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Des Pouilles, à Mattmark et à Carouge, suivez le parcours d'une famille italienne au destin marqué par le sort, la xénophobie, les pulsions, la convoitise, le crime, l'amour...
À PROPOS DE L'AUTEUR
Médecin à la retraite,
Jean de Blonay, a toujours exercé en parallèle, plusieurs métiers qui ont nourri son expérience de vie : chirurgien, médecin généraliste, urgentiste dans un important centre médical, délégué́ de la Croix Rouge dans des pays en conflit, instructeur de plongée, ingénieur multimédia, organisateur de voyages, et depuis 2020, écrivain.
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Seitenzahl: 299
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Jean de Blonay
Récusé, relevez-vous !
(Saas-Carouge)
© 2022, Jean de Blonay.
Reproduction et traduction, même partielles, interdites.Tous droits réservés pour tous les pays.
ISBN 9782889820566
Comme tous mes romans, celui-ci est aussi basé sur une histoire vécue. Il est destiné à remercier tous les immigrés qui, malgré les difficultés, parfois, aussi, malgré les drames de leurs vies, ont contribué au succès de la Suisse.
Français, Allemands, Italiens, Espagnols, Portugais, Slaves, Balkaniques, Moyen-Orientaux, Asiatiques, Africains, Sud-Américains, et autres, n’ont pas toujours été bien reçus à leur arrivée.
Pourtant, la plupart sont restés, Ils ont participé à l’essor du pays. C’est grâce à leur ténacité et principalement, grâce à la diversité de leur provenance, qu’ils ont pu s’intégrer pratiquement sans heurts.
Pour comprendre, il suffit de lire les noms inscrits sur les grues, sur les affiches électorales, sur les camionnettes et les sacs des livreurs de pizzas dans nos villes…
Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont raconté leur parcours !
Merci aussi à Léonie, mon épouse, qui supporte stoïquement mes longues heures d’écriture (six romans en quatre ans, et ce n’est pas fini !).
Merci aussi à mes bêta-lectrices, Noëlle, Monique et Brigitte, dont les avis et surtout les corrections m’ont été d’une aide inestimable.
Merci enfin aux éditions ISCA-LIVRES et à Ivan Slatkine pour leur implication.
L’immense jet d’eau propulse, imperturbable sa masse d’eau éphémère vers un ciel à peine nuageux. Peu lui importe ce qui se passe en bas ! Autour de moi, des enfants crient, courent et sautent, sous l’œil attentif de leurs parents. Ils rient, ils s’interpellent, inconscients de leur avenir.
À leur âge, je baignais dans la même insouciance. À leur âge…
C’était avant, avant tout ça… Avant les accidents, les mensonges, les intrigues, l’impensable… Avant, nous avions vécu comme eux, uniquement soucieuses du présent. Ma sœur Michaela et moi, quand nous avions fini nos devoirs, nous nous précipitions dans l’appentis où nos parents, Erico et Giovanna, avaient organisé un espace de jeu rien que pour nous.
Michaela s’absorbait pendant des heures devant sa kitchenette. Elle organisait des menus, rangeait, récurait, bref, elle préfigurait déjà la ménagère accomplie qu’elle allait devenir.
Moi, chaque fois que je le pouvais, je me plongeais dans mes lectures. Je lisais tous les livres que le maître me permettait d’emprunter à la bibliothèque de l’école. Elle n’était pas très fournie. Un vieux dictionnaire tout écorné, un atlas défraîchi, une édition de la Divine Comédie en similicuir rouge que personne n’avait jamais dû ouvrir. Et puis, je me demande encore pourquoi, ses rayons proposaient une traduction de quelques livres de la Comtesse de Ségur. J’en raffolais.
Ses personnages me faisaient rêver… Surtout ces petites filles espiègles, délurées, toujours bien vêtues, sans aucun autre souci que de se tenir correctement à table et d’éviter les châtiments quand leurs bêtises étaient découvertes.
Tout a basculé le jour où, assise sur la carriole garée à l’ombre du mur de l’église, j’observais mon père qui considérait, dans sa main, le montant misérable de sa recette.
Il le faisait avec un tel dépit que je n’osai pas ouvrir la bouche.
J’avais beau n’avoir que onze ans, je comprenais parfaitement la colère sourde qui montait en lui : tant de travail pour si peu d’argent !
Il fixait, entre ses doigts, la somme incongrue qu’il allait rapporter à la maison. Il balançait sa main machinalement en un va-et-vient vertical comme pour souligner la légèreté de son gain.
La suite est un peu confuse.
J’ai su beaucoup plus tard, vers quatorze ans, ce qui s’était vraiment passé, en partie grâce aux bribes de souvenir que Renzo distillait au compte-gouttes. Nous en avons appris bien plus quand notre mère adoptive, Tia Maria nous a réunies pour nous raconter notre histoire.
