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Extrait : " Vivre en touriste c'est vivre en bipède nomade qui tient à la fois du cerf par les jambes, de la pie par le ramage, et du singe par son penchant à l'imitation. Chaque année, Quand la nature est reverdie, Quand l'hirondelle est de retour. le touriste ne va pas exclusivement revoir sa Normandie, mais il éprouve sous la plante des pieds une invincible démangeaison de s'exporter
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Seitenzahl: 75
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335054125
©Ligaran 2015
La physiologie du voyageur doit être le tableau animé de ce mouvement incessant qui pousse l’humanité en avant, en arrière, et la fait circuler ou flâner de droite à gauche, sur les parties solides ou liquides de la mappemonde.
Il y a bien de l’espace devant nous, et je pourrais, lecteur, abuser des nombreuses variétés de la locomotion, et vous faire essayer tous les moyens de transport que la civilisation, le hasard, la Providence ou le charron ont créés pour l’exportation de l’espèce bipède. Ils sont au nombre de seize mille, compris les patins sur lesquels la laitière hollandaise apporte sa marchandise à la ville… et la canne-poste à laquelle le baron de Drais avait donné le nom primitif de Draisienne, et qui a reçu depuis une dénomination plus expressive, celle de vélocipède, qui signifie que dans cette voiture on marche à pied.
Je pourrais vous faire assister à la toilette de l’éléphant blanc du roi de Siam, sur lequel il est défendu, sous peine de mort, de se livrer aux exercices de l’équitation ; et j’arriverais, par une douce transition, sur le dos de l’éléphant brun, espèce ilote qui a sur nos chevaux de coucou l’avantage d’être à la fois quadrupède et voiture.
J’aurais le droit de vous inclure dans le traîneau moscovite et de vous faire faire un cours ex professo de botanique au milieu des bottes de lichen qui servent d’aliment au voyageur et à ses coursiers à cornes quand les vivres viennent à manquer.
Sous un autre ciel, à défaut de places de fiacres, il y a des places de nègres ; et au lieu de prendre une citadine à l’heure, on prend deux noirs à la course, et on leur donne pour boire trois coups de bambou.
Il y aurait aussi de belles lignes à ajouter aux belles pages de M. de Buffon sur le dromadaire.
Le chameau était loin de penser à l’honneur qui lui était réservé de servir un jour de monture au pantalon garance. Nous pourrions nous mettre en croupe avec le tourlourou, et courir une poste dans la Mitidja.
Mais cela nous mènerait trop loin : circonscrivons la description, resserrons l’itinéraire ; limitons notre tableau de mœurs aux types de notre patrie, et renfermons-nous dans une zone où il soit permis à la majorité des Français de circuler.
Vivre en touriste c’est vivre en bipède nomade qui tient à la fois du cerf par les jambes, de la pie par le ramage, et du singe par son penchant à l’imitation. Chaque année,
le touriste ne va pas exclusivement revoir sa Normandie, mais il éprouve sous la plante des pieds une invincible démangeaison de s’exporter. Il est pris d’une humeur parricide pour son toit maternel ou conjugal, et surtout pour son domicile politique : alors la fraction de mappemonde qu’on nomme la France et son littoral, devient le partage de la grande famille nomade dont nous allons classer les membres.
Le touriste artiste éprouve au mois de mai le besoin de croquer tous les points de vue de l’Europe. Il part, et devant chaque site il s’arrête, allume sa pipe et se dit : – Je reviendrai croquer cela l’année prochaine.
Le touriste universitaire est un délégué de l’instruction publique, qui va faire ses vendanges ou celles des autres, sous prétexte d’aller voir si les enfants des écoles mutuelles battent la semelle en mesure.
Le touriste causeur est un être qui, ne trouvant plus dans son département personne qui ait la patience de l’entendre raconter chaque jour la même chose, se décide à aller chercher d’autres oreilles plus charitables.
Le touriste humorique quitte son logis sous l’influence du regret. Il voyage sans espoir de se trouver mieux ailleurs que chez lui ; il est parti sans savoir pourquoi, ni pour où : partout il se plaint, les lits sont durs, le vin aigre, les cigares amers. Quand il revient au logis, c’est le domicile qui alors est en butte à ses reproches ; il parle avec enthousiasme du coucher d’auberge, du produit des vignobles exotiques : et près du tabac départemental, le manille parisien est une feuille de chou.
Le touriste viveur va au Périgord en faisant une pointe sur la Touraine ; il dévore l’espace, court du Havre à Nantes et revient tout étonné de retrouver chez Chevet les tubercules, les pruneaux monstres, les homards de belle stature qu’il a vainement demandés à leur terre ou à leur onde natale.
Le touriste pleureur a soin de partir avec une chevelure absalonienne, afin de pouvoir s’arracher pas mal de cheveux quand il voit abattre une masure quelconque âgée de sept à huit cents ans.
