Souvenirs sans gloire - Michel Vanvaerenbergh - E-Book

Souvenirs sans gloire E-Book

Michel Vanvaerenbergh

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Beschreibung

Un pilote doit parfois compter sur la chance... Les 14 souvenirs retracés dans ce livre le prouvent à la perfection !

J'aurais pu raconter les vols où j'ai été brillant, génial ou même simplement héroïque. J'ai préféré relater des vols où la chance a pallié mes défaillances. Michel Vanvaerenbergh, ancien instructeur sur Boeing 737, raconte quelques-uns de ses souvenirs de plus de 13000 heures de vol.
Quatorze vols, de Bruxelles à Chicago en passant par un vol d'essai avec des pilotes yéménites et par la Varsovie de la Guerre Froide en compagnie d'un ancien Flight Lieutenant de la Royal Air Force. Quatorze nouvelles épiques qui retracent l'histoire d'une époque, celle de la Sabena.

Un livre qui s'adresse aux pilotes, bien sûr, mais aussi à ceux qui veulent le devenir et, surtout, à ceux que l'aventure aérienne ne cesse de faire rêver...

EXTRAIT  

Après mes débuts en planeur à Saint-Hubert à la fin des années soixante, sous la férule de Brocart – le vrai, le père – je suis rentré à l’École d’Aviation Civile. Je me permets de citer le nom de Brocart car il ne joue aucun rôle dans les histoires que je raconte. Le seul reproche que l’administration pourrait lui faire c’est de m’avoir donné l’envie de voler.

L’École d’Aviation Civile, l’EAC était officiellement l’école de pilotage de l’Administration de l’Aéronautique, mais tout le monde savait que c’était l’école de la Sabena, la compagnie aérienne nationale. L’EAC prenait les élèves ab initio et les formait, les modelait, les transformait en pilotes professionnels qualifiés sur bimoteur et pour l’IFR, le vol aux instruments.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 

Je recommande vivement à tout pilote de ligne de lire ce petit bouquin d'un pilote qui n'a pas froid aux yeux et qui a osé écrire ce que l'on disait tout bas.  - Icare

[…] L'humour de Michel Vanvaerenbergh est incisif. Son livre est facile à lire, même pour des non initiés.  - Aviation et pilote

Un drôle de petit bouquin dans lequel l'auteur […] prend le parti de raconter 14 vols épiques effectués pour le compte de la Sabena […]. Souvent drôle, c'est toujours riche en enseignements sur la nature humaine et l'univers des navigants en particulier.  - Volez 

À PROPOS DE L'AUTEUR 

En 1948, Michel Vanvaerenbergh poursuit des études d’ingénieur industriel avant d’intégrer l’école d’aviation civile à Bruxelles. Pendant près de trente ans, il pilotera des Boeing pour le compte de la Sabena, la compagnie aérienne nationale belge. Devenu instructeur en vol, il donnera cours de navigation aérienne et maritime dans diverses écoles et rédigera le cours de navigation de l’administration de l’aéronautique. Son livre, Souvenirs sans gloire, se décline sous forme de 14 nouvelles.

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Un livre facile à lire, même pour des non initiés. Ce sont des histoires de pilotes, techniques, de celles qui débutent par : « Tu sais pas la dernière qui m’est arrivée  ? » – Aviation et Pilote

Petit bouquin d’un pilote qui n’a pas froid aux yeux et qui a osé écrire ce que l’on disait tout bas. – Icare

Souvent drôle, c’est toujours riche en renseignements sur la nature humaine et l’univers des navigants en particulier… – Volez

La tradition veut que l’on dédie un livre, que l’on remercie quelqu’un.

J’aurais dû citer le nom de tous ceux qui se sont succédé pour m’apprendre à voler.

Je crains toutefois qu’à la lecture des « exploits » de leur élève,

Avant-propos

J’aurais pu, comme tant d’autres, raconter les vols où j’ai été brillant, génial ou même simplement héroïque. C’eût été rédiger une encyclopédie en plusieurs volumes et je risquais de mourir en laissant une œuvre inachevée.

