Tranches de vies - Andréa Waguener - E-Book

Tranches de vies E-Book

Andréa Waguener

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Beschreibung

Ces récits traitent avec habileté des aléas divers de la vie !

Au travers de douze histoires, ce recueil de nouvelles relate douze expériences de vie et les sentiments contrastés qui les accompagnent. Des sujets variés sont abordés, parfois sombres, dans d’autres cas plus légers, conformément à la diversité des situations auxquelles chacun d’entre nous peut être confronté. Tout n’est ni tout noir ni tout rose, mais composé de nuances. Au fil des pages, vous verrez la duperie côtoyer la confiance, l’éducation se heurter à la mode, l’homme fusionner avec l’animal. Vous comprendrez aussi que la détermination et le courage mènent à l’amour, que le viol fraye avec le harcèlement et que le tout peut finir en quiproquo. Dans certains récits, les répétitions volontaires de mots clés ou de sonorités sont autant d’interjections lancées vers le lecteur. Débuté par une note morose, le recueil se termine dans la bonne humeur, car dans toute vie, face aux aléas, des jours meilleurs existent.

Plongez-vous dans ce recueil de nouvelles subtiles et réalistes qui soulève des situations interpellantes auxquelles tout un chacun pourrait être confronté.

EXTRAIT

André posait de biais, l’œil froid. Malgré le léger flou rendu par la mauvaise qualité du tirage, Jeanne y lit de l’agacement. Qu’est-ce qui irritait son mari alors qu’autour d’eux la fête battait son plein ? L’index pointé sur l’image elle suit la direction de son regard jusqu’à toucher le visage de sa fille. Aucun doute possible, leurs yeux se croisaient. La jolie brune, aux cheveux bouclés, fraîche de ses vingt ans, empreinte de jeunesse et de suffisance fixait son père, bouche entrouverte, tête inclinée, regard en coin. Elle s’exposait avec de l’arrogance ; lui, de l’exaspération. Quant au petit copain, il admirait sa chérie, sans savoir encore qu’entre ses mains il n’était qu’un pantin qu’elle désarticulerait.
L’intensité de l’échange met la vieille mal à l’aise. Le doute, ce fichu doute présent depuis longtemps et qu’elle avait cadenassé au plus profond d’elle-même, la submerge comme une vague géante qui vient s’écraser sur le rocher de la réalité. Idiotie ou jalousie maladive ?
Progressivement, la lumière se fait en elle, elle l’aveugle, elle l’éblouit, elle la transperce, lui brûle les sens et le cœur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’origine Lorraine, Andréa Waguener est née en 1955. Elle a vécu son enfance dans le quart nord-est de la France pour s’établir adulte en région parisienne puis dans le Centre-Val de Loire. Elle obtient une licence d’Administration et Gestion des Entreprises avant le diplôme universitaire de Management des Hommes dans la Conduite de Projets. Elle nous propose ici Tranches de vies, son premier recueil de nouvelles.

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Andréa Waguener

Tranches de vies

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Andréa Waguener

ISBN :978-2-85113-952-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants causes, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avant-propos

La vie est un cadeau, dit-on. Peut-être pas pour tout le monde. Et pas toujours.

Contrairement à un gâteau, elle se coupe en parts inégales aux saveurs multiples, suaves pour les uns, gorgées d'amertume pour les autres.

Une chose est sûre:on la partage en famille, entre amis, parfois avec des inconnus. On en donne des miettes aux animaux de compagnie.

Je vous offre ces douze tranches de vies au goût de miel ou de fiel, à déguster avec apathie.On en rit, on en pleure sans pouvoir rester indifférent.

Peut-être y reconnaîtrez-vous des facettes de votre propre existence.

.

Andréa WAGUENER

C’était une évidence

Prologue

Les personnes âgées, lorsqu’elles demeurent seules, s’accrochent à leurs souvenirs comme à une base fiable. Le déjà vécu, connu et assimilé se veut rassurant.

