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Pendant l'enfance, des évènements peuvent avoir un fort impact sur votre caractère et même votre personnalité. A Goult, magnifique village de Provence, vit Jarod. Toutes les nuits, ce dernier parle avec la lune.Bien évidemment, le jeune homme sait que personne ne peut communiquer avec l'astre lunaire. Et pourtant, dans ses murmures, celle qu'il considère comme son amie, le force à agir, pour prendre enfin conscience de ce qu'il semble ignorer.
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Seitenzahl: 296
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Goult est ce petit village de Provence où il fait bon vivre avec ses rues pavées, les maisons en pierre ou en crépi, le tout orné de verdure. Toutes les personnes de passage trouvent énormément de charme à ce lieu. Les habitants y sont accueillants et leur petit accent, enchanteur. La vie coule doucement sous un soleil généreux. Pour toutes les fortunes du monde, Jarod n’irait habiter nulle part ailleurs.
Lâchement abandonné par son père, Jarod partage son petit appartement avec sa mère Hélène. Cette dernière, dépressive, ne peut vivre seule et pour le jeune homme, il est inconcevable de ne pas s’occuper d’elle. Hélène observe souvent son fils comme si elle avait envie de lui dire quelque chose, mais se retient. Jarod sent son regard sur lui, mais n’y prête aucune attention. Une certaine complicité s’est installée entre eux et chacun à sa manière fait attention à l’autre. Leur vie s’est installée dans une routine qui les satisfait tous les deux, en tout cas en apparence. Un jour, alors qu’il rentre du travail, Jarod trouve sa mère étendue sur le sol, inconsciente. Sans tarder, il la fait admettre à l’hôpital, mais Hélène décède d’une crise cardiaque. C’est une perte brutale et douloureuse pour le garçon. Ce dernier doit s’endetter pour que la personne la plus importante dans sa vie, puisse avoir un enterrement décent.
À vingt et un an, Jarod a une vie pleine de solitude, de chagrin et de rêves, mais il en a une autre qui, elle, est intérieure riche de réflexions profondes. Il ne saurait dire s’il vit ou survit. Il travaille dans un supermarché tout près de chez lui. Il n’a aucune responsabilité et parle peu avec les autres employés ainsi qu’aux clients. Ranger le magasin et nettoyer sont ses principales fonctions. Bien sûr, il est conscient d’avoir la chance d’être indépendant financièrement, même si son salaire ne lui permet pas de faire des folies. Dans son appartement, il tourne parfois en rond car sa mère lui manque, elle était sa seule famille.
Jarod ne va jamais dans les salles de cinéma et pourtant c’est un passionné. Il est incollable. Les films le captivent. C’est avec l’ordinateur qu’il les découvre. Quand il ne travaille pas, il peut rester des heures devant son écran. En dehors de cela, il n’a pas d’ami et aucune activité à l’extérieur qui lui permettrait de se changer les idées. C’est quand il se sent mieux qu’il fait de l’humour et se dit à lui-même, j’ai quelque chose, j’ai ce truc que l’on appelle, rien. Rien, c’est déjà quelque chose, non ? Jarod se pose mille et une questions le jour et la nuit, ce sont les nombreux rêves qui prennent le relais, dormir n’est pas un réel repos. Il n’y a pourtant qu’un seul songe qui lui reste en mémoire à son réveil et qui revient le hanter toutes les nuits. Il rêve de la lune. Ils ont de grandes conversations tous les deux, même si cela ressemble plus à un interrogatoire, tant son interlocutrice se montre curieuse. Une seule question retient son attention dans ces échanges, celle qui semble être la plus importante. Elle lui parle de travail toujours et encore. À chaque fois, c’est la même chose, le jeune homme ressort tourmenté par ces discussions qui lui font prendre conscience à quel point sa vie manque de folie.
― Dis-moi Jarod, quand vas-tu te mettre au travail ? Lui demande toutes les nuits la lune.
― J’ai déjà un travail, répond systématiquement le jeune homme.
― Non, je te parle de l’autre travail. Qu’est-ce que tu attends ?
La question posée, la lune disparaît aussitôt et abandonne le jeune homme qui ne comprend toujours pas ce à quoi elle fait allusion. Il perd parfois patience, alors agacé, il se lève dans l’obscurité pour voir si celle qui perturbe ses nuits est là. Il regarde le ciel et, déçu, va s’asseoir au bord du lit, les coudes sur ses genoux et le visage entre ses mains. Il a envie de crier, de hurler sa colère et sa détresse aussi.
― Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je deviens fou ? Si la lune parlait, ça se saurait.
Au magasin, Jarod est distrait. Il a du mal à faire son travail, c'est pourtant un garçon sérieux. Son patron le rappelle gentiment à l’ordre à chaque fois. Il l’aime bien, il sait que le jeune homme est complètement seul. Mais un jour, Jules s’inquiète pour Jarod qui n’est pas comme d’habitude.
― Alors mon garçon, tout va bien ? Si tu as des soucis tu peux m’en parler, tu le sais ?
― Non tout va bien Monsieur.
― Tu es dans la lune ces temps-ci, tu es amoureux peut-être. Je la connais ?
― Non monsieur je ne suis pas amoureux.
― Arrête de m’appeler « monsieur », s’il te plaît, appelle-moi par mon prénom, Jules. Au fait, avant d’oublier, ma petite fille Margot que tu as vu une fois, vient passer quelques jours chez nous. Vous pourriez sortir un peu tous les deux, il fait un temps magnifique. Il faut en profiter. Comment tu fais pour rester cloîtrer chez toi toute la journée, dis donc ? De plus, samedi c’est mon anniversaire. Tu monteras à l’étage après le travail pour prendre le repas avec nous. Une invitation ne se refuse pas. Ma femme, Cécile, a insisté pour que tu sois là, et on ne contrarie jamais sa femme, enfin…surtout la mienne !
― Ah c’est très gentil mais je ne sais pas si je…
―Bobo bop pas d’histoire. Si tu ne viens pas, je me verrais obligé de venir te chercher. Tu ne sors jamais alors qu’est-ce que tu as à faire, dis-moi ? Tu discuteras avec Margot, tu verras c’est une gentille fille. Elle est un peu timide elle aussi, mais pas autant que toi. Allez mon garçon, finis ton travail et rentre chez toi.
Jarod commence déjà à s’inquiéter. Il essaie de se creuser la tête pour trouver une bonne excuse et éviter ce repas. D’un autre côté, le jeune homme estime son patron. Il a du respect pour lui et surtout il ne veut pas lui faire de la peine. Cécile est gentille avec lui, même s’il ne la voit pas souvent. Il a beau chercher, il ne trouve rien de valable pour s’y soustraire et se dit que ce n’est qu’un repas après tout. Quant à Margot, il n’a rien à lui dire et s’il le faut, elle n’a aucune envie de parler avec lui. Ah, on sera bien tous les deux à discuter sans dire un mot.
La veille du repas, le jeune homme cherche un cadeau pour monsieur Jules. Il sait qu’il aime les livres sur l’histoire de France, alors dans les rayons, il en choisit un qui parle de la guerre 14-18. Une fois fait, il rentre chez lui et c’est non loin du magasin qu’il aperçoit Margot qui s’avance vers lui.
― Salut Jarod. Il paraît que tu seras parmi nous demain soir… je suis contente. Ils sont tous très gentils mais ils sont vieux. Si tu ne viens pas je vais m’ennuyer. Alors à demain d’accord ?
― Oui, oui d’accord.
Le lendemain soir, comme prévu, Jarod monte à l’étage. Cécile, l’épouse de Jules, le reçoit avec un grand sourire. Il y a une bonne dizaine d’invités ainsi que Margot qui le débarrasse de sa veste et du cadeau de Jules et lui demande de s'asseoir près d’elle en bout de table.
― Je t’avais dit qu’il n’y aurait que des vieux. On risque de s’ennuyer un peu tu ne crois pas ?
― J’aime les vieux. Ils ont toujours des choses sympas à raconter.
― Si tu veux, nous irons nous promener après le repas…
― Non, je ne peux pas. J’ai des trucs à faire. Une autre fois peut-être.
Le jeune homme interrompt si sèchement Margot qu’elle n’ose pas renchérir. Il la regarde en coin un peu gêné. Le repas est une merveille pour le jeune homme avec ces petites tranches de pain recouvertes de tapenade, des asperges, une belle salade composée bien garnie, deux gros poulets fermiers accompagnés de champignons frais, ainsi qu’une grande tarte aux épinards et fromage de chèvre. Enfin, tout le monde est ravi. Cécile est une cuisinière hors pair. Jarod se régale et accepte volontiers tout ce que son hôte lui sert. Tous parlent et rient, racontent des anecdotes. Comme ils semblent heureux. Dans ces moments-là, Jarod a l’impression d’avoir une famille et quand cette idée fait irruption, il n’entend plus rien, il pense à sa mère. Il la revoit dans la cuisine en train de préparer le repas avec son joli sourire et son regard triste. Il se sent soudain coupable.
― Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire…
Le jeune homme, surpris, revient au moment présent et chante doucement lui aussi. Margot, de temps à autre, le regarde avec un petit sourire et Jarod lui rend timidement. Il a envie de lui parler mais ne sait pas comment s’y prendre. Je dois avoir l’air idiot à rester là sans rien dire. Cécile apporte le gros gâteau, un framboisier que Jules aime tout particulièrement.
― Hm ! Il paraît que la gourmandise est un vilain défaut, mais je suis très gourmande et toi ?
― Oui, moi aussi. Qu’est-ce que tu fais quand tu n’es pas en vacances ? ose demander Jarod.
― Je suis esthéticienne. Mais j’aime dessiner, c’est une passion. Quand j’ai un moment, je prends mon crayon et mon bloc et c’est parti. Et toi ?
― Bien…euh…je regarde des films. J’aime beaucoup le cinéma…mais chez moi pas…pas dans les salles.
― Ah oui pourquoi ? On pourrait y aller tous les deux… enfin si tu veux. Je reste encore une dizaine de jours, peut-être plus mais ce n’est pas sûr.
― Oui… peut-être.
Margot profite de l’occasion pour ne plus lâcher le jeune homme. Pendant qu’elle lui parle, Jarod la regarde plus attentivement. C’est une belle fille. Il est subjugué par sa chevelure abondante, qu’elle relève en une espèce de chignon, qui laisse s’échapper de longues mèches châtain clair. Elle a un long cou qui lui donne une certaine grâce. Sans être un spécialiste, Jarod sait reconnaître une beauté franche, sans artifice. La jeune fille parle sans se rendre compte que son interlocuteur n’entend rien de ce qu’elle dit et de son côté, Jules observe de loin le garçon depuis un moment. Si seulement il était moins sauvage, ils pourraient l’avoir plus souvent parmi eux, il serait moins seul. Jules et Cécile s’occuperaient bien de lui, s’il acceptait. Mais Jules préfère se montrer patient.
― Petit à petit, quand il aura enfin confiance en nous, il se laissera un peu chouchouter, dit un jour Jules à Cécile.
― Peut-être, mais il va falloir faire un peu de forcing avec lui. Il est gentil comme tout ce petit, mais c’est un sauvageon !
― Depuis quand tu parles anglais toi, Cécé ?
Il est vingt-trois heures quand Jarod décide de rentrer chez lui. Il remercie ses hôtes et fait un signe timide de la main à Margot avant de partir.
― Merci Jarod pour ton livre. C’est une belle attention. N’hésite pas à venir quand tu en as envie. Tu seras toujours le bienvenu. Et puis, je suis sûr que ma petite fille sera contente.
Jarod, timide, a les joues rougies par la gêne.
― Merci monsieur, enfin je veux dire, Jules.
L’appartement reste dans l’obscurité jusqu’à ce que Jarod se mette au lit. Est-ce à cause de l’alcool que le jeune homme s’endort rapidement ? Il rêve de Margot. Elle lui parle, mais il n’a d’intérêt que pour ses cheveux. Il met la main dans sa chevelure et regarde avec admiration les fils dorés qui brillent au soleil. Une multitude de rêves s'enchaînent quand soudain la lune fait son apparition. Elle est brillante et comme à chaque fois, elle s’adresse à Jarod. C’est une grande bavarde. Elle a toujours quelque chose à dire, mais la question principale revient constamment. Le jeune homme répond inlassablement la même réponse.
― Alors Jarod, quand vas-tu te mettre au travail ?
― Mais j’ai déjà un travail.
― Non, je te parle de l’autre travail. Qu’est-ce que tu attends ?
