Station 21 - Saison 1 : Intégrale - Emily Chain - E-Book

Station 21 - Saison 1 : Intégrale E-Book

Emily Chain

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Beschreibung

L'avenir de la Station 21 ne tient plus qu'à un fil...

L'avenir est sombre pour la Station 21. En plus d'avoir un métier éprouvant, les ambulanciers doivent se battre pour conserver leur indépendance et la qualité de leurs services. La passion habite les ambulanciers, dans leur travail.... mais aussi dans leur vie privée.
Ils sont prêts à tout pour sauver la Station 21, et tous leurs proches et les êtres qu'ils aiment.

Découvrez dans cette édition inédite les cinq premiers épisodes de la première saison de Station 21 ! Plongez dans le milieu ambulancier grâce à la plume addictive d'Emily Chain, qui vous réserve bien des surprises...

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Une fois que vous avez commencé votre lecture vous ne pouvez plus vous en passer..." - Addy84

"Je vous conseille ce petit bijou d'adrénaline, qui offre une histoire pleine d'action." - Marine_bookine

À PROPOS DE L'AUTEURE

Âgée de 22 ans, Emily Chain écrit depuis toujours et dans des styles assez diversifiés : des récits fantastiques aux thrillers en passant bien sûr par la romance. Elle s'intéresse à des personnages auxquels les lecteurs peuvent s'identifier facilement. Elle est l'auteure aussi des sagas L'interne et Aux délices d'Amsterdam.

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Aux ambulances Martin, merci pour le temps accordé pour cette saga. Passer du temps avec vos équipes était nécessaire pour comprendre à quel point votre métier est méconnu et important.

PROLOGUE

Le son des cloches, plus précisément du carillon, reste le souvenir le plus marquant de cette journée. Dans ma longue robe noire, je me rappelle avoir attiré l’attention et pourtant je n’étais personne. Son épouse m’a offert plusieurs regards sous le rideau de larmes qu’elle essuyait régulièrement. Son fils était à côté d’elle. Elle serrait sa petite main fragile comme une bouée de sauvetage. Le veuvage l’avait rendue extrêmement maigre et j’ai senti une pointe de culpabilité s’installer.

Mon chignon haut et bien plaqué me donnait un air plus sévère qui n’allait pas avec qui j’étais. Plusieurs collègues m’attendaient sur les premiers bancs de l’église, mais ma démarche était si lente que je tardais à les rejoindre. À chaque chant du groupe gospel demandé pour l’occasion, je me remémorais un moment vécu avec lui.

Son cercueil comme seule vision.

Le premier souvenir concernait notre dernière balade dans notre parc favori. Il venait de s’acheter des chaussures selon lui révolutionnaires et je l’avais mis au défi de me montrer des prouesses avec. Sauf que comme toujours, il avait simplement écouté le baratin d’un bon vendeur.

— Arrête de courir !

Il était à bout de souffle lorsqu’il posa ses paumes sur ses genoux, crachant ses poumons.

— Comment peux-tu soulever de la fonte et ne pas tenir plus de 5 km ? avais-je lâché en continuant à trottiner sur place pour ne pas perdre le rythme.

— Personne ne peut... attends ? Que 5 km ? Tu es sûre ?

J’avais ri avant de fixer le compteur à ma montre. Si j’avais voulu être 100 % honnête, je lui aurais précisé que c’était plutôt du 4,6 km. Mais il avait l’air déjà assez dépité de ne pas tenir plus avec ses merveilles aux pieds.

— Tu as pris une assurance « satisfait ou remboursé », j’espère ? raillai-je.

Il m’avait fait des gros yeux avant de tourner la tête de droite à gauche. Sans lire dans ses pensées, je savais pertinemment ce qu’il voulait. Le rythme de mes pas s’amenuisait alors qu’il me tendait la main. Je l’avais prise et m’étais laissée entraîner derrière un amas de buissons. Un chêne centenaire nous servait d’abri tandis qu’il poussait mon dos contre son écorce. Malgré son manque de souffle, le baiser qu’il m’offrit fut délicieux et je posai rapidement mes mains derrière sa nuque pour profiter de notre étreinte improvisée.

— J’ai tellement envie de toi...

Sa respiration faisait bouger ma mèche avant qu’il ne recule. Je ne pouvais que partager son désir, mais nous allions bientôt commencer notre garde et je ne souhaitais pas répondre aux regards éloquents de nos collègues si nous arrivions tous les deux en retard dans un drôle d’état.

Ses lèvres parcoururent une dernière fois mon cou avant de s’éloigner.

*

Le souvenir se fige sur cette sensation et je pose mes doigts à l’endroit même où quelques jours plus tôt il déposait un baiser fiévreux sur ma peau. Mon annulaire droit porte une bague très discrète qu’il m’a offerte quelques semaines auparavant et je ne peux m’empêcher de revivre ce moment en la touchant de l’autre main, tandis que j’avance encore un peu dans l’allée.

*

— Si le patient n’a pas besoin d’ambulance, s’il te plaît, on reste ?

— Tu sais très bien que non.

Rick n’était jamais le binôme qui rechigne à la tâche. Il adorait d’ailleurs exercer les gardes qu’il considérait diversifiées et pleines d’adrénaline. Sauf que ce soir-là, il n’avait d’yeux que pour la foire que nous traversions pour trouver notre jeune patient. Selon l’appel, il s’agissait d’une crise d’angoisse plutôt compliquée et qui pouvait s’avérer proche d’une épilepsie non diagnostiquée encore.

— Juste un tour de manège ou de la barbe à papa !

J’avais levé les yeux au ciel face à son insistance avant de prendre une minute pour comprendre ce qui le poussait à être aussi lourd.

— Qu’est-ce que tu as avec les fêtes foraines ? Pourquoi tu les aimes autant ?

— Pourquoi tu ne les aimes pas ? avait-il répliqué le plus simplement du monde.

J’avais sans hésiter répondu :

— Ma mère m’avait promis de m’y emmener avant de mourir. Elle ne l’a pas fait. Je n’y suis donc jamais allée.

Ma réflexion était glaçante et il n’avait rien trouvé à redire.

En arrivant à l’endroit où notre patient devait nous attendre, une jeune femme nous expliqua qu’il était parti à peine l’appel passé avec sa mère pour rejoindre les urgences. Avant même de pouvoir remercier cette inconnue, Rick se mit à danser sur place en parlant d’un destin chanceux. Je n’avais donc pas le choix.

— Un seul tour de manège ou une attraction et après on part !

Il avait acquiescé et s’était précipité sur un stade de tir. Je n’avais même pas eu le temps d’arriver qu’il avait déjà commencé à viser les ballons pour gagner des lots idiots. En quelques minutes, il avait atteint suffisamment de points pour choisir son cadeau. Il hésita longuement avant de prendre une petite boîte nacrée. Sa femme allait encore une fois être couverte de bijoux, avais-je pensé en retournant vers notre ambulance. Ce n’est qu’une fois arrivée au parking qu’il m’attrapa par le bras pour me dire quelque chose. Il n’était pas encore à genoux qu’un raclement de gorge nous fit sursauter. Ce n’était pas naturel. On aurait cru une personne en train de s’étouffer. Presque par terre, Rick distingua les pieds d’une jeune femme au pied d’une voiture voisine. En quelques secondes, nous pûmes faire le tour et la découvrir quasiment inconsciente se tenant la gorge. Rick me lança la boîte nacrée pour se dégager les mains et se mit derrière elle pour la soulever et appuyer contre sa poitrine pour lui dégager les bronches. Il fallut plusieurs à-coups pour voir un petit morceau métallique, semblable à un bogue de bière sortir de sa gorge. Cela permit à l’air de revenir l’alimenter convenablement et sa respiration put redevenir régulière. Son teint reprit des couleurs vives et Rick poussa un long soupir de soulagement avant de m’observer la boîte toujours dans les mains.

