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Ce roman nous invite à un voyage dans les méandres inextricables de la nouvelle société algérienne, à travers le personnage d’El Mahdi et les « compagnons de la chamelle », dans des scènes mêlant réalisme et fantasmagorie. El Mahdi est en quête de « son miracle », qui lui donnera les « clés magiques » pour changer le monde, comme autrefois Ibn Tumert qui s’intronisa « Mehdi de la résurrection » en faisant parler les morts. Lui aussi aura son miracle, mais dans des conditions scabreuses. À travers cette quête du miracle, d’autres destins apparaissent, entre autres celui de Cheikh M’barek, un derviche fécondateur de femmes stériles, voulant s’approprier le secret de ressusciter les morts ; Amar Kerrouche, un moudjahid descendu en ville après la guerre de Libération prendre sa part du butin et façonner son propre mythe ; la belle Neila, victime d’un viol colonial et d’un amour perdu tente de refaire sa vie avec sa fille Leila au milieu d’un monde de mâles féroces. Un roman fait de bruit et de fureur, une plongée abyssale dans les profondeurs d’une réalité fantasmagorique, où s’entrechoquent les rêves les plus fous et les destinées les plus tragiques.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mohamed Sari né en 1958 à Cherchell, Mohamed Sari est professeur à l’université d’Alger. Ecrivain bilingue, romancier, traducteur, il a également publié des livres de critique littéraire.
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© Éditions Chihab, 2015.
ISBN : 978-9947-39-150-1
Dépôt légal : 5794/2015
« Ilméritelamort ! Ilagâchémonenfanceetmaintenant, ilveutm’empêcherd’avoirmamosquée. Jeluitrancherailagorge, dût-ilêtremonvéritablepère, commeleprétendFattouma, lavieillemégère. »
Certes, l’idéedesedébarrasserdeAmarKerroucheluitaraudel’espritdepuisdesjours, maisElMahdirecèleensonforintérieurdessédimentsdesympathieàl’égarddeceluiquiabercésonenfancepard’étrangeshistoiresdeguerre. Malgrél’insistancedesesamis, lescompagnonsdelachamellecommeonlesappelledepuiscejourmémorablequiaébranléAinKarma, illeurdemandedetemporiser.
Maiscematin, aprèsunenuitagitée, entrecoupéedelonguesinsomnies, ilseréveilleensursautaveclafermedécisiond’enfiniravecl’hommequinecessedeluiempoisonnerl’existence. Ilagiraseul. Sonhonneurendépend. Lui, ElMahdi, filsduchîkhM’barek. Sonvisageauxpommettessaillantesestcouvertdesueur. Lachambreestexiguëetlachaleurdecedébutd’étéétouffante. Iltourneenronddurantunmoment, ouvrantdestiroirs, scrutantçàetlà, puiss’arrêtepensif, lesbrasballants. Ilsemetàplatventresouslelit, retireunevaliseencarton, fouillefébrilementparmil’amashétéroclited’objetsetdevêtementsavantdesereleveravecunsouriredémentielquicontorsionnelestraitsdesonvisage. Ilétaleungroschiffonsurlesol, l’entrouvre. D’unregardlumineux, ilfixeunpoignardàdemienfouidansunvieilétuidecuir, leprendentrelesmains, lesoupèse, enserrantlesmâchoiresetensecouantlatête. L’hésitationlecorrode. Dansunevolte-face, aurisquedeperdrel’équilibre, ilsoulèvelerideaucrasseuxdelaported’entrée, enjambeleseuil, dévalel’escalieretseretrouveaugrandair.
ElMahditraverselesruessansrienvoir, l’espritobnubilépardesidéesderevanche. D’ailleurs, quandsonélaneststoppéparlecanalquiséparelacollineboiséedeSidiElMekhfidesterresplantureusesdelavallée, ilestétonnéd’êtrearrivéàdestinationdansunlapsdetempsaussicourt. En quelquespetitssauts, ildisparaîtdansunevenellebordéedebroussailles. Illongelesentiersanssesoucierdesfeuilleslancéoléesderoseauxquiluifouettentlevisage. Arrivéàunhallierdemûrierssauvages, illecontourneenrasantlefourré. Iltraversel’ouedàsec, grimpeuntalusd’ardoise, bifurqueverslagaucheets’enfonceàl’intérieurdelapinède.
