TriSol - Joan Ott - E-Book

TriSol E-Book

Joan Ott

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Beschreibung

Bienvenue sur TriSol, un monde (trop) parfait.TriSol, un monde parfait. Chacun y connaît sa place, chacun s’attèle à sa tâche avec l’abnégation de ceux qui ne doutent jamais. Les scripteurs écrivent, les votants votent, les servants servent les enfants rois qui deviendront des servants eux-mêmes. Comme le songe Barnabé, le scripteur « Notre monde est tout de même bien fait ». Réfugiés d’une Terre épuisée, les TriSoliens s’appliquent à éviter les travers qui ont conduit leurs ancêtres à la perte de la planète Mère. Un régime de castes parfaitement accepté apaise les tourments de l’ambition et du désir. La perpétuation de l’espèce est préférée aux aléas d’une reproduction non maîtrisée. Les machines assurent pour tous une production de denrées alimentaires en quantité suffisante. Les années s’étirent sans heurt sous la direction des vénérables et de la Mâcheuse Sacrée, jusqu’au jour où…Joan Ott nous guide à travers les arcanes d’une société vouée au bonheur perpétuel, où libre-arbitre et passions ont depuis longtemps laissé la place à l’harmonie et à la concorde. TriSol est une forme d’utopie technologique gouverné par la rationalité la plus pure. Entre science-fiction et fable futuriste, Joan Ott nous invite à réfléchir sur ce qui fait de nous des êtres humains. À vous de donner votre réponse.EXTRAITLes cris des enfants perchés dans les arbres du parc vrillaient les oreilles de Barnabé qui, agacé, s'en alla fermer la porte-fenêtre de son bureau.Il lui fallait rendre sa copie avant la fin du jour et il n'en était encore qu'à la première partie de sa transcription qui devait en compter trois, si du moins il s'en tenait au plan initial.Mais quelle drôle d'idée, se dit-il : la règle c'est la règle, un point c'est tout !Ce jour-là, il s'agissait d'une mise à jour qui ne demandait que peu de modifications, voire aucune, mais il lui fallait malgré tout se montrer vigilant : pas question de commettre la moindre maladresse.Derrière le triple vitrage d'excellente récupération, les hululements n'étaient plus que vague gazouillis qui ne l'empêcherait pas de se concentrer.Il se remit donc à la tâche, en venant à mordre jusqu'au sang le bout de sa langue sans même qu'il en eût conscience : tout à son effort, il n'entendait, ne voyait, ne sentait plus rien.

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TRISOL Joan Ott

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PROLOGUE

C'était il y a longtemps.

En ce temps-là, une fois dans l'année, une seule fois, les trois soleils se levaient en même temps, à la même seconde, exactement.

C'était il y a très longtemps.

Mais peut-être se lèvent-ils encore, les trois soleils.

Et c'est peut-être aujourd'hui.

Et c'est peut-être maintenant.

***

Tiens, c'est joli, ça… on dirait le début d'une histoire… ou la fin.

Et entre les deux ? Entre les deux, il y aurait quoi ?

Ah ! Si j'étais moins vieux, moins fatigué, moins paresseux, je…

I

Les cris des enfants perchés dans les arbres du parc vrillaient les oreilles de Barnabé qui, agacé, s'en alla fermer la porte-fenêtre de son bureau.

Il lui fallait rendre sa copie avant la fin du jour et il n'en était encore qu'à la première partie de sa transcription qui devait en compter trois, si du moins il s'en tenait au plan initial.

Mais quelle drôle d'idée, se dit-il : la règle c'est la règle, un point c'est tout !

Ce jour-là, il s'agissait d'une mise à jour qui ne demandait que peu de modifications, voire aucune, mais il lui fallait malgré tout se montrer vigilant : pas question de commettre la moindre maladresse.

Derrière le triple vitrage d'excellente récupération, les hululements n'étaient plus que vague gazouillis qui ne l'empêcherait pas de se concentrer.

Il se remit donc à la tâche, en venant à mordre jusqu'au sang le bout de sa langue sans même qu'il en eût conscience : tout à son effort, il n'entendait, ne voyait, ne sentait plus rien.

Seule comptait désormais la feuille blanche étalée devant lui et qu'il lui appartenait de couvrir de sa plus belle écriture, pleins et déliés, capitales ornementées et coloriées à la manière gothique.