Je sais, je sais, en Italien, c’est « zia », mais quand j’étais petite, avec mes dents écartées, je n’arrivais pas à prononcer « dzia ». Alors je disais « Tia » et depuis, ce surnom lui est resté. Tout le monde l’appelle « Tia Maria ».
Tia Maria, donc, et sa sœur Mina étaient les tantes au deuxième degré de mon papa, Erico. Leur cousin germain s’appelait Arturo. C’était aussi un oncle de notre père, mais tout le monde l’appelait le « cousin Arturo »
En fait, tous ces gens-là avaient des grands-parents et arrière-grands-parents communs.
Pour nous, tout cela était un peu lointain, un passé devenu flou, presqu’effacé…
Ma sœur et moi, nous venions de nous installer à Carouge avec Tia Maria chez son fils, Renzo, le « faux grand frère » avec qui nous avions grandi.
Il était parvenu à nous faire venir d’Italie, au prétexte du « regroupement familial » qui n’était pas encore officialisé, mais déjà possible dans certains cas. Ce fut le nôtre.
Il nous avait accueillies chez lui, à la rue Ancienne.
Ce fameux samedi où la Tia nous a raconté notre passé, il faisait un temps exécrable.
Dehors, le vent faisait claquer les volets mal arrimés des maisons du vieux Carouge. Les feuilles des platanes de la place du Marché volaient jusque dans notre rue.
Après avoir terminé le rangement de la cuisine, la Tia a sorti une bouteille de limoncello et trois verres. Pas quatre, parce que Renzo, était allé rejoindre ses copains à la Casa Italia pour y visionner un match de foot projeté sur le mur du fond de la salle par un de ces tout nouveaux appareils fixés au plafond.
À l’époque, je me croyais follement amoureuse de lui. Son flegme, ses silences, son apparente indifférence me rendaient dingue. Nous avions un peu flirté, mais cela s’était arrêté quand il avait compris qu’il n’arriverait pas à coucher avec moi. Pour moi, il n’était pas question de jouer à ces jeux-là, au moins avant les fiançailles. Et puis, cela me faisait un peu peur !
Je savais qu’il rencontrait des filles et même je me doutais qu’il avait dû parvenir plusieurs fois à conclure. Quand j’y pensais, j’en avais des crampes et des douleurs partout, mais je m’efforçais de n’en rien montrer. Je craignais trop, soit de l’agacer, soit qu’il se moque…
Ce qui ne l’empêchait pas de me couver du regard comme s’il était entendu que nous finirions ensemble…
Maria, entama son récit malgré l’absence de son fils, prétextant qu’il connaissait déjà l’histoire.
Nous nous sommes installées au salon, elle dans son fauteuil et nous, sur le canapé.
J’étais toute excitée : j’allais enfin découvrir notre passé…
Après avoir fait claquer sa langue pour souligner le plaisir qu’elle prenait à siroter sa liqueur préférée, Tia s’est raclé la gorge et a commencé :
« Imaginez les Pouilles dans les années soixante. On y vivait encore comme au siècle précédent. La plupart des routes n’étaient pas encore goudronnées. Elles étaient parcourues surtout de charrois tractés par des mules. Il n’était pas rare d’y croiser un âne ou un mulet chargé de foin ou de bois sec.
Les voitures étaient encore rares.
Mes grands-parents qui sont aussi les arrière-grands parents de votre père, Erico, n’étaient pas riches.
Ils survivaient comme métayers en cultivant les oliveraies d’un napolitain fortuné. Ils ont travaillé dur et économisé sou par sou, ce qui leur a permis, à la mort du propriétaire, de racheter les terres aux héritiers du napolitain qui étaient partis s’établir aux États-Unis.
Les terres ne valaient pas grand-chose, et les Américains se fichaient complètement de la culture des olives. Ils n’ont gardé du domaine que le château qui tombe en ruine, parce qu’ils n’y viennent jamais.
Mon grand-père avait trois fils. Il leur a légué à chacun le tiers de ses terres et, à leur tour, quand ils ont disparu, ceux-ci ont partagé leurs biens.
L’un des trois n’a eu qu’un enfant, votre papa. Il est donc le seul à avoir reçu une part non divisée. Or, à lui seul, son lot n’aurait pas suffi à les faire vivre, lui et son épouse Giovanna. Heureusement qu’elle lui avait apporté dans sa corbeille de mariage, le petit domaine dont elle avait hérité de ses parents.
C’était encore à peine suffisant.
Ma sœur Mina et moi lui avons confié nos deux demi-lopins pour qu’il les cultive pour nous. Le salaire plutôt dérisoire que nous parvenions à lui verser l’arrangeait bien pour mettre un peu d’huile dans ses brocolis.
Le cousin Arturo, lui, il a été plus malin.
