Un billet de loterie - Jules Verne - E-Book

Un billet de loterie E-Book

Jules Verne.

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Beschreibung

Un billet de loterie est un roman d'amour de Jules Verne, publié en 1886. L'action se passe en Norvège, dans le comté de Telemark.
Résumé
Le fiancé de Hulda Hansen est porté disparu. Il était à bord d'un bateau de pêche qui a fait naufrage au large de Terre-Neuve. La seule trace qui reste de lui est Un billet de loterie qu'il avait glissé dans une bouteille jetée à l'eau au moment du naufrage. La loterie ne sera tirée que quelques mois plus tard.
Hulda et son frère sauvent le député Sylvius Hog d'une noyade dans la rivière Rjukan.
La mère de Hulda a d'énormes dettes auprès du très antipathique Sandgoïst. 
Le billet de loterie prend une énorme valeur financière, car l'histoire rocambolesque qui lui est associée a fait la une des journaux et des collectionneurs fortunés veulent l'acquérir. La fiancée est partagée entre le désir de garder la dernière trace de son bien-aimé et le désir d'aider sa mère. Déchirée, elle est obligée de vendre le billet de loterie... |Wikipedia|

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SOMMMAIRE

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Notes

JULES VERNE

UN BILLET DE LOTERIE

|LE NUMÉRO 9672|

1886

Raanan Éditeur

Livre 953 | édition 1

|1|

« Quelle heure est-il ? demanda dame Hansen, après avoir secoué les cendres de sa pipe, dont les dernières bouffées se perdirent entre les poutres coloriées du plafond.

— Huit heures, ma mère, répondit Hulda.

— Il n’est pas probable qu’il nous arrive des voyageurs pendant la nuit ; le temps est trop mauvais.

— Je ne pense pas qu’il vienne personne. En tout cas, les chambres sont prêtes, et j’entendrai bien si l’on appelle du dehors.

— Ton frère n’est pas revenu ?

— Pas encore.

— N’a-t-il pas dit qu’il rentrerait aujourd’hui ?

— Non, ma mère. Joël est allé conduire un voyageur au lac Tinn, et, comme il est parti très tard, je ne crois pas qu’il puisse, avant demain, revenir à Dal.

— Il couchera donc à Mœl ?

— Oui, sans doute, à moins qu’il n’aille à Bamble faire visite au fermier Helmboë…

— Et à sa fille ?

— Oui, Siegfrid, ma meilleure amie, et que j’aime comme une sœur ! répondit en souriant la jeune fille.

— Eh bien, ferme la porte, Hulda, et allons dormir.

— Vous n’êtes pas souffrante, ma mère ?

— Non, mais demain je compte me lever de bonne heure. Il faut que j’aille à Mœl…

— À quel propos ?

— Eh ! ne faut-il pas s’occuper de renouveler nos provisions pour la saison qui va venir ?

— Le messager de Christiania est donc arrivé à Mœl avec sa voiture de vins et de comestibles ?

— Oui, Hulda, cet après-midi, répondit dame Hansen. Lengling, le contremaître de la scierie, l’a rencontré et m’a prévenue en passant. De nos conserves en jambon et en saumon fumé, il ne reste plus grand-chose, et je ne veux pas risquer d’être prise au dépourvu. D’un jour à l’autre, surtout si le temps redevient meilleur, les touristes peuvent commencer leurs excursions dans le Telemark. Il faut que notre auberge soit en état de les recevoir et qu’ils y trouvent tout ce dont ils peuvent avoir besoin pendant leur séjour. Sais-tu bien, Hulda, que nous voici déjà au 15 avril ?

– Au 15 avril ! murmura la jeune fille.

– Donc, demain, reprit dame Hansen, je m’occuperai de tout cela. En deux heures, j’aurai fait nos achats que le messager apportera ici, et je reviendrai avec Joël dans sa kariol.

– Ma mère, au cas où vous rencontreriez le courrier, n’oubliez pas de demander s’il y a quelque lettre pour nous…

– Et surtout pour toi ! C’est bien possible, puisque la dernière lettre de Ole a déjà un mois de date.

– Oui ! un mois !… un grand mois !

– Ne te fais pas de peine, Hulda ! Ce retard n’a rien qui puisse nous étonner. D’ailleurs, si le courrier de Moel n’a rien apporté, ce qui n’est pas venu par Christiania ne peut-il venir par Bergen ?

– Sans doute, ma mère, répondit Hulda ; mais que voulez-vous ? Si j’ai le cœur gros, c’est qu’il y a loin d’ici aux pêcheries du New Found Land ! Toute une mer à traverser, et lorsque la saison est mauvaise encore ! Voilà près d’un an que mon pauvre Ole est parti, et qui pourrait dire quand il viendra nous revoir à Dal ?…

– Et si nous y serons à son retour ! » murmura dame Hansen, mais si bas, que sa fille ne put l’entendre.