— Impossible que tu t’étouffes avec ce cadeau, expliqua-t-il en tapotant la joue de la jeune inconsciente pour rentrer en communication avec.

J’ouvris le coffret pour découvrir une petite bague de pacotille. Elle était sûrement censée ressembler à de l’argent, mais on voyait aisément qu’elle n’en avait que l’apparence.

— Veux-tu devenir ma partenaire de fête foraine ?

Sa demande fut ponctuée par des toux de notre nouvelle patiente et je ne pus réagir avant qu’elle reprenne complètement connaissance.

*

La réponse avait été évidente à l’époque et elle l’est toujours maintenant. J’aurais voulu être sa partenaire dans toutes les étapes de sa vie. Mais même aujourd’hui, je ne suis rien. Encore moins, sa femme, qui reste Marianne. Celle qu’il n’aimait plus comme avant depuis des semaines. Celle que j’ai soutenue et aimée de mon côté. Mes doigts glissent sur l’anneau simple et pourtant si précieux qu’il m’a offert.

Une larme coule sur ma joue tandis que Nick vient à ma rencontre. Mon collègue a les yeux embrumés et paraît si malheureux. Rick n’était pas qu’un de mes proches. Il était un superbe binôme, un ambulancier hors pair et un homme généreux. Son intégrité et sa passion avaient fait de lui un être d’exception dans notre milieu.

Je renifle sous les pleurs qui s’intensifient et il pose une main sur mon épaule qu’il serre. Un geste tendre qui me ramène des jours avant.

Rick avait décidé qu’il était temps pour nous de nous aimer.

*

— S’il te plaît. Dis-moi oui !

Il était assis sur le capot de sa voiture, sur le parking de l’hôtel où nous avions rendez-vous. J’hésitais à accepter son offre. Il y avait tellement en jeu. Il n’était pas divorcé. Et je ne voulais être l’amante de quiconque. Pourtant, cela faisait des mois que j’attendais une déclaration de ce genre-là. Je devais bien avouer qu’il était sacrément sexy dans son t-shirt gris et son jean bleu. Il avait un corps de rêve et un sourire charmant plaqué sur le visage. Malgré tout, j’hésitais toujours.

— Tu veux vraiment mourir avec des regrets ?

— Je...

Nous vivions avec le poids de la mort chaque semaine et il savait très bien que j’étais réceptive à ce genre de phrase. Néanmoins, je n’avais aucune envie de passer outre mes principes pour mon simple plaisir.

— Je ne peux pas lui faire ça, avais-je marmonné.

— Elle est consciente que c’est terminé. Tu ne lui feras absolument rien. On doit se lancer si on veut savoir ce que nous réserve l’avenir.

Il n’avait pas tort et je l’avais suivi juste après ça.

À peine arrivée dans la chambre, je ne pouvais pas regretter.

Rick n’était pas du genre à faire les choses à moitié. Hors de question pour nous de faire ça dans une simple chambre d’hôtel bas de gamme. Il n’avait pas voulu m’emmener dans un lieu miteux. Lui, c’était plutôt les lits à baldaquin, les douches à l’italienne et le jacuzzi sur la terrasse.

Il ne m’avait jamais laissé penser que j’étais une amante d’un soir. Notre relation n’avait rien à voir avec ça.

— Tu devrais te mettre à l’aise, avait-il dit tout de suite.

J’avais frissonné en me retournant pour l’apercevoir à moitié nu, une simple serviette sur les hanches. En cinq minutes dans la salle de bain, le temps que je découvre la suite incroyable qu’il avait réservée, Rick s’était transformé en Apollon. J’avais, de mon côté, à peine posé mon sac à main sur une chaise à l’entrée.

Heureusement que j’avais tout de même prévu ce scénario en venant au rendez-vous et je ne me trouvais pas vêtue de mes sous-vêtements les plus horribles. Même si je suis sûre que j’aurais pu choisir plus attrayant. Néanmoins, Rick n’eut pas l’air d’y prêter attention et ma robe tomba sur le sol, bien vite rejointe par le reste pour nous laisser profiter de ce que nous n’avions jamais pu avoir avant. Si chacun de ses baisers était gravé dans ma mémoire, je me souvenais surtout de son regard intense en se mettant au-dessus de moi. Ses lèvres charnues rougies par nos échanges langoureux et ses hanches s’avançant en saccade pour m’offrir petit à petit le plaisir que j’attendais.

Sa main droite m’aidait à monter doucement au septième ciel avec lui. Cette nuit-là fut intense. Pas une seule fois nous ne pûmes reprendre notre souffle. Nous avions tant de désirs l’un pour l’autre que nous ne pensions pas à dormir. Les heures nous étaient comptées, même si nous ne le savions pas encore.

Ce n’est que le matin, en sortant de ce doux rêve qu’un retour à la réalité brutale me remit sur le droit chemin. Nick m’attendait dans le bureau de la station et en posant une main sur mon épaule, la serrant juste ce qu’il faut pour que je sois attentive à ses paroles, il détruisit le mince espoir dans mon esprit.

— La femme de Rick est là. Elle vient lui faire une surprise pour recoller les morceaux. Tu sais où il est ?

J’avais eu envie de lui répondre « en train de se laver de nos effluves d’amour de cette nuit », mais à la place, j’avais juste secoué la tête. Rick était un homme bien et je savais qu’il ne pourrait dire non à un effort de sa femme. Un geste qu’elle n’avait pas fait avant pour éviter ce qu’il venait de se passer.

La culpabilité que j’éprouve aujourd’hui est identique à celle de ce fameux matin.

Rick n’avait pourtant pas choisi sa femme, contre toute logique, et il m’avait juré entre deux missions qu’il n’y aurait plus que nous deux à l’avenir.

Sauf que le destin en avait décidé autrement et il me fait me tenir ici, dans l’allée d’une église, face au cercueil de l’homme que j’aime, sans que quiconque le sache.

Parfois, l’avenir est cruel.

CHAPITRE 1

Le vent souffle dans mes cheveux et j’espère pouvoir enfin reprendre du service. La main sur ma veste chaude, je regarde l’eau s’échouer sur le sable. Inlassablement, elle tente d’aller plus loin, de grignoter de l’espace jusqu’à ce que la nature la rappelle à l’ordre. Dix-sept jours que j’observe ce manège et j’en deviens folle. Ma belle-mère m’a proposé de dormir chez elle le temps de mon congé et j’ai cru au départ que c’était une merveilleuse idée. Pour la première fois, le remariage de mon père allait pouvoir me servir positivement. Tout du moins, c’était ce que je m’étais imaginé avant de me rendre compte qu’observer la mer était énervant et frustrant. Nous avons beau espérer qu’elle atteigne la côte rocheuse, c’est impossible.

— C’est comme ça, a répliqué Lily en me regardant étrangement grommeler contre ce qu’elle pense être l’un des plus magnifiques paysages au monde.

Aucun doute, cette femme est Californienne jusqu’au bout des ongles.

— Pourquoi êtes-vous venus ici déjà ? m’a-t-elle lancé le deuxième matin quand j’ai râlé contre le soleil trop brillant.

— Parce que mon père trouvait ça chouette de me déraciner à l’autre bout du pays à la mort de ma mère.

Ma réponse l’a séchée sur place et je m’en suis un peu voulu. Je n’ai plus quatre ans, mais bien vingt-sept et cela fait si longtemps qu’elle est avec lui. Elle le rend heureux et j’ai assisté à leur bonheur il y a déjà sept mois. Bras dessus, bras dessous ils ont avancé dans l’allée avant de se dire oui à jamais.

J’aime beaucoup Lily quand elle n’essaie pas de me remonter le moral. Personne n’y arrivait à part lui. Sauf que maintenant, je suis seule. Je renifle à cause de l’air marin trop fort et détourne les yeux de cette eau hypnotisante.

— Adel ?