Plus modestement, pas trop quand même, j’ai préféré relater des vols où la chance a pallié mes défaillances. Je ne suis pas toujours le seul coupable, mais j’ai indiscutablement une part de responsabilité dans ce qui s’est produit. Il me semble d’ailleurs que cette part augmente au fur et à mesure que le temps s’écoule. Lorsque je repense à ces événements, je découvre des erreurs ou des manquements qui ne m’étaient pas encore apparus. Ce sont des vols comme il en arrive à tous les pilotes, les plus consciencieux comme les plus laxistes, les meilleurs comme les moins bons. Ceux que l’on qualifie de meilleurs ne sont d’ailleurs bien souvent que ceux qui, parmi les moins bons, ont eu la chance de survivre à tous ces vols. Les mauvais sont ceux qui ont eu la chance de survivre à tous ces vols sauf… un.

Ce sont des vols dont on se souvient, mais dont on ne tire parfois les leçons que plusieurs années plus tard. Lorsque l’on vieillit, que les réflexes deviennent plus lents, que la vue baisse, ce sont ces souvenirs, souvent inconscients, qui évitent de se laisser « enfermer » dans des situations inextricables. On apprend à dire non, à oser refuser une approche qu’un autre accepterait. Encore que… C’est ce que l’on appelle l’expérience.

Reconnaître mes erreurs, c’était aussi m’assurer que d’autres ne pourraient venir me les reprocher. J’ai horreur que l’on me dise que je me suis trompé, surtout lorsque c’est vrai. Ce doit être mon côté oriental. C’est bien connu, les Orientaux n’aiment pas perdre la face, au contraire des Occidentaux qui eux, je suppose, adorent ça.

Même s’il y a prescription, j’ai laissé peu d’indices afin qu’il soit difficile à l’Administration de l’Aéronautique de retracer ces vols. J’espère avoir laissé suffisamment de détails pour que quelques personnes, souvent les protagonistes, puissent se reconnaître et se souvenir. Parfois, mais pas toujours, j’ai changé les dates, pas trop cependant. Parfois, mais pas toujours, j’ai conservé les prénoms. Je les ai systématiquement modifiés lorsqu’ils auraient permis une identification trop facile. Peu de pilotes belges se prénomment Igor par exemple.

J’ai essayé d’être aussi objectif que possible, mais les années ont passé. Ma mémoire n’est plus ce qu’elle était et je crains qu’elle n’ait parfois une fâcheuse tendance à embellir mon rôle.

La langue utilisée pour rédiger ces souvenirs mérite un mot d’explication.

Quasiment tous les termes d’aviation existent en français, mais en dehors des Français, les pilotes francophones ne les utilisent pas. Souvent, ils ne les comprennent pas. Dans le monde de l’aviation francophone, on parle français, mais on remplace le mot technique français par le mot ou l’expression anglo-américaine correspondante. Ainsi, on ne vole pas en configuration lisse, on vole flaps up. Je me demande parfois si, pour un profane, configuration lisse est vraiment plus compréhensible que flaps up. Certains mots sont « self explanatory », s’expliquent d’eux-mêmes, comme la centerline qui est la ligne qui marque le milieu de piste. La langue française elle-même s’assouplit. Ainsi, après avoir été fermé, un aérodrome se rouvre et redevient atterrissable.

Il existe aussi une sorte d’espéranto aérien qui consiste à appliquer la grammaire de la langue locale à la conjugaison des verbes anglais. C’est ainsi que l’on ne règle pas une radio, on la tune (prononcez « tioune »). On holde, c’est-à-dire qu’on effectue un circuit d’attente. On dira : « Il a dû holder » ou, de manière plus distinguée : « Partir en diversion ou patienter dans le circuit d’attente, que vouliez-vous qu’il fît  ? Qu’il holdât ! ». C’est un langage universel et même les pilotes français, les vrais, les « bleu-blancrouge », le comprennent, à défaut de le parler sans accent.

J’aborde dans ces souvenirs un sujet tabou : l’alcool. Près de quarante ans plus tard et dix ans après la disparition de la compagnie, en parler reste un sacrilège. J’y fais référence à deux reprises, lors d’un vol et lors d’un night stop. Les faits étaient exceptionnels, la plupart de mes collègues n’y ont jamais été confrontés, moi avec ma chance habituelle, deux fois. Sans doute parce qu’il s’agissait de faits exceptionnels, ils m’ont profondément marqué. J’en ai beaucoup souffert. Je craignais que l’on apprenne que je savais, que quelque part, j’étais complice. D’autre part, je ne voyais personne à qui me confier. Ces « souvenirs » ont été rédigés à l’intention de mon fils. Il n’a guère eu le choix, il a baigné dans le vocabulaire aéronautique depuis sa tendre enfance. Il était inutile de m’appesantir sur ce qu’étaient des flaps ou un ILS par exemple.

