Troubled Hearts - Tome 4 - Marie Anjoy - E-Book

Troubled Hearts - Tome 4 E-Book

Marie Anjoy

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Beschreibung

Malgré les années passées à essayer de se fuir, ils sont irrémédiablement faits pour se retrouver.

Nina, dix-huit ans, l’ex-petite sauvageonne courant à travers les vignes, est devenue une jeune femme séduisante. Nul ne peut le nier, ni les saisonniers du domaine et encore moins Enzo. Nina, elle, voue à ce dernier un amour sans bornes, mais Enzo lui oppose leur différence d’âge, frein à une relation autre que fraternelle. Jusqu’à l’échange d’un baiser après lequel Enzo réagit étrangement. Meurtrie, elle s’envole pour New-York et y rencontre son futur patron (plutôt très sexy...). Parfait pour oublier Enzo. Mais quand ce dernier refera surface et que leur destin sera à nouveau mêlé, parviendra-t-elle à l’aimer malgré les démons qui le hantent ?

Marie Anjoy clôture sa saga avec le dernier personnage féminin de la tribu : Nina. Avec des thèmes forts, elle nous livre un récit poignant dont les pages se tournent toutes seules!

CE QUE PENSE LA CRITIQUE DE LA SAGA

"C'est un véritable coup de cœur, une romance travaillée et addictive écrite par une auteure de talent." - Des Pages et moi
"Une histoire addictive, pleine de rebondissements" - Accro2newromance
"C'est un coup de coeur pour moi. Un roman beaucoup plus fluide et mature. J'ai adoré qu'elle mette de côté la partie érotique pour se concentrer sur le portrait complexe de ses héros. J'ai apprécié qu'elle conserve une certaine pudeur sur des séquences fortes et se concentre sur les démons intérieurs." - Gaoulette, Babelio
"Le roman est vraiment très prenant, les personnages toujours aussi attachants et Marie Anjoy, n'a pas son pareil pour nous faire passer par milles émotions." - Clementine75001, Babelio
"Le compagnon parfait pour animer vos soirées avec un soupçon de légèreté et surtout, beaucoup d’amour". - Univers littéraires, Instagram
"Marie Anjoy a su me conquérir dès les premiers chapitres et cette romance est une belle histoire où l'amour pourrait être au rendez vous." - TheLovelyTeacherAddictions, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie Anjoy vit dans le Sud de la France. Désormais à la retraite, elle était infirmière. Rêveuse, elle écrit pour son plaisir depuis l’enfance, des histoires pour faire rêver, avec de beaux happy-ends, des romances à l’image de celles qui lui permettent de décompresser après des journées difficiles.

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À tous les enfants maltraités

« Toute existence tire sa valeur de la qualité de l’amour : dis-moi quel est ton amour et je te dirai qui tu es. »

Jean-Paul II

« Toute existence connaît son jour de traumatisme primal, qui divise cette vie en un avant et un après et dont le souvenir même furtif suffit à figer dans une terreur irrationnelle, animale et inguérissable. »

Amélie Nothomb

Prologue

Enzo

— Alors, tu as choisi ta Fac ?

— Non, j’hésite encore. Plusieurs possibilités s’offrent à moi.

— Et tu penches vers quoi ?

— Mes parents aimeraient que j’intègre l’IDRAC1 de Bordeaux. Forcément. Mon oncle Robert me conseille la Sorbonne ou la PPA2, et Clémence et Suzie estiment que je devrais foncer sur la proposition de Columbia.

— Columbia ? m’étonné-je.

— Hmm, hmm. L’une des universités les plus renommées au monde, laisse échapper Nina.

— Tu plaisantes ?

— Non. Ils paient le voyage aller-retour pour que je puisse découvrir le campus et que je m’imprègne de l’ambiance. Ils me conseillent de m’inscrire au programme d’été sur certains cours et sont prêts à m’octroyer une bourse assez conséquente qui, cependant, ne suffira pas à payer l’intégralité des frais de scolarité.

— Tu as déposé ta candidature ?

— Même pas !?Ils ont approché le lycée. Il paraît que cela fait partie de leurs méthodes de recrutement, quand ils estiment que des étudiants étrangers possèdent un certain potentiel. Ils les recherchent par l’intermédiaire de leur chasseur de têtes. Mon proviseur m’a raconté l’aventure extraordinaire de deux amis contactés à dix-sept ans. L’un d’eux déclina la proposition, contrairement à l’autre qui lui connut une carrière fulgurante dans le milieu du basket. Une anecdote qui date d’une quinzaine d’années.

— Mais toi, tu n’es pas sportive pour deux sous ?!

— J’ai d’autres talents et un cursus scolaire en béton, il me semble, me rétorque-t-elle, sensiblement agacée par mes propos. Et Monsieur Duquin m’aidera à élaborer mon dossier d’admission. Et heureusement qu’ils ne cherchent pas que des sportifs !

— Tu es prête à quitter Bordeaux, ta famille ?

— Tout dépend.

Assis côte à côte sur les marches menant à la terrasse de la propriété de Castelgraves, nous suivons du regard le ballet des ouvriers agricoles dans les vignes.

Je me tourne vers elle et nos regards se croisent. Le sien soutient le mien, dérive sur ma bouche, et le souvenir du baiser qu’elle m’a arraché dans un moment de faiblesse, lors d’une soirée arrosée, me revient.

— Et tout dépend de quoi ?

— La bonne question est : de qui ?

— Ninette !

— Oh, arrête avec ce surnom ! Et ne m’appelle plus Nine non plus, je ne suis plus une gamine !

