre. La jeune fille n’ouvrait pas le livre, elle focalisait son regard sur la quatrième de couverture.

— Prête pour travailler ?

— Oui.

— Tu peux aller t’installer.

Aurora remit le livre à Mme Combes. Avant de la rejoindre, elle jeta un coup d’œil sur le fameux extrait. Elle lut dans sa tête la citation de la réalisatrice de film Mary Lambert : Il y a des angoisses dont nous parlons rarement, car elles ne nous tourmentent guère le jour. Mais, la nuit tombée, elles viennent nous hanter et ne nous lâchent plus.

— T’as l’air fatiguée... T’as bien dormi hier soir ?

— Pas trop...

Sa mère lui avait fait promettre de ne parler à personne de la silhouette fantomatique.

— Tu as des pensées négatives avant de t’endormir ?

— Oui...

— A quoi tu penses ?

Aurora ne répondit pas.

— T’as peur de quelque chose ?

Aurora avala sa salive et baissa la tête.

— Mouais...

— Qu’est-ce qui te fait peur ?

La petite fille leva la tête et fixa la vieille dame de ses deux grands yeux noirs :

— La mort...

La conversation fut coupée par un bruit dans le couloir. Mme Combes aperçut le repose-clé par terre. Elle rangea le tout dans un tiroir et revint s’asseoir.

— On en était où ?

— On allait travailler.

— Oui, c’est parti.

Mais la jeune fille ne parvenait pas pour autant à contrôler ses émotions. Le soir même, la suite de son rêve la fit se replonger dans le cauchemar :

L’espace d’un instant, elle crut voir le cercueil bouger. Une chaleur suffocante provoqua des sueurs sur son front. Elle perdit connaissance... Quand elle recouvra ses esprits, le corbillard était garé sur le bas côté. La porte du coffre était à présent ouverte. Le cercueil avait disparu ! Prise de panique, elle voulut courir pour fuir mais elle ne put reculer que très lentement de quelques mètres. Un obstacle l’arrêta brusquement. Lorsqu’elle posa sa main sur son tendon, elle se rendit compte qu’elle était pieds nus et en pyjama...

***

L’hiver arriva rapidement, la neige recouvrit tout le village. Les foyers n’avaient plus d’électricité et les habitants étaient enfermés chez eux. Plus d’un mètre de neige était tombé. Aurora regardait par la fenêtre de la salle à manger les flocons tomber. La blancheur de la neige lui fit mal aux yeux. Elle lui parut si agressive qu’elle dut détourner son regard. Elle s’approcha du cadre posé sur la télévision. Il s’agissait du mariage de ses parents, à la sortie de l’église. Sa mère était rayonnante dans sa robe de mariée, son sourire éclatant.

Ce soir-là fut semblable aux autres. Aurora fermait les yeux, entendait un bruit derrière la porte qui s’ouvrait brutalement puis se refermait comme par l’effet d’un courant d’air et la silhouette entrait...

Chapitre 2

M. Valdés mangeait sur son lit d’hôpital. Après le repas, une infirmière arriva. Le malade soupira en apercevant « l’antipathique » entrer dans la chambre.

— Elena n’est pas là ?

— Elle travaille pas le lundi après-midi, je vous l’ai déjà dit une cinquantaine de fois, répondit sèchement la vieille infirmière.

— Oui, c’est vrai, je perds la tête.

L’homme regarda son crâne rasé dans le miroir. Sa tumeur au cerveau avait fait des ravages. « Il faut que je m’en sorte ! Pour ma fille !».

M. Valdés sortit une photo et la caressa tendrement. « Ma petite Aurora, j’ai peur pour toi... mais lorsque je me rétablirai, je te promets de venir te chercher et on partira loin de ce village maudit ! »

Au même moment, la jeune fille venait de s’endormir sur le canapé.

Elle comprit assez rapidement que le danger se trouvait juste derrière son dos, ce qui la paralysa. Tout à coup, elle entendit une voix lointaine qui l’appelait. Elle se retourna machinalement. Le cercueil, ouvert et vide. A l’intérieur, un oreiller et un drap blanc d’une clarté aveuglante...

***

— Aujourd’hui, on va conjuguer quelques verbes au passé-composé. Première personne du singulier du verbe « dormir » ?

— Je dors.

— Et au passé-composé, ça donne hier...

— J’ai dormi.

— T’as bien dormi cette semaine ?

— Non, je fais toujours des cauchemars...

— Le verbe « rêver ».Toujours à la première personne.

— J’ai rêvé.

— Très bien. T’as rêvé de quoi ?