Lorsqu’il fut décidé de les publier, des considérations bassement commerciales destinées à élargir le public cible ont amené mon éditeur à souhaiter y inclure quelques explications techniques.

L’appât du gain, je me suis laissé corrompre. Il est difficile pour un pilote de savoir jusqu’où il faut expliquer et surtout, c’étaient des souvenirs, pas un ouvrage de vulgarisation.

Toutefois, ce qui est utile au profane peut l’être pour les pilotes d’aujourd’hui. Les Cat III n’ont pas toujours existé. Lorsqu’on utilise des IRS updatés par GPS, on peut éprouver des difficultés à s’imaginer les tourments du pilote survolant Sarajevo et essayant de supputer le cap à prendre pour effectuer : « proceed direct to Brussels » avec pour seul instrument de navigation un gyro directionnel, avec pour seule indication du vent celle de sa carte météo. Notre honte, lorsque le contrôleur, après quelques minutes demandait innocemment « confirm you are on course to Brussels  ? ».

Les premiers vols sont particulièrement « chargés », pour permettre au lecteur d’acquérir les bases qui lui permettront de décoller avec moi. En cas de doute, il pourra consulter le glossaire en fin d’ouvrage.

Préface à la deuxième édition

J’ai rédigé ces souvenirs il y a de nombreuses années. Je les ai relus, sur écran, avant impression. Mais ce n’est que lorsque je les ai tenus en main, que je les ai lus sur papier que les souvenirs sont vraiment remontés. Avec beaucoup d’émotion parfois. J’entends encore le contrôleur de Charleroi me dire « Pour l’instant, il y a 800 mètres ».

Je réalise combien, en un peu plus de trente ans, le monde a changé.

D’abord d’un point de vue technique.

Les avions bien sûr. Pour seuls instruments de navigation, nous disposions de deux VOR et de deux ADF. Il nous arrivait de sélectionner la RTB (621 kHz) ou la BRT (927 kHz), qui ont changé de nom entre-temps, pour faire un « direct Brussels ». Il fallait tracker les radiales, se battre avec le vent. Il n’y avait que quelques DME en Europe. C’est difficile à imaginer aujourd’hui.

Mais aussi le monde qui nous entoure. Le night stop à Paris aurait été bien moins stressant avec un téléphone portable ou une station-service ouverte 24/24.

D’un point de vue humain.

Les chefs pilotes. À mes débuts, notre chef de secteur était un homme âgé que beaucoup craignaient. Sa seule présence dans le cockpit suffisait à stresser l’équipage. Je ne m’imagine pas frappant à la porte de son bureau pour lui exposer un problème.

Le tournant, ce fut, au début des années quatre-vingt, l’arrivée d’une nouvelle génération de chefs pilotes. Ce n’étaient plus des chefs pilotes « papier », c’étaient des instructeurs. On ne les craignait pas, on les respectait. Et surtout, on pouvait leur parler. Ce fut également le début de la standardisation de l’entraînement. La fin des temps héroïques.

Les commandants. Durant les quatre ou cinq premières années de ma carrière, je ne me suis jamais adressé à un commandant qu’en lui disant « Commandant, vous… »

Il y en a beaucoup que je n’ai jamais tutoyés. Ils pouvaient se permettre des choses inimaginables aujourd’hui. Je me souviens d’un Bruxelles-Milan parti en retard parce que le commandant n’était pas satisfait du repas prévu pour lui. Leur autorité mais leur sagesse aussi. Je revois le rep de Varsovie insister pour que nous poursuivions vers Moscou, en expliquant que Swissair y allait. Mon commandant qui avait, à juste titre, jugé que son second était trop tendre pour ce vol lui a simplement dit d’embarquer nos passagers sur Swissair.

Si le night stop à Paris a failli tourner à la catastrophe, c’est parce que je n’osais pas réveiller mon commandant. Je ne sais plus précisément quand les uns et les autres se sont endormis, sans doute vers une heure, mais je me souviens que je faisais les cent pas en attendant que le commandant se réveille. Je n’osais pas le réveiller. C’était mon commandant. Je ne m’y suis résolu que parce que je ne voyais plus d’autre solution. Il aurait suffi que je fasse embarquer tout le monde deux heures plus tôt et je n’aurais rien eu à raconter ! Après ce night stop, il a insisté pour que le tutoie.