À chaque fois, le jeune homme se réveille en sursaut, se traîne jusqu’à la fenêtre et bien sûr la lune est la grande absente. Il reste là sans bouger, les bras le long du corps pour regarder les étoiles. Il ne comprend toujours pas pourquoi elle insiste sur le travail qu’il a à faire et sur le reste qu’il oublie systématiquement à son réveil. Il aurait aimé parler à quelqu’un de ses songes, mais à qui ? Jules ? Il le prendrait pour un fou, à Cécile ? non pas elle, elle l’intimide un peu. À Margot ? Qu’est-ce que Margot lui répondrait, il la connaît à peine, Margot ? Hors de question. Le lendemain, Jarod travaille sans regarder ce qu’il se passe autour de lui. Parfois le temps semble s’arrêter tellement la journée lui paraît longue. Il en a assez. Il est dans un état de léthargie inhabituel. Sa vie nocturne ne lui permet pas de se reposer. Il a de plus en plus de mal à avancer. Jules qui est pris d’un attachement sincère pour Jarod, le surveille discrètement. Il le voit tituber, prêt à tomber.
― Eh, ça ne va pas Jarod ?
― Je ne me sens pas très bien. J’ai la tête qui tourne.
― Viens chez moi. Je vais te faire un café et tu vas manger quelque chose et ne commence pas à dire que tu ne veux pas, c’est compris. Allez, viens.
Cécile et Margot sont parties en ville pour faire des achats. Jules profite de cette occasion pour essayer de se rapprocher du jeune homme toujours très distant.
― Alors, dis-moi qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as des soucis ? Si c’est le cas, dis-toi qu’à chaque problème, il y a toujours une solution. Je vois bien que depuis quelque temps tu sembles ailleurs. C’est bien simple, on dirait un zombie, dit Jules en riant pour détendre l’atmosphère.
Jarod qui ne parle pas beaucoup d’habitude, raconte spontanément à Jules ce qu’il vit toutes les nuits, d’ailleurs cela le surprend. Il n’avait pas l’intention de se confier à son patron, ni à personne d’autre, mais à cet instant, il en a besoin. Les mots sont sortis sans réfléchir.
― Je rêve de la lune, elle me parle toutes les nuits.
― La lune ? Et qu’est-ce qu’elle te dit qui te perturbe tant ?
― Elle…elle me parle de mon travail à chaque fois. Je ne comprends pas.
― Pourquoi, qu’est-ce qui ne va pas avec ton travail ?
Le jeune homme insiste sur le mot “autre” pour faire comprendre à son patron, l’obstination de la lune.
― Non, elle…elle me parle…de « l’autre » travail.
― Ah, parce que tu as un autre travail ? Je ne savais pas. C’est pour ça que tu es…
― Non Jules je n’ai pas d’autre travail. Mais la lune me demande quand je vais me mettre au travail…
― Attends, je ne suis pas sûr de comprendre. Toutes les nuits, tu rêves que la lune te dit de te mettre au travail, « l’autre » travail, mais tu ne sais pas de quoi elle parle, c’est bien ça ?
― Oui c’est ça. Vous devez vous dire que je suis fou n’est-ce pas ? Je suis désolé, je n’aurais pas dû vous en parler. Je retourne travailler.
― Non, non, attends une minute mon petit. Je n’ai pas dit ou pensé que tu es fou, en revanche, je suis heureux que tu te confies à moi. Pour ton rêve, il est certes bizarre mais tout le monde rêve Jarod. Il ne faut pas te rendre malade pour cela. Tu sais, quelquefois c’est l’inconscient qui parle. Enfin…il paraît. Honnêtement je n’en sais rien, je ne crois pas à toutes ces bêtises, mais j’ai entendu ça un soir à la télévision. Alors tu vois, j’en sais autant que toi. Pour une fois que tu te livres un peu, je suis incapable de t’aider d’une manière ou d’une autre. Mais, ça vaut le coup de se creuser la tête quand même, si ça te trouble à ce point. En attendant rentre chez toi, et repose-toi. On en reparlera si tu es d’accord.
― Je compte sur vous pour ne pas le répéter à votre épouse… ou… à Margot.
― Motus et bouche cousue.
En disant ces mots, Jules ferme la bouche et fait mine de la fermer à clé. Jarod remercie Jules de l’avoir écouté et s’en va sans tarder. Le fait d’avoir pu parler de ses conversations nocturnes lui fait du bien.