La voix de ma belle-mère me fait soupirer, mais j’avance tout de même vers la maison pour ne pas l’obliger à venir me voir. Elle doit être prête à partir travailler et je n’ai pas envie de la déranger dans son organisation militaire.

— Tu veux que je te dépose ?

Sa proposition est adorable et en temps normal, j’aurais accepté. Je déteste les bouchons des grandes villes et je ne suis pas très patiente derrière un volant. Néanmoins, j’ai besoin de faire chaque étape de cette étrange journée seule. C’est important pour moi et la satané psychologue que j’ai vu est également d’accord. La doctoresse Van Hoover est du genre à aimer les sièges en cuir, les phrases philosophiques et son petit carnet de notes où elle y griffonne tout un tas de conneries. Elle ne sert pas à grand-chose sauf à mon retour au travail et rien que pour ça, je suis prête à endurer son charabia pendant plusieurs heures chaque semaine.

— C’est obligatoire, a expliqué Spencer, mon patron et ami depuis cinq ans.

— Je n’ai pas besoin de parler à un sombre idiot, inconnu qui se croit supérieur à moi !

Ma réponse n’avait absolument rien changé au fait que je n’avais pas eu le choix. Et c’était encore le cas aujourd’hui. Cela fait plusieurs séances que j’écoute cette inconnue pour avoir le droit de recommencer à travailler. Je ne suis pas le genre de femme à m’arrêter de bouger et j’ai déjà perdu patience face à cette eau trop parfaite pour être réelle. Le monde extérieur n’a rien à voir avec ça. Je le sais mieux que quiconque, étant ambulancière, je suis témoin de ce que nous réserve mère nature, impitoyable et imprévisible.

Je soupire et fais attention de ne pas rapporter du sable dans mes chaussures quand j’approche de la maison. Lily m’observe comme à chaque fois, d’un air peiné et compatissant. Ils ont tous l’air de croire que je suis prête à m’effondrer au sol. Spencer est le premier de cette liste et je n’arrive pas à le faire changer d’avis malgré mes tests psychologiques favorables et mon optimisme de façade. Un jour, mon patron sera rassuré et ne verra aucun inconvénient à ce que j’arrête de consulter ce charlatan.

— C’est gentil, dis-je à Lily. Mais je vais y aller seule.

Elle me sourit sans chercher à m’imposer son avis. Je sais que mon père aurait été bien moins facile à convaincre. Il est borné et têtu, des qualités dont j’ai hérité également. Même si mon ex-compagnon m’a dit que ce n’était qu’un amas d’horribles défauts. La perception est différente d’une personne à l’autre, aurait dit ma mère. À vrai dire, dans mon souvenir, elle ressemblait beaucoup à Lily, douce, attentive, à l’écoute et discrète quand c’est nécessaire. Je sais que je peux compter sur elle et qu’elle tient énormément à mon père. Depuis la préparation du mariage, il a perdu du poids, arrêté de fumer et s’est remis au sport. Je ne pensais même pas qu’il était capable d’autant d’efforts et cela ne serait jamais arrivé sans Lily. Évidemment, je n’ai jamais avoué à la belle blonde devant moi que je l’aime bien. Elle le sait vu sa façon adorable de se comporter avec moi. Les deux dernières semaines ont été tolérables en grande partie grâce à elle.

— Tu es sûre que ça ira ? s’inquiète-t-elle dans son tailleur crème.

L’une des meilleures vendeuses immobilières que j’ai pu rencontrer dans ma vie me fixe d’un air soucieux. Nous n’avons que peu d’années d’écart et si cela m’a dérangé au début, j’ai bien vite compris qu’elle était faite pour mon père.

— Douze ans, avais-je répliqué à mon père quand il m’avait montré sa trombine sur une photo.

— De plus que toi oui.

— Elle pourrait être ma sœur !

— Et presque ta mère, avait-il rajouté.

J’avais levé les yeux au ciel puisqu’à l’époque je n’imaginais pas qu’elle deviendrait en quelque sorte une figure maternelle pour moi.

— C’est gentil, Lily, vraiment, répété-je. Mais je dois le faire sans aide cette fois-ci.

Ma phrase fait référence aux nombreuses fois où elle m’a accompagnée sur la tombe de Rick. Je voulais y aller seule, mais dès que j’entrais dans la voiture, mes mains tremblaient. C’était honteux d’être obligée de demander à ma belle-mère ou mon père de m’y amener, mais je n’avais pas eu d’autres choix. Sauf qu’après plusieurs jours à ressasser toutes sortes de pensées sombres, j’ai voulu me relever. Spencer n’était pas favorable à ma reprise si rapide. Néanmoins, il a besoin de monde et n’a pas su trouver d’excuses valables pour me faire prolonger mon congé.

— Tu recommences tôt… souffle Lily de la baie vitrée.

Je regarde ses longs cheveux parfaitement coincés dans un chignon impeccable et je souris. Elle est organisée, carrée et propre. De mon côté, mes cheveux couleur paille sans décoloration se battent pour ne pas former trop de nœuds et je finis par en faire une sorte de chignon en vrac qui m’offre un visage plus aimable selon mon père. Mes yeux marron m’empêchent d’être le cliché de la jolie blonde superficielle. Mon nez a été refait plus fin que la normale, mais je ne m’en cache pas puisqu’il s’agit d’une réparation médicale liée à un accident de moto. Mon côté accro à l’adrénaline de l’adolescence que j’ai perdu en vieillissant. Mes oreilles sont si petites qu’elles n’attirent l’attention de personne. Il y a juste mon fessier sportif et imposant qui provoque des réflexions peu amènes de certains imbéciles en ville. Ma poitrine est plutôt inexistante et je le dois à la pratique intensive de sports. Je m’en fiche. Il m’aimait comme ça lui et je ne changerai rien.

Mon ventre se tord en repensant encore à lui. Si je veux survivre à la journée, il va falloir arrêter.

— Tu me déposes au parking G7 ?

Lily paraît heureuse de ma demande et me fait un clin d’œil comme réponse. Je la suis et l’aide à monter les deux maquettes des futures villas qu’elle compte vendre dans la semaine. C’est ce qui m’étonne toujours chez ce petit bout de femme. Elle peut convaincre absolument n’importe qui d’acheter un bien, sauf mon père. Je souris en me remémorant leur dernière dispute à propos d’une villa à Sainte-Marie qu’elle souhaite acquérir avec lui depuis des mois.

— Tu peux affirmer que le Bon Dieu y est, cela ne changerait rien.

Mon père a grogné ça avant de remettre son nez dans le journal. Mes yeux étaient posés sur la page principale. Les accidents du moment avaient l’air d’une violence inouïe et je trouvais ça étrange d’être sur le côté. J’ai vu des articles sur Julia et sa disparition également. Cela m’inquiète, car elle est une bonne médecin et sans elle, je ne serais pas ici aujourd’hui. J’ai eu envie d’interroger Spencer sur ça, mais cela ne sert à rien. Il n’est pas suffisamment sur le terrain pour savoir de qui je parle. Il me faudra demander au personnel des urgences pour connaître les dernières rumeurs et les avancées de l’enquête.

— Arrivée, glisse Lily devant l’entrée du parking.

Je la remercie et descends. Ma voiture n’a pas bougé d’un pouce depuis mon arrêt et je la retrouve très légèrement poussiéreuse. Je passe ma main sur la poignée et inspire.

— Je peux réussir. Femme forte un jour, femme forte toujours, soufflé-je pour moi-même.

Avant d’allumer le contact, je vérifie que j’ai mes vêtements pour le boulot. Ils sont soigneusement pliés dans le sac et je n’ai plus aucune raison pour repousser le départ. Ma voiture démarre du premier coup et je m’engage dans la circulation de la mégapole. Si j’adore la ville, je déteste la chaleur et cette façon inconsciente qu’ont les touristes de venir ici pour profiter sans limites. Mon métier serait bien plus simple si nous n’avions que les résidents à secourir. Automatiquement, je choisis le bon itinéraire et reprendre cette routine me fait bien plus de bien que je ne l’aurais cru.

