Romans inachevés - Guy de Maupassant - E-Book

Romans inachevés E-Book

Guy de Maupassant

0,0

Beschreibung

On retrouve dans ce livre deux Romans inachevés de l'auteur où sont exploités deux thèmes qui lui sont chers . Les péripéties de la débauche qu'on retrouve dans le premier roman: L'âme étrangère et la guerre avec l'occupation prussiennes de quelques régions de France qu'on retrouve dans le deuxièmes roman: L'angélus.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 66

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Romans inachevés

Romans inachevésDans La Revue de Paris du 15 novembre 1894L’âme étrangèreL’AngélusPage de copyright

Romans inachevés

 Guy de Maupassant

Dans La Revue de Paris du 15 novembre 1894

« Interrompu comme on sait par la maladie et par la mort, Guy de Maupassant a laissé deux romans inachevés : L’Âme étrangère et L’Angélus. Témoignant tous les deux qu’il fut frappé en pleine maîtrise, ils ne peuvent qu’augmenter l’admiration pour son talent et la pitié pour son malheur. Sa famille a bien voulu nous réserver l’honneur de les publier l’un et l’autre ; on nous permettra de lui présenter ici l’hommage de notre gratitude. »

L’âme étrangère

I

Il y avait encore peu de monde dans la salle de jeu, parce qu’on donnait ce soir-là, pour la première fois, au théâtre du nouveau Casino d’Aix, une comédie d’Henry Meilhac. Autour des quatre tables cependant une couronne d’habitués se pressait déjà, assis et debout, hommes et femmes, enfermant les croupiers dans le cercle ordinaire des joueurs infatigables. Mais le reste de la grande pièce demeurait vide, vides les longs divans accroupis au pied des murs, les fauteuils bas dans les coins, les chaises au cuir déjà terni. Le salon précédent aussi était désert, et l’huissier à chaîne s’y promenait, les mains derrière le dos, l’huissier bienveillant chargé de reconnaître les gens douteux qui cherchent à entrer dans ce lieu sans avoir été présentés et timbrés honnêtes par le visa de l’administration des jeux.

Un bruit d’argent discret, mais continu, un petit bruit de source d’or, de source de louis coulant sur les quatre tapis, chantait au-dessus des voix humaines plus discrètes, plus sourdes, calmes encore.

Un homme se présenta pour entrer, grand, mince, assez jeune. Il avait cette allure aisée des garçons qui ont passé leur adolescence dans les habitudes élégantes de la vie riche et parisienne. Le haut de la tête était un peu chauve, mais les cheveux blonds qui restaient autour frisaient gentiment sur les tempes, et une jolie moustache, aux bouts tortillés par le petit fer, s’arrondissait bien sur sa lèvre. Son œil bleu clair paraissait bienveillant et gouailleur, et il portait dans toute sa personne un air de hardiesse, d’affabilité et de dédain gracieux montrant que ce n’était point là un tout récent parvenu ou un de ces rôdeurs de casinos qui courent le monde, en quête de rapines.

Comme il allait franchir la grande baie que drapait une portière suspendue, l’huissier, très poli, s’approcha en demandant :

« Monsieur veut-il me rappeler son nom ? »

Il répondit sans s’arrêter :

« Robert Mariolle. J’ai été inscrit tantôt.

— Parfaitement, monsieur, je vous remercie. »

Alors il pénétra dans la seconde salle, cherchant quelqu’un du regard.

Une voix l’appela, et un homme de petite taille, légèrement obèse, touchant à la quarantaine, parfaitement correct, vêtu de l’étrange veste de premier communiant dite smoking, mise à la mode par un prince fêteur, s’approcha, les mains tendues.

Mariolle les prit et les serra, un sourire sur les lèvres, disant :

« Bonjour, mon cher Lucette. »

Le comte de Lucette, un aimable, riche et insouciant célibataire, passait ses jours et ses années à aller où tout le monde va, à faire ce que tout le monde fait et à dire ce que tout le monde dit, avec un certain esprit bon enfant qui le faisait rechercher. Il demanda, marquant son intérêt :

« Eh bien ! et le cœur ?

— Oh ! ça va bien, c’est fini.

— Tout à fait ?

— Oui.

— Tu es venu à Aix pour la convalescence ?

— Comme tu le dis. Je change d’air.

— En effet, l’air où l’on a aimé peut toujours garder le dangereux microbe de l’amour.

— Non, mon cher. Il n’y a plus aucun danger. Mais je suis resté trois ans avec elle. Il faut donc que je modifie mes habitudes ; et pour cela il n’y a rien de tel qu’un déplacement.

— Tu es arrivé ce matin ?

— Oui.

— Et tu vas demeurer ici quelque temps ?

— Jusqu’à ce que je m’ennuie.