Il venait d'entamer la deuxième partie quand il se prit à songer que les trois chapitres auraient pu tout aussi bien être regroupés en un seul. En effet, les variations étaient tellement infimes qu'il fallait s'y prendre à deux fois avant de détecter la moindre différence.

La première partie concernait les devoirs des servants dans les murs. La seconde, leurs devoirs hors les murs, et la troisième s'attachait à décrire avec la même redondante précision les devoirs mixtes. Or, que ce fût dans ou hors les murs, les devoirs étaient identiques. Quant aux mixtes, ils disséquaient les attitudes à adopter en famille hors les murs ou hors les murs en famille. Les devoirs alors variaient d'un iota, mais c'était sans grande importance dans la mesure où il n'advenait que très rarement, pour ne pas dire jamais, qu'une famille servante fût amenée à en recevoir une autre ou à être reçue par elle.

Mais que m'arrive-t-il donc ? se morigéna Barnabé. Il ne m'appartient pas d'émettre quelque opinion que ce soit sur ces sujets délicats. Les votants savent ce qu'ils font. Même s'ils n'ont jamais été et jamais ne seront ni servants ni enfants rois. Pas plus que moi, d'ailleurs, songea-t-il encore dans un soupir.

En vérité, Barnabé aurait aimé, lui aussi, se voir confier l'éducation d'un de ces précieux rejetons. Mais il appartenait corps et âme à la caste des scripteurs officiels, tout comme les votants à vie appartenaient à la leur. Chacun à sa place.

Notre monde est tout de même bien fait, songea encore le scripteur, qui, à cette pensée, sentit s'évanouir comme par magie ce début d'intempestive nostalgie.

***

C'est curieux, ces mots qui me viennent… Mais ce n'est pas désagréable. Pas désagréable du tout, même. 

II

Il termina son travail tard dans la soirée et eut juste le temps de porter en courant les trois feuillets reliés encore humides de colle au Palais où les votants étaient réunis en session ordinaire.

Les flammes des trois mille torches disséminées dans les branches des arbres plantés tout le long de l'avenue de la Plénitude scintillaient comme autant de feux follets et la façade du palais des votes était, elle aussi, éclairée a giorno, comme il était de règle lorsque les vénérables siégeaient.

Il présenta son carton d'identité au gardien des portes puis passa au détecteur de papier qui reconnut la présence effective du précieux fascicule encollé, après quoi il fut conduit auprès du portefaix dont la tâche exclusive consistait à délester les scripteurs de leurs manuscrits pour les remettre à qui de droit.

Barnabé rêvait depuis bien longtemps d'assister à une session et il avait cherché à plusieurs reprises déjà, mais toujours en vain, à convaincre l'assermenté de service.

Ce soir, il tenterait sa chance une fois de plus, fermement décidé à insister autant qu'il le faudrait.

La tractation émaillée de propos sibyllins fut longue, qu'un billet de 500 doliens discrètement plié au creux de la main vint heureusement conclure, accompagné par ces mots de Barnabé : pour Elle.

Il s'en remit de bonne grâce aux deux éprouvés chargés de lui bander les yeux et se laissa mener telle une poupée de chiffon tout au long de ce qu'il imagina être un interminable labyrinthe au bout duquel on ouvrit une porte qui se referma lourdement derrière lui. Il fut libéré de son bandeau et une main ferme posée sur son épaule lui fit comprendre d'une poussée qu'il avait à se prosterner.

Lorsqu'il releva la tête, il ne vit rien tout d'abord, tant la lumière était vive. Mais après quelques secondes, ce fut l'émerveillement : il était bien dans le sanctuaire dont il avait mainte et mainte fois lu la description dans le grand livre. Les vénérables se tenaient là, debout, au grand complet, pas un ne manquait. Vêtus de leurs robes pourpres et couronnés de houx blond dont les minuscules baies jaune pâle exhalaient un parfum des plus suaves, ils souriaient, immobiles, la main gauche levée comme pour prêter serment, la main droite posée sur les lèvres en guise de bâillon. Devant chacun d'eux, la statue en faux ébène et ivoire reconstitué d'un enfant roi suçant son pouce. Autour des vénérables et des enfants rois statufiés, une marmaille hurlante jouait à lancer en l'air des dagues acérées rattrapées avec une incroyable dextérité : aucun ne se blessait jamais. Et leurs rires, leurs rires…

Alors, — ô joie ineffable, indicible satisfaction ! — il lui fut enfin donné de voir ce dont il rêvait depuis tant d'années : sa transcription déposée, comme le voulait le protocole, par l'aîné des enfants dans la corbeille d'osier où d'autres manuscrits enluminés attendaient patiemment leur tour d'être traités par la Mâcheuse Sacrée, minuscule chèvre blanche éternellement affamée qui, dédaignant les autres contributions, happa d'une lèvre avide celle de Barnabé pour l'engloutir en trois bouchées.