Je gare ma voiture devant les immenses portes à battant et attends. Je n’aurais qu’à appuyer sur le petit bouton blanc pour appeler l’un des gars à l’intérieur, mais je préfère patienter. Encore un peu. Jamais je n’aurais imaginé devoir revenir ici sans Rick et franchir le pas, c’est comme accepter son départ. Tremblante, je pose la main sur le pommeau pour enclencher la marche arrière et fuir. Je ne suis pas prête. Spencer comprendra et…

Je n’ai toujours pas bougé que les deux portes s’ouvrent. Devant moi, la voiture de Rick. Mon cœur s’arrête et un espoir miraculeux, impossible et pourtant si important monte en moi. Cela ne dure qu’un instant et je regrette tout de suite de l’avoir eu quand je vois la femme au volant. Son visage est pétrifié et elle continue de me fixer sans savoir quoi dire. Je me sens mal et comprends que c’était une erreur. Je n’aurais pas dû venir et des larmes coulent sur mes joues tandis que je n’arrive pas à enclencher la marche arrière. La veuve de Rick sort de son véhicule et je panique. Je n’ai pas envie de l’affronter. Je ne veux pas qu’on m’impose son souvenir. Pas aujourd’hui.

Quand j’entends le déclic signifiant que ma voiture m’obéit enfin, Marianne a la main posée sur ma portière. Elle pleure aussi et il est trop tard pour fuir. Je baisse ma vitre et essaie de retenir mes tremblements.

— Je suis contente de te voir, souffle-t-elle.

J’aimerais dire la même chose pour elle, mais c’est trop dur. Elle doit le comprendre puisqu’elle reprend sans attendre une réaction de ma part.

— Je venais juste la récupérer pour que vous n’ayez pas… enfin qu’il sorte du garage, explique-t-elle.

— Ouais…

Je suis incapable de répondre autre chose que ce pitoyable acquiescement et elle me fait une faible moue compréhensive. Si on nous regardait de l’extérieur, on pourrait croire que je suis la veuve éplorée et elle la meilleure amie. Sauf que nos relations étaient déjà si complexes avant la mort de Rick. Je connais Marianne depuis l’école secondaire et nous avons tout de suite entretenu des liens incroyablement forts. Nous étions comme les deux doigts d’une main et je lui ai fait rencontrer sans le savoir Rick, le père de son enfant et surtout l’homme qu’elle a le plus aimé. C’était lors d’une soirée entre collègues. Il venait d’arriver dans le coin et je ne le connaissais que de loin. Il était extrêmement beau garçon et plusieurs femmes de la station avaient des vues sur lui. Nous étions plus d’une centaine, regroupant plusieurs stations pour les vœux de la nouvelle année et Marianne n’avait rien de prévu alors je l’avais invitée. Cela avait été immédiat de son côté. Elle avait remarqué Rick et n’avait pas lâché l’affaire de toute la soirée, finissant par obtenir son numéro de téléphone. Par contre lui et moi, nous n’avions seulement partagé des petits sourires complices et des regards insistants. Rien qui me permettait de dire à ma meilleure amie de l’oublier. Ainsi, je ne lui avais jamais rien confié sur notre attirance et j’avais pris sur moi. Ensuite, j’étais devenue la marraine de leur enfant et nous étions toujours les uns chez les autres. Moi, la célibataire rigolote et eux le couple idéal. Cela avait tenu et je n’avais jamais voulu m’avouer la vérité. Puis, Spencer a changé les binômes. Nous avons commencé à faire des gardes ensemble, je l’ai vu s’occuper des patients, leur parler et les rassurer… Mon cœur a fondu sous cette facette de lui que je ne connaissais pas. Sous la carapace, il y avait un homme passionné par son métier et j’ai adoré ça. Je crois qu’il a observé ça chez moi aussi. En tout cas, chaque nuit de garde, nous avons lutté. Je sentais qu’un jour cela finirait mal et j’étais prête à l’avouer à mon amie d’enfance. Sauf que Rick n’était pas un lâche et agissait toujours bien. Il est allé voir son épouse, ma meilleure amie, pour lui demander le divorce. Comme deux personnes incroyables, ils ne se sont pas déchirés. Elle avait constaté qu’il ne l’aimait plus comme le premier jour et elle n’avait pas envie d’une demi-relation. Rick et moi avons commencé à nous fréquenter et nous allions lui dire après être sûrs que ça marcherait. Nous étions dans cette semi-relation depuis 14 jours et 12 heures quand il a desserré ma main et rendu son dernier souffle. Marianne n’a jamais su. Je n’ai pas eu le courage de lui avouer. Au fond, j’ai été lâche parce que je n’aurais pas supporté perdre Rick et elle en même temps. Sauf qu’aujourd’hui, la regarder droit dans les yeux est compliqué.

— Heureuse de t’avoir revue… Tu devrais passer à la maison, glisse-t-elle avant de repartir vers sa voiture.

Je reste sans voix et l’observe faire une marche arrière pour me laisser entrer dans l’entrepôt. Je lui fais un signe de tête pour lui dire merci et m’avance. Elle ne coupe pas son moteur et sort juste après mon arrivée. Quand je pose le pied par terre, je vois sa plaque disparaître.

— Adel !

C’est Nick, l’un de mes plus proches collègues, qui vient vers moi. Il me prend dans ses bras et je suis surprise d’une telle effusion de sentiments.

— Tu nous as manqué, souffle-t-il.

Je ris et tapote son épaule pour lui faire comprendre qu’il peut arrêter de me serrer si fort. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, il me toise et fronce les sourcils.

— Enrhumée ?

Je renifle et réalise qu’il prend mes yeux humides pour un symptôme.

— Oh non, j’ai juste respiré les poussières de ma voiture, lâché-je. Pas très intelligent.

Il sourit et paraît accepter cette explication plutôt simple. Il désigne de la tête la tour de contrôle comme on l’appelle en haut et me glisse :

— Le chef t’attend. Il est sur les nerfs, rajoute-t-il. Tu sais qu’on doit remplacer Liss et… enfin, tu vois il y a des nouveaux, se rattrape-t-il.

— Ouais, ouais.

Spencer m’en avait parlé au téléphone et il avait l’air d’avoir eu du mal pour en trouver suffisamment. C’est à cause de ça qu’il n’a pas su refuser bien longtemps mon retour et j’en suis heureuse. Je commence à m’avancer vers l’escalier en fer quand j’entends un cri de colère.

— Ah oui, l’un des nouveaux ne s’est pas encore pointé. Il devait être là à 8 h, m’apprend Nick.

Je regarde ma montre et grimace. 8 h 45. Effectivement, niveau timing, ce petit n’est pas très bon. Il ne va pas faire une longue carrière ici s’il ne sait pas respecter les horaires. C’est une des qualités requises pour bien faire notre travail.

— Adel ?

Il me hèle d’en haut et je fixe Spencer. Grand, maigre et les cheveux grisonnants, il a dû être très séduisant avant le stress d’une telle entreprise à gérer. Il a repris les rênes de la Station 21 juste à mon arrivée et je le vois vieillir à vue d’œil.

— Prête à reprendre du service ?

Voyant qu’il n’a pas envie d’une longue réponse, je hoche la tête.

— Parfait, la 41.

Il accompagne ses paroles par un jeté de clés dans les airs. Elles tombent lourdement dans ma main et je regarde celle du VLC. Je suis toujours en ambulance normalement et je le fixe sans comprendre.

— Ton binôme ne daigne pas répondre et ils sont incapables de me dire si cela demande une ambu ! Tu y vas et tu nous tiens au courant.

J’acquiesce et récupère l’un des téléphones en charge sur l’une des tables au rez-de-chaussée. Il se met tout de suite en marche et l’itinéraire se charge automatiquement quand je tape le numéro de mon véhicule.

