Portraits des Hauts de France de la France d’en bas - Cyrille Mbeng - E-Book

Portraits des Hauts de France de la France d’en bas E-Book

Cyrille Mbeng

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Beschreibung

Portraits des Hauts de France de la France d'en bas est un ouvrage composé de sept nouvelles. Ici, les récits sont tirés de la mixité d'interactions des habitants d’un foyer d’hébergement ; un environnement social hétérogène, pour personnes en situation de forte précarité, dans lequel le présent se renouvelle à chaque instant.


À PROPOS DE L'AUTEURE


La plume de Cyrille Mbeng est une sorte de roue dentée, mue par les manifestations qu'il observe dans les espaces de sociabilité qui l’entourent.

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Seitenzahl: 97

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Cyrille Mbeng

Portraits des Hauts de France

de la France d’en bas

Nouvelles

© Le Lys Bleu Éditions – Cyrille Mbeng

ISBN : 979-10-377-4609-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Yassine Hamadi.

Avant-propos

Milan Kundera dans Beau comme une rencontre multiple, en hommage à Aimé Césaire, écrit ceci : « La force, la richesse de la culture martiniquaise me semble justement due à la multiplicité des contextes médians qu’elle habite simultanément ». Il entendait par là « le contexte français, francophone, le contexte antillais, latino-américain… » Cette idée de contextes médians m’a toujours poursuivi. Elle est même centrale à mon histoire et à mes préoccupations intellectuelles. J’ai choisi de l’explorer dans mon projet d’écriture qui se compose de quatre volets, dont le premier est celui que je vous soumets.

Né au Cameroun, arrivé en France à l’âge de 14 ans, je grandis et fais mes études à Toulouse. Après mes études dans les années 2000, je m’installe tout d’abord dans le nord de la France et finalement en Belgique où je fonde une famille et où je réside encore aujourd’hui. Ma vie a ainsi toujours été « entre » : entre plusieurs familles, entre deux continents, entre plusieurs cultures, entre deux pays… Je fais partie de tous ces lieux et environnements à la fois, de tous ces mondes. Mon corps et mon esprit ne peuvent ainsi pas être restreints en un seul ancrage territorial. Mon appropriation politique et symbolique de tous ces milieux est le produit de mon rapport avec ces lieux que j’ai été amené à habiter. C’est tout naturellement donc que mon projet littéraire se compose de plusieurs volets : le volet du nord où j’habite et travaille depuis vingt ans, le volet du sud de la France où j’ai grandi et où je me suis formé, le volet d’Afrique où je suis bel et bien né, enfin un volet transgénérationnel et transcontinental.

Faire converger ces multiplicités qui résident en moi vers un imaginaire plus large me permet d’éviter le piège d’enfermement et de régionalisation de mon identité, de ma pensée et de mon projet d’écriture.

I

La Cour des Miracles

1

Regardez-moi méchamment si vous voulez, gentiment si vous pouvez.

Il paraît qu’il y a des affiches qui disent : misère, galère, pauvreté… Mais on a oublié que les affiches parlaient. Il y a des affiches qui savent ce qu’elles disent : des affiches qui disent « poubelles », mais les gens continuent quand même de jeter leurs ordures par terre… On doit tous multiplier des occasions de dire : « Ça ne va pas ! »

Quand on l’observe, on ne voit pas du tout une personne qui se décourage : elle renvoie même un aspect physique et psychique endurable. C’est ce qu’il y a de rassurant chez elle. Pourtant, quand on vit avec un statut de femme de ménage, on ne peut vraiment pas offrir au monde un sourire conciliant. Certes, le climat social ne lui convient pas mais elle ne se plaint pas pour autant. Elle donne simplement une connaissance d’elle permettant une ouverture vers les autres et vers le monde.

Elle pense se sortir des obstacles ainsi, en s’engageant de toutes ses forces pour tenter de venir à bout de ses fins de mois. Une chose compte pour elle : venir à bout de ses fins de mois. Et c’est à travers ce genre d’engagement qu’elle se donne à corps perdu et qu’elle diffuse, malgré elle, quelques signaux distinctifs d’un commun social du regard ; une clinique de l’activité, faisant ressentir le sens véritable de ce qui peut bien nourrir la motivation d’une femme de sa condition. « Ça m’a fait du bien de reprendre le travail », se contente-t-elle de dire. « C’est vrai que tu es toujours assis à la maison… c’est bien le ménage, mais bon ! Il faut sortir aussi. »

Elle ne se pose pas de questions sur les conditions de travail. Entre ce qui est à faire et ce qui est fait, on en fait plus que ce qui est prescrit. « Et ce qu’on va nous dire, on attend toujours à chaque fois », dit-elle. Elle ne fait même pas d’effort pour faire ce travail de femme de ménage. Et puis, au niveau respect du règlement et de ses horaires, il n’y a rien à redire. Et puis, tout compte fait, il n’y a que deux étages à nettoyer dans cette résidence sociale. Elle fera toujours son possible pour tout nettoyer.

Elle a été retenue deux années de suite dans ce centre d’hébergement. Elle a eu le contrat par le biais de Pôle emploi. « C’est Pôle emploi qui m’a envoyée ici nettoyer la merde des pauvres ! » dit-elle avec le sourire. C’est un contrat de travail renouvelable au bout de six mois, mais si l’on n’obtient pas de formation, ils le réduisent à un an.