Unpeuplustard, ildébouchesurlaclairièrequisurplombelacolline, etsurlaquelleestbâtilemausoléedeSidiElMekhfi, avecsavoûteornéed’uncroissantenbois. Ilfrémitd’impatience. Desimagestroublesd’unlointainpasséviennentparasitersonchampderéflexion. Verslebas, aupieddelacolline, lamaisonautoitdetuilesrougess’étaledevantsesyeuxéblouisparlesoleildumatin. Ilresteimmobile, leregarderrantàlapoursuitedevisagesetdevoix, qu’ilsouhaitesuspendre, là, dansl’horizongrisclair.
Natifduquartier, ilenconnaîtlesmoindres recoins. Ilpeut, aumomentopportun, sefaufileràtraversdesraccourcis, devanceretattendrelepassagedel’hommequiatoujourssuscitéenluidesémotionscontradictoires. Autantd’admirationquedehaine ! Etce, depuisletempsoù, enfant, ilvenaitpuiserl’eauàlaferme ; ensuite, grandgarçon, ilsefaufilaitaumilieuducercleinformedegenspourécouterleshistoiresdeguerredumaquisard. Pendantlesannéesdel’après-guerre, desdizainesdefamillesavaientquittéleurspitonséloignéspourvenirs’installerauflancdelacollineetauxabordsdel’oued, construisantdanslaprécipitationetledénuement, n’importecomment, desgourbisfaitsderoseaux, deglaiseetdetôlesondulées. Etcommel’uniquefontainesetrouvaitàproximitédelafermeHaouchErroumi, devenuepropriétédumoudjahid, ilallait, àl’instardesautresenfants, chercherl’eau. EtquandAmarKerroucheapparaissaitdanssavestemilitaire, lefusilenbandoulière, latêtecouverted’unchèche, chaussédesespataugas, lesenfantsquisebousculaientenjappantsemétamorphosaientenagneaux. Achaquefoisqu’illevoyait, lemaîtredecéanss’avançaitversluiensouriant :
— Alorspetit, commentvalegarçonduchîkhM’barek ? Ettonpère ? Dis-luiqueSiAmartepasselebonjour.
Silesenfantssepressaientauxabordsdelafontaine, surtoutlesoiraprèsl’école, illuiprenaitlebidondesmains, l’emplissaitetdisaitdesavoixtonitruante :
— LefilsduchîkhM’barekhabiteplusloinquevousetsonpèreabesoindelui. Allez, monfils, vaettâchedenepasdéversertoutel’eauencoursderoute.
Unefaçonpourluidejustifiersongeste. Enréalité, lejeunegarçonqu’ilétaitn’habitaitpasaussiloinquelesautres.
Duhautdesonperchoir, ElMahdicherchelafontainedesyeux. Dugrenadier, ilnerestequ’untroncsec. Lepointd’eauquijadisétaitentourédeverdureentoutesaisonn’estplusqu’undépotoirdedétritus.
Nonloindelà, unolivierrabougripeineàaccrochersesracinesàlaterresèche. Unsoupird’amertumegonflelapoitrinedujeunehomme. Samémoireseravive, déterrantdufonddel’oublidesscènesqu’ilatantdésiréesvoireffacéesàjamais. Combiendenuits, ensemettantaulit, s’est-ilsurprisàespérerdetoutsonêtreseréveilleraupetitmatinfrappéd’amnésie. Hélas, quandilouvraitlesyeux, lessouvenirsrefaisaientaussitôtsurface, avecdesmorsurespluspiquantesencore.