— Faut remonter en selle, soufflé-je en rentrant la clé dans le contact. Le moteur vrombit et j’inspire. L’adrénaline parcourt mes veines et je comprends que je suis là où je dois toujours être, dans l’action.

Je sors du bâtiment en direction de mon premier accident depuis lui, prête à tourner la page.

CHAPITRE 2

Mes doigts tapotent mon volant au rythme de la musique qui sort de la radio que je viens juste d’allumer. Être seule en voiture pour le travail est si rare que je me délecte de la tranquillité du moment. Si le nouveau, un brin en retard, n’était pas embauché, je pourrais peut-être prendre la place d’un des sièges solitaires de la Station. Leur nom n’est peut-être pas très chaleureux, mais pourtant le job au bout est génial.

Aucune contrainte, des horaires flexibles. Liberté de pouvoir être soi sans devoir s’accommoder de la présence d’un autre. Je soupire, faites que cet homme baisse les bras avant d’avoir commencé. Il y a peu de chances que cela arrive et je vais devoir le supporter quelques jours si Spencer tolère son retard d’aujourd’hui, mais un retardataire ne change pas. Il craquera rapidement et je pourrais ainsi demander à travailler seule. Les binômes, ce n’est plus pour moi.

« Arrivée à destination dans 500 mètres. »

J’arrive à l’adresse indiquée et constate qu’un simple véhicule léger ne sera pas suffisant. Avec l’expérience, on a l’œil sur ce genre de choses. Avant même de couper le contact, je vois une citadine enfoncée sur le côté et un homme d’une cinquantaine d’années debout à côté de la portière passager, les mains dans les cheveux, tétanisé. J’inspire et décide de jeter un œil un peu plus près avant d’appeler une ambulance. Dans ce genre d’accident, parfois les apparences sont trompeuses. Je me gare collée à la bande d’arrêt d’urgences et sors assez rapidement. Il est tôt et le trafic est dense sur cette partie. L’échangeur au loin est noir de monde et indique que nous allons subir bientôt un ralentissement de la circulation ce qui n’est pas une bonne nouvelle. Un embouteillage est le pire ennemi d’un ambulancier.

— Monsieur, hélé-je. Que s’est-il passé ?

J’espère qu’il a été témoin de l’accident pour en comprendre chaque étape, mais comme de nombreuses fois, il ne l’était pas. Cet homme m’informe ne s’être arrêté qu’après la collision.

— Vous êtes garé où ?

Je regarde à droite et à gauche si j’aperçois son véhicule. Sur un tel lieu, mon VLC peut déjà être un projectile ambulant qui pourrait nous rentrer dedans alors j’essaie de voir où se situe le deuxième danger.

— Je n’en ai pas. Mon amie m’a déposé avant de continuer et se garer en bas.

Il désigne les parkings que nous surplombons et acquiesce satisfait de cette présence d’esprit. Mieux vaut dégorger la scène au lieu de créer plus de risques.

— Bien, dis-je en arrivant à sa hauteur. La victime parle ?

Je m’approche de la vitre et constate par moi-même qu’elle est complètement inconsciente. Mes doigts se posent délicatement sur son cou pour essayer de capter un quelconque rythme cardiaque. Il est faible, mais présent. Ni une ni deux, je compose le numéro de la station pour envoyer une ambulance d’urgence. Notre entrepôt n’est qu’à quelques minutes et c’est le plus proche.

— Une ambu est nécessaire sur mon intervention, dis-je à peine Spencer décroche.

Avant mon départ, c’était Nadia qui répondait au téléphone. Mais comme beaucoup de personnes dans le milieu, elle a jeté l’éponge. Nos conditions ne sont pas les meilleures du monde du travail et la reconnaissance n’est pas égale aux médecins, ce qui décourage les plus jeunes. Pourtant, en creusant bien, il n’y a pas de plus beau métier. J’étais destinée à vendre des produits pharmaceutiques quand j’ai changé de voie professionnelle. Bien entendu, celle-ci ne me fait pas gagner autant que le commerce médical, mais je n’ai jamais regretté mon choix.

J’avais dix-sept ans quand mon petit ami de l’époque, Noah s’est étouffé devant moi. Je n’ai rien pu faire. Nous étions tous les deux sur le sable, à profiter des plages californiennes hors saison touristique et nous étions bien. Il s’apprêtait à me faire découvrir l’expérience de faire l’amour dans la mer quand tout d’un coup il s’est mis à convulser. Tétanisée, je n’ai rien pu tenter. Je n’avais aucune connaissance de ce qu’il fallait faire et les ambulanciers n’ont pas pu arriver assez vite. Ce soir-là, l’un d’eux m’a avoué qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour être assez réactifs. Que la première chaîne des secours, c’était eux et qu’on l’oubliait parfois.

Moi, je n’ai jamais pu. J’ai eu cette conversation en tête pendant des mois. J’ai fait mon deuil de Noah et j’ai changé de vocation. Hors de questions de vendre des produits médicaux si avant ça, des personnes restaient sur le carreau à cause de manque d’effectif.

Spencer hurle quelque chose à côté du combiné et je ne comprends pas ce qu’il se passe. Je perds patience face à l’état critique de la victime et répète :

— Dans combien de temps l’ambulance est là ?

Je suis excédée quand il réplique :

— Je n’avais aucune équipe pour toi.

Son ton est froid et je serre les dents. Le manque d’effectif est toujours vrai. Si plus de gens se sentaient investis dans le sauvetage des personnes en difficulté, nous n’en serions pas là. Au lieu de cela, les stations ferment les unes après les autres, faute de moyens pour subsister.

— Tu as dit « avais » ?

Mon esprit vient d’entendre différemment sa phrase et l’espoir renaît.

— J’ai l’ambulance, mais pas les chauffeurs, avoue-t-il.

Si j’avais pu violemment taper sur quelque chose, je l’aurais fait. Spencer est en train de me dire que les seules personnes disponibles à l’entrepôt ne sont pas aptes à conduire. Elles n’ont pas le diplôme pour. Une aberration que j’aimerais gommer dans notre milieu, mais à la place je hurle dans le téléphone des insultes avant de raccrocher. Je compose le numéro d’urgences et explique la situation pour qu’une nouvelle ambulance arrive d’une station voisine. Les délais sont malheureusement plus longs pour les autres et je remarque que la femme commence à perdre beaucoup de sang. Si son pouls est encore faible, le reste de ses signes vitaux ont l’air de chuter. Sa température corporelle semble très basse et à voir les paupières qui clignotent, elle doit être prise en charge rapidement.

— Vous pouvez lui soutenir le cou et vous assurer qu’elle ne bougera pas ?

L’inconnu acquiesce et se place derrière la patiente encore assise dans un tas de métal enchevêtré tandis que je me fraye un chemin vers la passagère.

— Vous devez la maintenir, dis-je avant d’essayer d’ouvrir la porte.

Je n’ai aucune solution pour rentrer à l’intérieur sans déplacer le morceau de ferraille et cela pourrait la faire bouger de quelques centimètres et créer des dégâts irréversibles. Mais au vu du sang qu’elle perd à sa jambe droite, je n’ai pas le choix. Je dois arrêter ça rapidement.

J’arrive à ouvrir suffisamment la portière pour m’y glisser. Mon uniforme est épais et m’empêche de sentir les bouts de verres éparpillés par milliers sur le siège passager.

— Madame, si vous m’entendez, cela va être douloureux, expliqué-je.

