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Je traduis d'un chroniqueur italien le détail des amours d'une princesse romaine avec un Français. C'était en 1726, au commencement du dernier siècle. Tous les abus du népotisme florissaient alors à Rome. Jamais cette cour n'avait été plus brillante.
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Veröffentlichungsjahr: 2018
Stendhal
Ariste et Dorante ont traité ce sujet, ce qui a donné à Eraste l'idée de le traiter aussi.
30 septembre
Je traduis d'un chroniqueur italien le détail des amours d'une princesse romaine avec un Français. C'était en 1726, au commencement du dernier siècle. Tous les abus du népotisme florissaient alors à Rome. Jamais cette cour n'avait été plus brillante. Benoît XIII (Orsini) régnait, ou plutôt son neveu, le prince Campobasso, dirigeait sous son nom toutes les affaires grandes et petites. De toutes parts, les étrangers affluaient à Rome; les princes italiens, les nobles d'Espagne, encore riches de l'or du Nouveau-Monde, y accouraient en foule. Tout homme riche et puissant s'y trouvait au-dessus des lois. La galanterie et la magnificence y semblaient la seule occupation de tant d'étrangers et de nationaux réunis.
Les deux nièces du pape, la comtesse Orsini et la princesse Campobasso, se partageaient la puissance de leur oncle et les hommages de la cour. Leur beauté les aurait fait distinguer même dans les derniers rangs de la société. L'Orsini, comme on dit familièrement à Rome, était gaie et disinvolta, la Campobasso tendre et pieuse; mais cette âme tendre était susceptible des transports les plus violents. Sans être ennemies déclarées, quoique se rencontrant tous les jours chez le pape et se voyant souvent chez elles, ces dames étaient rivales en tout : beauté, crédit, richesse.
La comtesse Orsini, moins jolie, mais brillante, légère, agissante, intrigante, avait des amants dont elle ne s'occupait guère, et qui ne régnaient qu'un jour. Son bonheur était de voir deux cents personnes dans ses salons et d'y régner. Elle se moquait fort de sa cousine, la Campobasso, qui, après s'être fait voir partout, trois ans de suite, avec un duc espagnol, avait fini par lui ordonner de quitter Rome dans les vingt-quatre heures, et ce, sous peine de mort. «Depuis cette grande expédition, disait Orsini, ma sublime cousine n'a plus souri. Voici quelques mois surtout qu'il est évident que la pauvre femme meurt d'ennui ou d'amour, et son mari, qui n'est pas gaucher, fait passer cet ennui aux yeux du pape, notre oncle, pour de la haute piété. Je m'attends que cette piété la conduira à entreprendre un pèlerinage en Espagne.»
La Campobasso était bien éloignée de regretter son Espagnol, qui, pendant deux ans au moins l'avait mortellement ennuyée. Si elle l'eût regretté, elle l'eût envoyé chercher, car c'était un de ces caractères naturels et passionnés, comme il n'est pas rare d'en rencontrer à Rome. D'une dévotion exaltée, quoique à peine âgée de vingt-trois ans et dans toute la fleur de sa beauté, il lui arrivait de se jeter aux genoux de son oncle en le suppliant de lui donner la bénédiction papale, qui, comme on ne le sait pas assez, à l'exception de deux ou trois péchés atroces, absout tous les autres, même sans confession. Le bon Benoît XIII pleurait de tendresse. «Lève-toi, ma nièce, lui disait-il, tu n'as pas besoin de ma bénédiction, tu vaux mieux que moi aux yeux de Dieu.»
En cela, bien qu'infaillible, il se trompait, ainsi que Rome entière. La Campobasso était éperdument amoureuse, son amant partageait sa passion, et cependant elle était fort malheureuse. Il y avait plusieurs mois qu'elle voyait presque tous les jours le chevalier de Sénécé, neveu du duc de Saint-Aignan, alors ambassadeur de Louis XV à Rome.
Fils d'une des maîtresses du régent Philippe d'Orléans, le jeune Sénécé jouissait en France de la plus haute faveur : colonel depuis longtemps, quoiqu'il eût à peine vingt-deux ans, il avait les habitudes de la fatuité, et ce qui la justifie, sans toutefois en avoir le caractère. La gaieté, l'envie de s'amuser de tout et toujours, l'étourderie, le courage, la bonté, formaient les traits les plus saillants de ce singulier caractère, et l'on pouvait dire alors, à la louange de la nation, qu'il en était un échantillon parfaitement exact. En le voyant la princesse de Campobasso l'avait distingué. «Mais, lui avait-elle dit, je me méfie de vous, vous êtes Français; mais je vous avertis d'une chose: le jour où l'on saura dans Rome que je vous vois quelquefois en secret, je serai convaincue que vous l'avez dit, et je ne vous aimerai plus.»