Le soir venu, il ouvre grande la fenêtre pour laisser un peu de fraîcheur entrer et pour entendre les rires des gens qui se promènent dehors. C’est un beau mois d’août. Ce soir-là, il n’a pas envie de regarder des films sur son ordinateur. Il a sommeil et se sent épuisé comme s’il avait fait un travail pénible. Il se met au lit et se rend compte qu’il est déçu de ne pas avoir vu Margot. Margot, quel joli prénom ! Il lui va bien. Jarod s’endort en moins d’une minute. Les rêves se succèdent les uns derrière les autres et le sujet principal revient dans le discours de la lune qui lui parle du travail qu’il a à faire. Le jeune homme se réveille d’un coup. Assis dans son lit, il se frotte le visage et doit faire un effort pour retenir ses larmes. Il se lève un peu difficilement et se poste devant la fenêtre. L’air du dehors lui fait du bien. Machinalement, il lève les yeux vers le ciel et, surpris, fait un pas en arrière. La lune est là, bien ronde, blanche avec des petites tâches grisâtres par endroit. Il semble la voir pour la première fois. Il la fixe et s’imagine prendre une échelle pour aller jusqu’à elle. Tout doucement, un halo se forme autour de l’astre lumineux. Le garçon regarde plus attentivement car il semble se passer quelque chose là-haut. L’auréole commence à s’ouvrir, puis, ce qui ressemble à une traînée de poussière blanche, s’approche de Jarod qui prend peur. Il a un malaise et perd connaissance pendant deux bonnes heures. Quand il revient à lui, il va jusqu’à la salle de bain, se passe de l’eau sur son visage, et se regarde dans le miroir. Une auréole toute autour de lui l’entoure comme une seconde peau. Il agite les bras dans tous les sens pour la faire partir mais elle est toujours là. Incrédule, il fixe ce halot de lumière qui ne veut pas le quitter. Son cœur bat vite. Il a peur. Sa respiration est beaucoup trop rapide. Que lui arrive-t-il ? Il a la bouche sèche, tout son corps tremble. Il s’évanouit à nouveau. Il se voit dans le vide comme s’il flottait, porté par un nuage blanc. La lune est là, tout près de lui, si près qu’il peut la toucher. Elle chuchote un tas de choses qu’il n’arrive pas à saisir.
― Parle moins vite, je ne comprends rien à ce que tu me dis.
Quand il se réveille, la lueur n’est plus là. Il se rafraîchit à nouveau et va à la fenêtre. Sa complice est toujours là, elle l’attend.
― Ça va mieux Jarod ?
― Est-ce que je deviens fou ?
― Mais non voyons, tu n’es pas fou.
― C’est un jeu pour toi ? Parce que je ne trouve pas ça drôle.
Après avoir susurré ces quelques mots, l’astre s’éclipse aussitôt.
― Je parle à la lune ! déclare Jarod, à haute voix.
Le jeune homme pleure pendant un moment, puis se traîne jusqu’à son lit, se couche et se rendort rapidement. Les rêves s’imposent sans discontinuer, mais la lune ne revient plus lui parler.
La routine a quelque chose de rassurant pour Jarod, bien qu’il ressente une certaine lassitude cette fois. Il doit se forcer, s’obliger à sortir et aller jusqu’au magasin lui demande un gros effort. Quand il arrive, Jules le regarde discrètement mais ne dit rien. C’est seulement en début d’après-midi, que le patron se décide à parler à son jeune employé. Il a de la peine pour lui. Il semble si triste.
― Tu sais Jarod, tu peux aller te reposer. Tu as des cernes sous les yeux. Tu n’as pas dû bien dormir cette nuit. Est-ce qu’elle t’a parlé, tu sais qui ?
― Oui
― Tu veux qu’on aille chez moi pour en discuter. Je n’arrête pas de cogiter. Cette histoire est bizarre, tout de même.
― Dites-le que vous me prenez pour un fou. Vous savez, je l’ai pensé moi aussi, pourtant je suis comme d’habitude. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive.
― Il y a ta nouvelle copine là-haut ?
― Qui ? La lune ?
Jules, enfant du pays, a sa façon bien à lui de dire les choses avec son accent chantant.
― Mais non voyons, je te parle de Margot. Allez vous promener tous les deux. Je suis sûr que prendre un peu l’air te fera du bien et tu dîneras avec nous ce soir. Tu travailleras demain.
Comme le jeune homme ne riposte pas, Jules va chercher la jeune fille, ravie de voir enfin Jarod. Elle est habillée d’une jolie robe blanche avec de petites fleurs en couleur et dans ses cheveux une véritable marguerite sur le côté. Son teint hâlé lui donne bonne mine. Elle est rayonnante. Margot lui propose de faire une petite balade à pied pour profiter de ce bel après-midi. Ils marchent côte à côte pendant un moment, silencieux.