Les forces de l’ordre. J’imagine mal aujourd’hui, mais je me trompe peut-être, des policiers se démenant pour faire ouvrir une station-service afin de dépanner un automobiliste en panne d’essence.

Moi enfin. J’avais près de trente ans et rétrospectivement, mon manque de clairvoyance me fait peur.

La naïveté avec laquelle je me suis laissé embarquer à Paris, la précipitation avec laquelle je suis parti en diversion sur Charleroi… Mes deux plus mauvais souvenirs. Ils se sont bien terminés. Décidément, j’ai toujours eu beaucoup de chance.

Après mes débuts en planeur à Saint-Hubert à la fin des années soixante, sous la férule de Brocart – le vrai, le père – je suis rentré à l’École d’Aviation Civile. Je me permets de citer le nom de Brocart car il ne joue aucun rôle dans les histoires que je raconte. Le seul reproche que l’administration pourrait lui faire c’est de m’avoir donné l’envie de voler.

L’École d’Aviation Civile, l’EAC était officiellement l’école de pilotage de l’Administration de l’Aéronautique, mais tout le monde savait que c’était l’école de la Sabena, la compagnie aérienne nationale. L’EAC prenait les élèves ab initio et les formait, les modelait, les transformait en pilotes professionnels qualifiés sur bimoteur et pour l’IFR, le vol aux instruments.

Pour l’entraînement au vol aux instruments, l’École d’Aviation Civile était équipée de Cessna 310 de type A et B. Des petits bimoteurs à cinq places équipés de moteurs à pistons. Deux de ces avions, les OO-SEA et OO-SEB étaient, paraît-il, les premiers modèles construits par Cessna, destinés à l’évaluation et à la certification du type. Alors que nous les utilisions encore quotidiennement, un des derniers livrés, le OO-SEL était exposé depuis déjà quelques années au Musée de l’Air de Bruxelles !

C’est dire que même en 1974, c’étaient déjà des avions d’un autre âge. Ils étaient sousmotorisés et leurs instruments provenaient en partie des vieux DC3 de la Sabena. Leur solidité était légendaire, et au cours des ans, certains élèves pilotes leur ont fait effectuer toutes les figures d’acrobatie élémentaire, mais leur équipement laissait à désirer.

Pour permettre à ceux qui volent et aux passionnés d’aviation de profiter pleinement de ce premier vol, je nous embarque dans une longue description du Cessna 310 et de son équipement. Le lecteur qui n’est pas familier des « choses de l’aviation » risque de la trouver fastidieuse et peu compréhensible. Je lui donne rendez-vous page 34.

Le système de dégivrage des hélices, par exemple, se composait de deux petits tuyaux, par lesquels s’écoulait de l’alcool que la force centrifuge projetait en principe sur les pales. En réalité, aux environs de ces dernières. Cela ne fonctionnait évidemment pas toujours comme prévu. Il arrivait qu’une seule pale fût dégivrée, ce qui obligeait le pilote à arrêter le moteur. Pas toujours idéal lorsqu’on vole en conditions givrantes ! Le dégivrage des ailes, lui, était assuré par des galoches, un ensemble de trois tuyaux recouverts d’une enveloppe de caoutchouc. Le tout, fixé sur le bord d’attaque, la partie avant de l’aile. En créant le vide alternativement dans deux tuyaux, puis dans le troisième, l’enveloppe de caoutchouc se déforme et rompt la glace. En théorie du moins. Si l’on s’y prend trop tôt, la glace, encore souple, ne se brise pas, mais se déforme et épouse le nouveau « profil ». Si l’on s’y prend trop tard, la galoche gigote vainement sous la croûte de glace rigide qui reste adhérer à l’aile. Quand on s’y prend bien, les particules de glace détachées de l’aile viennent se fracasser avec un bruit de mitrailleuse sur le fuselage. C’est un bon système, rustique, mais efficace. Le problème sur nos avions venait de ce que ces galoches de dégivrage étaient alimentées par la même pompe à vide que le gyroscope de l’horizon artificiel. De ce fait, lorsqu’on dégivrait les bords d’attaque, l’horizon commençait parfois à s’incliner lentement d’un côté ou de l’autre.