Il a vendu ses terres pour monter son commerce d’huile et d’olives en bocaux à Gravina in Puglia. Il gérait une forme de coopérative qui achetait leur production aux cultivateurs de la région et la revendait à des distributeurs de Tarente. Il ne s’est jamais marié, comme ma sœur Mina, d’ailleurs. »
Maria s’est interrompue pour avaler une gorgée de Limoncello. Après avoir, à nouveau, fait claquer sa langue, elle a continué :
« La vie était difficile pour tous, surtout pour vos parents Erico et Giovanna. Leur domaine n’était pas assez grand et le produit de sa récolte suffisait tout juste pour nourrir sa famille. »
Nous écoutions, avides de savoir et la Tia prenait manifestement un grand plaisir à nous raconter ce passé qu’elle regrettait à peine.
Elle a continué :
« Et puis, il y a eu cet été maudit. Votre père, rempli d’espoir, avait comme toujours, à la fin du mois de juin, pris la route de la ville pour y livrer les produits de sa ferme : huile d’olive, tomates séchées et conserves d’olives crues.
Son âne avait peiné pour amener l’attelage et sa charge sur la place où se situait l’entrepôt du cousin Arturo. »
La Tia s’est tournée vers moi :
– Il t’avait emmenée toi, Elena, parce que ta sœur avait attrapé les oreillons et avait besoin de dormir, sans t’entendre courir dans la maison.
Tia Maria racontait notre enfance comme si elle la lisait dans un livre. Elle n’avait pas reçu beaucoup d’instruction mais elle avait un sens inné du récit. Elle était captivante. Nous l’écoutions, fascinées. Elle créait le roman de cette enfance que nous avions traversée sans toujours bien la comprendre. Elle décrivait les scènes comme si elle les avait vécues. Avec une quantité de détails qui rendaient son récit vivant comme un film…
Comme par exemple, notre trajet pour livrer la production de la ferme et le drame auquel nous avions échappé.
Après avoir avalé une nouvelle lampée, elle a continué :
« Votre père avait emprunté le pont-aqueduc, un raccourci pratique mais dangereux, surtout à la descente et avec un chargement ! À deux reprises, le convoi avait failli verser et quand l’âne avait dérapé, il s’en était fallu de peu que la carriole ne bascule dans le vide, avec toi, assise dessus ! Alors, Erico avait fixé une corde à l’essieu et en avait enroulé trois fois l’autre extrémité autour de sa taille pour retenir le charroi afin d’aider l’animal dont les sabots glissaient sur les pavés arrondis. Par précaution, il t’avait fait descendre et marcher à côté de lui.
Il s’en voulait d’avoir pris cette voie, car, au cas où le chariot dévalait dans le ravin, c’en serait fini de ses conserves d’olives et de ses bouteilles d’huile.
Si Giovanna, sa femme, apprenait qu’il avait emprunté ce chemin, elle serait furieuse ! Ils avaient besoin de cet argent pour équiper leur aînée en vue de son entrée à l’école secondaire de Gravina in Puglia !
Votre papa était finalement parvenu à livrer sa cargaison chez son cousin Arturo qui lui avait acheté le tout, car les olives de la Serra Mezzana étaient très appréciées pour leur chair généreuse. En outre, pressées, elles donnaient une huile au goût unique et très prisé, une saveur un peu amère.
Arturo l’avait assuré que la somme qu’il lui avait donnée en échange de sa marchandise était déjà généreuse. C’était peu, mais Erico avait confiance : Arturo n’avait jamais roulé personne.
Sonné par sa déconvenue, il réalisa que son aînée n’irait pas à l’école. Un rêve de plus qui s’effondrait !
En réalité, il commençait à en avoir assez de cette pauvreté. Une colère sourde se mit à bouillonner en lui. Ce pays était incapable de proposer une vie décente à ses enfants ! Il n’y avait aucun emploi, nulle part dans la région !
Un temps, ils avaient tous été remplis d’espoir, quand la municipalité avait promis de construire une huilerie et d’ouvrir une coopérative pour commercialiser directement la production locale.
Il ne manquait que l’argent.
Or, malgré de belles promesses électorales, les crédits sollicités auprès du gouvernement n’avaient jamais été accordés. Et pourtant, l’Unita annonçaitune forte reprise économique. Mais seulement dans le nord du pays, apparemment.
Le Sud avait de nouveau été laissé pour compte. Une fois de plus, tous les crédits étaient partis vers Turin, Milan, Bologne.
La coopérative était restée à l’état de projet et chacun était retourné à sa misère…
La malédiction se poursuivait.
– Ce pays est maudit ! se prit-il à hurler en silence.
Erico avait à peine appris à lire quand il avait entendu parler du livre de Carlo Levi. L’auteur assurait que le Christ n’était jamais venu jusqu’aux Pouilles car il s’était arrêté en chemin, à Eboli, persuadé qu’après, il n’y avait plus rien.
Ils étaient les oubliés de l’État, de la terre et de Dieu !
Erico décida de retourner chez son cousin pour tenter de lui soutirer un peu plus d’argent.