― Tu as l’air fatigué. Mon grand-père est un peu inquiet tu sais ?
― Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
― Rien, il est inquiet c’est tout. Il t’aime bien. On pourrait s’asseoir là dans l’herbe, près de l’arbre.
― Si tu veux
Les deux jeunes gens s’installent tout près l’un de l’autre. L’air est doux et le ciel est d’un bleu limpide. Les coquelicots et les petites fleurs laissent échapper un parfum agréable. Jarod regarde la chevelure de Margot qui brille au soleil. Comme dans son rêve, il a envie de prendre des mèches ondulées entre ses doigts, mais il n’ose pas.
― Tu rêves beaucoup toi ? demande Jarod.
― Quelle drôle de question. Ça m’arrive bien sûr, comme tout le monde. Pourquoi, tu rêves souvent toi ?
― Oui. Pourquoi tu ris ? Tu te moques de moi ?
― Non, je ne me moque pas de toi. Tu es fatigué, allonge-toi un instant si tu veux. Mets ta tête sur mes jambes.
Le jeune homme hésite un moment puis s’allonge et en quelques minutes, s’endort profondément. Dans son sommeil, il parle, remue la tête. Il dit des choses incompréhensibles. Margot en profite pour analyser son visage. Jarod a un nez fin, des pommettes hautes, et une bouche bien dessinée. C’est un beau garçon, il a un charme fou, en conclut la jeune fille. Elle lui passe la main dans sa chevelure noire et épaisse. C’est bien la première fois que Jarod se laisse aller et s’abandonne aussi facilement. Il vit des jours perturbés et des nuits remplies de songes intenses avec celle qu’il considère comme son amie, sa confidente. C’est la seule qui le comprend, qui l’écoute et qui lui accorde une importance aussi grande. Le jeune homme est toujours surpris par son débit de parole. Il aime sa compagnie qu’il trouve agréable et enrichissante. Dommage qu’elle ne lui dise pas franchement ce qu’elle attend de lui. Jarod doit alors interpréter comme il peut et petit à petit, la lune lui fait comprendre que la solution est en lui et qu’il doit la trouver seul. Elle utilise des métaphores et des sous-entendus qui lui suggèrent qu’il en est très capable.
Les minutes et les heures passent. La cloche de l’église retentit. Il est dix-neuf heures. Margot remue Jarod, il faut rentrer maintenant. L’après-midi est passé et la jeune fille déçue, le secoue de plus belle.
― Jarod, Jarod réveille toi, c’est l’heure de rentrer.
Jarod se réveille enfin. Il met quelques minutes à retrouver ses esprits. Ils se lèvent tous les deux sans dire un mot. Margot ne parle pas, marche d’un pas rapide, l’air renfrogné. Le garçon la regarde, les sourcils froncés.
― Tu boudes ?
― Tu as dormi tout l’après-midi.
― Excuse-moi, j’étais fatigué.
― Dans ce cas, il fallait rester chez toi. Il est dix-neuf heures. Je croyais que nous allions discuter, apprendre à nous connaître. Ce n’était pas le moment de faire une longue sieste.
Margot est pressée d’arriver jusqu’au magasin. Elle ne se tourne pas pour dire « au revoir » au jeune homme qui continue sa route, les mains dans les poches et la tête baissée. Il se sent un peu coupable mais dans son for intérieur, l’attitude de Margot l’agace malgré tout.
Jarod se prépare rapidement pour aller chez Jules, même s’il n’en a pas très envie. Son appartement est son refuge. Il a parfois du mal à sortir, car c’est là qu’il peut être lui-même. Il n’est pas obligé de parler et peut s’évader, changer d’univers devant son ordinateur sans que personne ne lui fasse des reproches. C’est un vrai solitaire. Il en est conscient mais il a du mal à s’en défaire. C’est Jules qui ouvre la porte à son arrivée.
― Ah tu vois Cécile qu’il est venu ! Qu’est-ce qui ne va pas Jarod, tu as l’air agacé, je me trompe ?
― Non, tout va bien Jules.
Autour de la table, il y a une belle ambiance mais sûrement pas grâce aux deux jeunes qui ne s’adressent pas la parole. Jules, de bonne humeur comme toujours, raconte des anecdotes sans nostalgie de son enfance, mais surtout de son adolescence. Il dévoile avec un certain plaisir, toutes les bêtises qu’il faisait à l’école et en dehors avec ses camarades. Il parle aussi du béguin qu’il avait pour Cécile, « l’amour de sa vie », comme il dit.