— Oh ! tu ne t’ennuieras pas, c’est amusant ici, même très amusant. »

Et Lucette fit un tableau d’Aix. Il raconta cette ville de douches et de casinos, d’hygiène et de plaisir, où tous les princes de la terre que les trônes ont rejetés fraternisent avec tous les rastaquouères dont les prisons n’ont pas voulu. Il exprima, avec sa verve familière, cette salade unique de mondaines et de drôlesses, dînant aux tables voisines, parlant à haute voix les unes des autres, et jouant, une heure plus tard, coude à coude autour du même tapis. Il montra, spirituellement, cette familiarité suspecte, cette bienveillance incompréhensible de gens inabordables ailleurs, et qui ont choisi pour faire la fête, et s’acoquiner avec n’importe qui, cette petite ville de Savoie. Les mêmes altesses, les mêmes souverains futurs ou dépossédés, les ducs, grands ducs ou petits ducs, oncles, cousins ou beaux-frères des rois, les mêmes grandes dames françaises ou cosmopolites qui mettent, d’ordinaire, des distances incommensurables entre eux et les simples bourgeois, qui forment pendant l’hiver, à Cannes, des groupes aristocratiques impénétrables que peut seule entrouvrir l’hypocrisie anglaise, ou les immenses fortunes américaines et juives, se précipitent, aussitôt les chaleurs venues, dans les bruyants casinos d’Aix avec la seule envie, dirait-on, de s’encanailler librement.

Le comte de Lucette racontait avec un ton jovial et dédaigneux d’homme bien élevé qui fait les honneurs d’un mauvais lieu, qui s’y plaît, se moque de lui-même autant que des autres, et accentue la peinture pour la rendre plus saisissante. Sa petite figure grasse, rasée, que deux bouts de favoris coupés net à la hauteur des oreilles rendaient plus large encore, avait la mimique gaie, vive, un peu forcée de ces amateurs bien nés qui ont de l’esprit dans les salons, et il citait des faits, narrait des anecdotes, nommait des femmes, dénonçait avec bienveillance des scandales d’amour ou de jeu.

Mariolle l’écoutait avec un sourire sur la bouche, l’approuvait par moments, avait l’air de trouver exquis ce bavardage bien préparé, mais son œil bleu semblait terni, voilé par une pensée péniblement chassée.

Son ami s’étant tu, un silence eut lieu, et il dit, comme s’il eût oublié Aix et tous ces gens évoqués :

« As-tu su la dernière crasse qu’elle m’a faite ? »

L’autre, fort surpris, demanda :

« Quelle crasse ? Qui donc ?

— Henriette.

— Ah ! ta ci-devant bien-aimée ?

— Oui.

— Non, je ne sais pas. Raconte.

— Elle m’a fait prêter de l’argent à une marchande à la toilette chez qui elle avait des rendez-vous. »

Lucette éclata de rire, trouvant le tour délicieux.

Mariolle reprit :

« Oui, elle m’a apitoyé, me donnant cette procureuse pour sa cousine. Et il y avait là-dedans une histoire de séduction, d’abandon d’enfant laissé à la charge de cette pauvre femme ; tout un roman, un roman imbécile combiné dans une tête de fille et de fille de concierge. »

Lucette riait toujours.

« Et tu as été pris, toi ?

— Ma foi, oui.

— Comme c’est drôle, toi, étant ce que tu es, élevé comme tu l’as été sur les genoux de ton papa, le père Mariolle, le plus roublard des hommes. »

Mariolle eut un petit mouvement des épaules plein de dédain pour lui-même et peut-être pour tout le monde ; et il murmura :

« Avec les femmes, les plus fins sont des imbéciles.                

— Mon cher, quand on les aime, elles deviennent généralement des rosses.

— C’est peut-être un peu exagéré.

— Non. Mais quand elles aiment, ce sont des anges, des anges à griffes, à vitriol ou à lettres anonymes, parfois seulement des anges crampons, mais des anges de fidélité, d’abnégation et de dévouement… En tout cas, ça t’a fait de la peine, bien que ton Henriette fût, je crois, une récidiviste.

— Oui, mais ses récidives justement m’avaient préparé à la guérison, et je suis guéri d’elle.

— Bien vrai ?

— Bien vrai. Trois fois, c’est trop.

— Alors, c’est la troisième fois que tu la prends en faute.

— Oui.

— Quand tu m’as écrit, avant-hier, de te retenir une chambre à mon hôtel, tu venais de la pincer.

— Oui.

— Donc c’est tout récent ta découverte.

— Mais oui. Ça date de quatre jours.

— Diable ! Gare aux rechutes.

— Oh ! non ! je réponds de moi. »

Et, pour se soulager, Mariolle raconta sa liaison tout entière, comme s’il eût voulu chasser de lui, rejeter de sa mémoire et de son cœur ce souvenir, cette histoire, ces détails dont il était encore meurtri.