Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Pour les uns, la solitude fortifie. Pour les autres, l’isolement tue. Certains, par contre, disent que les deux vont de pair. C’est peut-être dans cette situation que se trouve Pablo qui, cherchant la paix intérieure, se promène régulièrement seul sur l’île, déconnecté du reste du monde. Dans cet endroit, une autre âme perdue se joint à lui. C'est alors que tout commence. Ce qui devait être simple prend une tournure inattendue... Est-ce l’amour ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Enseignant, comédien et metteur en scène de théâtre,
Pascal Marchand couche des mots sur le papier depuis l’adolescence. D’abord un moyen d’évasion, l’écriture est devenue par la suite une nécessité et un outil de partage de ses expériences.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 132
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Pascal Marchand
Que voyez-vous
quand vous regardez la mer ?
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pascal Marchand
ISBN : 979-10-377-6820-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mars 2011
Just a song before I go
To whom it may concern
Traveling twice the speed of sound
It's easy to get burned
Crosby, Stills et Nash
Attablé en terrasse au café du port, Pablo regarde la mer. La lueur intense du soleil ne permet pas de distinguer nettement l’horizon. Mais pour Pablo, horizon et lumière c’est la même chose : une fuite ou un espoir, ou les deux à la fois. Sur une île, la mer est toujours une fuite ou un espoir. Selon l’humeur du jour. Aujourd’hui, c’est plutôt l’espoir. Et l’image des vagues se cognant contre les rochers lui rappelle des jeux d’enfants essayant de faire les plus grosses éclaboussures. Les vagues sont des enfants, pense-t-il. Enfin, aujourd’hui s’entend. Certains jours, ce sont des flots de plaintes moites comme la première fois où il a débarqué du bateau. Elles ont aussi été des cris de colère comme le lendemain, et leur rage atteignait même les murailles de l’enceinte fortifiée juste derrière les rochers. Tout cela s’est un peu apaisé aujourd’hui. Les flots sont à l’image de l’existence, avec ses humeurs, avec ses éclats et ses ténèbres, avec son horizon lointain ou ses couleurs embuées.
Les semaines ont passé depuis ce jour de fin d’automne où il est arrivé. L’île, il l’a maintenant parcourue à pied de long en large, d’une pointe à l’autre. Il en a longé les côtes, il en a escaladé ses rochers les plus hauts. L’île est à présent en lui. Une image de roc et d’eau. Des morceaux d’histoire en mots de guerre et d’oubli, de ces héros anciens qui ont vécu là et dont la vie s’est confrontée à la sienne, une autre guerre, un autre oubli. Ça se mélange un peu dans sa mémoire. Parfois, il se demande s’il n’est pas le général qui a transité par la maison communale avant d’être exilé vers l’Atlantique Sud, si ce général ne lui parle pas la nuit. « Tu sais Pablo, moi aussi j’ai perdu ma femme. Et mes enfants. La seule nuit que j’ai passée ici. Je n’ai pensé à rien. Même pas à eux. J’ai regardé la mer. Je savais que ma vie d’après serait là-bas très loin. Et là-bas très loin, j’y ai vécu six ans avant de mourir. Tu vois Pablo, tout cela n’a pas tellement d’importance. Ça n’a pas empêché le monde de tourner. Ta solitude non plus n’empêchera rien ».
Il n’a pas besoin qu’on le lui dise. Pablo le sait déjà. Il le sait depuis qu’il a posé le pied ici. Dans cette île. Il y était venu avec sa femme et ses deux garçons, il y a très longtemps, en vacances. Un transit lors d’une excursion maritime pour visiter les fortins aux pieds dans l’océan. Il l’avait aimée cette île. Il s’était dit qu’un jour il reviendrait. Il ne pensait pas que ce serait pour une telle occasion. Il ne le savait pas. Ou peut-être qu’il le savait sans vraiment le savoir tout à fait.