— J’étais à un enterrement... il y avait Maman... il faisait tout noir et comme j’ai peur du noir, j’ai cherché la lumière et...

— Et ... ?

— Une lumière est sortie du cercueil, alors, je me suis approchée...

La petite s’arrêta, les larmes aux yeux. Le cours fut écourté.

En raccompagnant Aurora, Mme Combes aperçut la voisine d’en face agenouillée dans son jardin. Elle sanglotait. Mme Combes s’approcha.

— Il est mort, déclara la jeune dame.

— Je suis désolée pour ton chien.

Mme Combes serra sa voisine en signe de réconfort. Cette peine n’arrivait pas au bon moment car ces dernières semaines, Mlle Soledad semblait avoir retrouvé le sourire et la joie de vivre.

— Je t’invite à boire un café Emilie?

— Avec plaisir.

— Les choses ont changé depuis que « l’autre » est arrivé.

Par l’autre, Mlle Soledad désignait le curé.

— Il a endoctriné presque tout le monde. Il a une sacrée influence ! fit remarquer Mme Combes.

— Enfin, parlons d’autre chose. J’ai une confession à te faire. Mais tu dois me promettre que tu le répéteras à personne !

— Je serai muette comme une tombe.

Elle ignorait, à ce moment-là, qu’il lui faudrait plus tard révéler cette confidence ahurissante.

— Alors voilà...

Mme Combes écouta sa voisine attentivement, les yeux grands ouverts. Elle mit la main devant la bouche, surprise par ce genre de confession.

***

Le grondement du tonnerre printanier réveilla Aurora. Les éclairs qui illuminaient toute la pièce lui rappelèrent une scène d’épouvante. Mais avant que celle-ci ne commence, elle se leva précipitamment et se rendit dans la chambre de sa mère. Elle était vide. Elle se dirigea alors vers la cuisine, puis vers la salle à manger, la véranda, la salle de bain en allumant dans toutes les pièces. Elle descendit vers le garage. La voiture de sa mère n’était plus là. Aurora se souvint alors de la discussion de la veille.

— Je pars quelques jours, pour le travail. Je t’appelle dès que j’arrive.

Tous les six mois, Maria Valdés se rendait à une destination inconnue.

— Tu pourras dormir chez Mme Combes. Ou alors, elle viendra à la maison. C’est comme tu veux ma chérie.

Mme Combes, en chemise de nuit, fut étonnée de voir Aurora venir si tôt. Il n’était que 6h00.

— Entre. T’es bien matinale. Mais, qu’est-ce que t’amènes avec toi ?

La vieille dame sourit en voyant le sac à dos rempli de la petite, sa trousse de toilette ainsi que sa poupée à la main.

— Alors, comme ça, il paraît que tu viens t’installer quelques jours chez moi ! Pour les affaires, t’avais pas besoin d’en emmener autant, t’habites pas très loin.

— Je veux pas retourner à la maison... Ici, j’ai moins peur...

— D’accord. Tu es la bienvenue.

***

La jeune infirmière Elena remarqua l’air triste de son patient.

— Ça va Téo ?

— Ma fille me manque.

— J’ai laissé le mot dans la boîte aux lettres.

— J’espère au moins qu’elle a pu le lire.

— Que voulez-vous dire ?

— Ma femme contrôle tout, les sorties de ma fille, les personnes avec qui elle discute, les sujets dont elle parle.

— Elle s’inquiète pour sa fille, comme toutes les mamans.

M. Valdés fit un sourire crispé.

— A partir de la semaine prochaine, vous commencez la rééducation.

— Oui, je sais.

— Vous allez bientôt pouvoir remarcher.

***

En dormant chez sa voisine, aucun cauchemar ne vint perturber ses nuits.

En peu de temps, Aurora avait mûri et avait acquis plus de confiance en elle. Emilie Combes avait ce don rare pour transmettre la vie. Les après-midi, toutes deux allaient se promener au milieu de la campagne. Ce jour-là, la petite posa de nombreuses questions à Mme Combes qu’elle surnommait « Mamie ».

— Dis Mamie, elle est où ta famille à toi ?

La vieille dame dirigea son regard vers le ciel. Il y eut un silence.

— J’ai perdu mon mari il y a huit ans maintenant.

— Et t’as des enfants ?

— J’ai deux filles.

— Et elles sont où ?

— Elles habitent pas très loin.

— Et elles viennent te voir ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Histoire de famille, soupira Mme Combes.

Le souvenir de ses filles était douloureux.

— Eh oh... On se réveille Mamie.