Là, prèsdel’olivier, ilaconnulepremierdéchirementdesonexistence. Aujourd’hui, malgrélesannéesetlesbouleversementsdesanouvellevie, lesimagesnecessentdeleharceler. Ilvoitsonpetitcorpsfrêletiraillépardesbrasviolents. D’uncôté, ilyasonvieuxpère, avecsonpantalonarabeetsongilet, satêteenturbannée, salonguebarbe, etdel’autresamère, nettementplusjeune, enveloppéedanssonhaïkblancquiluitombesurlesépaules, lescheveuxébouriffésluicachantpartiellementlevisage. Coincéentreeux, ilpoussedescrisstridents. Ilétaitpiedsnus, sesouvient-il. Ilareçudesonpèredesgiflescinglantes, destinéesàsamère. Lajeuneépouses’accrochaitaubrasdesonfils. Ellesedémenait, pleurait, criait, appelaitausecoursd’unevoixchevrotante. Lepèreétaitfoufurieux. Unvraidément. D’unemain, iltenaitl’enfantparlebras. Del’autre, ilassénaitdescoupsàsafemmepourlaforceràlâcherprise. Puis, àuncertainmoment, l’enfantaétésoulevéetprojetéverslesol. Unefortedouleurluimeurtrissaitl’épaule. Ilestrestérecroquevillésurluimême, lesyeuxfermés. Leslamentationsdesamèreboucherontlongtempssesoreilles. Quandilseréveilla, ellen’étaitpluslà. Etpendantdesmois, àsesquestions, sonpère, chîkhM’barek, amarmonnédesréponsesévasives, luilaissantcroirequ’elleallaitrevenirbientôt. Maisunjour, nesupportantpluslespleursdupetitgarçon, illuiasignifiéd’untonpéremptoire : « Tamère ? C’estfini… Elleestmorte… Efface-ladetamémoire… Etmoitonpère, jenevauxrienàtesyeux ? Apartird’aujourd’hui, jeneveuxplust’entendreparlerd’elle… »
Depuiscejour, ElMahdiavécuseulavecsonpère. Etpendantdesannées, ilacruquesamèreétaitmorte.
Ilnesesouvientpasuneseulefoisavoirentendusonpèreévoquersamèreensaprésence. Toutcequ’ilconnaîtd’elle, enplusdesimagesviolentesgravéesdanssamémoire, ill’aapprisdelabouched’AmarKerrouche. Cedernierl’avaitsurprisàmaintesreprisesàl’intérieurdelamasure. Ilavaitl’habitudedes’yréfugier, depuisuncertainsoiroùsonpèreluiavaitassénéuneracléeplusviolentequed’habitude.
Certainsjours, ChîkhM’barekparcouraitlacampagneetlaforêtduDahraàlarecherchedeplantesmédicinalesetlaissaitlacléàsonfils. Cejour-là, enrevenantdel’école, ElMahdil’avaitperdue. Asonretour, tarddanslanuit, lepèretrouvasonfilsassisdansl’obscurité, devantlaporte, pleurnichantensilence. Dansunecolèresubite, ilcassad’abordlaporte, puisilseretournacontrel’enfant. ElMahdisupportalespremierscoups. Illesavaitacceptéscommeunepunitiontoutàfaitnormaleauregarddesanégligence. Maisapparemment, lechîkhvoulaitdonneruneleçonquesonfilsneseraitpasprêtd’oublier. Alors, cedernierpritsesjambesàsoncouetdétalahorsdugourbi. Maisàpeineavait-ilfaitquelquespasqu’ilsentitlefroidglacialluigelerlespiedsnus. Danssafuite, iln’avaitguèreeuletempsd’enfilersessavates. Oùseréfugier ? D’abord, ilseblottitcontreunmurdepisé, lesoufflecoupé, leregardalerte, l’ouïetendue. Unepluiefines’étaitmiseàtomber. Etl’idéeluivintdesecacheràl’intérieurdumausolée.
Quandilpoussalaportetoujoursentrouverte, unepeurlefigeapendantdelonguessecondes. Ilseremémoratouslesrécitsétranges, fantasmagoriques, quicouraientausujetdesnuitspeupléesd’ogresinsatiables. Lefroidfinitparavoirraisondelui, etilseretrouvarecroquevillésurunenattederaphia, dansuneobscuritéhermétique. Ilrestaainsi, éveilléunebonnepartiedelanuit, sujetàdesvisionscauchemardesques.
Etcefutlàquelemaquisardlesurpritunsoir, justeaprèslecoucherdusoleil. Revenantd’unepartiedechasse, lagibecièreàmoitiépleinedelièvresetdeperdrix, ilvenaitàpeinededébouchersurlaclairièrequandilvitlasilhouettedel’adolescentsurgirdubois. Habituéàlavienocturne, iln’eutaucunedifficultéàlereconnaître. Ill’interpellaetluiparlalonguementavecunegentillesseinaccoutumée. Lemoudjahidétaitconnupoursescolèresexcentriquesetladuretédesespropos. Leshabitantsduquartierfaisaienttoutpourévitersesdiatribesetresterenbonstermesaveclui.
Aprèsavoirenchaînésurplusieurssujetssansgrandeimportance, ilévoqualamèredel’enfant, avecuntrémolodanslavoixetunregard lointain. Illuiracontacommentill’avaitconnue. Elleétaitvenueunsoir, enlarmes, frapperàsaporte, lesuppliantdesecourirsonmari, lechîkhM’barek. Deuxmaquisardsvenaientdeleséquestreretjuraientdel’égorger.