Lorsqu’il le vit revenir, le marchand se doutait de ce qu’il allait lui demander. C’était un bon type, alors pour mettre son cousin à l’aise et lui épargner l’humiliation de quémander, il parla le premier :
– Je sais, je sais, comparé à l’énormité de ton travail, cette somme te paraît dérisoire ! Mais je ne suis même pas certain de pouvoir revendre le tout !
Découragé, Erico se laissa choir sur les marches qui conduisaient à l’entrepôt. Ses yeux fixaient la route poussiéreuse sans la voir. À la place, il imaginait ses deux filles, Michaela 13 ans et sa cadette de deux ans, Elena, jouant au fond de la cour, sans se soucier de rien. Ses oreilles avaient l’impression de les entendre chanter.
Il se représentait aussi sa femme, Giovanna l’accueillant, pleine d’espoir sur le seuil de la maison et la déception qui déformerait ses traits lorsqu’il lui montrerait la maigreur de son gain…
Cela faisait maintenant quatorze ans qu’ils étaient mariés. Pleins de courage, ils avaient pris en mains les lopins de terre dont ils disposaient, le sien, celui de ma sœur Mina, le mien et le petit domaine dont Giovanna avait hérité à la mort de ses parents, près du hameau de Pescofalerio.
Une mort idiote, inutile. Juste parce qu’ils n’étaient pas ailleurs à ce moment-là.
Printemps 1944, les choses commençaient à mal tourner pour Hitler et ses alliés. Alors, rendus fous furieux par la défaite qui se profilait à l’horizon, les fascistes avaient intensifié leurs rafles, écumant jusqu’aux régions les plus reculées du pays.
Ils avaient découvert une famille juive dans la grange de la ferme des parents de Giovanna. Aveuglés par leur rage meurtrière, ils avaient fusillé tout le monde, la famille juive avec leurs deux enfants et les parents de Giovanna, dans la foulée.
Puis ils avaient pillé l’entrepôt, le vidant de ses réserves d’huile. Ils étaient ensuite remontés dans leurs camions et étaient repartis en chantant.
Giovanna, cachée au fond de l’appentis, avait assisté à la scène. Pour ne pas crier, elle avait enfourné le coin de son tablier dans sa bouche. Si les miliciens l’avaient entendue, ils l’auraient sûrement abattue, elle aussi.
Elle avait survécu.
C’est ma sœur Mina qui l’a recueillie.
Mina habitait déjà chez le cousin Arturo dont elle avait pris en charge le ménage jusqu’à ce qu’il se décide enfin à se marier. »
Tia Maria précisa que le cousin Arturo ne s’était jamais marié et que sa sœur avait continué à s’occuper de sa maison et à lui préparer ses repas !
Puis elle reprit le fil de son récit :
« C’est devant la maison d’Arturo que la petite Giovanna avait vu Erico pour la première fois. Il accompagnait son père qui venait lui aussi, livrer ses olives chez le cousin qui, à l’époque, avait déjà constitué un joli réseau de revente.
Le jeune Erico avait sauté du chariot avant qu’il ne soit arrêté. La légèreté et la précision de son bond s’étaient gravées dans l’esprit de la petite Giovanna. Par la suite, elle lui avouerait que c’est à cet instant précis qu’elle avait eu la conviction qu’ils se marieraient un jour.
Toujours assis sur l’escalier, devant la porte de l’entrepôt, Erico revoyait le jour de son mariage. Quel souvenir ! Tout le village était là ! C’est Arturo qui avait conduit Giovanna à l’autel.
Bien que cela fût très inconvenant, Erico n’avait pu s’empêcher de se retourner pour regarder avancer sa promise, dans l’allée centrale de l’église.
Il se souvenait d’avoir été carrément ébloui par la grâce et la joie qui rayonnaient sous son voile. Il avait eu à peine le temps de s’extasier, qu’un violent coup de coude décoché par le curé le rappelait à l’ordre.
Dès le lendemain, ils avaient entrepris la remise en état de la plantation avec un courage et une ténacité de tous les instants. À force d’obstination, de sueur et d’ampoules aux mains, ils avaient fini par récolter, bon an mal an, de quoi survivre.
Or, maintenant ce n’était plus assez : leurs deux filles, Michaela et Elena grandissaient. Ils espéraient ardemment leur fournir le maximum de chances dans la vie. Ils savaient que, sans éducation, leurs filles seraient perdues dans le monde moderne. Il leur fallait un minimum de culture pour se sortir de la misère et de l’esclavage d’une terre incapable de nourrir ses habitants. Ils s’étaient fixés pour objectif de les amener toutes les deux, au moins, jusqu’au certificat d’études. »
La Tia s’interrompit un instant pour remplir son verre. Nous n’avions même pas touché aux nôtres.
Elle but une petite gorgée, nous fixa, comme pour s’assurer que nous l’écoutions bien.