La vieille dame regarda d’un air amusé la petite fille qui agitait sa main droite.

— A quoi tu penses ?

— Au dessert que je vais te faire ce soir.

— C’est quoi ?

— C’est une surprise.

Au retour de la promenade, Mme Combes prépara une tarte au chocolat. La bonne odeur attira la petite à la cuisine. Durant le dîner, Aurora regarda le calendrier suspendu sur le frigo. Sa mère rentrait le lendemain.

Plus tard dans la soirée, quand Mme Combes vint souhaiter une bonne nuit à la petite, elle lui chuchota à l’oreille :

— Et surtout n’oublie pas ce que je t’ai dit pour bien dormir.

Quand elle éteignit, Aurora se rappela la discussion qu’elle avait eue quelques jours plus tôt avec Emilie.

— Maman veut pas que j’en parle.

— De quoi ? Je te promets que ça restera notre petit secret.

— Du fantôme.

— T’es une grande fille maintenant, tu sais que les fantômes n’existent pas.

— Presque tous les soirs, il vient me voir...

— Dans ta chambre, il n’y a que toi, le reste, ce n’est que le fruit de ton imagination.

— Je comprends pas.

— En fait, tu vois ou entends des bruits bizarres. Mais en réalité, tu ne crains rien. T’es en sécurité dans ta chambre et personne ne veut te faire du mal.

— Pourtant, je sens bien qu’il est là ! Il me regarde. Des fois il me parle même !

— Tu dois le chasser de ta tête.

— J’ai déjà essayé mais ça marche pas. Je sais pas quoi faire... 

— Montre-lui que t’as pas peur.

***

La mère d’Aurora arriva à 17 heures. Chez Mme Combes, Maria fut étonnée de voir le nouvel épanouissement de sa fille. Ses yeux n’étaient plus cernés et son sourire était réapparu. Les deux femmes discutèrent dans la cuisine pendant que la petite jouait à la poupée à la salle à manger.

— Aurora a bien dormi durant ces cinq jours, l’informa la vieille dame.

— Elle a en effet bonne mine, fit remarquer Mme Valdés.

— C’est parce qu’elle ne fait plus de cauchemars la nuit...

— Quels cauchemars ?

— Un en particulier, celui où elle assiste à un enterrement...

— Oui, je sais, je le connais par cœur, coupa Maria, le sourire légèrement crispé. Elle vous a parlé d’autre chose ?

— Ne vous inquiétez pas Maria, tout ce qui a été dit dans cette maison ne sortira pas d’ici.

— C’est pas que j’ai pas confiance en vous... C’est juste que je m’inquiète pour ma petite fille...

— Je comprends. Elle m’a parlé du fantôme qui apparaissait dans sa chambre tous les soirs.

— J’avais peur que si ça se savait, on la prenne pour une folle...

— Votre fille n’est pas folle, elle a juste subi un traumatisme durant son enfance qui, jusqu’à présent, l’a empêchée de dormir. Mais, j’ai une bonne nouvelle, ses hallucinations ont disparu et elle a enfin retrouvé le sommeil.

— Elle a fait des crises de somnambulisme ?

— Une fois ou deux. Rien de bien méchant. Elle m’a juste demandé de fermer les volets.

Mme Valdés réfléchit un instant avant d’ajouter :

— Je préfère pas me réjouir trop vite, il y a des périodes plus calmes que d’autres. Mais ses angoisses finissent toujours par réapparaître. En tout cas, merci de vous être occupée si bien de ma fille. Aurora, range tes affaires, on rentre à la maison.

— Si vous voulez manger ici ce soir, c’est avec plaisir.

— Oh oui ! s’écria Aurora. Allez Maman, dis oui !

— Merci mais j’ai besoin de me reposer...

— Raison de plus pour rester, vous n’aurez qu’à mettre les pieds sous la table.

— Je veux pas vous déranger...

— Vous me dérangez pas du tout.

— Je préfère rentrer, répondit sèchement Maria.

***

Durant le petit déjeuner, la jeune fille regardait par la fenêtre les premiers rayons du soleil. Cela faisait bien longtemps qu’Aurora n’avait vu un seul éclaircissement dans le ciel. Jusqu’à ce jour, elle n’avait aperçu que de gros nuages menaçants. En réalité il avait fait beau une bonne partie de l’année et elle était la seule à avoir vu tant de fois cet obscurcissement du ciel.