Les bons moments sont mis en évidence dans des albums photos régulièrement consultés.Les cadres suspendus aux murs ou posés sur les meubles évoquent des périodes précises de leur existence et permettent de voir encore ceux qui ont vécu à leurs côtés sans que les heures qui s’étirent au rythme lent du balancier de l’horloge comtoise en estompent les traits. Les images entretiennent la mémoire.

Bien souvent, le passé sert de valeur refuge pour ceux qui craignent d’aller de l’avant ou qui savent leurs prochains pas chancelants. Les photos anciennes sont regardées avec émotion, voire caressées. Visualiser concrètement ses réminiscences apaise et éloigne de l’anxiété que génère l’inconnu.

Mais, quand la lucidité vient éclairer la part d’ombre, le choc risque d’être rude. Tout un pan de vie peut s’écrouler.

C’était une évidence

Jeanne est seule, bien seule. Les proches qui partageaient son quotidien l’ont quittée : son conjoint André, décédé depuis plusieurs années d’un incident cardiaque, sa fille unique Capucine, qui l’avait récemment suivi, abrégeant son existence sans explication ni mot de regret.

La disparition d’un être aimé engendre une immense douleur, mais n’est rien à côté du suicide d’un enfant. La veuve avait eu beaucoup de mal à s’en remettre.

Leurs deux portraitsexposés côte à côte sur le manteau de la cheminée lui sourient et la réchauffent tout comme le feu qui crépite dans l’âtre.

Oh ! bien sûr, il lui reste quelques amies du club du troisième âge et son ancien beau-fils qui ne manque pas de lui rendre visite de temps à autre. Mais quand même… la solitude des soirées paraît pesante. Les minutes s’égrènent imperceptiblementpour faire tourner les aiguilles du carillon qui semblent figées par la mollesse de leur mouvement.

Alors, pour donner un sens aux instants qui piétinent, la veuve feuillette les albumsphotos du temps passé. Aujourd’hui, à quoi bon fixer sur papier glacé les petits riens de sa vie ? D’ailleurs, qu’y aurait-il à filmer ? Ses journées lui semblent dépourvues d’intérêt. Et puis, après elle, qui s’intéresserait au vécu de sa famille ? Personne, vu que sa descendance l’avait précédée dans le dernier voyage !

Le recueil qu’elle parcourt date de 2015. Chars colorés et fanfares en marche attestent d’un climat joyeux. Une étiquette manuscrite couronne la série de clichés : « 22 août – Comice agricole ».

La vieille femme caresse doucement le papier jauni dont l’encre s’efface. Elle a reconnu l’écriture irrégulière de son cher disparu et une bouffée de tendresse la submerge, immédiatement suivie par une profonde nostalgie. Comme elle aimerait qu’il soit encore là, assis à ses côtés, commentant les images défraîchies, lui rappelant les noms de gens parfois oubliés.

Au milieu des feuilles plastifiées, un article de presse avait été inséré. Elle le déplie. Sur la page flétrie du journal s’étalel’exposé du correspondant local agrémenté de plusieurs prises de vue. Jeanne figure en bonne place sur l’une d’elles. On la distingue nettement ainsi que son entourage.

Elle se tenait fièrement près de son époux. Fière, elle pouvait l’être. Cela faisait plus de vingt-cinq ans qu’ils étaient unis pour le meilleur et pour le pire ! Autour d’eux, la foule, des quidams, quelques personnes de connaissance, Capucine et son nouveau petit ami.

Sa fille qui s’était mise en beauté pour la circonstance affichait un air narquois aux bras de sa dernière conquête. À l’époque, elle enchaînait les histoires sans lendemain en réaction à une séparation douloureuse. Celui à qui elle avait offert toute sa confiance et plus encore, celui qu’elle avait follement aimé l’avait délaissée pour une maîtresse vaporeuse. Après une phase de dépression, les hommes, par réaction, étaient devenus ses jouets. Elle changeait de boy-friend aussi souvent qu’elle changeait de chaussures… et son armoire en contenait beaucoup.