― J’en pinçais pour Cécile, elle le savait et faisait tout pour me rendre jaloux. Elle ne m’a pas fait marcher, non non, attention, elle m’a fait courir. Et moi, idiot que je suis, je ne m’en rendais pas compte. Ah les femmes ! Elles savent y faire même quand elles sont jeunes, pas vrai Cécé ?
― Ce n’est pas tellement qu’on sait y faire, surtout quand on est jeune. C’est juste que vous êtes de braves idiots, vous les garçons. Et puis, vous voulez jouer les gros durs mais vous n’avez rien dans la tête.
― Mais vous l’entendez ? Jarod qu’est-ce que tu en penses, toi ? questionne Jules.
― Je crois qu’il ne faut pas montrer ses sentiments, sinon c’est une bonne excuse pour qu’on vous fasse du mal. De ce côté-là, il ne risque pas de m’arriver grand-chose.
C’est la première fois que Jarod parle autant devant tout le monde. Il en a plus dit en un instant qu’en quatre années. Jules et Cécile se regardent, interloqués, pas tellement par ses propos mais par l’assurance avec laquelle il s’est exprimé. Il n’a eu aucune hésitation, et il a même donné l’impression de prévenir, d’avertir quiconque aurait une mauvaise intention.
― C’est bien triste à ton âge Jarod, d’avoir ce genre de certitude. Et puis tu sais, c’est la vie. Tu ne peux pas rester seul juste parce que tu as peur qu’on te fasse du mal. Tu peux passer à côté de quelque chose de merveilleux. Regarde Jules et moi, ça dure. Et toi Margot, ma caille qu’est-ce que tu en penses ? demande Cécile qui cherche à animer la conversation.
― Si les autres sont capables de vous faire du mal, on peut, nous aussi faire souffrir, volontairement ou sans le vouloir. On ne se rend pas toujours compte que l’on blesse par nos paroles.
― Et ben tu vois Cécile, les jeunes d’aujourd’hui, je trouve qu’ils sont plus vieux que nous.
Après le repas, Jules retient le jeune homme encore un petit moment. Il a besoin de lui parler, sans personne autour.
― Dis moi, vous vous êtes disputés tous les deux ?
― Pourquoi, qu’est-ce qu’elle vous a dit ?
― Elle n’a pas besoin de me dire quoi que ce soit, vous ne vous êtes pas adressés la parole une seule fois… et…elle t’a encore parlé…la lune ?
― Il se passe des trucs bizarres, mais je n’ai pas trop envie d’en parler. Ce qu’il m’arrive vient peut-être tout droit de mon imagination. Je regarde tellement de films... J’ai du mal à comprendre.
― Non je t’avoue que je ne comprends pas, non plus. Mais, sinon tu te sens comment ? Parce que tu as quelque chose de changé, mais je ne saurais pas te dire quoi. Ce n’est pas dans ton physique, c’est autre chose.
― Je me sens très bien. Je compte sur vous pour n’en parler à personne.
― Ne t’inquiète pas, tu peux me faire confiance. Et je veux que tu saches que tu n’es pas seul, bien sûr on ne remplace pas la présence de ta mère, mais tu peux compter sur nous. Tu sais, notre fille Camille, la maman de Margot, habite à Strasbourg. Ce n’est pas le bout du monde, mais Cécile n’aime plus voyager, depuis deux ou trois ans. Camille nous manque énormément. Elle téléphone toutes les semaines et vient dès qu’elle le peut, ce n’est pas toujours facile. Et toi, on te considère un peu comme notre petit fils, alors quand tu te sens seul par exemple, tu peux dormir ici. Tu viens quand tu veux, ce n’est pas la place qui manque. Et puis Cécile t’aime énormément, elle aussi tu sais.
― Oui je sais tout ça, merci Jules. Il faut que je rentre maintenant. Il se fait tard.
C’est une belle soirée, mais l’air est chaud et à cette occasion, les cigales chantent de concert. Jarod s’assied contre un mur de pierre, plie ses jambes qu’il entoure de ses bras et regarde le ciel rempli d’étoiles. Il est ébloui par ces corps célestes qui brillent dans le noir. Il pourrait rester des heures à les observer, mais il campe là un petit moment, perdu dans ses pensées puis se remet en route.