Les conseils de Mme Combes fonctionnèrent également dans sa maison. La veille, elle avait à nouveau affronté le fantôme en le provoquant. Après la menace de mort prononcée par la silhouette au visage caché, elle lui avait rétorqué : « Viens, je t’attends ! ». Voyant peu à peu que le fantôme n’agissait pas, sa peur disparut.

La voisine se réjouit de cet affrontement mais elle savait aussi qu’elle n’était pas encore complètement guérie.

Chapitre 3

Lorsque le maire rentra chez lui, il aperçut le repas froid sur la table. Sa femme était assise sur le canapé, le visage fermé.

Il s’assit auprès d’elle en l’écoutant avec attention. Sa voix tremblante et rauque révélait son exténuation. Ce fut bref et douloureux. Patrick Brie se leva sans prononcer un seul mot. Quelques minutes plus tard il passerait la nuit seul à méditer sur ce que venait de lui révéler sa femme.

***

L’état physique de M. Valdés s’était amélioré. Depuis l’annonce de sa tumeur, M. Valdés voyait la vie différemment et était bien décidé à éviter tout conflit.

L’infirmière Elena apporta le repas à M. Valdés.

— Ça y est, j’ai trouvé un appartement.

— Je suis content pour toi. Et il est où ?

— Juste derrière l’école, dans la rue Albert Camus.

— Alors, nous serons pas loin.

— Tu viendras boire un coup chez moi, je te présenterai ma copine. Au fait, le rééducateur t’a parlé au sujet de ta sortie de l’hôpital ?

— Oui, faut que je continue ma rééducation quand je serai chez moi.

— Je me suis proposée pour continuer les soins.

***

Assise à la cuisine, Mme Valdés sortit de sa poche la dernière lettre de son mari écrite pour sa fille :

Ma petite chérie, les jours sont extrêmement longs sans ta présence et même si quelquefois, je n’ai pas trop le moral, je tiens le coup pour toi. Tu me manques et il me tarde de te revoir. Je pense à toi très fort.

Ton Papounet qui t’aime

Maria relut la lettre, la froissa puis la jeta à la poubelle. Elle but un verre d’eau et descendit les escaliers pour se rendre dans le garage. Elle remonta avec un album photo et s’assit à la salle à manger. Obnubilée par les photographies qui racontaient les moments heureux vécus d’antan, Maria n’entendit pas sa fille entrer. En voyant l’expression triste sur le visage de sa mère et l’album photo posé sur ses genoux, Aurora se dit que son père était vraiment un homme cruel. Maria sursauta en voyant la silhouette de la fillette et essuya discrètement ses larmes, en baissant la tête.

— T’as goûté ma chérie ?

Aurora n’avait jamais compris pourquoi sa mère refusait pertinemment de parler de ses douleurs. Elle préférait ne laisser transparaître aucune émotion. La jeune fille s’assit auprès de sa mère et les rôles s’inversèrent. Aurora prit sa mère dans ses bras en la serrant très fort. L’adulte fondit en larmes.

Le soir, au coucher, le cauchemar refit surface. Une fois la vue recouvrée, un bruit strident attira son attention : les roues du corbillard faisaient marche arrière. Elle ferma aussitôt les yeux. Quand elle les rouvrit, le fourgon mortuaire n’était plus qu’à un mètre d’elle et la porte du coffre s’était refermée.

***

Aurora passa l’après-midi dehors avec Mme Combes. Sur le chemin, toutes les deux s’assirent sous un arbre, le dos appuyé contre le tronc. La vieille dame sortit de son panier de quoi manger et boire.

— Ça va Mamie ? s’inquiéta Aurora en remarquant le teint pâle d’Emilie.

— Oui, c’est juste cette chaleur.

Tout se passait pour le mieux lorsque soudain, une brise légère se leva. Les ombres de l’arbre formèrent alors une silhouette dont les bras difformes semblaient ensevelir tout ce qui était à sa portée. Les deux principales victimes n’étaient autres qu’Emilie et Aurora. Tout à coup, la fillette entendit une voix intérieure d’outre-tombe qui chuchotait son prénom, Aurora, Aurora, je vais revenir... En voyant la petite fermer les yeux et boucher ses oreilles, Mme Combes comprit le malaise.

— Qu’est-ce qu’il y a Aurora ?

— Il est revenu ! gémit-elle en se jetant subitement dans les bras d’Emilie pour qu’elle la protège.

La jeune fille se tournait dans tous les sens en regardant dans chaque recoin. La voix intérieure lui disait : Je suis là... derrière toi... devant toi... à côté...

— Aurora ! cria Mme Combes pour la faire revenir à ses esprits. Tu crains rien, il y a que toi et moi ici ! lui dit-elle tout en la secouant comme si elle tentait de faire sortir le démon qui se trouvait à l’intérieur.