Je pose mes doigts sur le morceau de métal encore présent dans sa jambe et le retire. Il n’était qu’à peine enfoncé et je l’avais bien vu. Aucune chance de toucher son artère où il est placé cependant le sang s’écoule à une vitesse vertigineuse et je dois trouver rapidement de quoi arrêter l’hémorragie sans pour autant lui faire un garrot. Même si on pense souvent qu’il s’agit de la meilleure chose à faire, ce n’est pas vrai. Cautériser la plaie est idéal, mais obstruer l’écoulement est déjà une première étape. Je sors une carte fidélité de son portefeuille juste à côté de moi et la plaque contre l’ouverture de la plaie. Le foulard qui gît à côté d’elle me serre de lanière et je constate que le sang ne coule plus à flots. Néanmoins, son cas n’est pas du tout stable et je suis rassurée d’entendre les pompiers au loin. Je sors du véhicule en essayant de les apercevoir quand je comprends qu’un gigantesque embouteillage vient de nous entourer. Bloquant l’équipe de l’autre côté de la voie, impuissant.

Le matériel que j’ai dans mon VSL n’est absolument pas adapté à la situation et je regarde la femme inconsciente d’un air songeur. Je ne peux rien faire de plus pour elle et pourtant ils ne risquent pas de venir la secourir avant un moment. Je me mets debout sur la rambarde de sécurité pour être visible des deux hommes dans le camion rouge. Ont-ils seulement conscience qu’ils sont si proches de nous ? Les voitures peuvent obstruer leur vision.

Je fais de grands signes tandis qu’ils parlent entre eux. Ce n’est qu’après une bonne minute que le conducteur tourne innocemment le visage vers moi. Mon uniforme lui fait tout de suite passer mon message et il ouvre sa portière. Le camion risque d’être bloqué durant de longues minutes et ils ont l’air de penser que c’est trop. Le troisième pompier à l’arrière du véhicule écarte les portes à battant pour sortir un brancard et du matériel médical. L’espace entre les deux voies n’est pas fait que de simples barrières. Il s’agit d’un vide de plusieurs mètres et passer l’équipement ne sera pas aisé.

Je m’avance vers eux pour les aider à glisser le brancard d’un côté à l’autre tandis qu’ils amènent une échelle extensible pour traverser. L’opération est délicate, mais la circulation au point mort empêche un danger supplémentaire et au bout de quelques minutes les deux pompiers se retrouvent de mon côté avec le matériel.

— Je ne suis qu’en voiture, dis-je assez fort à l’un d’eux en revenant vers ma patiente. Je viens à peine d’arriver. Inconsciente, pouls faible. Choc frontal et ouverture importante sur la cuisse. Possible écrasement du thorax par le volant. Le véhicule est dans un sale état.

Le pompier qui paraît le plus aguerri boit mes paroles tandis que l’autre s’active à ramener le matériel proche de la voiture accidentée. Les usagers ne lui laissent que peu d’espace et il arrive un peu en retard sur son collègue.

— Nous prenons le relai, déclare celui-ci. Sinus est médecin urgentiste et nouvelle recrue chez nous, explique-t-il en désignant le jeune homme qui s’approche avec le brancard.

Cette information, quoique rassurante, ne m’empêche pas de vouloir rester. Sauf que cela ne sert à rien. La voiture des pompiers a été envoyée sur place et je n’ai plus rien à faire ici.

Je préfère néanmoins rappeler Spencer pour l’avertir de la situation.

— Ramène tes fesses ici, j’ai un idiot à virer !

Sa politesse légendaire ne me fait pas sourciller et je récupère mon VSL garé non loin tandis que la femme est prise en charge par mes deux collègues.

Si aujourd’hui notre échange a été cordial, cela n’est pas toujours le cas. Certaines stations de pompiers ne nous considèrent pas comme des leurs. Et une situation comme ça leur donne raison. J’ai envie de comprendre ce qui a pu empêcher ma Station d’envoyer une ambulance. J’ai vu plusieurs de nos camions prêts à partir ce matin. Ce n’est pas possible de continuer à stocker des véhicules sans les sortir. La population compte sur nous.

Je me frotte les yeux en réussissant enfin à me dégager de la route tandis qu’une voiture traverse sans faire attention devant moi. J’ai envie de klaxonner face à sa bêtise quand je vois le portail de notre entrepôt. Ce n’est pas le moment de partir à la poursuite d’un chauffard fou même si malheureusement un jour il sera sûrement le responsable d’une façon ou d’une autre d’un de nos appels.

Je rentre ma voiture sur la place vide à côté du bureau et tends l’oreille. La voix de Spencer s’élève et un jeune homme dont le cou est marqué en grande partie par des tatouages sort en trombe.

— Si vous n’avez besoin de personnes, je me casse ! dit-il tandis que je descends de la voiture. Mais ne soyez pas étonné que votre affaire coule si vous n’acceptez pas un chauffeur en plus !

Je fronce les sourcils en détaillant un peu plus cet homme furax qui est suivi de près par mon patron.

Grand et maigre, les cheveux rasés sur le côté et une peau ambrée, il a l’air de ne pas avoir passé la trentaine. Deux piercings sur le haut des oreilles et une barre traverse son sourcil pour donner une touche mauvais garçon qui va bien avec son beau sourire, même si crispé sur le moment, et ses yeux bleu azur.

— Qui me dit que vous n’avez pas volé ou contrefait votre diplôme ?

Spencer est plutôt dur avec l’inconnu qui n’a pas l’air d’apprécier. Il pivote et lui fait face alors qu’il termine de descendre les escaliers. Aucun des deux hommes ne se démonte et un duel de regard s’engage. J’observe les deux énergumènes se jauger tandis que Nick arrive près de moi. Il a l’air en sueur et je lui jette un rapide coup d’œil, intriguée.

— La mamie du cinquième en haut avait encore une crise, explique-t-il. Avec Owen, on a préféré intervenir directement.

— Owen était là, claqué-je. Pourquoi n’êtes-vous pas partis quand j’ai demandé une ambu ?

— Il n’a plus le droit de conduire depuis... tu sais. Et tu es au courant que je n’ai pas le diplôme pour de mon côté.

J’acquiesce sans rien dire de plus. Le fait que Nick n’a pas pu terminer complètement sa formation pour être apte à piloter une ambulance est un sujet délicat ici. À vrai dire, il pourrait la reprendre, mais quelque chose l’en empêche. Du temps de Nadia, elle avait essayé de l’inscrire, mais il lui avait été impossible de le faire. Un problème de papiers et de noms. Nick avait promis de s’en charger. Sauf que cela faisait déjà trois ans. Ne le voyant jamais conduire, je suppose qu’il a tout simplement peur de le faire et n’arrive pas à nous l’avouer.

Nick fait plus d’un mètre quatre-vingt, barbe de trois jours et sourire gamin. Il aime les soirées bières et pizza entre collègues et squatte souvent les chambres ici pour ne pas avoir à retourner dans son quartier qu’il décrit comme pourri.

Je n’ai aucune idée d’où cela se trouve. Je ne connaissais que Rick intimement. Les autres, même s’ils sont mes amis, restent surtout des collègues de travail avec lesquels les limites de notre vie privée sont posées.

— Vous disiez avoir extrêmement besoin d’employés, mais vous me virez sans même un essai ?

Spencer se met à rire avant de répliquer :

— Vous avez vu dans quel état vous venez le premier jour d’un nouvel emploi ! Nous ne sommes pas des vendeurs à la sauvette !

Nick grimace tandis que j’avance d’un pas par réflexe. Pourquoi est-il aussi dur avec ce jeune et comment peut-il lui refuser un poste dont nous avons extrêmement besoin ?

— Spencer !

Ma voix fait tourner la tête des deux hommes dans ma direction. Je ne baisse pas les yeux et croise mes bras sur ma poitrine pour lui montrer que je ne suis pas non plus de bonne humeur.

— Comment est-ce possible de ne pas avoir une de ces fichues ambu dehors ? Et lui c’est qui ?

L’inconnu s’apprête à se présenter quand Spencer le pousse pour descendre et s’avance vers moi.

— Je n’ai aucun chauffeur avec binôme, Adel. Et tu n’as apparemment aucune envie de travailler avec quelqu’un alors j’ai...

Sa réflexion me pique et je me rebiffe.

— Je n’ai jamais dit que je refusais de faire équipe avec quelqu’un.