Dans son lit, Jarod est profondément endormi quand la lune paraît. C’est comme un rendez-vous, ensemble ils tiennent un long conciliabule. C’est leur moment, en quelque sorte. Jarod ne peut y échapper même s’il le voulait. Ils échangent mais c’est surtout la lune qui parle, lui l’écoute. Il est attentif et fasciné par ce qu’il entend. Mais son amie nocturne insiste sur certains sujets. Elle veut faire comprendre au garçon qu’il doit voir plus loin. Elle lui répète encore que sans le savoir, il sait. C’est avec beaucoup de subtilité que la lune essaie de lui faire admettre ce qu’il a du mal à concevoir. Ce qui gêne le plus Jarod et qui le contrarie, c’est le fait de ne pas savoir si ce qu’il vit pendant la nuit est réel. Ne pas être capable de faire la différence entre rêve et réalité lui semble être un gros problème. Est-ce son imagination ? Ou peut-être qu’il invente tous ces scénarios parce qu’il se sent seul. Mais alors d’où viennent toutes ces réflexions ? Le jeune homme constate qu’il mélange tout. Il est dans un état de grande confusion. Tout lui semble compliqué. Il voudrait faire une pause dans sa tête et être en mesure de démêler le vrai du faux. Ce qu’il sait en revanche, c’est qu’il a besoin de la lune et de regarder sur son ordinateur les images qui bougent. Personne ne peut croire que l’on puisse discuter avec celle qui prend la place du soleil, tous les soirs.
Jarod se sent terriblement seul, parfois. Il ne sait pas comment le dire et surtout à qui. Bien sûr, il y a Jules, mais il ne peut l’aider. Ce n’est pas facile d’avouer ce genre de chose sans avoir peur des réactions. Sa mère lui manque, avec elle, il aurait pu se confier. Jamais elle ne se serait moquée de lui. Comment faire pour se libérer de cette emprise que l’astre a sur lui ? Cette nuit-là, la lune pose la question qui semble être la plus importante, mais le jeune homme pour la première fois répond sans aucune hésitation.
― Alors Jarod, quand vas-tu te mettre au travail ?
― Demain.
Le petit déjeuner terminé, Jarod part au magasin et se met au travail sans tarder. Il fait un tour dans la réserve et revient pour la mise en rayon. Il étiquette les produits et denrées de toutes sortes et les range sur les étagères. Il profite de mettre de l’ordre dans toute la boutique. Ce matin, le jeune homme se sent mieux, la nuit a été paisible, rien n’est venu la perturber, pourtant la lune était là. Il nettoie le sol et ouvre la porte de l’établissement. La caissière Magalie arrive à l’heure comme toujours et Jules vient aux nouvelles.
― Bonjour Magalie vous allez bien ?
― Oui merci Jules, ça va très bien.
— Et toi Jarod, la forme ce matin ?
― Oui ça va.
Jarod travaille avec un tel entrain qu’il ne voit pas le temps passé. Aujourd’hui, il a de l’énergie. Depuis un certain temps, il manquait passablement d’entrain. Il voyait arriver le jour en se disant que le soir ne viendrait jamais assez vite.
― Je vais jeter les cartons de la réserve et faire l’inventaire si vous êtes d’accord, mais si vous avez besoin que je vous aide à quelque chose, n’hésitez pas Jules.
― Tu es en forme aujourd’hui Jarod, ça me fait plaisir. J’ai un problème avec l’ordinateur. Je vais voir un de mes amis, peut-être qu’il pourra me l'arranger. Avec ces machines, je n’y comprends rien.
― Je peux regarder si vous voulez ?
― Ah bon, tu sais faire ça ? Viens, monte avec moi.
Jules donne l'ordinateur et explique ce qui ne va pas avec ses mots à lui. Jarod concentré n’entend plus rien. Il allume la machine et effectivement il y a un problème. Il éteint le pc et l’ouvre pour voir ce qui ne va pas ; bloc d’alimentation, batterie de mémoire vive, dissipateur thermique, connexion… Il regarde tous les petits composants et semble s’émerveiller devant cet assemblage ingénieux, comme un enfant qui découvre son cadeau. Il aimerait pouvoir tout démonter pour disséquer l’intérieur de l’ordinateur.
― Il faut que vous changiez d’ordinateur, Jules, mais je peux me tromper. Vous l’avez depuis combien d’années ?