La petite cacha sa tête dans la poitrine de Mme Combes et mit un certain temps avant de retrouver son calme. Lorsqu’elle n’entendit plus la voix, elle regarda par-dessus l’épaule de la vieille dame. L’obscurité s’était installée. Soudain, elle aperçut une lueur provenant du ciel et se dirigeant vers la tête d’Emilie. Sentant l’angoisse monter, Aurora posa des questions banales à Mme Combes auxquelles elle ne répondit pas. Mamie ! Elle sentit le corps de la vieille dame se raidir et devenir froid. Aurora dirigea son regard vers le visage d’Emilie. La vision la terrifia : sa bouche était grande ouverte, ses yeux révulsés et son teint bleuté.

— Aurora ! Tu m’entends !?

La jeune fille se réveilla en sursaut. Mme Combes lui avait jeté de l’eau sur la figure.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— T’es tombée dans les pommes. Sûrement une baisse de tension. Mange un peu.

La jeune fille avait été victime d’une crise d’angoisse. De nouveau, la nature s’était transformée en un lieu hostile. Chaque bruit semblait annoncer un danger proche et son imagination faisait alors apparaître des silhouettes qui la suivaient inlassablement.

— On rentre ?

— Mais t’as à peine mangé...

— J’ai peur...

— On rentre de suite.

Mme Combes rangea rapidement la nourriture dans son panier et posa son bras sur les épaules de la petite.

— Il vient vers nous ! s’exclama Aurora.

— Qui ?

— L’homme là-bas ! répondit-elle en montrant du doigt un endroit éloigné et désert.

L’enfant et l’adulte accélérèrent le pas. Le saucisson dans son plastique tomba du panier, Mme Combes ne s’arrêta pas. Aurora entendit un bruit derrière elle. Quelqu’un venait d’écraser le saucisson. Elle se retourna. Un individu au visage caché par une obscurité irréelle l’observait.

— Il est derrière nous ! cria-t-elle, paniquée.

La vieille dame se retourna machinalement et ne vit personne. Tout à coup, la jeune fille fit un écart si important vers la droite qu’Emilie manqua de perdre l’équilibre.

— Il est juste à côté de nous !

— Ecoute-moi bien ! dit Mme Combes en fixant Aurora droit dans les yeux et en lui tenant le menton. Avance en regardant seulement devant toi et tout va bien se passer.

— D’accord... répondit-elle en sanglotant.

Le soir venu, la peur ne s’atténua pas. Son cauchemar ne cessa de revenir en boucle.

Elle parcourut des yeux l’intérieur du véhicule. Aucun conducteur n’était présent. Peu à peu, sa vue fut brouillée par la buée qui avait recouvert les fenêtres de derrière. Au moment où elle relâcha son attention, deux mains frappèrent si violemment la vitre qu’elle crut que la porte allait exploser. Lorsque ce bruit infernal cessa enfin et qu’Aurora pensa pouvoir retrouver son souffle, un visage déformé se plaqua contre la vitre.

***

Dès l’arrivée des beaux jours, la jeune fille se terra dans le trou qu’elle s’était elle-même creusée et replongea dans un profond abîme. Elle ne parvenait plus à délimiter la frontière du réel et celle du rêve si bien que ce soir-là, elle crut que la scène qui se déroulait devant ses yeux était bel et bien réelle.

Elle avançait dans l’obscurité en suivant une lueur qui semblait lui indiquer le chemin à suivre. Elle se retrouva dans un long couloir étroit, une porte claqua derrière elle, elle ne pouvait plus retourner en arrière. Elle continua à avancer, le pas hésitant, et se retrouva dans une pièce au milieu de laquelle gisait un corps sur une pierre tombale. Les pieds d’Aurora s’approchèrent contre son gré. Quand elle se retrouva au dessus de la personne, elle eut du mal à maintenir son regard. Elle reconnut aussitôt le visage marqué de la femme. La simple idée que le cadavre pût se réveiller la poussa à reculer. Mais un liquide collant sous ses pieds l’empêcha de bouger. C’est alors que la morte ouvrit les yeux et tourna la tête vers la jeune fille en la fixant de son regard noir. Quand Aurora réussit enfin à bouger, elle s’aperçut que l’ouverture par laquelle elle était arrivée s’était refermée. La petite se mit à taper fort contre le mur. Elle sentait l’odeur de la mort s’approcher. La femme s’était levée et telle une somnambule, elle avançait les bras tendus vers elle. Son visage n’était qu’à quelques centimètres d’Aurora quand celle-ci se réveilla en tressaillant.