Pendant sa vie de famille, il n’avait pas eu l’argent pour le faire. Trop cher. Et puis il y avait l’avenir des enfants. Les études, ça coûte cher. L’état aide plus quand ils sont petits, quand on peut encore se débrouiller. Mais, à la majorité, quand les études supérieures se profilent, c’est là où il faut passer à la caisse. C’est là qu’on voit ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas. D’argent s’entend. Car, dans ce monde où l’objet est roi et la monnaie son valet, sans argent, on ne va pas loin. À moins d’emprunter et de s’endetter pour dix ou vingt ans dans l’espoir d’avoir un travail qui rapportera et qui permettra de rembourser. Mais ces temps-ci, mieux vaut ne pas se faire trop d’illusions, les études supérieures, c’est vraiment pour ceux qui ont du pognon, ou ceux qui s’endettent.
Le bonheur de Pablo, et son malheur, c’est que l’argent est vraiment arrivé. Pas au bon moment. Du temps de sa famille, il ramait pour pouvoir faire éditer un de ses écrits. Il envoyait les manuscrits, plein d’espoir. Il s’imaginait déjà, souriant à un lecteur heureux lui racontant son plaisir d’avoir découvert son monde de littérature. Puis, les semaines passant, la boîte aux lettres pleine de pubs pour un monde d’ultra consommation, mais vide de réponses d’éditeurs, les espoirs se sont éteints. Parfois, un courrier ravivait la flamme. Il prenait alors à peine le temps d’enlever sa veste et déchirait l’enveloppe pour découvrir la bonne nouvelle. En fait de bonne nouvelle, c’étaient des : « Nous recevons trois cents manuscrits par mois. Si vous n’avez pas de nos nouvelles d’ici trois mois, c’est que le vôtre n’a pas été retenu. Pour récupérer votre manuscrit, envoyez-nous une enveloppe format 24X32, affranchie au tarif de… », ou encore « Votre manuscrit nous a intéressés (en tout cas, c’est ce qu’ils écrivent), mais nous ne publions pas ce type de roman. », ou aussi « merci de votre envoi, si votre manuscrit correspond à nos attentes, nous vous contacterons pour en parler avec vous ». En fait de contact, c’était toujours le silence. Et à force de silence, Pablo avait abandonné toute envie de faire publier un de ses manuscrits. Finalement, il avait écrit pour le théâtre, et avec des troupes amateurs, il avait monté ses propres textes. Ça ne rapportait pas gros, souvent rien, mais au moins c’étaient de véritables moments d’émotion et de partage, et puis s’ensuivaient souvent des soirées de délire qui se terminaient tard dans la nuit, dans des heures longues où le temps ne compte plus, juste le plaisir d’être ensemble, et de rire, et de bavarder de tout, de laisser les heures imprégner la peau de la fraîcheur des étoiles.
Puis, il y a eu ce fameux jour où un type, qu’il avait rencontré lors d’une représentation, l’avait recontacté. Ils s’étaient vus dans un café, avaient longuement discuté, et au final, ce fut un contrat en or : un roman à éditer dans une grosse maison, un engagement pour au moins trois textes à monter dans un théâtre parisien assez côté, tournées possibles avec des vingtaines de dates pour chaque pièce, droits d’auteurs et tout le tralala. C’est dans les jours qui ont suivi que sa femme et ses deux garçons ont disparu. Un truc dramatique dont il ne veut plus parler.
En une semaine, il avait réuni l’argent et la solitude. Le gros lot quoi. Ni une ni deux, sur un coup de tête, il est parti sur cette île, sans rien demander à personne, emportant surtout des livres et des CD. Et pour se relier, un ordinateur et un téléphone portable. Malgré ses réticences vis-à-vis de ces objets de dépendance au monde, tout cela lui était suffisant. Et puis un téléphone portable ou un ordinateur n’est ouvert que si son propriétaire choisit de l’ouvrir. Son retrait voulu n’en serait pas gâché.
Il n’avait besoin de rien d’autre. Il avait perdu ce qu’il avait de plus beau et venait de devenir « riche », au moins suffisamment pour assurer ses besoins dans une île qui offre sa nature à celui qui ne sait plus où aller.