Rassurée, elle continua :
« Arturo était venu s’asseoir à côté de votre papa, sur les marches fraîches de l’escalier. Touché par son désespoir, il avait posé son bras sur son épaule :
– Ici, tu n’arriveras à rien ! Tu devrais partir gagner des sous en Allemagne, en France, en Suisse, ou même en Amérique !
– Laisser Giovanna et les filles seules ? Tu n’y penses pas !
– Elles se débrouilleront très bien. Ce ne seront ni les premières, ni les dernières à voir partir l’homme de la famille pour gagner de quoi améliorer leur vie !
Erico n’avait jamais envisagé cela.
Et pourtant, il y en avait déjà quelques-uns qui revenaient pour les fêtes de fin de l’année, les bras chargés de cadeaux, les poches pleines, au volant d’une belle voiture !
Arturo, vit les traits de son cousin se métamorphoser lentement. Comprenant que l’idée faisait son chemin dans sa tête, il s’éloigna pour le laisser réfléchir et retourna dans son échoppe.
Quand il revint, une demi-heure plus tard, Erico n’avait pas bougé d’un pouce. Ses yeux fixaient distraitement les collines au loin. Il imaginait Giovanna occupée dans la maison, Michaela suant sa fièvre au lit. Elena l’attendait en silence, assise sur la charrette.
– Alors ? demanda Arturo.
– Tu as raison, il n’y a pas d’avenir ici pour des petits récoltants comme moi !
– Je suis content que tu t’en rendes compte ! Alors, écoute-moi bien ! Je ne voulais pas t’en parler auparavant : il y a justement un recruteur suisse installé à la terrasse de l’Osteria 1881. Tu devrais y aller tout de suite avant qu’il n’ait complété sa liste d’embauche !
Déjà convaincu, Erico s’y rendit sur le champ.
Après tout, c’était peut-être sa chance ?
Suivi de son âne qui tirait maintenant sans effort la charrette délestée de son chargement, il déboucha sur la petite place de la via Santa Elena. Au passage, il entra dans la confiserie où il acheta une tranche de focaccia pour sa fille.
Devant l’auberge, on avait disposé une table sur des tréteaux. Un jeune blond en chemise et cravate interrogeait un homme assis en face de lui.
Un homme qu’Erico reconnut instantanément : Renzo Galenico, un lointain cousin, son ancien ailier dans l’équipe de football de la petite ville.
À l’époque, Renzo avait initialement tenu la place de centre-avant. Erico qui tirait bien du pied gauche avait été placé à l’aile gauche. Mais l’équipe ne gagnait que peu de matches, jusqu’au jour où l’entraîneur comprit qu’il fallait inverser les rôles, mettre Erico au centre et Renzo à l’aile. Avec sa grande taille, Renzo dominait la situation et voyait toujours où se trouvait son avant-centre. Petit, invisible, celui-ci surgissait de n’importe où, sans que la défense adverse ne s’en aperçoive, se saisissait du ballon et, sans complexe, tirait au but. À force, il finissait par marquer.
Un peu en retrait, trois autres hommes attendaient leur tour, debout.
Erico se plaça derrière eux en espérant qu’il reste encore de la place. Il fut vite rassuré en entendant le recruteur baragouiner dans un italien approximatif qu’il recherchait une vingtaine de travailleurs. Une aubaine !
Quand ce fut son tour, il crut défaillir devant l’importance du salaire proposé : 250 000 lires, nourri logé ! Dont 20 000 à la signature du contrat !
Il signa sans hésiter : avec ce qu’il avait en poche, il allait rapporter à la maison de quoi voir venir et, surtout, de quoi envoyer son aînée à l’école et même, plus tard, la petite, aussi !
L’ennui, c’est que l’homme avait posé comme condition d’emporter avec lui, dans le car du soir, toute sa cargaison d’embauchés.
La prime ne serait versée qu’au départ.
Erico ne perdit pas une seconde. Il courut chez son cousin, lui tendit le prix de l’essence, en le suppliant de prendre sa moto pour ramener Elena à la maison, revenir avec sa femme, au plus vite, avant l’heure du bus.
– Qu’elle m’apporte, dans une valise, mon veston, mes souliers du dimanche des habits de rechange et mes affaires de toilette !
Une heure plus tard, sur le trottoir, affolée, Giovanna se jeta dans les bras de son mari :
– Que se passe-t-il ?
– J’ai signé un contrat pour quatre mois, nourri logé !
– Où ?
– En Suisse : ils cherchent du monde pour terminer la construction d’un barrage avant l’hiver !
– Un barrage, un barrage ! Je n’aime pas ça ! Tu as vu ce qui s’est passé à Valjont, il y a deux ans ! Près de 2000 morts !
– C’est vrai, mais les ingénieurs s’étaient trompés, ils avaient sous-estimé le débordement du lac en cas d’éboulement ! Ils avaient mal estimé les risques ! Là, c’est en Suisse ! Leurs ingénieurs, là-bas, ce sont des gens sérieux ! Ils savent ce qu’ils font !