La jeune fille poussa violemment ses draps et descendit les escaliers en courant pieds nus. Au bout du couloir, elle frappa désespérément contre la porte fermée à double tour et cogna fortement dessus d’une telle force qu’elle en eut les mains ensanglantées. Son hurlement réveilla sa mère qui entendit les paroles de sa fille résonner dans toute la maison :

— Pourquoi tu me laisses pas tranquille ! 

Quand sa mère vint vers elle, la fille eut un mouvement de recul. Elle lui dit en criant :

— Tout ça, c’est de ta faute, si t’étais pas folle, je le serais pas non plus ! Si t’avais pas eu...

— Tais-toi ! ordonna sa mère en la giflant. Monte te coucher !

Aurora lui obéit, à bout de force, et finit par se rendormir. Il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Mais à son réveil quelques heures plus tard, elle sentit une douleur qui venait de ses mains. Celles-ci étaient ensanglantées. Elle se leva pour aller prendre son petit déjeuner. En ouvrant un des tiroirs de la cuisine, elle aperçut sa mère dans le jardin discutant avec la voisine. Quelques minutes plus tard, sa mère lui annonça que cette semaine, elle n’irait pas chez Mme Combes.

— Pourquoi ?!

— T’es fatiguée, t’as besoin de repos.

— Je suis pas fatiguée, rétorqua Aurora.

— Et en plus tu réponds !

— Mais non, c’est juste que...

— Il n’y a pas de mais qui tienne ! Cette semaine, tu resteras ici et je rentrerai les midis pour manger avec toi ! C’est compris ?!

— Oui, balbutia Aurora, au bord des larmes.

— Je fais ça pour toi ma chérie, déclara sa mère d’un ton maternel tout en lui caressant les cheveux. Maintenant, je vais aller travailler, je reviens à 12h 30.

— D’accord... lui répondit-elle sagement, étonnée de voir comment sa mère était capable de passer aussi rapidement d’une expression à l’autre.

— Je t’aime ma puce, dit-elle en lui posant un baiser sur le front. Et surtout, tu dis rien à personne au sujet d’hier soir.

— Si je te promets de rien dire à Mme Combes, je pourrai aller chez elle ce matin ?

— Ce matin, non. On verra pour les autres jours. Mais avant, il faut que tes mains guérissent.

***

Ecoute, écoute, surtout ne fais pas de bruit

Il marche sur la route, Il marche auprès de lui

Ecoute, écoute, les pas du Seigneur vers toi

Il marche sur la route, Il marche auprès de toi

Lorsque le chœur s’arrêta, Aurora regarda qui se trouvait auprès d’elle. Sa mère, forcément. D’autres femmes étaient assises sur le même banc, toujours au premier rang, à la même place, comme à l’école. Tels des élèves qui n’aiment pas se retrouver devant parce qu’ils ne comprennent pas grand-chose de ce que leur raconte leur maître ou parce qu’ils préfèrent ne pas l’écouter, Aurora aurait bien préféré la place du fond. Le regard pénétrant du curé la mettait mal à l’aise.

Une fois la messe terminée, Aurora impatiente de sortir fut retenue par sa mère jusqu’à ce que l’église se vide. Elles restèrent en compagnie du curé dont le sourire démesuré insupportait la jeune fille.

— Alors mon enfant, qu’est-ce que tu racontes ?! interrogea le vieil homme.

La jeune fille ne sut définir s’il s’agissait d’une question ou d’un reproche. Aurora détestait cet air amadoué. Je suis pas ‘‘ton’’ enfant !

Elle répondit par un léger sourire comme sa mère le lui avait si bien appris.

— Comment vont ces jolies petites mains ? demanda le curé en les prenant dans les siennes. Viens, suis-moi.

Il se mit à côté d’elle en posant sa main sur l’épaule de la petite. Le geste semblait plus dominateur que protecteur.

Juste avant la sortie de l’église, le curé prit les poignets d’Aurora pour qu’elle plonge ses mains dans le bénitier.

— C’est de l’eau bénite.

La jeune fille avait l’impression que l’eau était sale et bouillante. Elle voulut retirer ses mains qui lui brûlaient mais le curé l'en empêcha. C’est pas de l’eau bénite, blasphéma-t-elle dans sa tête, c’est de l’eau maudite ! Je veux pas m’imprégner de la folie de tous ces gens qui y ont plongé leurs doigts pour faire le signe de la croix !