L’aïeule observe le cliché. À maintes reprises, elle avait ouvert cet album. À maintes reprises, elle avait déjà vu ces représentations. Mais là, maintenant, quelque chose dans cette photo prise par un inconnu la chagrine. À chercher, elle finit par trouver. Elle prend conscience que dans sa cellule familiale, elle seule contemple l’objectif. Elle avait sans doute repéré le reporter et souriait béatement. Bien des années après les faits, la vieille femme scrute le visage de ses voisins. Que regardaient donc les autres ?

André posait de biais, l’œil froid. Malgré le léger flou rendu par la mauvaise qualité du tirage, Jeanne y lit de l’agacement. Qu’est-ce qui irritait son mari alors qu’autour d’eux la fête battait son plein ? L’index pointé sur l’image elle suit la direction de son regard jusqu’à toucher le visage de sa fille. Aucun doute possible, leurs yeux se croisaient. La jolie brune, aux cheveux bouclés, fraîche de ses vingt ans, empreinte de jeunesse et de suffisance fixait son père, bouche entrouverte, tête inclinée, regard en coin. Elle s’exposait avec de l’arrogance ; lui, de l’exaspération. Quant au petit copain, il admirait sa chérie, sans savoir encore qu’entre ses mains il n’était qu’un pantin qu’elle désarticulerait.

L’intensité de l’échange met la vieille mal à l’aise. Le doute, ce fichu doute présent depuis longtemps et qu’elle avait cadenassé au plus profond d’elle-même, la submerge comme une vague géante qui vient s’écraser sur le rocher de la réalité. Idiotie ou jalousie maladive ?

Progressivement, la lumière se fait en elle, elle l’aveugle, elle l’éblouit, elle la transperce, lui brûle les sens et le cœur.

Les réminiscences affluent : le brusque empressement de son conjoint à aller chez sa fille pour des séances de bricolage, sa réaction excessive à l’annonce de son mariage avec Christophe, la dépression de la jeune femme qui l’avait menée au suicide.

Toute la faute lui incombait ! Comment avait-elle pu se montrer aussi aveugle ?

La grand-mère se remémore le désarroi de Capucine lorsque son premier amour l’avait quittée. Elle ne dormait plus, ne mangeait plus. Elle était l’ombre d’elle-même, un zombi au teint pâle qui se languissait lamentablement, voûté, les épaules basses. Son métier l’avait éloignée du berceau familial, si bien qu’elle se trouvait livrée à elle-même et à son chagrin dévastateur.

Mise en alerte par son instinct maternel, Jeanne n’avait pas voulu laisser sa gamine seule dans cet état, mais occupée par ses propres obligations professionnelles, elle avait délégué son mari pour tenir compagnie à sa progéniture.

André, plus disponible, avait alors vécu une semaine chez son enfant, pour lui apporter son appui moral et l’aider à passer le cap difficile qu’entraîne un ressenti de trahison et d’abandon. Il fallait la soutenir afin qu’elle tourne la page et se reconstruise.

Après cet épisode, le père s’était avéré très protecteur auprès de sa gamine. Luiqui la portait déjà aux nues ne cessait à présent de l’encenser, vantant son courage et son mérite, ses qualités humaines réelles ou supputées. Il lui téléphonait plusieurs fois par semaine réclamant régulièrement de ses nouvelles. Il l’enlaçait tendrement à chacune de ses visites, l’appelant « ma chérie » avec émoi.

L’épouse s’en froissait, mais elle n’avait jamais osé dire quoi que ce soit de peur de paraître ridicule. Après tout, samoitié n’exprimait que de l’affection débordante.

Une mère ne peut pas devenir jalouse de sa fille. Une mère ne doit pas. Et pourtant…

Sous la cendre, les fleurs dépérissent, mais la force de la nature est telle que l’année suivante un nouveau bourgeon se dresse. La vigueur de la jeunesse fait de même.