Si on coupe quatre perches de terrain d’une propriété appartenant à un financier, pour faire passer un rail de fonte, le touriste crie que nous revenons au siècle de fer.
Si un pan de mur est abattu pour l’alignement d’une rue, le touriste se lamente sur la voie publique comme feu Jérémie, il évoque les hallebardiers défunts et demande protection contre le vandalisme moderne, il appelle les propriétaires Goths, Visigoths, Ostrogoths ; et les autorités constituées, anthropophages et lithophages. Cette classe de touristes arrête de préférence sa place pour tous les pays où on démolit.
Le touriste chasseur a reçu du ciel le mandat de renverser toutes les croyances culinaires. Il doit travailler à détruire le culte du beefsteak très profondément enraciné dans nos mœurs, pour lui substituer la foi au filet de tigre, aux pieds d’ours à la Sainte-Menehould. Alexandre Dumas est le chef de cette nouvelle école ; il a déjà publié quatre volumes in-8° sur cette grave matière. Si cette, réforme est admise, nous aurons la promenade de l’ours gras, cela variera la monotonie de nos mœurs carnavalesques.
Le touriste controversiste. – Un touriste arrive à Venise ; il monte au sommet du Campanile, à 400 pieds au-dessus du sol et s’écrie :
Ô Venise, que tu es belle, dormant dans les plaisirs comme un beau cygne blanc sur un lac !
Ô Venise, tu seras toujours la belle, la ville chérie de l’artiste et de tout cœur poète !
Puis il signe : Alphonse Royer.
Survient au autre touriste ; il monte à moitié de la même tour, c’est-à-dire à 200 pieds, et écrit :
Venise… on ne peut pas mourir sans avoir vu Venise.
Mais, quand on l’a vue, ce qu’on a de mieux à faire, c’est de partir et de ne plus revenir.
« Signé, le baron D’HAUSSEZ. »
Au nombre des touristes controversistes pourrait aussi s’asseoir M. Merimée, inspecteur des monuments.
Un soir cet écrivain, se promenant dans les rues de Perpignan, aperçoit des barreaux, à toutes les fenêtres basses ; il rentre en hâte chez lui, et écrit :
« Les fenêtres basses garnies de barreaux de fer révèlent l’origine mauresque de cette cité. »
M. Henry le bibliothécaire répond quelques jours après :
« Les barreaux de fer qu’on remarque dans les rues basses de Perpignan ne prouvent pas que cette cité soit d’origine mauresque ; nous avons remarqué des barreaux pareils dans presque toutes les villes du Midi et du Nord où l’on craint les voleurs. »
Le touriste humanitaire. – Le premier édifice qu’il demande à visiter dans chaque ville, c’est la prison ; dans une ville de mer, c’est le bagne, s’il y en a un ; – il entre au réfectoire, s’il y en a un, et, prenant sans façon le vin et le pain du condamné qui ne les lui offre pas, il les engloutit avec un plaisir indicible, et dit tout haut : « Mes amis, vous êtes beaucoup mieux que je ne croyais. »
Ce qui fait que ce jour-là le condamné que le philanthrope a choisi pour son expertise est beaucoup plus mal que de coutume.
Le touriste mendiant. – Partout où il passe, il récolte, ou au moins il glane ; il lui faut des échantillons de tout ce qu’il rencontre, et, à défaut de double et de copie, il prend l’objet unique ou l’original. À chaque pas vous l’entendez dire :
– Je serais heureux d’emporter un souvenir de ce pays-ci. Et il prend sans façon ce qu’on ne lui offre pas…
– Tenez-vous beaucoup à ces coquillages ?
– Tenez-vous à ce bahut ?
– Tenez-vous à ce vase de porcelaine ?
– Tenez-vous à ce hamac ?
S’il osait, il vous dirait :
– Tenez-vous à votre femme ?
Et il l’emporterait sans attendre la réponse.
Le touriste du Devoir. – La chevalerie errante s’est transformée ; sa lance s’est changée en bâton ; la lice est devenue la grande route, et le preux se nomme aujourd’hui compagnon du Devoir, ou compagnon roulant, ou compagnon gavaux. Il y a dans cette grande famille si divisée des renards, des loups, des dévorants ; il se livre de grandes batailles, comme jadis il y avait de grands duels pour de petites choses. Quand deux preux s’étaient outre-percés, quelquefois leur dernière parole était celle-ci : « Pourquoi nous sommes-nous tués ? » Les compagnons pourraient souvent se faire la même question. Il faut espérer qu’un jour l’affaire s’arrangera, et que les touristes compagnons de France, au lieu d’un mot symbolique qui les fait courir sus, auront une franche formule de fraternité qui les rapprochera tous.
La nomenclature des touristes est loin d’être complète ; l’espace nous manque. Nos lecteurs pourront étendre et continuer le travail sur le tracé que nous avons mis sous leurs yeux.