— T’es avec nous ? interrogea la mère. Tu m’as l’air ailleurs. A quoi tu penses ?

— Cette eau me fait un très grand bien, mentit-elle.

Le curé et Mme Valdés s’éloignèrent un peu pour fixer la date de la prochaine réunion. Aurora observait la complicité qui s’était créée entre eux tout en médisant. Au moins, avec Papa, j’étais pas obligée d’aller à la messe ! Pourquoi tu m’as abandonnée ?! Soudain, elle sentit sous ses mains quelque chose de dur qui semblait vouloir sortir de l’eau. Quand elle regarda ce qui se trouvait dans le bénitier, elle aperçut un visage dont les yeux et la bouche grands ouverts indiquaient qu’il manquait d’air. Cette vision terrifiante la fit aussitôt reculer. Elle se mit à frissonner comme si tout à coup, l’eau parcourait tout son corps et était à présent glacée. Lorsque sa mère lui demanda ce qu’il se passait, la jeune fille resta bouche bée avec cette image gravée dans sa tête.

— Elle continue à avoir des hallucinations ? chuchota le curé.

— Oui, ça a malheureusement repris, répondit-elle à voix basse. On va rentrer ma chérie.

***

L’ambiance était tendue chez les Brie. Le maire et sa femme ne s’adressaient plus la parole.

Voyant que la situation était toujours au plus bas, elle décida de faire ses valises. Le maire arriva dans la chambre au moment où elle rangeait ses affaires. Il fut étonné.

— Qu’est-ce tu fais ?

Le cœur de M. Brie se serra.

— Je supporte plus ce silence... Je m’en vais, je te tiendrai au courant pour l’avocat.

Alors qu’elle s’apprêtait à partir, le maire lui prit le bras. Une lueur d’espoir apparut dans ses yeux.

— T’as pris la vaisselle de ta mère ?

— J’ai pas cinquante bras, je viendrai la chercher un autre jour.

— Mais t’as pas les doubles des clés, fit-il remarquer.

— Je passerai par la véranda.

Le couple se regarda longuement en se demandant ce que l’autre pouvait bien penser à ce moment même. Dans le regard de chacun, on pouvait y lire encore de l’amour. Les secondes semblèrent des heures et le maire resta planté là devant elle.

— Reste ! lui dit-t-il. J’ai besoin de toi...

Mme Brie ne tergiversa pas. Les époux se prirent dans les bras tendrement puis fortement en se répétant l’un à l’autre qu’ils étaient désolés.

DEUXIEME PARTIE

Chapitre 4

Mlle Soledad n’avait donné aucun signe de vie depuis plusieurs jours. Les volets de la maison étaient restés fermés. Mme Combes s’inquiéta d’abord puis elle se rassura ensuite « Pourquoi toujours penser au pire ? » Le soir, la vieille dame s’endormit et rêva qu’Erika s’enfuyait avec son amant caché. Sa joie de vivre se lisait dans son sourire et dans ses yeux écarquillés. Cependant, cette fin heureuse digne d’un livre à l’eau de rose était loin de la réalité.

Ce matin-là, le vent soufflait très fort mais Emilie Combes fut réveillée par un tout autre bruit. Surprise d’entendre un tel brouhaha dans ce lotissement d’ordinaire si paisible, la vieille dame sortit. Debout dans son jardin, elle sentit ses jambes trembler et des bouffées de chaleur. Elle fut sur le point de s’évanouir quand elle aperçut l’attroupement de personnes, l’ambulance garée devant la maison de Mlle Soledad mais surtout le corps recouvert d’un drap. En quelques secondes, le brancard embarqua la voisine. Soudain, alors que Mme Combes tentait de se remettre de ses émotions, elle se rendit compte que tous les regards étaient tournés vers sa direction. La police vint aussitôt à elle. Des voix lointaines emportées par le vent lui murmuraient tout près de son oreille C’est elle...

— Bonjour Madame, nous pouvons entrer un instant ? Nous avons quelques questions à vous poser.

— Oui... Bien sûr... Je vous en prie.

L’interrogatoire commença dans la salle à manger. Mais Mme Combes n’entendit pas les questions des policiers. Choquée par l’annonce brutale du décès de son amie, aucun mot ne put sortir de sa bouche et les minutes qui suivirent lui parurent interminables.

La vieille dame alla chercher un verre d’eau.

— L’une de vos voisines a affirmé que Mlle Soledad et vous étiez de bonnes amies et que vous possédiez le double de ses clés. Est-ce exact ?

— Oui, en effet, répondit Emilie, tremblotante.

— Pouvez-vous nous les montrer ?