Effectivement. À dix-huit ans, Nina possède tous les atouts physiques d’une belle jeune femme : poitrine généreuse, formes voluptueuses, jambes interminables, sourire ravageur, yeux d’un bleu profond et chevelure brune contrastant avec son teint d’albâtre. Tout pour séduire un homme. Moi-même, je suis sous le charme de cette ancienne gosse irritante, mademoiselle « Et pourquoi », qui me collait aux basques et que je renvoyais à ses poupées pour profiter de ma vie d’adolescent. Mais entretenir une relation avec elle est inenvisageable. Pas à cause de ces neuf ans qui nous séparent, mais parce que je tiens trop à elle pour l’entraîner dans ma vie compliquée encore troublée par mon passé3. Jamais je n’aurais dû m’abandonner à l’embrasser, à l’étreindre, à partager quelques caresses. Sauf que ce soir-là, totalement déboussolé par l’attrait de son corps ondulant contre le mien dans une danse bien trop sensuelle, j’en avais oublié les liens qui nous unissent.

— Nine, on ne va pas revenir là-dessus ?! Toi et moi… Je suis trop vieux.

— Ah oui ? Mais pas pour Chloé ? me coupe-t-elle, furieuse.

En se levant brusquement, elle m’offre une vue imprenable sur sa petite culotte lorsque mon regard s’égare sur ses cuisses à hauteur de mes yeux. Je les détourne aussitôt, gêné, et soupire.

— Chloé… Tu ne peux pas te comparer à elle, asséné-je en me redressant à mon tour pour la toiser de mon mètre quatre-vingts.

— Et pourquoi ? Nous avons le même âge, à un an près, que je sache.

Bon sang, miss « Et pourquoi » est de retour !

— Tout simplement parce que je ne fais que la baiser. C’est tout ce que désire cette nana très très délurée… Et merde, je ne vais quand même pas discuter avec toi de mes préférences sexuelles ?! m’agacé-je.

Elle me fixe, bouche ouverte.

— Bien. Et si je te disais que moi aussi j’ai envie d’être délurée, tu acceptes de me… baiser ?

— Nine, ne sois pas grossière, cela ne te va pas, grondé-je.

— Si je dis « coucher avec moi », c’est mieux, alors que toi, tu peux être vulgaire ?

— On ne peut pas faire ça. Ce baiser… J’étais passablement saoul, Nina… Je t’ai dit le regretter.

— Mais moi non, parce que je t’aime, Enzo, depuis…

— De purs fantasmes d’adolescente. Tu es belle, intelligente et… Je ne suis pas un mec si bien que ça.

Le regard voilé de larmes, elle se tourne vers Max, la dernière recrue de Suzie, la petite vingtaine, qui court après tout ce qui porte une culotte, et qui vient de l’interpeller. Je me renfrogne. Je n’aime pas quand les employés lui tournent autour avec des idées indécentes en tête. Nina mérite mieux que tous ces mecs aux envies triviales.

— Si tu veux mon avis, tu devrais écouter Robert et choisir la Sorbonne. Et tiens-toi loin de ce Max, ordonné-je en dévalant les escaliers.

— Tes conseils, tu peux te les mettre où je…

— Nina ! s’exclame Suzie derrière notre dos.

Je m’éloigne en riant à l’idée du sermon qui l’attend ; Suzie, connue pour user d’un langage ordurier dans ses éclats colériques, est mal placée pour cette leçon de morale. Arrivé à hauteur du jeune coq qui se pavane, je lui intime à voix basse, ne souhaitant pas être entendu, d’oublier Nina.

— Pourquoi ? Tu as des vues sur elle ?

— Fiche-lui la paix si tu ne veux pas avoir affaire à moi.

— Oh ! Chasse gardée ! insiste-t-il.

— Écoute-moi bien, Ducon. Nina, tu joues pas avec. Et si le message n’est pas assez clair, peut-être comprendras-tu plus distinctement celui de Mateo ? T’es en CDD, il me semble.

— Tu me menaces ?

— Je te mets en garde. Dois-je te rappeler les liens entre ta patronne et Nina ? Je ne crois pas qu’elle apprécierait si elle apprenait que tu lui tournes autour, vu ta réputation.

L’abruti, n’admettant pas de perdre la partie, se dresse sur ses ergots et rétorque :

— On peut bien faire ce qu’on veut, entre adultes consentants.

— N’essaie même pas de l’embrasser, parce que si je viens à l’apprendre, tu mangeras mixé pendant des semaines. Ne me tente pas. Et ça, oui, c’est une menace.

Devant mon air offensif, le gringalet change son fusil d’épaule.

— Bah, les chattes ne manquent pas dans le coin. Que je goûte à celle-là ou une autre…

À ces mots, mon poing fuse sur sa belle petite gueule et ma victime chancelle en hurlant. Aussitôt, Suzie m’interpelle, mais je fais fi de sa requête et hâte le pas pour quitter la propriété, sans un regard sur Nina, ignorant que je ne la reverrais pas de sitôt.

1. École de commerce sans prépa.

2. Première Grande École de Commerce et Management post bac exclusivement en alternance.

3.Troubled Hearts - Tome 3 : Le droit au bonheur.

Chapitre 1 Vie new-yorkaise

Nina

Septembre, 3 ans plus tard

— What are you thinking about?4

Je détache mon regard de la valse lente des nuages pour basculer sur le ventre et faire face à Liz qui, appuyée sur les coudes, m’étudie avec attention, la mine inquiète.

Connaissant tout de ma vie, elle sait que chaque appel de ma famille me perturbe, particulièrement quand il s’agit de celui de ma tante Suzie, et bien plus encore lorsque Clémence s’en vient à prendre de mes nouvelles. Une foule de questions se bouscule lors de nos échanges, sans pour autant franchir mes lèvres. Évoquer Enzo reste douloureux malgré la distance, les années passées, mes amis, mes études à Columbia, la vie trépidante new-yorkaise, mes diverses relations avec la gent masculine et l’actuel stage très prenant auprès d’un des plus prestigieux cabinets d’avocats d’affaires de la cité.