Aussi, depuis des mois, il marche et il écrit. Il erre et il se tait. Ou il parle sur les feuilles virtuelles d’un port îlien aux murailles multiséculaires, avec ses pierres qui racontent aux touristes les histoires des temps anciens, ou plutôt des histoires devenues légendes, rien qu’à imaginer par le regard.
Il déambule dans cette nature sauvage faite de sable colonisé par des oyats plus grands que ceux des dunes de la côte atlantique. Il longe ces petites maisons vertes, jaunes ou roses à toits plats, aux couleurs délavées par le vent marin, devant lesquelles chuchotent des roses trémières élégantes. Il s’arrête parfois devant l’ancienne caserne militaire devenue bureau de poste et hangars pour les pompiers. Peu de personnel. Sur une île qui brasse quelques centaines d’habitants hors saison, il n’y a pas besoin de beaucoup de monde pour administrer ce bout de terre. Les seuls véhicules à moteur qui circulent appartiennent d’ailleurs à ces administrations. De nombreuses maisons sont vides. Ce sont des locations de vacances appartenant à des continentaux qui ont trouvé là une véritable aubaine. Les touristes se ruent sur l’île en été. Les prix des maisons ont grimpé en flèche. Ceux des locations aussi. Pablo avait vendu son appartement quelque part, très loin d’ici. C’était assez grand, suffisamment grand pour une petite famille comme la sienne. Avec ce qu’il a récupéré, il a pu tout juste se payer cette maisonnette un peu à l’écart du seul village de l’île. Vers la pointe. Protégée par les gros rochers avant le phare. De toute façon, il y a bien assez de place pour lui. Deux petites pièces dont une avec coin cuisine, plus une petite salle de bain toilettes. Largement de la place pour un type tout seul. Une chambre et une pièce à vivre. À vivre…
Et personne pour venir le déranger. Les murs extérieurs sont jaune pâle. Discrète demeure à l’image du personnage qu’il est devenu. Il fait ses courses dans la seule épicerie ouverte toute l’année, alimentée journellement par un bateau qui dépose ses « colis » une fois par jour vers neuf heures le matin. Quand la mer le permet. Il est arrivé que le bateau ne soit pas passé pendant quatre jours. Mais les gens d’ici savent comment faire. Ils ont des réserves. On se débrouille avec ce que l’on a. Cette île a été assiégée autrefois. On croirait presque que ses habitants ont inscrit dans leur patrimoine génétique la valeur du peu quand il n’y a presque plus rien et qu’il faut faire face aux éléments hostiles. Pablo s’y est fait, par mimétisme. Ici, c’est comme ça. Ça marche ainsi depuis des siècles, alors ça continue.
En été, en pleine période touristique, deux hôtels et trois restaurants-bars fonctionnent. En fait, c’est le même propriétaire. Un ancien de l’île, maintenant installé dans la grande ville côtière à quelques milles marins d’ici.
Souvent, les vacanciers comparent les services et conseillent tel ou tel établissement à ceux qui arrivent. Faire jouer la concurrence, disent les médias, relayant les messages des ministères. La concurrence, ici, c’est ce seul propriétaire avisé qui a vu le vent tourner avec le développement des loisirs de mer. Il a tout compris avant les autres. Il a même fait installer une base de voile et de plongée sur la côte protégée, en direction du continent. Il vit comme un roi. Comble de la réussite, il a fait aussi dans le culturel. Il a ouvert un musée « historique » pour le général qui a passé une seule nuit ici avant son exil définitif vers l’hémisphère sud. On paie l’entrée assez chère pour voir des objets lui ayant appartenu et qu’il a laissés, et même des objets qui ne lui ont pas appartenu, mais qu’il a touchés, dont un verre dans lequel il a bu et dont on a conservé la trace des lèvres. Pour que le culturel fonctionne mieux, ce propriétaire créatif et opportuniste a fait ouvrir en face une boutique de souvenirs où, en plus des cartes postales (entre autres du Général), on vend des reproductions d’objets de la célébrité locale (dont le verre avec sa trace, fausse cette fois-ci), et bien entendu des accessoires de plages : bouées canard, ballons, pelles et seaux en plastique, serviettes de bain et maillots pour ceux qui n’y auraient pas pensé ou qui auraient oublié avant de partir.