Il en éprouva un soulagement immédiat. Les autres fois, il lui avait fallu attendre des jours et des jours la réponse des votants dictée par la Mâcheuse : qu'elle refusât d'ingérer un manuscrit et c'était le drame ! Mais là, pas de doute, elle s'était délectée.

Dès demain, il pourrait s'atteler le cœur léger à la nouvelle tâche qui l'attendait : les droits des enfants rois. Tâche triennale, comme la précédente. Là, il s'agirait de se montrer plus prudent encore. Pour ce qui était des devoirs des servants, on ne risquait pas grand-chose, mais quand il s'agissait des droits des enfants rois, la moindre erreur devenait passible des plus lourdes peines. Le commun des mortels se plaisait à affirmer que l'erreur était bien improbable dans la mesure où ces droits absolus et universels tenaient en une phrase unique, surmontée d'un titre :

Droits des enfants rois

Les enfants rois, où qu'ils se trouvent, du jour de leur naissance jusqu'à celui de leurtreizième anniversaire jouissent de tous les droits !

Certes, le texte n'avait connu aucune reformulation depuis sa promulgation. Cependant, une seule virgule manquante, une seule capitale maladroitement ornementée, et le scripteur n'avait plus qu'à oublier ses rêves de promotion.

Il en était là de ses cogitations quand les éprouvés lui firent signe de se lever et lui remirent son bandeau. Le chemin du retour lui sembla beaucoup plus court. Très vite, il se retrouva à l'air libre, et seul devant le palais à présent plongé dans l'obscurité, signe que la session avait pris fin.

Barnabé s'apprêtait à se mettre en route quand dans son poing fermé il sentit naître une étrange gratouille. Il l'ouvrit, et le rayon de lune échappé entre deux nuages lui permit de reconnaître ce qui le démangeait ainsi : le billet de 500 doliens dont il avait eu la naïveté de croire qu'il lui avait valu d'être admis dans le saint des saints…

Il s'en retourna chez lui en proie à l'inquiétude la plus vive : la Mâcheuse Sacrée, pourtant friande de papier monnaie, avait refusé l'offrande !

***

C'est toi ? Écoute, je suis occupé, là…

Non, ne regarde pas ! C'est encore tout brouillon !

Ce que c'est ? Ben… j'en sais trop rien, mais c'est tout ce que j'ai trouvé, figure-toi : dès que jem'arrête, cet ennui… cet épouvantable ennui…

III

On s'apprêtait à fêter le premier millénaire de l'installation de l'homme sur la planète aux trois soleils.

On y avait migré après deux siècles de tergiversations auxquels étaient venus s'ajouter cinq autres, consacrés aux travaux d'aménagement. Lorsque Sol 3 — quel nom affreux ! s'étaient écriés quelques esthètes que navrait l'absence de fibre poétique des astronomes — fut enfin prête, il s'avéra qu'elle serait capable d'accueillir non pas les sept milliards d'humains que la terre comptait encore, mais tout au plus la moitié : en sept cents ans, en dépit des campagnes visant à limiter le nombre des naissances lors de la première période, et du taux de natalité dramatiquement décroissant des cent cinquante dernières années, la population totale était restée stable, contrairement aux projections les plus fines. Cette éventualité n'avait malheureusement pas été prise en compte dans les calculs initiaux qui — malencontreux oubli ou coupable insouciance — n'avaient jamais été révisés : erreur grossière, déplorable, mais après tout, humaine…

Une autre planète — baptisée Sol 2 avec le même manque d'imagination — aurait été susceptible d'accueillir les trois quarts des Terriens, mais le voyage aurait duré plus de deux siècles, ce qui était tout à fait inconcevable : l'espérance de vie plafonnait à cent ans depuis bien longtemps, et le renouvellement des générations était loin d'être assuré dans le cadre d'une transportation interstellaire. On avait donc opté pour Sol 3, qu'on espérait atteindre en une cinquantaine d'années seulement. On embarquerait certes les adultes, mais aussi les tout petits enfants qui à l'arrivée seraient dans la force de l'âge et donc immédiatement opérationnels.