Je soupire, me rallonge sur le dos et suis des yeux un écureuil qui, surpris par l’arrivée soudaine d’un groupe de jeunes gens, s’élance vers l’arbre le plus proche. Une diversion qui m’arrange tant je ne souhaite pas aborder le sujet qui me préoccupe avec mon amie, Liz Malaury, et n’ayant rien à voir avec l’appel de ma mère, hier soir. Ma colocataire, plutôt excentrique avec ses mèches aux reflets bleutés, son franc-parler et son langage fleuri, dénoterait dans notre très guindée société bordelaise. Ici, elle se fond dans le melting-pot culturel et social d’une des villes les plus cosmopolites du monde.

En ce dimanche de septembre, le temps clément attire les New-Yorkais dans Central Park, passage incontournable pour les touristes. Je me souviens encore de ma première visite et de cette sensation étrange de plonger dans un autre univers. Les bruits de la cité s’estompent dès la 5th Avenue traversée pour disparaître totalement une fois dans les allées, alors que de grandes artères, animées par un va-et-vient constant de taxis conduits par des chauffeurs impatients, de véhicules de police, de pompiers, d’ambulances circulant sirènes hurlantes, desservent le quartier le plus huppé de Manhattan. Pique-niquer, déguster un hot-dog du très renommé Nathan, faire son footing, des balades, du roller, des promenades en barque, s’entraîner au soccer5, au baseball, écouter des groupes musicaux amateurs, tout est possible ici. Parmi les autres parcs — une bonne dizaine —, plus petits et plaisants, celui-ci reste mon préféré pour ses vastes espaces, moi, la fille du Médoc.

Dans un an, je pourrai rentrer en France, mon Bachelor6 en poche, et enfin voir mon rêve d’enfance se concrétiser, à savoir aider Suzie à gérer son vignoble à la notoriété croissante et dont le Lion de Castelgraves ne démérite pas parmi les célèbres grands crus bordelais. À moins que je ne prolonge mon séjour en m’inscrivant pour un Master7, bien que le Bachelor suffise à mes projets. Mais à cette heure, j’hésite, partagée entre le désir de revenir au bercail et celui de résider encore un peu dans cette ville, d’oublier mon premier amour, tomber amoureuse de quelqu’un comme mon boyfriend du moment, William, en dernière année de droit et en stage rémunéré, tout comme moi, chez Preston & Juliard.

Malgré son sourire, sa gentillesse et les marques d’attention dont il m’entoure, je n’y suis pas fortement attachée. Enzo trouble encore mes pensées, sans que je sache vraiment ce que je ressens pour lui. Après presque trois ans riches en aventures et enseignements, je crains de trouver Bordeaux bien ennuyeux, de peiner à me réadapter au calme d’une ville de province ou à nouer de nouveaux liens amicaux. Ceux avec les anciens se sont distendus ; je n’échange désormais qu’avec mon amie d’enfance et de plus en plus souvent que pour de brefs messages conventionnels à l’occasion d’évènements festifs. Totalement prévisible, vu que nos centres d’intérêt divergent tellement. Lena n’aspire qu’à épouser un beau parti, bordelais de préférence, alors que mon cercle d’amis actuel, tout comme moi, vit à la mode new-yorkaise. Je ne suis donc pas affectée par le délitement de cette amitié, d’autant que Liz a pris la place de Lena dans mon cœur.

Si mes ex-amis français ne me manquent pas, il n’en est pas de même pour mes proches de mes parents à Nick et Meg, que je considère comme mon oncle et ma tante, au même titre que Robert et Suzie, en passant par Clem et Mateo. La nostalgie des repas de famille à Castelgraves me gagne à chaque appel longue distance. Aussitôt, les flashs affluent : les sourires et les pitreries de mes cousins et cousines, les parties de cache-cache à travers les vignes. Sans oublier la fausse mine renfrognée de notre ancien régisseur ni les images d’Eva berçant la petite dernière de notre tribu, liée par des liens familiaux ou amicaux… Mais ce sont les flashbacks d’Enzo qui reviennent le plus souvent : Enzo m’enguirlandant, Enzo m’enseignant comment pratiquer l’effeuillage de la vigne, m’initiant à l’œnologie, à monter à cheval, à surfer. Enzo parfois patient, parfois irrité. Enzo me consolant de mes chutes, soignant mes égratignures à dix ans, me reprochant si souvent de traîner dans ses pattes. Enzo me déposant à des soirées à dix-sept, puis venant me chercher. Enzo toujours présent pendant mes vacances sur ce domaine que je chéris depuis ma plus tendre enfance. Enzo que…

Les hurlements de joie de Liz, à la vue de notre bande d’amis, me sortent de mes divagations. Parmi eux, son compagnon du moment — l’officiel, devrais-je dire — que j’estime très imbu de lui-même. Opinion sans intérêt, car Vince ne fera pas long feu, à l’instar de tous les hommes que Liz fréquente et rencontre, le plus souvent dans le bar de son oncle. Elle y occupe un poste de serveuse en dehors de son stage auprès du bureau du procureur. À l’occasion, j’aide — pour le plaisir —, au service, n’ayant nul besoin de travailler, malgré le coût de la vie new-yorkaise. L’appartement dans lequel nous résidons appartient à mon parrain, Robert. De son point de vue, de l’argent judicieusement investi après avoir été horrifié par les prix des loyers. Je vis donc dans un confort agréable grâce aux moyens financiers de mes parents et la générosité de mon oncle, dans Greenwich Village, quartier bourgeois et bohème attirant les visiteurs, téléphones en main pour un selfie. Ces attitudes m’amusent désormais, alors que j’ai moi-même arpenté la ville à la recherche de lieux connus que je me suis empressée de photographier et de partager sur les réseaux sociaux pour mes amies restées sur le vieux continent. Aujourd’hui, je connais la ville comme ma poche, me sens aussi new-yorkaise que bordelaise, et fréquente des endroits que la plupart des touristes méconnaissent. Mais surtout, j’adore cet univers, cette ambiance si particulière et unique qui m’a permis de me reconstruire après le rejet d’Enzo. Enzo, un grand frère veillant sur moi dès mon plus jeune âge, mon confident, celui que j’ai admiré avant d’en tomber folle dingue amoureuse, et que j’ai fui tant il m’était intolérable de le voir dans d’autres bras.

