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Les "Règles pour la direction de l’esprit" sont un ouvrage de jeunesse de Descartes qu’il a retravaillé tout au long de sa vie, et qui n’est paru qu’à titre posthume en 1684. Cet ouvrage constitue le premier grand texte philosophique de René Descartes (1596-1650).
Par ces règles, l'auteur vise à expliciter le mode de résolution de l'ensemble des questions qui peuvent se poser à l'homme, et à manifester la foncière unité de l'esprit, d'une manière qui annonce le "Discours de la méthode" (1637).
Texte inachevé, il contient en germe des éléments fondateurs de la pensée de Descartes : la recherche d’une méthode pour trouver des vérités certaines, le modèle arithmético-géométrique, etc.
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Veröffentlichungsjahr: 2024
RÈGLES POUR LA DIRECTION DE L’ESPRIT
Règle première.
Règle deuxième.
Règle troisième.
Règle quatrième.
Règle cinquième.
Règle sixième.
Règle septième.
Règle huitième.
Règle neuvième.
Règle dixième.
Règle onzième.
Règle douzième.
Règle treizième.
Règle quatorzième.
Règle quinzième.
Règle seizième
Règle dix-septième
Règle dix-huitième.
Règle dix-neuvième.
Règle vingtième.
Le but des études doit être de diriger l’esprit de manière à ce qu’il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui.
Toutes les fois que les hommes aperçoivent une ressemblance entre deux choses, ils sont dans l’habitude d’appliquer à l’une et à l’autre, même en ce qu’elles offrent de différent, ce qu’ils ont reconnu vrai de l’une des deux. C’est ainsi qu’ils comparent, mal à propos, les sciences qui consistent uniquement dans le travail de l’esprit, avec les arts qui ont besoin d’un certain usage et d’une certaine disposition corporelle. Et comme ils voient qu’un seul homme ne peut suffire à apprendre tous les arts à la fois, mais que celui-là seul y devient habile qui n’en cultive qu’un seul, parce que les mêmes mains peuvent difficilement labourer la terre et toucher de la lyre, et se prêter en même temps à des offices aussi divers, ils pensent qu’il en est ainsi des sciences ; et les distinguant entre elles par les objets dont elles s’occupent, ils croient qu’il faut les étudier à part et indépendamment l’une de l’autre. Or c’est là une grande erreur ; car comme les sciences toutes ensemble ne sont rien autre chose que l’intelligence humaine, qui reste une et toujours la même quelle que soit la variété des objets auxquels elle s’applique, sans que cette variété apporte à sa nature plus de changements que la diversité des objets n’en apporte à la nature du soleil qui les éclaire, il n’est pas besoin de circonscrire l’esprit humain dans aucune limite ; en effet, il n’en est pas de la connaissance d’une vérité comme de la pratique d’un art ; une vérité découverte nous aide à en découvrir une autre, bien loin de nous faire obstacle. Et certes il me semble étonnant que la plupart des hommes étudient avec soin les plantes et leurs vertus, le cours des astres, les transformations des métaux, et mille objets semblables, et qu’à peine un petit nombre s’occupe de l’intelligence ou de cette science universelle dont nous parlons ; et cependant si les autres études ont quelque chose d’estimable, c’est moins pour elles-mêmes que pour les secours qu’elles apportent à celle-ci. Aussi n’est-ce pas sans motif que nous posons cette règle à la tête de toutes les autres ; car rien ne nous détourne davantage de la recherche de la vérité que de diriger nos efforts vers des buts particuliers, au lieu de les tourner vers cette fin unique et générale. Je ne parle pas ici des buts mauvais et condamnables, tels que la vaine gloire et la recherche d’un gain honteux ; il est clair que le mensonge et les petites ruses des esprits vulgaires y mèneront par un chemin plus court que ne le pourrait faire une connoissance solide du vrai. J’entends ici parler des buts honnêtes et louables ; car ils sont pour nous un sujet d’illusions dont nous avons peine à nous défendre. En effet, nous étudions les sciences utiles ou pour les avantages qu’on en retire dans la vie, et pour ce plaisir qu’on trouve dans la contemplation du vrai, et qui, dans ce monde, est presque le seul bonheur pur et sans mélange. Voilà deux objets légitimes que nous pouvons nous proposer dans l’étude des sciences ; mais si au milieu de nos travaux nous venons à y penser, il se peut faire qu’un peu de précipitation nous fasse négliger beaucoup de choses qui seraient nécessaires à la connoissance des autres, parce qu’au premier abord elles nous paroîtront ou peu utiles ou peu dignes de notre curiosité. Ce qu’il faut d’abord reconnoître, c’est que les sciences sont tellement liées ensemble qu’il est plus facile de les apprendre toutes à la fois que d’en détacher une seule des autres. Si donc on veut sérieusement chercher la vérité, il ne faut pas s’appliquer à une seule science ; elles se tiennent toutes entre elles et dépendent mutuellement l’une de l’autre. Il faut songer à augmenter ses lumières naturelles, non pour pouvoir résoudre telle ou telle difficulté de l’école, mais pour que l’intelligence puisse montrer à la volonté le parti qu’elle doit prendre dans chaque situation de la vie. Celui qui suivra cette méthode verra qu’en peu de temps il aura fait des progrès merveilleux, et bien supérieurs à ceux des hommes qui se livrent aux études spéciales, et que s’il n’a pas obtenu les résultats que ceux-ci veulent atteindre, il est parvenu à un but plus élevé, et auquel leurs vœux n’eussent jamais osé prétendre.