À peine rassurée, elle lui tendit son bagage. L’arrivée du recruteur juste à cet instant détendit l’atmosphère : de sa main tendue, dépassait une liasse de billets : les 20 000 lires de la prime de départ !
Erico les enfourna directement dans le sac de son épouse. Il voulut y ajouter le produit de la vente des olives, mais elle n’en prit que la moitié :
– Tu en auras certainement besoin !
Lorsque le car eut disparu, elle s’effondra contre l’épaule du cousin Arturo :
– Je n’aime pas ça, je n’aime pas ça !
– Allons ! fit-il pour la rassurer, il ne s’agit que de quelques mois et il rapportera suffisamment d’argent pour vous permettre de vivre jusqu’à l’année prochaine ! Tiens, tu pourrais en profiter pour installer l’eau courante chez toi ! Tes filles préféreront se laver à la maison plutôt qu’à la fontaine ! Et pendant que tu y es, tu pourrais même installer un W.-C. avec une chasse d’eau, au lieu de les envoyer dans la cahute au fond du jardin où les voyous du village peuvent les reluquer à travers les planches mal jointes !
Pleine d’appréhension la jeune femme écoutait à peine :
– Oui, mais tu sais ce qu’ont dit les survivants du Valjont : la montagne n’aime pas qu’on la viole, elle finit toujours par se venger !
– Des radoteurs…
Giovanna ravala ses larmes. Dans le fond, son homme avait eu raison, c’était une aubaine et il avait bien fait de la saisir ! Leur vie allait enfin s’améliorer ! »
La Tia s’est interrompue à ce point du récit, trop fatiguée mais surtout trop émue pour continuer :
– La suite, c’est ce qui s’est passé en Suisse, vous l’apprendrez par d’autres moyens.
Nous sommes allées nous coucher. Michaela s’est endormie immédiatement, comme elle le faisait toujours.
Renzo m’avait déjà raconté suffisamment de la suite pour que je la reconstitue…
Ce 25 juin 1965, le car les avait déposés à la gare de Salerne où ils avaient attrapé, de justesse, l’express pour Milan.
Dans le train qui filait vers le Nord, l’ambiance était à la bonne humeur. Ceux qui avaient eu le temps de prendre des victuailles saucissonnaient joyeusement, impatients de se mettre au travail.
La misère qu’ils fuyaient, l’aventure qui démarrait et l’espoir d’une vie meilleure les avaient naturellement rapprochés.
Aux yeux des autres, Erico et Renzo passèrent pour de vieux amis qui ne s’étaient jamais quittés et qui avaient décidé de tenter leur chance ensemble. On les surnomma d’emblée, les Renzico.
Erico avait l’aspect typique des gens du Sud : petit, râblé, les jambes un peu arquées, le visage taillé à la serpe, il affichant un air de perpétuelle bienveillance. Cela le rendait immédiatement sympathique à tous.
Renzo, par contre, avait hérité de son père, le mari de la Tia, la stature des gens du Nord.
Originaire du Frioul, il avait été mobilisé et cantonné dans les Pouilles.
Il avait séduit sa future femme, Maria, lors d’une permission qu’on leur avait accordée pour assister au bal du village… Fascinée par ce grand blond aux yeux bleus, Maria s’était débrouillée pour ne plus le quitter.
Il l’avait épousée et installée dans sa maison de famille, à Tricesimo, au Nord d’Udine.
L’accueil, au village avait été glacial. En Vénétie, on se méfie des gens du Sud !
– Encore une délurée, paresseuse comme tous les gens de là-bas !
Les filles à marier l’avaient prise en grippe avant même de la rencontrer parce qu’elle les avait privées d’un beau parti.
On lui battait froid. On évitait de passer devant la maison de Marco, simplement pour ne pas avoir à la saluer.
Pendant l’année qui avait suivi, Marco avait profité de toutes ses permissions pour rentrer à la maison. Maria était tombée enceinte après trois mois de mariage, à la faveur d’un séjour de son mari.
Son ventre s’était arrondi au fil des semaines et cela lui avait permis de surmonter un peu sa tristesse.
Son homme ne sut jamais combien elle était malheureuse dans ce village parce qu’il fut fauché par un tir de mitraillette lors de la bataille meurtrière du Monte Cassino, en 1944.
Le choc de la nouvelle avait précipité l’accouchement. Un instant, la solidarité féminine avait dominé la réserve générale. Les voisines étaient accourues pour l’aider.
Maria avait osé croire un instant qu’elle serait enfin intégrée dans le village.
Les angles s’étaient encore arrondis les premiers jours qui suivirent la naissance de Renzo, comme si le fait d’avoir produit un garçon, la légitimait davantage aux yeux des villageoises.
Mais cela n’avait pas duré.
L’ostracisme avait rapidement repris le dessus et elle avait élevé son fils toute seule, sans l’aide de personne.
Au fil des années, elle avait eu de plus en plus de mal à supporter cette exclusion.