Après trois ans de séparation, je prends conscience que sa présence me manque, son affection fraternelle me manque, mais je ne parviens pas à franchir le cap de renouer avec lui. Je le sais blessé par mon refus de lui parler malgré les récurrentes sollicitations de Clémence m’incitant à répondre à ses messages. Tout au moins la première année. Au fil des ans, ses requêtes se sont espacées et, désormais, elle se contente de me glisser qu’Enzo m’embrasse et autres banales formules de politesse. Pourtant, j’aimerais pouvoir discuter avec lui, particulièrement en ce moment. Il me donnerait probablement de judicieux conseils. Mais au bout de tant d’années de silence, je ne sais comment franchir le pas. Néanmoins, pas une nuit ne passe sans que l’envie d’entendre sa voix ne vienne perturber les rêves dans lesquels il s’immisce. Malgré l’éloignement et l’absence de tout contact depuis notre dernière discussion, le fameux jour où je lui avais avoué mon amour, minimisé et rejeté à cause de ces fichues neuf années qui nous séparent, il me hante. Vexée, je n’avais pas remis les pieds à Castelgraves avant mon départ pour New York, prétextant mille préparatifs urgentissimes à finaliser pour mon stage d’été à Columbia, refusant de célébrer mon baccalauréat au domaine, à la grande déception de Suzie.

Mais l’heure n’est pas à la nostalgie d’une époque révolue. Nous sommes réunis pour fêter les vingt-cinq ans de Liz, un petit avant-goût de la soirée organisée par nos soins au Marquee, une des discothèques les plus branchées du moment. Désormais, selon la loi américaine, je peux profiter sans contrainte de la fête et consommer de l’alcool à ma guise. Jusqu’alors, pour parer à cet inconvénient, Liz m’avait dégoté une fausse carte d’identité que je n’ai utilisée que très occasionnellement pour la suivre dans ses sorties, terrorisée à l’idée de prendre des risques pour un plaisir dérisoire, d’autant que je ne suis pas fan des boissons alcoolisées. Je déteste cette désinhibition totale qu’elles procurent et les effets secondaires des lendemains de beuveries. Je ne comprends d’ailleurs pas ce besoin de substances pas toujours très légales pour pouvoir lâcher prise et s’amuser. Je préfère l’ambiance du Blue Note Jazz Club et du Fat Cat dans West Village, correspondant davantage à mes goûts musicaux et à ceux de William. Mais ce soir, je ne peux faire faux bond à Liz, addict aux discothèques et aux soirées déjantées. Et celle-ci promet de l’être ! Exceptionnellement, je me laisserai tenter par l’alcool. Il calmera mes angoisses et anesthésiera mon cerveau en ébullition depuis la découverte fortuite d’informations perturbantes et graves dont je ne sais que penser.

4. « À quoi penses-tu ? »

5. Nom du football européen en Amérique du Nord, où le terme « football » désigne généralement le Football américain et canadien.

6. Diplôme de niveau bac+3 (4 aux USA), axé vers l’international. Il constitue un tremplin tant vers l’emploi que la poursuite d’études, notamment dans le domaine du commerce et du marketing.

7. Diplôme national de l’enseignement supérieur et un grade universitaire délivré deux ans après l’obtention d’une licence ou Bachelor.

Chapitre 2 Dilemme

Nina

— Mademoiselle Chambard !

Le timbre furieux de Maître Wilson me sort des questionnements récurrents qui m’assaillent depuis quinze jours. Surprise, je sursaute, renverse la tasse de café, heureusement vide, oubliée au milieu de mes dossiers. Face à ma maladresse, mon patron s’agace.

— Je ne sais pas quel est votre problème, Nina, et je ne veux pas le connaître, mais, quel qu’il soit, je vous conseille vivement de le régler au plus vite. Votre inattention perpétuelle nuit au bon fonctionnement de notre partenariat. Il serait fâcheux de me voir contraint de vous sanctionner durant votre formation. Vous êtes brillante, Nina, ne gâchez pas votre avenir professionnel pour une amourette de bureau ! Les mois à venir seront déterminants pour vos orientations futures. Et même si vous n’envisagez pas d’embrasser une carrière d’avocate, les connaissances acquises en droit des affaires seront un atout majeur pour votre futur MBA8, et lorsque vous prospecterez pour une place au sein de diverses entreprises.

— Je suis consciente de la valeur de ce stage, maître Wilson, et vous prie d’excuser ma distraction, qui n’a rien à voir avec une quelconque rêverie de gamine amoureuse, comme vous le supposez. Je dois argumenter un devoir et je ne sais comment, car voyez-vous, elle induit un dilemme entre loyauté, éthique professionnelle et application de la loi.

Un devoir ? Tu nous la sors d’où, cette idée ?

— Oh, vraiment ? Vous m’intriguez, Nina ! Présentez-moi le sujet.

