Physiologie du théâtre - Louis Couailhac - E-Book

Physiologie du théâtre E-Book

Louis Couailhac

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Beschreibung

Extrait : "Où cours-tu donc, cher public ? Tu as tellement l'habitude de faire la queue et d'aller prendre ton billet au bureau, que tu te précipites vers le péristyle du théâtre. Arrière... ce n'est pas là notre chemin. Il faut que nous nous dirigions vers cette petite porte qui se dessine discrètement sur l'un des flancs de l'édifice. Allons, baisse la tête, monte ces trois marches et ne tremble pas ainsi. Que diable ! tu es plus ému que lorsque tu te présentes en habit..."

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EAN : 9782335054309

©Ligaran 2015

Introduction

Au théâtre, peu de gens se contentent de ce qu’ils voient de leur loge d’avant-scène ou de leur stalle d’orchestre. Tous veulent aller au-delà, tous cherchent à distinguer ce qu’il y a derrière la toile de fond ; le foyer des acteurs, les loges des actrices, les coulisses, sont pour le public une espèce de terre promise sur laquelle chacun brûle de mettre le pied. Mais la consigne est impitoyable. Pour pénétrer dans le sanctuaire, il faut être l’un des desservants du culte, comédien, auteur ou tout au moins journaliste.

Eh bien ! moi qui t’ai dit mes titres sur la première page de ce petit livre, honnête public, je prends en pitié ton insatiable curiosité. Jusqu’ici on t’a fait voir des étoiles en plein midi. Ceux qui prétendaient te servir de guides dans l’obscur labyrinthe n’avaient point reçu des mains d’Ariane le fil protecteur. Ils n’avaient jamais vu la scène que du parterre, et se plaisaient à étaler devant tes yeux bénévoles des tableaux aux couleurs vulgaires et banales.

Quant à moi, honnête public, je fais tous les soirs par métier (je pourrais dire métiers) le petit voyage que tu désires entreprendre en partie de plaisir. Je puis donc te servir de guide. Mais surtout ne va pas me trahir. On m’enlèverait mes entrées de faveur ; et je tiens à mes entrées. Je n’ai pas besoin de te dire pourquoi !

Ah ! pardon… Avant de commencer notre pèlerinage, permets-moi de te présenter mon portrait dessiné d’après nature. Puisque je ne te dis pas mon nom, il faut au moins que tu puisses me reconnaître, si jamais nous nous rencontrons sur la grande route de la vie. On retrouve toujours avec plaisir un compagnon de voyage.

Me voici :

Et maintenant que tu as bien étudié mes traits, si ma physionomie te plaît, si tu ne crains pas de me suivre sur ce terrain mouvant, tout parsemé de trappes, d’ornières artificielles et d’abîmes ; si tu ne crains pas de traverser avec moi de noires forêts, des déserts brûlés par le soleil, de franchir des montagnes arides, de visiter le Chemin du Torrent et la Caverne de la Mort, – suis-moi !

ILa portière des coulisses

Où cours-tu donc, cher public ? Tu as tellement l’habitude de faire la queue et d’aller prendre ton billet au bureau, que tu te précipites vers le péristyle du théâtre. Arrière… ce n’est pas là notre chemin. Il faut que nous nous dirigions vers cette petite porte qui se dessine discrètement sur l’un des flancs de l’édifice. Allons, baisse la tête, monte ces trois marches et ne tremble pas ainsi. Que diable ! tu es plus ému que lorsque tu te présentes en habit de garde national au milieu d’un bal de la Liste civile.

La première personne que nous rencontrons est madame Rigaulard.

Madame Rigaulard, que j’appellerai la portière des coulisses, pour me servir de l’expression vulgaire, quitte rarement le coin de son feu qui est entretenu par le bois de l’administration ; aussi, comme celui de Vesta, ne s’éteint-il jamais. Elle est assise dans un grand fauteuil à clous dorés, débris de quelque drame qui a fait son temps ; elle tient sur ses genoux un gros chat noir, et agace de temps en temps un perroquet qui, placé sur son épaule, minaude et jabote. Elle n’est point tellement occupée de ces plaisirs domestiques qu’elle ne jette par moments un coup d’œil scrutateur sur la porte, pour bien constater l’identité des personnes qui entrent ou qui sortent.

Madame Rigaulard porte la tête haute et affecte une tenue pleine de majesté. On voit qu’elle a la conscience de son importance. Aussi, quelle souveraine que cette femme ! Connaissez-vous un empire plus vaste et plus magnifique que le sien ? À elle les jardins enchantés d’Armide ; à elle les palais d’or et d’argent, les portiques de marbre, les collines verdoyantes, les fleuves calmes ou mugissants ; à elle les fées ravissantes, les piquantes villageoises, les jeunes mariées couronnées tous les soirs des mêmes fleurs d’oranger ; à elle la troupe des sylphides et des beautés du sérail ; à elle l’éléphant du Cirque, les chevaux blancs de la Juive, le chien du Mont-Saint-Bernard, les dragons ailés, les tortues paresseuses, les oiseaux de noir présage, les monstres de toute nature, et les phénomènes vivants de toute grandeur et de toute forme ; à elle les démons et les djinns ; à elle les feux du Bengale, les parfums d’Arabie et les trésors de Golconde ; à elle la mer chargée de vaisseaux, le ciel et la terre, l’eau et le feu, les hommes et les animaux ; à elle la création tout entière. – Venez donc après cela nous parler du pouvoir d’une reine constitutionnelle qui attend pour vivre les quelques mille livres sterling dont sa chambre des communes veut bien lui faire l’aumône !