Comme pour ajouter à son désarroi, la vie devenait aussi trop difficile, car au Nord, les prix ne cessaient de grimper. Tout devenait trop cher pour elle. Sa pension de veuve de guerre ne suffisait plus.
Elle avait résolu de vendre la maison et de retourner chez elle, à Gravina in Puglia.
Elle avait prévu d’attendre la fin de l’année scolaire pour ne pas trop perturber le petit Renzo, 8 ans. Dans l’intervalle, pour arrondir ses fins de mois et pourvoir aux frais du déménagement, elle était entrée au service du curé, comme bonne à tout faire.
Le prêtre n’avait pas tardé à lui tourner autour. Il la serrait souvent d’un peu trop près, mais elle savait s’y prendre pour lui échapper sans le vexer.
Jusqu’au jour, où, ayant trop tâté de sa bouteille, il l’avait coincée entre la table de la cuisine et le fourneau avec des intentions très précises.
Maria avait vu rouge : elle avait saisi une lourde casserole et l’en avait violemment frappé, lui déboîtant l’épaule. Elle était rentrée chez elle, complètement révoltée, bien décidée, cependant à ne parler de cette histoire à personne.
Pas très futé, au lieu d’attribuer sa blessure à une chute dans l’escalier, comme aurait fait n’importe qui, le curé avait publiquement déclaré que, dans une crise de folie, Maria l’avait agressé dans sa cuisine, juste parce qu’il lui avait fait une remarque sur sa soupe trop salée.
Les gens le crurent.
La vie de Maria devint alors un vrai calvaire. Au village, les ouailles jetèrent l’opprobre sur cette femme de « peu de foi » qui avait osé lever la main sur leur curé. On la regardait de travers, on l’insultait. Celles et ceux qu’elle avait crus amicaux, lui tournèrent le dos.
C’était au-delà de ce qu’elle pouvait supporter.
Excédée, elle n’attendit même pas la fin de l’année scolaire. Malgré les pleurs de l’enfant arraché à ses copains, elle le retira de l’école, rassembla un petit bagage et s’enfuit, à la tombée de la nuit…
À Lignano, elle descendit chez le frère de son défunt mari, à qui elle confia le soin de vendre la maison. Profitant de son téléphone, elle appela sa sœur Mina pour l’avertir qu’elle rentrait.
La réaction, au bout du fil, lui fit chaud au cœur :
– Enfin, tu reviens !
Le voyage fut harassant, avec des changements de train, de longues attentes sur les quais de gare et finalement, cet autocar brinquebalant qu’il avait fallu faire stopper en urgence pour permettre au petit Renzo de vomir sur le bas-côté…
Quand elle débarqua de l’autobus poussiéreux, ils étaient tous là, à l’attendre : Mina, le cousin Arturo, les voisins et les amis.
Par contre, les enfants du village avaient aussitôt voulu montrer à Renzo qu’il n’était pas des leurs. Ils commencèrent par se moquer de lui, lui piquer ses affaires, le bousculer pendant qu’il urinait pour qu’il s’en mette partout.
Mais les brimades ne durèrent pas longtemps, car Renzo avait le coup de poing leste et le coup de genou précis. Les quolibets disparurent d’un coup, remplacés par le plus grand des respects.
Renzo, avec sa grande taille et ses yeux bleus, était rapidement devenu celui qui tranchait, celui qui décidait, qui commandait, celui qu’on écoutait. Son premier soutien avait été justement son lointain cousin, Erico : issu du moule local, c’est lui qui avait décidé les autres à l’accepter comme l’un des leurs.
Quelques années plus tard, à la fin de l’école obligatoire, chacun avait suivi sa voie.
Erico, avant d’épouser Giovanna, avait travaillé comme garçon de ferme chez un ami d’Arturo.
Renzo dont l’avenir comme footballeur avait été brisé net lorsqu’il s’était cassé la jambe à quatorze ans, n’était jamais revenu aux entraînements. Il avait suivi un apprentissage dans l’atelier de mécanique de Gravina in Puglia. Il y avait appris à réparer aussi bien les voitures que les tracteurs, les tondeuses et les motos.
Les deux garçons ne s’étaient plus revus avant ce jour où l’aventure dans laquelle ils se lançaient les avait naturellement rapprochés. Ils étaient entrés dans le wagon ensemble, avaient pris place dans le même compartiment et s’étaient automatiquement assis à la fenêtre, l’un en face de l’autre.
À Brig, on les dirigea vers l’hôpital pour y subir la visite sanitaire. On avait installé une simple tente à l’extérieur des bâtiments. Sous cet abri léger, il n’y avait qu’un petit bureau en fer et une chaise, occupée par un homme voûté à l’air las. Sa blouse était d’un blanc douteux. Il portait un stéthoscope autour du cou et un gros marteau à réflexes dépassait de sa poche.