Les constructeurs d’avions légers sont hypocrites. Dans le manuel, il est précisé que l’avion ne peut pas opérer en icing conditions, en conditions givrantes. Pourquoi alors montent-ils des systèmes de dégivrage  ? Cela nous a valu quelques surprises. Les deux « Sart », Claude et Jacques se retrouvent ainsi avec un pare-brise recouvert de glace en approche à Manchester, parce que le système qui combine dégivrage du pare-brise et chauffage cabine a… givré.

Le train d’atterrissage mérite une mention spéciale. Il comportait trois roues mais une seule lampe témoin. Une seule, mais elle brillait fort. À tel point que pour ne pas être ébloui, en vol de nuit, son intensité était réduite. Elle était dimmée. Vers la fin de notre entraînement, la réglementation changea. On imposait maintenant aux avions en approche d’allumer leurs phares d’atterrissage, de jour comme de nuit. Les premiers équipages qui vinrent atterrir de jour eurent la désagréable surprise de constater qu’il leur manquait la sacro-sainte lampe verte. Cela se traduisait par une remise de gaz, un passage près de la tour et un atterrissage sous l’œil protecteur des pompiers. L’avion avait été conçu avant la réglementation et la sortie des phares d’atterrissage le mettait automatiquement en configuration « vol de nuit ». La lampe était donc dimmée. De nuit, c’était parfait mais de jour, elle semblait éteinte.

L’alimentation électrique était assurée par des dynamos et, au sol, lorsque les moteurs tournaient au ralenti, il arrivait fréquemment que la tour ne reçoive pas nos émissions de radio. Il fallait tenir l’avion aux freins et augmenter le régime moteur jusqu’à obtenir une tension d’alimentation suffisante pour se faire entendre. Les mécaniciens avaient certes tenté d’améliorer le système en réduisant le diamètre des poulies d’entraînement des dynamos. Cela augmentait leur vitesse de rotation et donc la tension de sortie. Au ralenti, c’était parfait. Mais elles avaient ainsi inévitablement tendance à tourner trop vite en vol de croisière et à faire griller leurs régulateurs.

En plus, dès qu’il pleuvait fort ou qu’il neigeait, les antennes des radios se mettaient inexplicablement à la masse. Parlons-en, des radios. Nous en avions deux. La première, la meilleure, était un émetteur-récepteur à lampes de marque Collins. Puissant, mais elle ne dépassait pas 129,95 MHz et était accompagnée d’une carte de déviation, comme une boussole : « pour contacter 118.25, affichez 118.30, etc. ». Le second émetteur couvrait presque toutes les fréquences, (nous étions quand même limités à 132,55 MHz), mais était sujet aux pannes et disposait d’une portée très limitée. Nous testions le matériel avant le décollage, mais en vol, il était courant de n’avoir plus qu’une seule radio en état de marche. Et pas vraiment exceptionnel de n’en avoir plus aucune. Dans sa sagesse, le législateur aérien a prévu cette double panne. Chaque pays publie donc des procédures, rarement simples, plus ou moins applicables dans la pratique, dites de radio failure. Il s’agit le plus souvent de routing, d’itinéraires à suivre pour sortir de l’espace aérien contrôlé, ce qui résout le problème du contrôleur, mais pas celui du pilote. Après quelques semaines de 310, nous connaissions tous de mémoire les procédures de radio failure applicables en Belgique et dans les pays voisins.

Ces procédures supposent que seuls les équipements de communication sont en panne. Le législateur tient pour acquis que tous les équipements de navigation sont opérationnels. Ce n’était pas toujours notre cas. En ce qui concerne la navigation, nous n’avions pas de récepteur VOR ILS comme on les connaît aujourd’hui.

Le VOR est une balise qui émet des signaux différents dans chaque direction. Le récepteur de bord peut ainsi déterminer la direction de cette balise. C’est un système de navigation à courte et moyenne distance.

L’ILS, abrégé de Instrument Landing System est un système d’atterrissage par mauvaise visibilité. Il est constitué d’un ensemble de deux émetteurs situés au sol qui créent d’une part un plan vertical de guidage, le localizer, et d’autre part un plan oblique de descente, le glide slope. Le localizer permet de déterminer précisément l’axe de la piste, le glide slope permet au pilote d’ajuster sa descente. Aujourd’hui, les fréquences du glide slope et du localizer sont pairées. Le récepteur de bord est double et la sélection de la fréquence du localizer assure automatiquement la sélection de la fréquence du glide slope. Ce n’était pas le cas lors de la mise en service des 310.