Les seuls commerces qui n’appartiennent pas au maître des lieux, ce sont les deux bars, dont celui du port qui reste ouvert hors saison, juste le week-end pour les rares touristes qui viennent randonner. Il appartient à Gérard, un Parisien tombé amoureux de l’île il y a plus de vingt ans. L’autre bar est situé à l’intérieur, en plein centre du village, ouvert toute la semaine. Deux petites vieilles s’en occupent. Elles sont sœurs. Pas beaucoup de monde, mais de quoi trouver de la compagnie et parler de la pluie et du beau temps. Histoire de se dire que les humains existent aussi, même dans une île presque oubliée de Dieu hors saison. Car Dieu est devenu consumériste et a fait coter le Paradis en bourse. Il ne pense à cette île qu’au moment où le soleil pointe son nez et qu’il est temps de faire des affaires. Ses ouailles suivent le message et se ruent partout où il y a des tiroirs-caisses. En été la plupart du temps.
Pablo se fout de cela. Il ne croit pas en ce Dieu. Surtout pas en celui-là. Il a trouvé le calme intérieur dans une île balayé par les vents.
Le dimanche, il vient s’installer dans le bar du port, face à la mer. Il prend toujours un café et un verre d’eau. Il ne demande plus. Quand il arrive, Gérard les lui sert de suite avec un échange de sourires. Tout le monde connaît Pablo. On le sait étrange, mais il n’agace personne. Il participe parfois aux conversations. En phrases courtes. Mais dès que ça s’enflamme, il se tait et replonge son regard vers la tasse de café. En fait, les îliens aiment bien Pablo. C’est un peu leur mascotte, leur havre de paix. Ce type qui ne dit rien est venu chez eux, leur sourit, vit avec eux, sans hausser le ton de la voix. Il ne râle pas, comme certains touristes, parce qu’il n’y a plus ceci ou cela et qu’il faut attendre le bateau du lendemain. Il rend service régulièrement. Le type un peu spécial, mais pas chiant. Tout le monde l’appelle Pablo. C’est le Pablo du bout de l’île. Certains disent Pablo du Phare ou Pablo des Rochers.
Sans que rien n’en ait été dit, de Pablo s’est fabriquée une sorte de légende, presque à l’égal du Général d’un jour, celui du musée. Mais cette légende reste secrète. Ça se passe entre les habitants. Ils n’ont pas besoin de musée. Pablo a vaguement entendu des bribes de conversation à ce sujet. Mais il s’en fout. Du moment qu’on le laisse vivre sa vie, ses rêveries, sa fuite et son oubli, il ne demande rien de plus. Certains l’ont questionné sur son passé. Pablo a répondu en phrases courtes, évasivement, toujours avec le sourire. Il n’a pas vraiment menti, mais il n’a pas non plus dit réellement la vérité. N’empêche ça a rassuré les inquiets et on ne lui a plus posé de questions. On sait juste qu’il écrit. Quelquefois même, il a lu, à la demande, des passages de certains textes ou des poèmes. Les gens ont été étonnés. Un poète chez eux. Ça fait plus culture que le musée du Général et c’est rien que pour eux.
Certains soirs au café des deux vieilles. Ça parlait de l’île et de la mer, ça parlait de l’horizon et des oiseaux marins. Ça parlait de leur vie et ça, ça leur plaisait. Par ses écrits, Pablo donnait une sorte de réponse à toutes les questions qu’on ne lui avait pas posées. Car souvent on interroge les gens qui nous inquiètent, non pas pour savoir qui ils sont, mais plutôt pour savoir qui nous sommes face à eux. Et quand on sait cela, plus besoin de poser de questions. En tous les cas ici, sur cette île.