Tout du moins pas officiellement même si je le pense très fortement.

— Pas besoin. La psychologue a remis un rapport préliminaire où tu mentionnes ne pas vouloir reprendre un travail en binôme dans les mois prochains.

Je serre les dents. A-t-elle le droit de dévoiler de tels détails ? Est-ce du bluff de la part de mon employeur ?

— J’aurais pu amener une ambulance, lâche le petit jeune.

Je me décale sur le côté pour l’observer. Son air fier est agaçant et son allure n’a rien d’un ambulancier, Spencer a raison.

Néanmoins, il est peut-être compétent.

— Tu as les diplômes pour ? L’expérience ? La motivation ?

Il acquiesce pour chacune de mes questions ce qui m’amène à dévisager Spencer, debout devant moi. Il soupire plusieurs fois avant de répliquer :

— Je n’ai pas envie d’avoir un collégien dans mon entreprise. Il n’a pas encore passé sa crise d’adolescence avec cet accoutrement !

Visiblement, Spencer n’est pas emballé par ce que dégage le nouvel arrivant. Pour ma part, je ne trouve pas que cela choque. Rick avait bien des tatouages sur le bras et jamais personne ne le lui a reproché. Effectivement, sur cet inconnu cela offre une sorte de carte de visite « je sors de prison », mais les apparences peuvent être trompeuses.

Puis, la Station a besoin de chauffeur. Aucune chance de pouvoir tenir les appels sinon.

— Tu as déjà bossé ?

— Pas en tant qu’ambulancier, avoue-t-il.

— Jamais conduit sous la pression alors ?

— Oh que si, grommelle Spencer avant même l’intéressé.

Je fronce les sourcils. Que veut-il dire par là ? Nick hausse les épaules, sans trop savoir ce que cela signifie. Je fixe à tour de rôle les trois hommes à mes côtés en cherchant à comprendre les sous-entendus de mon patron et les yeux tout d’un coup baissés de l’inconnu. Mais au lieu de vouloir saisir comme toujours les dessous des conversations, je suis mon instinct.

— Superbe !

Mon exclamation surprend tout le monde, notamment le jeune.

— J’ai besoin d’un nouveau binôme, dis-je dans l’idée de contredire les dires de mon idiote de psychologue. Si tu sais conduire, on pourra s’entendre. Il me semble que la médecine du travail m’interdit de prendre le volant quelque temps, non ?

Ma question est purement rhétorique et un appel nous coupe dans notre élan. La tête d’Owen apparaît dans l’une des fenêtres de l’étage et il se met à hurler qu’il faut une ambulance d’urgence. Je n’hésite pas et me lance sur les clés. Je choisis le camion le plus près et d’un coup de poignet envoie le jeu sur le nouveau. Il les rattrape d’un geste aisé et observe la petite plaque.

— A76. Regarde les immatriculations !

Il comprend alors que l’indication correspond au dernier chiffre de la plaque et que le A désigne les ambulances.

— Démarre, crié-je en récupérant le téléphone GPS du camion.

Spencer me suit et je pousse un soupir face à ses réprimandes si prévisibles.

— Tu ne connais rien de cet homme et crois-moi, tu n’aurais pas confiance en lui si...

— Je n’ai confiance en personne Spen... Mais sache une chose, je ne suis pas revenue pour voir des gens mourir à cause d’un manque d’effectif. Si tu me laisses gérer le nouveau, à la fin de ma période d’arrêt conducteur, il sera prêt à prendre un autre binôme. C’est bénéfique pour tout le monde et s’il a déjà piloté dans un état de stress il est parfait pour le poste. Cela n’arrive pas par dizaines de vagues pour travailler ici. Personne ne se bouscule pour nos conditions alors soit on dit oui à cet homme soit on met la clé sous la porte.

— J’ai d’autres candidats.

— Que tu vas prendre j’espère !

— Je ne sais pas.

— Tu ne sais pas ? L’entrepôt est presque vide ! On n’a pas le choix. Faut recruter même s’ils n’ont pas un niveau parfait. Même si leur expérience est quasiment nulle, nous devons embaucher et si Nick et Owen doivent former sur le tas comme moi, ce n’est pas la mer à boire.

Je monte dans le camion sans attendre une réponse de sa part et branche l’appareil GPS pour nous guider. Les yeux perçants de mon patron me suivent durant toute la marche arrière avant que mon nouveau coéquipier sorte brillamment le camion en quelques secondes.

— C’est quoi ton nom ?

Je l’interroge tandis qu’il s’infiltre dans la circulation.

— C’est important ?

Je souris. Pourquoi me fait-il penser à lui ?

— Pas vraiment, je suppose, mais c’est plus simple pour t’appeler.

— S alors. S c’est bien.

— C’est court et facile à se souvenir, noté-je pour lui montrer que je ne vais pas chercher à en savoir plus.

Au contraire de mes autres collègues, je ne suis pas intrusive. Je ne l’ai jamais été. Peut-être pas assez d’ailleurs.

La joue collée contre la vitre, mes souvenirs m’emportent ailleurs.

CHAPITRE 3

Quelques semaines plus tôt

J’ai envie de lui demander ce qui le tracasse, mais je n’ose pas. Il est sur le point de quitter sa femme. Ma meilleure amie... Cela ne doit pas être évident de passer la journée assis à côté de moi sans en parler par respect envers elle et moi à la fois. En tant que collègue et binôme depuis un moment, je devrais pouvoir l’écouter s’épancher à propos de ses soucis conjugaux. Je pourrais même être de bon conseil. Si seulement je n’étais pas amoureuse de lui.

— On termine plus tôt aujourd’hui, note-t-il en regardant notre dernière course.

Je ne dis rien. J’ai vu dès notre dernier tour à l’hôpital que nous finirions plus tôt. Pendant tout le trajet, j’ai imaginé ce que nous pourrions faire des quelques dizaines de minutes supplémentaires dans notre journée. Mon imagination s’est révélée extrêmement prolixe et j’ai perdu le fil des rues autour de nous. J’ai oublié notre réalité pour nous en créer une nouvelle.

— Je te ramène toujours chez toi ?

— Oui. Marianne est en réunion jusqu’à dix-neuf heures alors pas de soirées filles.

Préciser ce détail n’est pas anodin et je me mords l’intérieur de la joue quand j’ai prononcé ça. Je ne suis pas une mauvaise copine. J’aime du plus profond de mon cœur ma meilleure amie. Néanmoins, je suis également amoureuse de son époux et cette situation est horrible à vivre. Si je pouvais effacer les sentiments que j’éprouve pour Rick, je le ferais. Sauf que c’est impossible.

— D’accord. Ta voiture sera réparée vendredi ?

— Normalement oui, murmuré-je aussi soulagée que déçue de ne pas le voir relever l’information comme quoi Marianne ne nous attend pas ce soir.

Suis-je un monstre de penser tout de suite ça ? Probablement. La tête appuyée sur la vitre, j’essaie de ne pas montrer ma déception. Sauf qu’elle est grandissante et ne s’améliore pas quand nous descendons de l’ambulance, arrivés à la station.

— Il est toujours aux aguets quand tu débarques celui-là.

Je relève les yeux en sortant du camion pour regarder de qui parle mon binôme, même si je sais pertinemment de qui il s’agit. Selon Rick, Nick me désire. De mon côté, je ne vois qu’un collègue et ami qui se préoccupe de ma santé, une attitude dont Rick pourrait s’inspirer, cela ne me déplairait pas.

— Arrête avec ta jalousie à deux balles.

J’ai lancé ça sans trop réfléchir et observe les alentours pour être sûre que personne d’autre n’a pu entendre ma phrase. Heureusement pour moi, cela n’est pas le cas. Le plus proche de nous est justement Nick, le sourire aux lèvres.