Il ne faut nous occuper que des objets dont notre esprit paroît capable d’acquérir une connaissance certaine et indubitable.
Toute science est une connoissance certaine et évidente ; et celui qui doute de beaucoup de choses n’est pas plus savant que celui qui n’y a jamais songé, mais il est moins savant que lui, si sur quelques unes de ces choses il s’est formé des idées fausses. Aussi vaut-il mieux ne jamais étudier que de s’occuper d’objets tellement difficiles, que dans l’impossibilité de distinguer le vrai du faux, on soit obligé d’admettre comme certain ce qui est douteux ; on court en effet plus de risques de perdre la science qu’on a, que de l’augmenter. C’est pourquoi nous rejetons par cette règle toutes ces connoissances qui ne sont que probables ; et nous pensons qu’on ne peut se fier qu’à celles qui sont parfaitement vérifiées, et sur lesquelles on ne peut élever aucun doute. Et quoique les savants se persuadent peut-être que les connoissances de cette espèce sont en bien petit nombre, parce que sans doute, par un vice naturel à l’esprit humain, ils ont négligé de porter leur attention sur ces objets, comme trop faciles et à la portée de tous, je ne crains pas cependant de leur déclarer qu’elles sont plus nombreuses qu’ils ne pensent, et qu’elles suffisent pour démontrer avec évidence un nombre infini de propositions, sur lesquelles ils n’ont pu émettre jusqu’ici que des opinions probables, opinions que bientôt, pensant qu’il étoit indigne d’un savant d’avouer qu’il ignore quelque chose, ils se sont habitués à parer de fausses raisons, de telle sorte qu’ils ont fini par se les persuader à eux-mêmes, et les ont débitées comme choses avérées.
Mais si nous observons rigoureusement notre règle, il restera peu de choses à l’étude desquelles nous puissions nous livrer. Il existe à peine dans les sciences une seule question sur laquelle des hommes d’esprit n’aient pas été d’avis différents. Or, toutes les fois que deux hommes portent sur la même chose un jugement contraire, il est certain que l’un des deux se trompe. Il y a plus, aucun d’eux ne possède la vérité ; car s’il en avoit une vue claire et nette, il pourroit l’exposer à son adversaire, de telle sorte qu’elle finiroit par forcer sa conviction. Nous ne pouvons donc pas espérer d’obtenir la connoissance complète de toutes les choses sur lesquelles on n’a que des opinions probables, parce que nous ne pouvons sans présomption espérer de nous plus que les autres n’ont pu faire. Il suit de là que si nous comptons bien, il ne reste parmi les sciences faites que la géométrie et l’arithmétique, auxquelles l’observation de notre règle nous ramène.
Nous ne condamnons pas pour cela la manière de philosopher à laquelle on s’est arrêté jusqu’à ce jour, ni l’usage des syllogismes probables, armes excellentes pour les combats de la dialectique. En effet, ils exercent l’esprit des jeunes gens, et éveillent en eux l’activité de l’émulation. D’ailleurs il vaut mieux former leur esprit à des opinions, même incertaines, puisqu’elles ont été un sujet de controverse entre les savants, que de les abandonner à eux-mêmes libres et sans guides ; car alors ils courroient risque de tomber dans des précipices ; mais tant qu’ils suivent les traces qu’on leur a marquées, quoiqu’ils puissent quelquefois s’écarter du vrai, toujours est-il qu’ils s’avancent dans une route plus sûre, au moins en ce qu’elle a été reconnue par des plus habiles. Et nous aussi nous nous félicitons d’avoir reçu autrefois l’éducation de l’école ; mais comme maintenant nous sommes déliés du serment qui nous enchaînoit aux paroles du maître, et que, notre âge étant devenu assez mûr, nous avons soustrait notre main aux coups de la férule, si nous voulons sérieusement nous proposer des règles, à l’aide desquelles nous puissions parvenir au faîte de la connoissance humaine, mettons au premier rang celle que nous venons d’énoncer, et gardons-nous d’abuser de notre loisir, négligeant, comme font beaucoup de gens, les études aisées, et ne nous appliquant qu’aux choses difficiles. Ils pourront, il est vrai, former sur ces choses des conjectures subtiles et des systèmes probables ; mais, après beaucoup de travaux, ils finiront par s’apercevoir qu’ils ont augmenté la somme des doutes, sans avoir appris aucune science.
Mais comme nous avons dit plus haut que, parmi les sciences faites, il n’existe que l’arithmétique et la géométrie qui soient entièrement exemptes de fausseté ou d’incertitude, pour en donner la raison exacte, remarquons que nous arrivons à la connoissance des choses par deux voies, c’est à savoir, l’expérience et la déduction. De plus, l’expérience est souvent trompeuse ; la déduction, au contraire, ou l’opération par laquelle on infère une chose d’une autre, peut ne pas se faire, si on ne l’aperçoit pas, mais n’est jamais mal faite, même par l’esprit le moins accoutumé à raisonner. Cette opération n’emprunte pas un grand secours des liens dans lesquels la dialectique embarrasse la raison humaine, en pensant la conduire ; encore bien que je sois loin de nier que ces formes ne puissent servir à d’autres usages. Ainsi, toutes les erreurs dans lesquelles peuvent tomber, je ne dis pas les animaux, mais les hommes, viennent, non d’une induction fausse, mais de ce qu’on part de certaines expériences peu comprises, ou qu’on porte des jugements hasardés et qui ne reposent sur aucune base solide.