Sur la droite, une porte ouverte laissait apercevoir un couloir sombre. Il n’y avait ni siège ni banc. Les nouveaux arrivants furent priés de se déshabiller. Désemparés, ils ne savaient où poser leurs affaires. Ils finirent par les poser sur leurs valises.
Ils furent avertis que les malades seraient immédiatement refoulés, surtout les diabétiques et les pulmonaires.
Un discours glacial, tout sauf sympathique.
Le médecin affichait un air hautain, désagréable, comme s’il voulait leur montrer qu’on leur faisait une faveur en les laissant venir travailler en Suisse.
Mais, soit que reclus de fatigue, soit que leur misère avait refoulé leur fierté au rang de sentiment inutile, ils ne firent que murmurer leur désarroi face à un tel accueil, d’autant qu’on ne leur avait toujours proposé ni à boire ni à manger.
Le médecin effectuait le dépistage au sein du troupeau, sans un mot.
On les piqua au bout du doigt pour doser leur taux de sucre. On leur demanda de toucher le sol avec les mains, sans plier les genoux pour s’assurer de l’état de leur dos. On leur fit baisser culotte pour dépister des hernies, on les ausculta car on ne voulait ni porteur de souffle au cœur, ni tuberculeux.
En cas de doute, on poussait le suspect vers le couloir sombre qui menait à la salle de radioscopie. Tout cela sans un mot. Erico eut toutes les peines du monde à empêcher Renzo d’exploser. On les traitait vraiment comme du bétail. C’était humiliant au possible !
Leur seule victoire, c’est que, ce jour-là, le médecin fut terriblement déçu : dans cette cargaison, ils étaient tous admissibles. Personne à refouler !
On les transféra ensuite dans un car postal qui devait les emmener jusqu’à Saas-Almagell, quelques kilomètres après Saas-Fee. Par bonheur, le car était bien chauffé : un vieux Saurer au moteur imposant, avec des sièges tout craquelés en cuir rouge.
La visite sanitaire et les temps d’attente dehors avaient suffi pour les inquiéter : en plaine, il faisait déjà froid. Alors que serait-ce en altitude ?
Ils étaient, pour la plupart, partis avec les habits qu’ils portaient dans les Pouilles, où la température dépassait déjà les 25 degrés. Seuls quelques-uns s’étaient méfiés. Ils s’étaient munis de pull-overs, avaient ressorti leurs vestes de chasse et fourré des bottes dans leur sac.
Le recruteur, le blondinet, ne leur avait fourni aucune précision. En fait, il ne leur avait rien décrit du tout : ni comment ils seraient logés, ni s’ils auraient des draps et des couvertures. Ils ne savaient même pas s’ils auraient l’eau courante dans leurs logements.
D’ailleurs sa cargaison embarquée, on ne l’avait plus revu !
La douce chaleur du car postal ne leur fut qu’un réconfort temporaire.
Quand, à deux heures de l’après-midi, après Sans-Fee, ils atteignirent Sans-Almagell, un pâle soleil luisait avec peine derrière un ciel laiteux qui l’empêchait de réchauffer l’atmosphère. Dans les zones d’ombre, le fond de l’air était déjà très frais.
Les voyageurs, assoiffés, s’étaient précipités vers la fontaine, comme un troupeau en transhumance. L’eau qui sortait du robinet était glacée. À la première gorgée, c’était plutôt agréable, mais la plupart d’entre eux avaient une dentition en mauvais état. L’eau trop froide leur fut vite insupportable. Ils n’étaient pas habitués : dans les Pouilles, l’eau des fontaines coule déjà tempérée.
Alors, renonçant à se désaltérer davantage, ils se laissèrent guider vers les deux camions qui les attendaient sur la petite place de l’église. Des engins aux roues et aux essieux immenses, couverts de boue.
Les chauffeurs les attendaient en fumant des cigarettes. Ils leur firent signe de grimper dans les bennes dont on s’était contenté de recouvrir le fond avec une simple bâche de chantier.
Les Renzico se lancèrent un regard qui en disait long… « Ce n’est pas le confort ! »
À partir de là, le fond de la vallée devenait si encaissé qu’il ne recevait déjà plus de soleil. Et lorsque la route se mit à monter le long de l’ubac, le froid devint carrément mordant. Les hommes, se serrèrent les uns contre les autres pour tenter de se réchauffer. Brinquebalés par les cahots d’un mauvais chemin de terre boueux, plein de trous et de flaques, bousculés, chahutés, ils se tenaient les uns aux autres. Leur principal souci était de ne pas tomber sur leurs pauvres valises bourrées à craquer : au moindre choc, elles pouvaient éclater !
En levant la tête, ils apercevaient, sur la droite, les roches que le glacier avait lissées à l’époque assez récente où il descendait encore dans la vallée. Plus haut, on discernait toute une série de séracs impressionnants accrochés au bord de la falaise. Erico frissonna. Il lança un coup de coude dans le flanc de Renzo et lui montra la glace :