Joshua Wilson se coule dans le siège face à moi. Ses yeux gris perçants me scrutent tandis qu’il affiche un air amusé. Cet avocat, trentenaire, super canon, plutôt distant avec la gent féminine — ce qui fait jaser autour de la photocopieuse sur ses orientations sexuelles —, raffole des défis. Les affaires les plus complexes lui sont confiées et il ne compte que de très rares défaites. Son carnet clients recèle les plus grands noms de la haute société new-yorkaise, des PDG d’entreprises célèbres et même quelques sportifs à la renommée internationale. Sa réputation le précède et de nombreux cabinets le convoitent, d’où l’empressement d’Hector Preston à lui attribuer le titre d’associé junior. De mon humble avis, celui de sénior, malgré sa jeunesse, ne devrait pas tarder. Son esprit analytique dépasse la norme, et j’avoue être tentée de connaître son avis sur la question. Bien qu’il ne gère pas de l’affaire qui me préoccupe, je crains qu’il ne fasse le rapprochement et découvre que je détiens des informations qui pourraient affecter Preston & Juliard si je les dévoilais. Quoique, pour l’instant, personne ne s’est parjuré à la barre, la date du procès n’étant pas fixée. Peut-être le client négociera-t-il un arrangement le lui évitant ?

— Je vous remercie, mais je dois résoudre ce problème toute seule.

— Je n’envisageais pas de vous donner la réponse, Nina. Je suis juste curieux de vous voir développer votre analyse. Bien souvent, l’énoncer à voix haute met les éléments en perspective. Vous avez titillé mon intérêt et vu que je ne peux avancer sur mon projet, puisqu’une certaine demoiselle ne m’a toujours pas remis les documents attendus… Eh bien, considérons que j’ai du temps à perdre ! Hum, Hector arguerait que du temps, c’est de l’argent.

L’argent, le maître mot de ce cabinet. Autre composant important du dilemme qui me torture l’esprit. Oui, l’argent peut permettre d’acheter un témoin, par exemple. Un délit passible d’une amende et de prison pour les protagonistes en cause.

— Alors, poursuit Joshua, nonchalamment installé, beau comme un dieu grec sanglé dans un costume Armani, son sourire irrésistible aux lèvres.

Je mordille le stylo entre mes doigts, signe de ma nervosité, détourne mes yeux des siens qui ne me lâchent pas, et soupire avant de me lancer.

— D’accord. Dans une affaire de délit d’initiés9, un avocat, sur l’injonction de son client, propose à un témoin de le rémunérer en échange d’un faux témoignage.

— Rien de complexe dans ce cas. Je suppose que vous connaissez la peine qu’encourt l’avocat, le pot aux roses découvert ? Qu’un tel comportement est contraire à l’éthique ? Comme je suis certain que vous ne l’ignorez pas, j’imagine que d’autres éléments sont à venir.

— En effet. Un employé de la firme découvre incidemment cet arrangement. Quel devrait être son positionnement ?

— Votre professeur s’appuie-t-il sur les faits avérés d’une affaire déjà jugée ?

— Exercice fictif ou cas déjà traité, qu’est-ce que cela change ? Une telle situation me semble cohérente.

Plus que cohérente, puisque tu es l’employée concernée.

— En effet. Mais je ne vois pas de dilemme, ni l’intérêt de votre enseignant à vous faire réfléchir sur un cas aussi ridicule qui n’appelle qu’une seule réponse. L’avocat détenteur de cette information doit dissuader son collègue d’user de telles pratiques illicites, faute de quoi il en informera ses supérieurs. Le cabinet souffrirait d’une mauvaise publicité en cas de révélation publique, ce qui nuirait à son image.

— Ceci dans le cas où le parjure serait démontré. Le client étant très influent, il se pourrait que rien ne filtre. Et le témoin n’est ni un juriste confirmé ni un partner, mais… un simple subalterne.

Joshua ancre son regard inquisiteur dans le mien, et son insistance m’indispose depuis ma révélation détournée. Soudain, il se lève, semble prêt à quitter la pièce, au lieu de quoi il ferme la porte du minuscule local qui me tient de bureau, revient se poster devant moi, lisse sa chemise et se réinstalle dans le fauteuil qu’il vient d’abandonner.

— Nina, permettez-moi d’être surpris par cet exercice. Le droit n’est pas votre matière principale. Vos cours ne portent pas sur ce type de problématique, mais sur le management, les contrats financiers du genre que nous gérons ici.

Je déglutis, m’agite sur ma chaise avec la sensation d’être piégée et me reproche ma bêtise. Pourtant, malgré mes réticences, je m’épanche auprès de maître Wilson qui m’écoute religieusement sans m’interrompre.

— C’est très regrettable que vous ayez été témoin de cet échange. Je vous conseille de l’oublier. Les Marcusi sont nos plus gros clients. Ce délit, ajouté aux accusations du SEC10 si elles sont prouvées, pourrait nuire à leurs affaires. Mais ils s’en remettront. N’y pensez plus.

— Mais…

— Nina, dans un an, soit vous retournerez en France, votre diplôme en poche assorti d’une recommandation d’Hector qui sera du plus bel effet dans votre dossier, soit vous poursuivrez vos études ici. Laissez les personnes compétentes gérer cette situation complexe. Concentrez-vous sur votre mission. Une heure. Je vous donne une heure, pas plus, pour accomplir la tâche que je vous ai confiée hier. Un retard serait malvenu.

La porte qui claque derrière lui me sort de mon ahurissement.

Une menace ? Était-ce une menace ?

Je ne peux y croire. Le Joshua Wilson que je côtoie depuis un mois, réputé pour son intégrité, ne peut le cautionner. Il n’admettait pas la faute lorsque je lui ai présenté l’affaire comme un exercice ; ses propos précédents me paraissaient clairs. Mais suite à sa dernière tirade, je doute de l’avoir bien compris. Je ne connais pas les frères Marcusi, mais ils me paraissent intimidants, très riches et très puissants. L’envie d’effectuer quelques recherches m’effleure, mais je dois m’acquitter de la mission allouée par mon supérieur. Je m’y attèle sans plaisir, affectée par une sensation de malaise que même la visite de William et la promesse d’une soirée en tête à tête ne parviennent pas à effacer.