QuelquesjoursaprèslamortduchîkhM’barek, AmarKerrouchel’accostadevantl’épicerieetaprèsunlongpréliminaireàlamémoiredudéfunt, illuiditd’untonpaternel :
— Pourquoineviens-tupasvivrechezmoi, monfils ? Tuesseuletmamaisonestgrande. Mesenfantssontcommetesfrères…
— C’estlameilleurechosequetupuissesfaire. Tamèreestunebravefemmequiasouffertdanssavie. Cherche-la, elledoitavoirbesoind’unhommecommetoiàsescôtés.
Maisencetemps-là, ElMahdifitunedécouvertequiboulversasavieenluifaisantmiroiterunfabuleuxavenir, etbiensûr, reléguasavieprésenteauxoubliettes.
Maisàl’intérieur, seulslevide, lesilenceetl’obscuritésemblentrégner. Illanceuncrifaiblequiseperdenunéchoétouffé. Unfrissonluiélectriselecorps. Alasecondemêmeoùilreçoitl’échodesavoix, lesparolesduchîkhM’barekrésonnentàsestempes. Ilsesouvientdelanuithivernaleoùledervicheluirévélal’existenced’unsouterrainqui, paraît-t-il, aboutitàLaMecque. Cettenuit-là, leventsoufflaitfortsurlaclairièreetemportaitavecluiunepartiedesmotsprononcésfaiblement, peut-êtresansgrandeconviction. Maisavecl’âge, l’idéeobsédal’espritduvieuxM’barek, desortequ’ilpassalesderniersmoisdesavieàratisserlesanfractuositésdelacolline, avecl’ardentespoirdedénicherl’antremystérieux.
ElMahdiserappellequesonpèreluiavaitracontél’histoired’unevieillefemmequil’avaitinterceptéunsoiretluiavaitrévélél’existenced’unpuitsdontl’eauestbénite, parcequ’ellevientdirectementdeBirZemzem. UnesaintefemmeavaitperduuneécuellelorsdesonpèlerinageàLaMecque, et, àsonretour, ellelatrouvaentraindeflotterdansl’eaudecepuits. Etenplus, cetteeaupossèdedegrandesqualitésmédicinalesetSidiElMekhfil’utilisaitpourguérirsesmalades.
Levieuxdervicheracontaqu’ilavaitdétournélatête, justeletempsdeposerunregardsurlecoindeterreoù, selonlavieillefemme, étaitlamargelle. Justequelquessecondes. Puislafemmeavaitdisparu, commeaspiréeparungouffreinvisible. Lesjourssuivants, ildiscutaavecunevieilleoctogénairequi, selonsesdires, visitaitletombeaudusaintdepuisplusd’undemi-siècle, poursavoirs’ilyavaitunpuits. Dutempsoùellepouvaitsesouvenir, iln’yenavaitpas. Mais, enrevanche, elleluiracontalaviedusaintSidiElMekhfi, undescendantduprophètequiavaitéchouésurcettecollineilyadessiècles. Auparavant, ilvivaitàLaMecquedansl’adorationd’Allah. IlétaitgardiendelaKa’baetserviteurdespèlerins. Unenuit, desdissidentsKarmatesinvestirentlamosquéepourvolerlapierrenoiresacréeetl’emporterversleurlointainrepaire. Iltentadelesempêcher. Maislesbrigandsétaientnombreuxetdécidésaupire. Ilnedutlaviesauvequ’àlavolontédivinequiluiouvritunsouterraindébouchantsurcettecollineoùiltrouvarefugeetpaixpouryterminersesjoursenascète.
ChîkhM’barekcrutàlalégendedusaint. Ils’yagrippacommejadisàlalégendedelarésurrectiondesmortsqueluiavaitracontéechîkhIdriss, aveclequelilavaitpartagéunboutdecheminjusqu’auxconfinsduSahara. EtilpassalesnuitssuivantesàlireleCoranetàprier, attendantl’apparitiond’unevision. Mais, ledervichenesecontentapasd’attendre. Ildécidadechercherlui-mêmelepuitsdontluiavaitparlélafemme, quineseraitqu’unedjénia.
Etilpassalerestantdesavieàratissertouslescoinsetrecoinsdelacolline.
— Letempspresse, jedoisaccomplirmondestin, murmure-t-ilensefaufilantàtraversunsentieraumilieudespins.