Un an après sa rupture et après plusieurs aventures sans importance, Capucine avait présenté Christophe à ses parents. Un jeune homme bien sous tous rapports qui se voyait déjà leur gendre. Tout allait pour le mieux… sauf qu’André lui battait froid.

Jeanne avait surpris une fin de conversation entre son conjoint et sa fille.

— Mais, tu seras toujours mon papa adoré.

— Oui, mais toi, tu ne seras plus toute à moi.

Ces paroles l’avaient affreusement blessée, mais elle avait eu honte de ses pensées pernicieuses. Elle s’était cantonnée dans le déni, s’obligeant à croire qu’elle divaguait. La réponse de son époux démontrait juste un amour paternel exclusif !

Maintenant, elle veut absolument connaître la vérité.

Bien que Christophe se soit remarié, Jeanne entretient d’excellents rapports avec lui. Installé dans le même village que son ancienne belle-mère, il lui rend de menus services, changeant une ampoule ici, graissant une serrure là, entassant son bois de chauffage ou bien la véhiculant au besoin.

Elle part chez lui aussi vite que ses jambes de 80 ans le lui permettent. Entre la rue de La Poterne et la rue aux Ours, elle trébuche à plusieurs reprises, tant son agitation grandit. Heureusement, ses cannes lui évitent de belles chutes.

— Christophe, il faut que tu me dises…

— Entrez donc Mamie, vous avez l’air bouleversée.

— Excuse-moi de venir te voir à l’improviste, mais j’ai vraiment besoin d’avoir une réponse sincère. Capucine, te parlait-elle de son père ?

— Pfft ! C’est loin tout ça. Je ne veux pas vous faire de peine, mais j’ai mis certains souvenirs au placard. Et je crois bien qu’il vaut mieux qu’ils y restent.

— Je t’en prie, fais un effort, c’est important pour moi.

La vieilleessuie discrètement une larme. Christophe s’émeut de son trouble perceptible.

— Je veux la vérité, souffle-t-elle du bout des lèvres. T’es-tu posé des questions sur le comportement d’André avec Capucine ?

Gêné, Christophe inspire profondément. Il s’approche et enferme les deux mains de son ex-belle-mère dans les siennes, délicatement comme on accueille un oiseau blessé. Il éprouve un sentiment proche de la pitié.

— Je redoutais que vous abordiez ce sujet un jour. Il s’agit du passé… mais effectivement, la relation qu’entretenait votre mari avec sa fille n’était pas celle qu’aurait dû avoir un père avec son enfant. Il la câlinait de façon très pressante. J’avoue que cela ne facilitait pas notre accointance. Toutefois, je vous rassure tout de suite, si leur relation semblait litigieuse, elle n’avait rien d’incestueux. Capucine n’a pas… enfin, vous voyez… Elle l’avait gentiment éconduit sans le repousser tout à fait. Elle a pris tardivement conscience du mal qu’elle vous faisait en entrant dans son jeu. Elle m’en avait vaguement parlé. Je pense qu’il s’agit de la raison pour laquelle elle a choisi de nous quitter.

Jeanne comprend. L’incertitude l’avait empoisonnée de nombreuses années et aujourd’hui, l’évidence l’éclabousse comme un fruit trop mûr tombé de l’arbre. André, tellement proche de sa fille, n’avait pas supporté de la voir malheureuse. En la consolant, son affection paternelle s’était muée en un sentiment plus malsain. En sollicitant son aide, elle lui en avait fourni l’occasion. À se sentir désirée, la gamine avait éprouvé un certain orgueil. Elle était devenue la rivale de sa mère, ce qui justifiait son impertinence, jusqu’à sa prise de conscience, jusqu’à son suicide.

La vieille femme rentre chez elle et referme l’album photos. Elle a froid. Sans un mot, elle traîne les pieds jusqu’à la cheminée, sort les portraits de leur cadre respectif, les déchire et jette un à un les morceaux de papier glacé dans le feu, mettant fin par ce geste symbolique à toute une vie de duplicité.