Soirée qui s’achève en fiasco par une dispute lorsque nous terminons la nuit dans son lit, mon esprit à mille lieues de nos ébats. Agacée par ses réflexions sur mon manque d’implication depuis quelques semaines, je l’abandonne à une heure du matin pour rejoindre mon appartement et tombe sur Vince, dans le plus simple appareil, s’abreuvant au robinet de la cuisine. Plus irritée qu’embarrassée, je regagne rapidement ma chambre sous le regard amusé de monsieur « Dieu du sexe », critère de choix de ma colocataire. Je peine à comprendre son goût immodéré pour ce genre d’individus et sa philosophie de vie : du sexe sans sentiments, ce qui me vaut souvent le qualificatif de « coincée ».

8.Master of Business Administration.

9. Infraction spécifique relative au fonctionnement des marchés financiers.

10.Securities and Exchange Commission est l’organisme fédéral américain de la réglementation et de contrôle des marchés financiers. C’est en quelque sorte le « gendarme de la Bourse » américain.

Chapitre 3 Tout part à vau-l’eau

Nina

Les semaines défilent et une sensation prégnante et désagréable m’étreint ; un malaise constant aggravé par plusieurs disputes avec mon petit ami qui laissent entrevoir une rupture prochaine. J’en suis responsable, pourtant je ne tente rien ni pour corriger mes sautes d’humeur perpétuelles ni pour sauver mon couple. Cette issue ne m’affectant pas, je prends conscience de mon manque d’attachement envers William. D’une lâcheté déconcertante, j’espère qu’il décidera rapidement de mettre un terme à cette relation désormais bancale. Et pourtant, je devrais intervenir au lieu de me contenter d’assister aux roucoulades qu’il échange avec Mary, la seconde année nouvellement recrutée par le cabinet. Je ne saurais dire s’il envisage déjà de passer à autre chose ou s’il cherche à attiser ma jalousie. Les regards peinés de mes collègues face à cette provocation manifeste, en temps normal, m’inciteraient à mettre un terme à cette mascarade. Mais trop tracassée par l’ambiance électrique qui règne au bureau entre Joshua et Leonard, je n’en fais rien. Au vu des relations entre les deux hommes, plus tendues que d’ordinaire, je suspecte l’intègre maître Wilson d’avoir œuvré pour le bien du cabinet. Une bonne nouvelle, estimé-je, avant de prendre conscience de l’étendue des pouvoirs des frères Marcusi et de leur accointance avec la pègre, rumeurs circulant sur la toile à travers quelques articles de presse qui laissent planer le doute sur leur business et les moyens de pression qu’ils utiliseraient. La suspicion n’est hélas plus permise lorsque je croise William, censé être au tribunal, dans un état d’agitation indescriptible.

— William, ça va ? m’inquiété-je, oubliant nos différents devant son air tourmenté et sa tenue chiffonnée, ce qui ne lui ressemble pas.

— Je… nous… avons été menacés par… des hommes au service de notre client.

— Quel client ?

— Je ne peux rien te dire. Je dois retrouver Leonard, nous avons rendez-vous avec Hector, me répond-il, me bousculant au passage pour quitter la salle de détente.

Je reste abasourdie quelques secondes avant de récupérer mes esprits et de me rendre séance tenante chez Joshua, persuadée être responsable de cette suite d’évènements.

— Maître Wilson ! l’interpellé-je alors qu’il franchit le seuil de son bureau.

— Nina, pas maintenant.

— Je ne vous retiendrai que quelques secondes. J’ai juste besoin de savoir… si… êtes-vous au courant ? Je… nous…, bafouillé-je.

— Tout va bien, Nina. Nous allons régler ce problème. Retournez travailler.

— Vous l’aviez convaincu ?

— Nina, retournez à des occupations en accord avec vos compétences, voulez-vous ?

Cet ordre me rappelle Enzo me renvoyant à mes poupées. Je m’en agace.

— Que se passera-t-il s’il ne revient pas sur sa décision ? Si le client fait suffisamment pression pour le faire changer d’avis ? Et comment ce cabinet peut-il défendre un criminel de la sorte, se parjurer pour gagner de l’argent, toujours plus d’argent ?! m’emporté-je.

— Mademoiselle Chambard ! gronde Joshua. Je vous conseille de ne pas exprimer vos opinions à voix haute, et de vous abstenir de porter des jugements sur la maison qui vous a accueillie en ses murs.

— Désolée, mais en cet instant, je ne reconnais pas les valeurs qu’elle prétend défendre sur le papier. Il est préférable que…

— Que se passe-t-il ? nous coupe Leonard, attiré par notre discussion houleuse.

— Rien. Nina, sujette à une violente migraine, demandait mon aval pour retourner chez elle. Un peu de repos lui fera le plus grand bien. On ne peut réfléchir posément et prendre de bonnes décisions lorsque l’on est souffrant.

— De la porte de mon bureau, j’avais le sentiment que vous vous disputiez. Votre échange ne semblait pas cordial.

— Impression erronée, Leonard.

— Crois-tu ? Et si je vous avouais que votre différend m’incite à penser que la demoiselle ici présente est le témoin oculaire que tu tends à préserver ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Bien sûr que si ! assène Leonard, péremptoire.

Je blêmis à l’idée que ce dernier puisse m’estimer indirectement responsable de cette agression. Je ne suis qu’assistante juridique, censée éplucher les contrats financiers, classer et trouver la documentation nécessaire à mon patron pour ses affaires en cours, pas donner un point de vue ni être aussi calée en droit qui n’est pas ma matière principale.

— Qu’en dites-vous, mademoiselle Chambard ?

— Je… je ne comprends rien…

— Je vous en prie, ne jouez pas la sotte. Résultat des courses, votre petit ami et moi sommes victimes de votre incompétence et de votre propension à ne pas savoir tenir votre langue. « Confidentialité » est le maître mot de notre profession. Dieu merci, vous n’exercerez jamais ici. Vous ne possédez pas la carrure pour jouer dans la cour des grands. Retournez donc professer chez les paysans, à votre juste place. Enfin non, vous n’êtes bonne qu’à épouser un bouseux qui vous mettra rapidement enceinte !