Le décret fut promulgué.

Mais malgré les non-dits et les euphémismes soigneusement concoctés par les médias autorisés, certains Terriens, bien que consciencieusement abêtis par des procédés chimiques adaptés, finirent par comprendre qu'il n'y aurait pas de place pour tous.

Ces quelques nez creux s'étaient ligués et, unissant leurs supputations et leurs efforts, avaient réussi à provoquer des émeutes sur toute la planète, qui agonisait à force de ruptures climatiques, de couche d'ozone trouée et de sécheresses responsables de famines dignes des plus sombres périodes qu'avait connues l'humanité.

Tous subodoraient que les autorités mondiales s'apprêtaient à opérer un choix selon des critères tenus secrets, et personne n'acceptait d'être sacrifié.

Par bonheur, les émeutes firent tant de victimes que le premier tri se révéla inutile : lorsqu'après les interventions musclées des forces armées il fut proclamé que les survivants représentaient tout juste le nombre de ce que les vaisseaux spatiaux seraient en mesure de véhiculer, le pouvoir central décréta que les départs commenceraient dès la semaine suivante et s'échelonneraient sur deux mois selon un planning rigoureux.

Les convoqués étaient tenus de se présenter avec toute leur famille à la base de lancement de leur district, tel jour, telle heure, munis de leurs effets personnels.

Les photographies, écrits et documents de toute sorte seraient déposés au greffe de la base, puis acheminés à part, dans des vaisseaux aménagés à cet effet. Dûment dupliqués et archivés, ils constitueraient la mémoire de la planète agonisante. Les originaux seraient naturellement rendus à leurs propriétaires dès l'arrivée.

L'embarquement serait immédiat. Mais pour le cas — bien improbable — où les départs subiraient un retard, les voyageurs seraient hébergés aux frais du gouvernement mondial dans des centres de transit dotés de tout le confort nécessaire.

Les convoqués se précipitèrent en rangs serrés vers les bases de lancement, accompagnés de leur progéniture.

Avec la plus grande douceur, les adultes furent séparés des plus jeunes : une simple visite médicale après laquelle parents et enfants seraient à nouveau réunis.

Bien évidemment, seuls quelques rares spécimens adultes furent retenus. Quant aux enfants, à l'exception des moins vigoureux, ils furent embarqués à raison de trois cent mille unités par vaisseau, chaperonnés par quelques professionnels patentés chargés de leur inculquer les règles de vie qui seraient désormais les leurs tout au long de cette Iliade : ils grandiraient dûment scolarisés, puis, parvenus à maturité, ils exerceraient en simulation les activités qui leur seraient confiées plus tard sur Sol 3.

On espérait également voir naître et grandir une, voire deux nouvelles générations à bord d'une dizaine de vaisseaux équipés des dernières technologies de PAO — procréation assistée par ordinateur. Les substances préalablement mises au point par les chercheurs se révélèrent parfaitement adaptées : nul ne se rebiffa tout au long du demi-siècle que dura la transportation.

Seules quelques espèces animales embarquées dans des vaisseaux spéciaux ne survécurent pas à la grève de la faim qu'elles s'étaient imposées dès le départ, incapables qu'elles étaient — pauvres bêtes privées à tout jamais de leurs pourtant bien peu riantes prairies terrestres — de s'adapter à cette misérable vie en captivité.

La première génération humaine née à bord, bien que peu nombreuse, se révéla de bonne facture et grandit à l'abri des aéronefs qui échappèrent miraculeusement aux nuages de météorites et autres embûches susceptibles de réduire à néant cette migration interstellaire dont la science n'en était pourtant encore qu'à ses premiers balbutiements.

La seconde génération avait à peine vu le jour que les vaisseaux assolaient les uns après les autres au son d'une entraînante musique synthétique sur la piste aménagée sur le littoral de Zee, l'océan qui baignait les côtes de l'unique mais immense continent où croîtrait et multiplierait désormais l'humanité.

IV

Dès que tout le monde fut arrivé, on procéda à une cérémonie solennelle : la crémation des anciens qui, étant donné leur âge au moment de l'embarquement, n'avaient pas eu le bonheur de voir la fin du voyage, et dont les dépouilles avaient été conservées par cryogénisation dans des compartiments étanches aménagés dans les soutes des vaisseaux.