« C’est injuste de ne pas donner du travail quand il y en a… » ajoute-t-elle. « Même la Maison intérimaire dirait : “Je ne comprends pas qu’ils ne vous embauchent pas au vu du travail qu’on fait !” » s’étonne-t-elle, avant d’ajouter : « Psychologiquement, c’est injuste de ne pas sécuriser la psychologie du travailleur ! »

« Maintenir un système boiteux, je trouve idiote leur façon de réagir… mais ce sont des problèmes d’État ! Ils sont là, il faut faire avec. Maintenant pour trouver du travail, c’est dur. Donc voilà. »

Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le fait qu’on la retienne pour nettoyer de la merde, mais : « Qu’on me foute la paix ! » précise-t-elle. Elle s’occupe des toilettes. Elle sait qu’elle a été embauchée pour nettoyer la merde ; qu’on lui permette au moins de prendre son café, comme tout le monde, pendant ses heures de pause. « Si on n’arrive pas à prendre son café au réfectoire, moi je prends rendez-vous directement avec le directeur et je lui demanderai, au directeur, de prendre son café en même temps que nous ! On le prendrait directement dans les toilettes des résidents ! » dit-elle avec conviction. Elle a beaucoup d’humour. Il en faut dans ce genre d’activité. Je me dis : « À la maison, on a des problèmes… Le travail, c’est le travail. Faut pas mélanger les deux. On met ses petites affaires de côté, et puis on entre dans le travail en rigolant ! » Mais il y a des façons de dire et de faire. « Ça m’a fait mal quand on nous a interdit de prendre le café au réfectoire », reprend-elle calmement. « On est des êtres humains avant tout ! » Un membre de la direction s’est pointé, il ne s’est même pas fait connaître : « À partir de maintenant, il n’y aura plus de café au réfectoire, ça sera là-bas, à côté des toilettes », a-t-il clamé. On est dans l’obligation. « C’est pas parce qu’on travaille pour des gens qui ont vraiment des problèmes, qu’on ramasse leur merde, qu’on est aussi une merde ! On est des êtres humains après tout ! »

Toute vie est source d’informations. Les souffrances sociales et psychiques découlent de nos conflits internes, résultant de cette terrible tension entre les écarts de niveaux de vie. Dans son cas, l’exaltation des principes de droits dans leurs mises en application ne se mesure pas au regard qu’on porte sur elle. On la voit s’activer sans réserve. Le manque de considération dont elle peut faire l’objet nous installe d’emblée dans le corps. Malgré son intelligence pratique, aucun système de défense psychodynamique n’est activé dans sa façon d’agir au travail. Sans aucun doute, ses conditions de travail impactent sur d’autres aspects de sa vie.

Elle a forgé sa puissance à grand renfort d’humour tout en rasant les murs. Les choses ne sont pas forcément telles qu’on l’aurait espéré. Les blocages psychologiques se heurtent à la violence sociale de ce qu’on n’a pas pu vivre. Mais elle tient à la vie aussi. C’est pourquoi elle se contente de faire ce qu’elle est en mesure de faire. Elle fait plus que ce qu’elle a à faire, même si elle donne l’impression qu’elle refuse de proposer ce qu’on pourrait se contenter d’observer et d’évaluer. Sa vie, elle la balance telle quelleet il n’y a plus rien à en dire.

La dénomination fonde l’identité des institutions. Quant à la détermination, elle est la définition même d’une personnalité tant singulière que sociale. Ces désignations se présentent à nous de façon générale. Pourtant, quand on les observe, elles permettent d’avoir une grille de lecture de leur manifestation plus ou moins instituée.

Qu’on soit noir ou blanc, et je ne parle pas ici que de couleur, on peut même être docteur… l’essentiel pour les personnes de sa condition, c’est de multiplier les occasions de dire : « Ça ne va pas ! » On n’est pas pacifiste sans bagarre. On est pacifiste et tout sera à refaire toujours. Avant il y avait « s’il vous plaît » et s’il vous plaît porte tout !

Mais on ne rigole pas avec la misère. Il faut dire qu’avec la maladie de Michel, ça fait une masse, mais elle n’a pas le choix. Il y a une discipline chez elle qui s’est mise en place au fil du temps, lui permettant de présenter ses motivations avec un sourire qui l’aide à se trouver des ressources-moteurs et à jongler avec les impasses. « Au matin, ça va toujours ; mes jambes sont comme neuves », raconte-t-elle avec le sourire. Elle aurait tout aussi bien pu renoncer à travailler. « Mon dos va bien aujourd’hui, il faut que j’en profite. » Elle ne replace pas les avantages secondaires.

« Je sais bien que c’est la période avec les retraites », mais Michel n’est pas d’accord avec la façon dont les hommes politiques travaillent : « Je suis arrivé avec ma maladie, je ne peux plus travailler », s’excuse-t-il. « Là, on n’en parle pas… J’ai fait remonter les informations auprès du parti communiste, il va falloir lutter aussi. » Pour ceux qui ne peuvent plus travailler et qui n’ont même plus un salaire, c’est l’électricité, c’est le gaz… c’est tout qui augmente.

À travers ces révélations, Michel nous invite à aborder la misère. Des obstacles ont clivéla vie de cette famille. Mais on arrive quand même à se construire une sagesse en les écoutant parler. « J’écoute qu’est-ce qu’ils disent, j’enregistre mais ils nous mènent par le bout du nez… Je l’ai toujours dit : on restera gouvernés comme ça, sans arrêt ; il n’y a plus d’hommes politiques véritables ; ce sont de vieux machins qui ne savent même plus c’qu’ils disent, à tel point qu’ils ne savent pas où ils en sont. Je pense qu’il faudrait mettre une femme au pouvoir. Pour moi, on n’a pas encore eu ça et voir c’que ça donne. »