— Leonard, je te savais misogyne, mais là, tu dépasses les bornes ! Je te prie de ne pas insulter mon assistante ! s’emporte mon boss.

— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? À la fin de ses études, elle va retourner en France. Et depuis quand tu t’intéresses à tes stagiaires ?

Trop abasourdie par cette virulente attaque, je reste sans voix à la recherche d’une répartie pour clouer le bec à ce sinistre individu qui vient de me rabaisser et m’humilier. Je n’ignorais pas son côté machiste, sa propension à dénigrer la valeur du sexe féminin, insuffisant à ses yeux pour gérer des postes de haut niveau, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’être confrontée à ses propos haineux.

— Je préfère des collaborateurs honnêtes à un individu tel que vous, capable d’enfreindre la loi pour un pot-de-vin ou un retour d’ascenseur. Et je ne vous permets pas de mépriser les hommes qui travaillent la terre, leurs valeurs morales sont bien plus honorables que les vôtres. Et pour votre gouverne, malgré la passerelle possible vers des études de droit, je n’envisage pas de poursuivre dans cette branche. Mon futur diplôme m’offre des perspectives plus intéressantes que de me rabaisser à défendre des criminels, rétorqué-je avant de tourner les talons.

— Il me semble qu’elle vient de confirmer mes soupçons, l’entends-je déclarer tandis que je m’éloigne.

Idiote, sombre idiote !

L’idée que je viens de flinguer mon avenir dans cette entreprise par mes répliques acerbes me frappe de plein fouet. Ai-je également compromis mon désir de vivre à New York, d’y travailler ? Ou n’est-ce qu’un coup du destin me montrant le chemin à suivre, celui de chez moi, là-bas, dans mon bordelais natal ?

Dépitée, je range mes affaires, ferme ma session de travail et apporte quelques annotations sur le dossier en cours que je dépose sur le bureau de mon supérieur. Impatiente de quitter l’immeuble, je piaffe devant les ascenseurs. William m’arrête en bloquant les portes tandis que je m’y engouffre.

— Est-ce vrai, Nina ? Parce si c’est le cas, tu nous as mis dans un fichu merdier !

— Je ? C’est Leonard McCoy qui vous y a mis !

— Tu ne comprends rien à rien. Comment tu pourrais ? Toi, petite bourgeoise française qui a eu la chance d’être remarquée par un chasseur de têtes. Malgré ton intellect remarquable, tu ne saisis pas toutes les subtilités de notre culture.

— De quelle culture tu parles ? Sûrement pas de celle qui régit la déontologie d’un avocat qui ne se gêne pas pour franchir certaines limites de la loi ! Et celles-ci sont les mêmes pour tous les pays du monde. Elle doit être respectée. Et pour info, j’ai juste surpris une conversation faisant état d’une malversation. Alors, lâche-moi un peu !

— Que tu t’es dépêché de rapporter à Joshua pour qu’il fasse du tort à Leonard !

— Mais tu délires complètement ! Je me débats avec ce problème depuis trois semaines, ne sachant pas quoi faire de cette information.

— Tu n’avais qu’à la fermer ! me hurle-t-il au visage. Tout était sous contrôle. Mais non, il a fallu que tu t’en mêles ! Et nous voilà avec le clan Marcusi sur le dos. Sans parler de Preston. Heureusement que Juilard est plus modéré. Alors, un conseil, fais-toi toute petite jusqu’à la fin de tes études et rentre chez toi.

— Leonard déteint vraiment sur toi. À moins que je n’aie pas remarqué tes dents rayant le parquet.

— Dans la vie, il faut se battre pour survivre.

— Survivre ? Mon pauvre, tu n’en connais pas la définition, on dirait. Tu me traites de bourgeoise, mais tu t’es vu ? Né avec une cuillère en argent dans la bouche, tu n’as pour ambition que de faire plaisir à papa. Ça, j’avais remarqué, mais là, je le constate tristement. Pour toi, tous les moyens sont bons. Fais attention William, tu risques de te casser la gueule aussi vite que tu as gravi les échelons. Si tu enfreins trop souvent l’éthique, la justice te rattrapera. Elle me semble implacable, ici.

Mes paroles l’amusent plus qu’elles ne l’affectent.

— Oh, mais tu oublies qu’il se négocie plus d’accords que de procès. Demande à Liz, qu’elle t’explique comment ça marche. Et pour info, toi et moi, c’est game over, conclut-il en relâchant les portes de l’ascenseur qui m’emporte, tremblante et totalement chamboulée par tant d’agressivité, vers le rez-de-chaussée.

Chapitre 4 Quand le boss s’en mêle

Nina

— Nina, si tu m’expliquais ce qui se passe ?

Depuis une semaine, je squatte le canapé lorsque je ne suis pas à la bibliothèque du campus affairée à des recherches pour mon futur mémoire, décidée à ne pas rempiler pour un Master. Tout du moins, ici, à New York. Mais je n’aurais pas imaginé que ce choix me coûterait autant, motif pour lequel j’évite Liz tant je ne suis pas prête ni à le lui annoncer ni à en discuter avec elle. J’ai le temps, cependant. Il reste encore pratiquement neuf mois avant la fin de mon cursus. Je pourrais changer d’avis d’ici là. Les derniers évènements m’ayant secouée, j’ai conscience que je ne suis pas à ma place dans cet univers, et ma famille m’attend. De plus, je devrais lui donner des détails sur l’incident du cabinet et j’estime avoir assez fichu la pagaille comme ça. Mais liée à Liz par trois ans d’amitié, celle-ci ne me connaît que trop bien. Je choisis donc de l’embobiner avec un mensonge plausible : ma rupture avec William.