Le beau brun, plus jeune que Rick, est taillé à la perfection selon les gloussements des femmes lors des interventions. Notre uniforme est plus arrangeant pour son physique grand et fin, je ne doute pas de son sex appeal important, pourtant il ne m’attire pas. Il est possible que je ne puisse le voir correctement à cause de la présence de Rick. Mais c’est surtout parce qu’il est trop près de moi. Chaque jour, je l’observe draguer et fanfaronner autour de nos patientes. Il est doux, silencieux et à la fois taquin. Un excellent ambulancier et un collègue adorable avec qui je n’ai été en binôme que quelques fois. Je m’avance d’un bon pas vers lui pour m’enquérir de ce qu’il souhaite me dire. Rick me suit. Il est collé à mes talons ce que j’ignore. S’il veut jouer à l’indifférent devant les autres, il n’a pas fini.

— Nick, m’exclamé-je, d’un ton un peu trop aigu pour que cela soit naturel.

Ma fausse joie semble prendre avec lui et son sourire s’élargit.

— J’avais espéré que... Tu sais, il y a le bal des pompiers et nous venons à chaque fois leur rendre visite pour montrer qu’on est...

— Aimable ?

J’ai envie de l’aider à terminer ce laïus qui semble lui coûter et avec lequel il n’a pas l’air très à l’aise. À son expression contrite, il n’est pas très fier de sa prestation. Les discours n’ont jamais été le point fort de mon collègue.

— Tu veux dire, être ta cavalière ?

Je lui arrache les mots de la bouche pour les mettre dans le bon ordre.

— Exactement.

Il est soulagé et détendu de me voir comprendre aussi facilement. Je souris et m’apprête à accepter quand Rick intervient.

— Pardon, mais je lui ai déjà demandé. Marianne déteste les bals et qui de mieux que sa meilleure amie pour m’accompagner sans risque.

Coup bas pour nous connaissant notre situation, néanmoins, je ne laisse rien paraître. Nick ne pourrait pas comprendre que je le prenne mal. Prise au piège de ses paroles, je reste silencieuse.

— Oh...

Sans trop savoir pourquoi, la réaction de Nick et la façon dont son visage se décompose devant nous me font mal au cœur. Je ne ressens que de la pure amitié envers lui, mais je me désole de le voir souffrir par ma faute.

— On y va, Adel ?

Je souhaite m’expliquer avec Nick. M’excuser aussi et lui dire qu’il trouvera forcément une femme géniale pour l’accompagner, mais Rick ne m’en laisse pas le temps. D’un bon pas, il s’est déjà rendu vers sa voiture et je n’ai pas envie de courir jusqu’à chez moi.

— La prochaine fois, assuré-je sans trop y croire à Nick.

Il acquiesce, oubliant le sourire du début pour un petit signe poli de la tête. Mal et coupable, je monte dans la voiture de Rick en évitant de recroiser le regard de mon collègue. Ce que fait Rick en fixant son rétroviseur arrière, la mâchoire serrée.

— Si je ne l’adorais pas comme collègue, je lui aurais fait bouffer son invitation, grogne-t-il.

J’ai envie de rire et de m’énerver à la fois. Rick n’est pas un homme bagarreur. C’est même tout le contraire. Si un jour il se battait, ça serait pour une bonne cause sans aucun doute. Il est du genre à défendre la veuve et l’orphelin, sans chercher inutilement les problèmes.

Sauf que son attitude en plus d’être ridicule est rabaissante.

— Tu n’as rien à dire sur qui m’invite à quoi.

J’ai claqué ça d’un ton ferme et froid, agacée de le voir se comporter comme s’il m’avait passé la bague au doigt. Parce qu’en temps normal, à son annulaire c’est la marque d’une autre femme qui y figure.

— Pardon ?

Il fait comme si j’avais besoin de répéter, mais c’est faux. Preuve en est, il manque la sortie d’autoroute qui mène à mon appartement. J’ai bien envie de le lui faire remarquer, mais il relance :

— Tu as dit quoi ?

Je ne réitère pas. Je serre même la mâchoire et tout d’un coup, il se met à accélérer. Notre itinéraire vient apparemment de changer.

Je reste muette tout le long du trajet sans essayer de rentrer dans son jeu. Après tout, il ne m’a rien prouvé. Il affirme vouloir quitter sa femme, mais elle ne m’a rien confié à ce sujet. Peut-être qu’ils ont effectivement abordé cette possibilité, sans rien mettre pourtant au clair.

Il se gare sur un parking que je ne connais pas et sors de la voiture en trombe. Visiblement, il est énervé par ce que j’ai pu dire. Je le suis pour avoir la fin de notre discussion, mais il ne s’arrête pas et avance vers un bâtiment.

Je lève les yeux sur l’enseigne sans trop comprendre l’utilité de ce bâtiment. On dirait un centre de spa ou un hôtel de remise en forme. Je suis très perplexe quand je rejoins Rick déjà dans le hall.

— Bonjour Monsieur.... Madame, rajoute l’hôtesse en me voyant arriver derrière.

Nous sommes encore en uniforme même si Rick n’a plus sa veste nominative sur le dos.

— Comment vous appelez-vous ?

— Est-ce si important ?

Sa réflexion m’amuse. Il n’y a que lui pour dire une telle chose non ? Comment peut-on considérer qu’un nom n’est pas obligatoire.

— Mettez juste R sur la facture. Tenez, c’est cent-vingt pour une nuit, non ?

Il sort une liasse de billets de sa poche et la dépose sur le comptoir tandis qu’elle donne un pass, sûrement la nouvelle génération de clé.

Rick se décale vers les ascenseurs sans me regarder une seule fois. On dirait que je n’existe pas et je cherche à comprendre ce qu’il est en train de faire. Connaît-il cet endroit ? Pourquoi a-t-il changé de trajectoire sur un coup de tête pour venir ici ?

Je suis en plein questionnement quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Nous nous y glissons sans un mot l’un pour l’autre. J’ai envie de le bombarder d’interrogations, mais je n’ose pas. À l’étage suivant, un couple assez âgé nous oblige à nous rapprocher et je me sens mal à l’aise tandis que Rick a toujours la mâchoire serrée. Son énervement est hors norme. Tout cela pour Nick et son invitation !

— Bon séjour, nous glisse le couple tandis qu’ils sortent à l’étage où, semble-t-il, il faut descendre également.

Docile, je suis mon binôme jusqu’à la porte d’une pièce que je suppose être une chambre.

Quand il insère la carte, je découvre avec étonnement qu’il s’agit de bien plus. Si le prix de la nuit est assez élevé, c’est surtout pour la taille du jacuzzi dans la suite, du salon, du lit XXL et de la salle de bain incroyable.

Soufflée, je m’apprête à faire le tour du propriétaire quand Rick me colle contre le mur. Ses yeux me lancent des éclairs et je déglutis par réflexe en le voyant toujours aussi énervé.

— Ne redis plus jamais ça.

— Quoi ?

Je lui tiens tête tandis qu’il me plaque contre le mur du hall de la chambre. Je ne suis pas du genre à me laisser faire, même si le fait d’avoir sa bouche à quelques centimètres de la mienne ne rend pas l’exercice très simple.

— Tu as insinué que je n’avais rien à dire comme si je n’étais rien pour toi...

Dans le son de sa voix, je découvre avec étonnement de la peine. Est-ce possible que cette seule phrase l’ait blessé ? Pourtant c’est lui qui est à la meilleure place. Il n’a pas quitté sa femme et je suis complètement raide dingue de lui.

— Adel… je ne veux pas que tu penses que tu ne comptes pas pour moi. Jamais.

Sans le faire exprès, je pousse un soupir insolent, qui traduit à la perfection le sentiment d’être face à un beau parleur. Je n’ai plus besoin de paroles, mais d’actes.

— J’ai dit à Marianne que nous ne pouvions pas continuer comme ça et que cela devait s’arrêter. Elle souhaite qu’on discute de ça plus clairement ce week-end. C’est pour ça que tu es notre baby-sitter.