Demandez au clerc de notaire fashionable, à l’étudiant flâneur ou au jeune fou qui mange rondement et gaiement sa fortune, ce que c’est que la portière des coulisses ? – il vous répondra :

« C’est une déesse redoutable, c’est Junon assise sur son trône aux sombres ornements ; c’est la Proserpine dont les yeux lancent de sinistres éclairs ; c’est celle dont la volonté bienfaisante peut me donner l’accès du véritable paradis terrestre, celle qui me fait trembler de tous mes membres lorsqu’elle fronce le sourcil, ou remplit mon âme d’une joie ineffable lorsqu’elle daigne sourire. Sorcière à la magique baguette, ne repousse pas le faible tribut que je dépose à tes pieds, et introduis-moi pour quelques secondes sous les bosquets où je dois retrouver ma Péri, cette Angélina dont le souffle embaumé vient jusqu’à ma stalle de balcon, et parfume la nuit ma couche solitaire. »

La Rigaulard est une ancienne actrice de province. Elle a longtemps tenu l’emploi des tabliers (soubrette, servante) dans les premières villes de France, à Lyon, Bordeaux, Lille, Rouen. Son petit nez retroussé et sa voix mordante plaisaient beaucoup à messieurs les abonnés civils et militaires. Puis l’âge est venu ; il a fallu alors se résigner à descendre jusqu’aux troupes d’arrondissement et à faire les beaux jours d’Angers, d’Amiens, de Béziers et de Carcassonne. C’est à cette époque que notre portière épousa M. Rigaulard, souffleur à la poitrine forte. Enfin, grâce à d’anciens souvenirs qu’elle sut invoquer avec force et éloquence, la Rigaulard et son mari entrèrent dans un théâtre de Paris… en qualité de concierges.

M. Rigaulard n’existe point. Madame Rigaulard est maîtresse au logis, et quand elle a dit : « Je le veux, » le pauvre souffleur baisse la tête et obéit. Aussi tout le personnel du théâtre ne connaît-il que madame Rigaulard, ne s’adresse-t-il qu’à elle. Il n’est jamais venu en tête à personne de dire : Je vais demander cela à M. Rigaulard, ou je vais dire cela à M. Rigaulard. Quand on parle de M. Rigaulard, ce n’est que pour mémoire.

Depuis l’heure de la première répétition jusqu’à l’heure de la clôture des portes du théâtre, la loge de madame Rigaulard est le rendez-vous ordinaire des actrices de troisième ordre, des figurantes, des habilleuses. C’est là que se produisent pour la première fois, que se perfectionnent ensuite les cancans, les bavardages, les méchancetés, les calomnies. Si l’on veut entendre dire du mal du prochain, si l’on tient à connaître les petits secrets de coulisses, les anecdotes scandaleuses de l’endroit, l’histoire intime de quelques-unes de ces dames, les liaisons et les ruptures, les brouilles et les raccommodements, il faut obtenir pour quelques instants une place auprès du poêle de madame Rigaulard, et l’on ne se plaindra pas d’avoir perdu sa soirée.

IILe foyer des acteurs

Une grande pièce carrée ; tout autour un banc recouvert de velours rouge ; une cheminée surmontée d’une glace ; quelquefois une psyché dans un coin ; un petit tableau appendu au mur, et contenant l’indication de l’heure des répétitions et de la composition du spectacle du lendemain : tel est ordinairement le foyer des acteurs.

Le spectacle va commencer.

Tous les artistes qui jouent dans la première pièce descendent successivement de leurs loges, entrent dans le foyer et donnent dans la glace un coup d’œil à leur toilette.

Bientôt arrivent les auteurs, les petits journalistes, les flâneurs de tout genre, le médecin du théâtre, le capitaine des pompiers, l’avocat de l’administration, le protecteur de la première danseuse, le cousin du directeur, le dessinateur des costumes, etc., etc.

Les conversations s’engagent.

Dans un coin, mademoiselle Minette, jeune actrice que le public a jusqu’ici accueillie assez froidement et qui n’a pas encore pris sa revanche, supplie le faiseur de pièces de l’établissement de lui confier un rôle qui puisse faire ressortir toutes ses qualités ; elle demande un dialogue égrillard, beaucoup de chant et un costume très décolleté.

Plus loin, M. Léon Tricotin, rédacteur en chef de l’Abeille des Théâtres, feuille qui se tire à trente-trois exemplaires, donne d’un air important des conseils saugrenus à trois ou quatre acteurs comparses qui ont la bonté de l’écouter, et leur promet de faire mention d’eux dans le prochain numéro de son journal. Ce prochain numéro paraît rarement.

Ici, mademoiselle Atala, seconde danseuse, fait des jetés battus en s’appuyant sur le bras complaisant d’un actionnaire du théâtre ; là, M. Isidore, traître de mélodrame, déclame une longue tirade en se frappant la poitrine et en faisant de grands gestes.