Les VOR et les ILS travaillent dans deux gammes de fréquences adjacentes et un seul récepteur permet de capter les VOR et les ILS.

Ce qui permet de différencier un VOR d’un autre VOR, un ILS d’un autre ILS, c’est la fréquence sur laquelle il émet. Comme il n’y a pas une infinité de fréquences disponibles, on éloigne géographiquement, autant que faire se peut, les VOR qui émettent sur une même fréquence. La portée des ILS étant plus réduite, le problème ne se pose pas. Afin de s’assurer qu’on a sélectionné la bonne fréquence, et qu’on ne capte pas une autre balise émettant sur la même fréquence, chaque VOR, chaque ILS émet un indicatif. Cet indicatif est constitué de trois lettres de l’alphabet émises en morse : le call sign. Les récepteurs modernes sont digitaux et permettent de sélectionner très précisément une fréquence – il suffit de l’afficher sur le cadran du récepteur – à tel point que très peu de pilotes vérifient encore le call sign des VOR.

On l’aura compris, nous n’avions pas un récepteur VOR ILS à affichage digital, mais un récepteur VOR - Localizer à réglage continu, donc sans affichage. Le copilote devait le régler en cherchant à capter l’indicatif du VOR ou du Localizer. Durant cette opération, comme le câble de nos écouteurs n’était pas très long, la tête du copilote flirtait dangereusement avec les genoux du commandant et le stick, le « volant » de l’avion. Le réglage n’était pas effectué par des boutons mais par des manivelles et lorsqu’il faisait turbulent et que les manivelles étaient en « position haute », il arrivait que la fréquence change « par gravité » en cours d’approche. En revanche, comme le réglage était continu, nous fûmes parmi les premiers à être opérationnels et équipés, si l’on ose dire, lorsque l’on passa d’une séparation de 100 kHz à une séparation de 50 ! Notre récepteur glide slope, lui, se réglait indépendamment. Il ne comportait que cinq ou six fréquences (présélectionnées, si si !) et il arrivait couramment que nous fussions obligés d’effectuer une approche sans glide slope simplement parce que nous ne disposions pas de sa fréquence. Inutile d’ajouter que lorsque nous mentionnions ces particularités dans la case « remarques » de notre plan de vol, aucun contrôleur n’était à même d’imaginer ce qu’elles pouvaient bien signifier. Heureusement d’ailleurs, car nous n’aurions jamais reçu la sacro-sainte clearance, l’autorisation de vol. Nous sélectionnions nos destinations en fonction de la météo et de notre équipement : « à Gatwick, si c’est la 08, nous n’aurons pas le glide, donc… ».

Les radiocompas, les ADF, à lampes eux aussi, devaient être syntonisés, tunés comme nous disions, par le copilote. Cela entretenait la connaissance du morse. C’étaient de vrais ADF : il fallait encore additionner mentalement le gisement de la station au cap gyro pour obtenir le relèvement, le QDM à intercepter. Dans le petit monde de l’école, RMI, radar et transponder appartenaient encore à la science-fiction.

Le réglage des moteurs en croisière était une opération délicate : il fallait d’abord afficher une pression d’admission et régler le pas de l’hélice accordingly comme c’était écrit dans le manuel, puis appauvrir le mélange, leaner la mixture, sans autre indication fiable que le bruit plus ou moins harmonieux des moteurs. Quand chaque moteur était réglé, on en déréglait légèrement un pour le synchroniser avec l’autre, également uniquement au son. Cela s’apparentait plus à de la direction d’orchestre qu’à du pilotage et c’était le travail du copilote.

Mais peu importe tout cela, pour nous, le 310, c’était le top du top, et lorsque nous partions à deux élèves en airways, comme on appelle les couloirs aériens, nous étions les rois. Nous étions nos propres patrons et il n’était pas question de prestations ou de temps de vol maximal journalier. Je me souviens, avec Éric V. avoir fait en une seule journée un vol aller-retour Bruxelles en passant par Bâle, Salzbourg, Zurich et Le Bourget. Le tout en dessous de 10 000 pieds et à 140 nœuds de vitesse indiquée. Notre qualification IFR nous était montée à la tête