ChîkhM’barekétaitlegardienetserviteurdumausoléedeSidiElMekhfi. RécitantdeCoran, ilconfectionnaitdesamulettes, gribouillantdesversetscoraniquessurdesboutsdepapierqu’ilrecommandaitàsesvisiteursmalades. Guérisseurtraditionnel, ilconcoctaitdespotionsmédicinalesavecdesplantescueilliesdanslesboqueteauxauxalentoursd’AinKarma.
Ils’yétaitinstallépendantlaguerre. D’abord, ils’étaitmisauservicedel’ancienderviche. Cedernierdécédé, ilpritsaplaceettravaillaàsoncomptecommeaubonvieuxtempsdesazaouïad’origine, aucœurdesmontsdel’Ouarsenis.
Depuissonjeuneâge, plusexactementaprèslamortdesamère, alorsqu’iln’avaitquedixans, M’bareks’étaitattachéàsagrand-mère, unepythonissequiguérissaitàl’aided’électuaires. Quandellerecevaitsesvisiteuses, lavieillefemmelefaisaitasseoiràcôtéd’elle. Ilrestaitsilencieux, attentifàtoutcequisedisait. Enfant, ilfréquentalazaouïadeSidiLamrithoùilappritlequartduCoran, toutenfaisantpaîtreletroupeaudelafamille. Adolescent, ilpartaitavecsonpèretravaillerdanslesplainesduChélifchezlescolons. Certainsétés, ilss’aventuraientjusqu’auxplateauxdeMascarapourlesvendanges. Maisletravailnel’intéressaitpas. Ilretournaviteauprèsdesagrand-mèreetl’assistadanssesrandonnéesàl’intérieurdesmaquisàlarecherchedesplantes, toutenlaharcelantdequestionssurlessecretsdesguérisseurs.
D’aprèsunevoisineoctogénairequiconnaissaitassezbienlaguérisseuse, etquiprétendaitdétenirungrandsavoirsurcemonded’outre-tombe, maissafoienDieuetenMohammedsonprophètel’empêchaitd’enuser, laréussitedecegenred’opérationsesttrèsrare. « Ilfautqueleprofanateurpuissetraverserunpointd’eauafind’échapperàlacolèredesdjinns, protecteursdessépultures, racontalavieillefemme. LepauvreM’barek, aprèsavoirarrachélebrasdeladéfunte, n’apaseuletempsderecouvrirlatombequedesvoixetdescrisemplissaientsonespritd’épouvante. Ilaquittélecimetièreencourantafind’atteindrel’oued. Danssafuiteéperdue, iladûentendrelavoixindignéedesagrand-mèrequilemenaçaitdespireschâtiments. Aboutdeforces, glacéparlaterreur, ilasûrementculbutésurunepierreàquelquesmètresdelabergeetaperduconnaissance. S’ilétaitarrivéàmettresonpieddansl’eau, ilauraitpossédéunpouvoirsurnaturelaveclequelilauraitaccomplidesmiracles », conclutl’octogénaireavecunefoisansfaille.
ChîkhM’barekavaituncaractèretaciturne. Ilneretrouvaitsafacondequ’endetrèslointainesoccasions. Etlàilpassaitdesheures, surtoutnocturnes, àdébitertoutessortesdefaitsrelatifsàsavieantérieure, inculquantàsonfilsquelquespréceptesquelavieluiavaitenseignés. Ilétaitd’untempéramentatrocementdubitatif. Ilparlaitsouventdevices, decoupsabjects, d’hypocrisie, decupidité, depleutreries, degloriolesdontleshommessontcapables.
Durantl’annéequiprécédasamort, chîkhM’barekfutprisd’uneterriblemaladiequil’empêtradansdesdélireshallucinants. Ilpassaitsesnuitsàtousseretàmaudirelemonde. Iléructaitdesobscénitéshaineuses, n’épargnantpersonne. D’abordsagrand-mère, puisselagéhennefaireboisdesonâme, ellequil’avaitinitiéausihr, àla sorcellerie. EnsuiteNeila, safemme, l’infidèlequil’avaittrahietavaittraînésonhonneurdanslagadoue, puisseAzraêl, l’angedelamort, lapendreparlesseins. Enfin, Allah, l’accusantLuiaussides’êtreacharnéànoircirsavie, àlepoussersansrépitdanslesbrasd’Ibliss, lemauditSatan.