Trois rencontres - Ivan Sergueïevitch Tourgueniev - E-Book

Trois rencontres E-Book

Ivan Sergueïevitch Tourgueniev

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Beschreibung

Le mystère sans fond et le tragique du sentiment amoureux. Atmosphère irréelle et féerique, dont l'humour n'est pas absent, à la fin.

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Seitenzahl: 48

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Trois rencontres

Trois rencontresIIIPage de copyright

Trois rencontres

Ivan Sergueïevitch Tourgueniev

Passa que’i colli, e vieni allegramente

Non ti curar di tanta compania ;

Vieni, pensando a me segretamente

Ch’ io t’accompagna per tutta la via.

I

Parmi tous les terrains de chasse voisins de ma maison de campagne, celui que je visitais le plus souvent était la plaine boisée qui environne le village de Glinnoë, au centre de la Russie. C’est près de ce village que se trouvent les endroits les plus giboyeux de notre district. Après avoir battu tous les buissons et couru tous les champs des alentours, je m’enfonçais ordinairement dans un marais du voisinage, et de là je m’en retournais chez mon hôte bienveillant, le starosta[1] de Glinnoë, dans la maison duquel j’avais l’habitude de m’arrêter.

Il n’y a pas plus de deux verstes du marais à Glinnoë ; le chemin traverse constamment un bas-fond, et c’est à moitié route seulement qu’on rencontre une petite colline qu’il faut franchir. Sur le haut de la colline se trouve une propriété composée d’une seule maison seigneuriale non habitée et d’un jardin. Il m’arrivait presque toujours de passer devant cette maison au moment où l’éclat du soleil couchant était le plus vif, et je me rappelle que cette habitation, avec ses volets hermétiquement fermés, me faisait chaque fois l’effet d’un vieillard aveugle venu là pour se chauffer au soleil. Le pauvre homme est assis au bord de la route : il y a longtemps déjà que la lumière du soleil s’est changée pour lui en une obscurité éternelle ; mais il en sent néanmoins la chaleur sur son visage flétri et sur ses joues ridées. On eût dit qu’il y avait nombre d’années que cette maison était inhabitée ; une seule aile, donnant sur la cour, était la demeure d’un vieillard caduc, serf affranchi dont la haute taille était courbée par l’âge et dont la figure expressive m’avait frappé. Il était ordinairement assis sur un banc devant l’unique fenêtre de sa demeure et regardait au loin, plongé dans une méditation chagrine. Lorsqu’il m’apercevait, il se soulevait faiblement et me saluait avec cette lente gravité qui distingue les vieux serviteurs appartenant à la génération non de nos pères, mais de nos aïeux. Ce vieillard s’appelait Loukianicht (fils de Lucas). Je causais quelquefois avec lui, mais il était fort avare de ses paroles. J’appris seulement que l’habitation appartenait à la petite-fille de son ancien seigneur. Cette dame était veuve, elle avait une sœur plus jeune ; toutes deux demeuraient dans une ville étrangère et ne visitaient jamais leur propriété. Quant à lui, enfin, il souhaitait voir arriver le terme de sa carrière, « car, disait-il, mâcher, toujours mâcher son pain, cela devient triste et ennuyeux, surtout quand on le mâche depuis longtemps. »

Je m’étais une fois attardé dans les champs par un temps des plus favorables à la chasse. Les dernières traces du jour avaient disparu, la lune brillait toute grande, et la nuit s’était depuis longtemps établie, comme on le dit, dans le ciel, lorsque je m’approchai de l’habitation. Je devais passer le long du jardin : un grand silence régnait tout alentour. Je traversai une large route, me glissai prudemment au milieu des orties poudreuses, et m’appuyai contre une palissade peu élevée. Devant moi s’étendait le petit jardin immobile, tout éclairé et comme assoupi sous les rayons argentés de la lune, tout parfumé, tout humide. Dessiné dans le goût du temps passé, il ne formait qu’un seul carré. De petits sentiers droits se rejoignaient dans le centre même, et venaient aboutir à un parterre rond tout couvert d’asters enfouis dans une herbe épaisse. De hauts tilleuls entouraient le jardin d’une bordure uniforme ; cette bordure était interrompue en un seul endroit par une éclaircie de cinq à six archines qui laissait voir la moitié d’une maison basse, et deux fenêtres où je fus fort étonné de voir de la lumière. De jeunes pommiers s’élevaient par intervalles sur le terrain uni ; à travers les branches menues, on voyait se déverser sur l’azur endormi du ciel la tranquille lueur de la lune. Une ombre faible et inégale s’étendait sur l’herbe blanchâtre au pied de chaque pommier. Les tilleuls verdoyaient confusément d’un seul côté du jardin, inondés d’une lumière pâle et immobile ; de l’autre côté, ils étaient noirs et opaques. Un murmure étrange et contenu s’élevait de temps à autre des feuilles touffues ; on eût dit qu’elles voulaient appeler les passants, les attirer sous leurs ombrages. Tout le ciel était parsemé d’étoiles, qui semblaient regarder attentivement la terre lointaine. De petits nuages fins passaient par moments sur la lune, et transformaient pour un instant son éclat paisible en une vapeur translucide. Tout sommeillait. L’air tiède et embaumé n’était agité par aucune brise, mais frissonnait parfois comme une nappe d’eau troublée par la chute d’une branche. On y sentait quelque chose d’altéré. Je m’étais penché sur la palissade : devant moi, un pavot rouge élevait sa tige droite dans l’herbe épaisse ; une grosse goutte de rosée nocturne brillait d’un sombre éclat au fond de la fleur épanouie. Tout sommeillait, tout s’assoupissait mollement autour de moi ; toutes choses paraissaient aspirer vers le ciel, se dilater, s’immobiliser et attendre.

Qu’attendait donc cette nuit chaude et non endormie ?

Elle attendait un son, ce calme attentif attendait une voix vivante ; mais tout se taisait. Les rossignols avaient cessé de chanter depuis longtemps. Le bourdonnement subit d’un insecte qui volait dans l’espace, le léger bruissement d’un petit poisson dans le vivier derrière les tilleuls, le sifflement engourdi d’un oiseau qui s’agitait dans le sommeil, un cri faible et confus dans les champs, si éloigné que les oreilles ne pouvaient distinguer si c’était l’appel d’une voix humaine ou la plainte d’un animal, parfois un pas précipité et saccadé qui résonnait sur le chemin, – tous ces sons grêles, tous ces murmures ne faisaient que redoubler le silence…

Mon cœur était saisi d’un sentiment indéfinissable qui ressemblait soit à l’attente, soit au souvenir du bonheur ; je n’osais remuer. Je regardais machinalement les deux fenêtres faiblement éclairées, lorsque tout à coup un accord retentit dans la maison et roula comme une vague, répété par un écho sonore. Je frissonnai involontairement.

À la suite de cet accord, une voix de femme se fit entendre… J’écoutai avidement. Quelle ne fut pas ma surprise ! J’avais entendu il y a deux ans en Italie, à Sorrente, ce même air, cette même voix… oui… oui…

Vieni, pensando a me segretamente…

C’était bien cela, je reconnus cette musique.