— Oui... Bien sûr, dit-elle décontenancée car elle ne se souvenait pas l’avoir dit à quelqu’un. Je les pends toujours au même endroit.

Mais Mme Combes ne fut pas au bout de ses surprises. La clé ne s’y trouvait plus.

— Où sont-elles ? demanda le policier Lopez.

— Je comprends pas... Je les pose toujours au même endroit...

— C’est possible qu’on vous l’ait volée ? demanda le policier.

— Je suis pas sortie de chez moi de tout le week-end... réfléchit-elle.

— Comment expliquez-vous alors leur disparition ? demanda l’inspecteur d’un ton sec.

— Je sais pas...

— Excusez-nous un instant.

Les deux hommes s’éloignèrent légèrement. L’inspecteur fit part de ses premières impressions :

— Elle nous cache quelque chose. Si ça se trouve, elle s’est tout simplement débarrassée de la clé...

— Quel intérêt aurait une vieille de soixante dix ans à liquider une voisine ?

— Je savais pas qu’il y avait un âge pour tuer, répondit l’inspecteur sur un ton ironique.

— Moi, je pense pas qu’elle mente. Si elle avait réellement voulu trouver un élément qui la déculpabilise, elle aurait déclaré qu’on lui avait volé la clé. Et puis, pour l’instant, rien ne nous garantit qu’il s’agisse d’un crime.

La conversation fut interrompue par la sonnerie du portable. Il s’agissait du légiste.

— Nous allons tout de suite en savoir plus, déclara l’inspecteur. J’ai un appel de Roberto.

— Oui, c’est moi. Voici mon compte rendu : le poignet gauche de la victime présente un hématome. La dame est décédée suite à un étouffement. La marque sur son poignet prouve qu’elle a tenté de se débattre. Un autre hématome apparaît au niveau de son abdomen et indique qu’on a posé un genou sur elle pour la maintenir en position allongée.

— Donc, il s’agit pas d’une mort naturelle, j’en étais sûr ! Merci pour les renseignements.

Les deux hommes rejoignirent Mme Combes. Ils la retrouvèrent affalée sur le canapé, les yeux fermés, la bouche ouverte et la main droite sur le cœur.

— Mme Combes, vous m’entendez ?

Le policier vérifia aussitôt son pouls.

— Ne me dis pas qu’elle est morte !

— Non, je sens son pouls.

Au bout de quelques secondes, la vieille dame retrouva ses esprits. Les deux hommes la laissèrent se reposer. Mais l’inspecteur avait du mal à croire à un véritable évanouissement.

— C’est rien, dit-elle. C’est juste une baisse de tension. J’ai pas pris mon petit déjeuner ce matin.

— Nous passerons un autre jour.

***

L’inspecteur Mendez n’avait pas avancé dans son enquête. Le témoignage des habitants semblait être calqué les uns sur les autres. Les informations étaient les suivantes : la victime avait une cousine à qui elle ne parlait plus depuis des années, l’héritage était revenu au fils de celle-ci. La somme importante déclarée dans le testament rendait le garçon suspect. Plusieurs pistes s’ouvraient aux investigateurs. Mais aucune preuve réelle à l’appui ne permettait d’accuser avec certitude un Tel ou un Tel. En ce qui concernait la cousine de la victime, Cristina Sanchez, on la décrivait comme étant l’incarnation du Bien. Cristina était une femme fort respectée dans le village. Elle ne vivait que pour servir le Seigneur, son mari et son fils adoré.

En revanche, Mme Combes était désignée comme étant une femme farouche et inhospitalière qui ne participait pas à la vie du village. Lors des interrogatoires, les habitants n’avaient pas cessé de spéculer autour de la mort douteuse de son deuxième mari. Dix ans plus tôt, Mme Combes l’avait soi-disant retrouvé dans la cuisine, un soir, la tête dans le plat. On avait alors pronostiqué une intoxication. Mais pour les gens, il s’agissait plutôt d’un empoisonnement. Un mystère s’était alors créé autour du personnage de Mme Combes.

Seule Aurora était convaincue de son innocence. Pour la petite fille, elle était incapable de faire du mal. Mais la mère d’Aurora la mit en garde en lui expliquant que derrière un visage d’ange pouvait se cacher un véritable démon.

— Tu penses à moi Maman quand tu dis ça ?! avait rétorqué la petite fille, les yeux rouges.

— Bien sûr que non ma chérie... Qui a bien pu te mettre des idées pareilles dans la tête ?! s’offusqua-t-elle. Toi, c’est pas pareil...

***