— OK ! Et tu attendais quoi pour me l’annoncer ?

Je hausse les épaules.

— Tu sembles très occupée et amoureuse, lancé-je comme argument totalement ridicule, à court d’inspiration.

— Quoi !? Moi, amoureuse ? De Vince, en plus !? Fais voir, tu dois avoir de la fièvre, décrète-t-elle en me touchant le front. Cela doit perturber tes capacités de raisonnement. Et depuis quand un homme passe avant toi, chérie ? Ah, je sais ce qu’il nous faut !

— Oh non, ne compte pas m’entraîner dans une de tes sorties merdiques, et encore moins de me proposer de me saouler la gueule.

— Non, de nous gaver de Ben & Jerry’s à la noix de pécan devant une série télé. Suits11, par exemple.

Je lève les yeux au ciel et éclate de rire. S’empiffrer de crème glacée pour se remonter le moral, je trouvais cela très cliché dans les films et les romans ; je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je pratiquerais cet exercice avec une coloc, stéréotype des héroïnes de séries américaines tout aussi déjantées que ses personnages fictifs. Il ne nous manque que l’ami de longue date qui vivrait avec nous et dont elle serait folle dingue amoureuse, pour compléter le tableau.

Le carillon de l’entrée stoppe Liz dans son avancée vers le congélateur.

— Vince ? suggéré-je, n’attendant personne.

— Non, nous avons rompu. Bah, quoi !? Ne prends pas cette mine ahurie, c’était prévisible, non ?

— Oui, mais depuis quand ?

— Une semaine.

— Pourquoi ne m’en…

Je réalise ne pas lui en avoir laissé l’occasion et, si peu attentive à ce qui se déroulait autour de moi, je ne me suis pas étonnée de ne plus le voir.

— Une bonne chose. Des super bons coups, ce n’est pas ce qui manque. Et je suis dans le viseur de quelqu’un.

— Oh, habituellement c’est toi qui accroches tes cibles.

— Ben oui, mais pour une fois, je me suis laissé draguer. J’hésite à conclure parce je suis pas sûre que ce mec accepte ma règle de non-exclusivité. On en parlera plus tard. Pour l’instant, qui que soit notre visiteur, il s’impatiente. Pendant que je vais ouvrir, réponds donc à ton téléphone. Il va finir par tomber de la table.

Ce que je ne ferai pas sachant pertinemment qui me harcèle depuis plusieurs jours. Je renvoie donc l’appel sur mon répondeur, tandis que Liz s’exclame au bout du couloir.

— Waouh ! Quelle agréable surprise ! Que nous vous cet honneur, maître ?

Non, ce n’est pas possible ! Cela ne peut être lui !

Mes soupçons se confirment lorsque Joshua Wilson pénètre dans le salon aux bras d’une Liz rayonnante.

— Comme vous rejetez mes appels, j’ai estimé judicieux de me présenter en personne. Vos gamineries ont assez duré, Nina. Il est temps de revenir au bureau.

— Je vous rappelle que vous m’avez envoyée me reposer, rétorqué-je tandis que son regard suit la courbe de mes jambes nues, s’arrête sur mon short ultra court, puis se fige sur mes seins pointant sous mon haut de pyjama.

Embarrassée, je croise les bras sur ma poitrine, l’obligeant à en détourner les yeux qu’il rive aux miens.

Fais pas ta prude. En plus, il est gay. OK, vu comme il te déshabille du regard, probablement pas. Juste des supputations de secrétaires vexées du peu d’attention qu’il leur porte.

— Une journée, Nina, pas une semaine !

— Nina ? Qu’est-ce que ça veut dire ? s’inquiète Liz qui nous dévisage à tour de rôle.

— Cela veut dire que mademoiselle Chambard compromet son stage. Il risque de ne pas être validé si elle ne remue pas les fesses et ne revient pas à son poste illico presto.

— J’ai présenté un arrêt de travail au DRH.

— Un arrêt de travail ! s’esclaffe l’avocat. Vous croyez bosser où ? De toute façon, je m’en moque. Il n’a aucune valeur à mes yeux. D’autant que nous connaissons tous deux les raisons de votre défection. Ne revenez pas et je sanctionnerai votre absence par une note dans votre dossier scolaire.

— C’est illégal, je suis en règle, m’étranglé-je. Toute absence justifiée ne peut être sanctionnée. Je me suis renseignée auprès du doyen.

Je m’abstiens d’ajouter qu’il m’a encouragée à reprendre au plus tôt.

— Et que projetez-vous de faire au terme de ces quinze jours ? Renvoyer un nouveau certificat ? Encore et encore ? Je crains que vous ne deviez à un moment ou un autre revenir parmi nous, à moins de renoncer totalement à ce stage et d’envisager d’en décrocher un autre. Ne rêvez pas. Vous êtes à mi-parcours, tous les autres postes sont déjà occupés jusqu’à la fin du semestre.

— Nina ! Mais… ton dossier pour le Master… Une mauvaise appréciation… c’est rédhibitoire pour intégrer… peut-être même compromettre ton Bachelor…

— Je ne vais rien intégrer du tout, la coupé-je, énervée. Je rentre chez moi, là apparemment où est ma place.

— Nina, vous entrez dans leur jeu en prenant une décision hâtive. Je vous en prie, revenez. Il vous reste encore beaucoup à apprendre.

— Nina, insiste Liz. Je ne comprends rien. Si tu m’expliquais…

— Qu’en pensez-vous, maître ? Puis-je donner les détails d’une affaire confidentielle à ma coloc qui travaille pour le bureau du procureur ?

— Il n’y a rien à dire, tout est sous contrôle.

— Étrange, William m’a tenu les mêmes propos, et bizarrement pas sous le même angle que vous.