Hulda alla fermer la porte de l’auberge, qui s’ouvrait sur le chemin du Vestfjorddal. Elle ne prit même pas le soin de donner un tour de clé à la serrure. En cet hospitalier pays de Norvège, ces précautions ne sont pas nécessaires. Il convient, aussi, que tout voyageur puisse entrer, de jour comme de nuit, dans la maison des gaards et des soeters, sans qu’il soit besoin de lui ouvrir.

Aucune visite de rôdeurs ou de malfaiteurs n’est à craindre, ni dans les bailliages ni dans les hameaux les plus reculés de la province. Aucune tentative criminelle contre les biens ou les personnes n’a jamais troublé la sécurité de ses habitants.

La mère et la fille occupaient deux chambres du premier étage sur le devant de l’auberge – deux chambres fraîches et propres, d’ameublement modeste, il est vrai, mais dont la tenue indiquait les soins d’une bonne ménagère. Au-dessus, sous la couverture, débordant comme un toit de chalet, se trouvait la chambre de Joël, éclairée par une fenêtre, encadrée d’un découpage en sapin amenuisé avec goût. De là, le regard, après avoir parcouru un grandiose horizon de montagnes, pouvait descendre jusqu’au fond de l’étroite vallée, où mugissait le Maan, moitié torrent, moitié rivière. Un escalier de bois, à consoles trapues, à marches miroitantes, montait de la grande salle du rez-de-chaussée aux étages supérieurs. Rien de plus attrayant que l’aspect de cette maison, où le voyageur trouvait un confort bien rare dans les auberges de Norvège.

Hulda et sa mère habitaient donc le premier étage. C’est là que de bonne heure elles se retiraient toutes deux, quand elles étaient seules. Déjà dame Hansen, s’éclairant d’un chandelier de verre multicolore, avait gravi les premières marches de l’escalier, lorsqu’elle s’arrêta.

On frappait à la porte. Une voix se faisait entendre :

« Eh ! dame Hansen ! dame Hansen !

Dame Hansen redescendit.

« Qui peut venir si tard ? dit-elle.

– Est-ce qu’il serait arrivé quelque accident à Joël ? répondit vivement Hulda.

Aussitôt, elle revint vers la porte.

Il y avait là un jeune gars, un de ces gamins qui font le métier de skydskarl, lequel consiste à s’accrocher à l’arrière des kariols et à ramener le cheval au relais, quand l’étape est finie. Celui-ci était venu à pied et se tenait debout sur le seuil.

« Eh ! que veux-tu à cette heure ? dit Hulda.

– D’abord vous souhaiter le bonsoir, répondit le jeune gars.

– C’est tout ?

– Non ! ce n’est pas tout, mais ne faut-il pas toujours commencer par être poli ?

– Tu as raison ! Enfin, qui t’envoie ?

– Je viens de la part de votre frère Joël.

– Joël ?… Et pourquoi ? » répliqua dame Hansen.

Elle s’avança vers la porte, de ce pas lent et mesuré qui caractérise la marche des habitants de la Norvège. Qu’il y ait du vif-argent dans les veines de leur sol, soit ! mais dans les veines de leur corps, peu ou point.

Cependant cette réponse avait évidemment causé quelque émotion à la mère, car elle se hâta de dire :

« Il n’est rien arrivé à mon fils ?

– Si !… Il est arrivé une lettre que le courrier de Christiania avait apportée de Drammen…

– Une lettre qui vient de Drammen ? dit vivement dame Hansen en baissant la voix.

– Je ne sais pas, répondit le jeune gars. Tout ce que je sais, c’est que Joël ne peut revenir avant demain et qu’il m’a envoyé ici pour vous apporter cette lettre.

– C’est donc pressé ?

– Il paraît.

– Donne, dit dame Hansen, d’un ton qui dénotait une assez vive inquiétude.

– La voici, bien propre et pas chiffonnée. Seulement cette lettre n’est pas pour vous. »

Dame Hansen sembla respirer plus à l’aise.

« Et pour qui ? demanda-t-elle.

– Pour votre fille.

– Pour moi ! dit Hulda. C’est une lettre de Ole, j’en suis sûre, une lettre qui sera venue par Christiania ! Mon frère n’aura pas voulu me la faire attendre ! »

Hulda avait pris la lettre, et, après s’être éclairée du chandelier, qui avait été déposé sur la table, elle regardait l’adresse.

« Oui !… C’est de lui !… C’est bien de lui !… Puisse-t-il m’annoncer que le Viken va revenir ! »

Pendant ce temps, dame Hansen disait au jeune gars :

« Tu n’entres pas ?

– Une minute alors ! Il faut que je retourne ce soir à la maison, parce que je suis retenu demain matin pour une kariol.

– Eh bien, je te charge de dire à Joël que je compte aller le rejoindre. Qu’il m’attende donc.

– Demain soir ?

– Non, dans la matinée. Qu’il ne quitte pas Mœl sans m’avoir vue. Nous reviendrons ensemble à Dal.

– C’est convenu, dame Hansen.

– Allons, une goutte de brandevin ?

– Avec plaisir ! »

Le jeune gars s’était approché de la table, et dame Hansen lui avait présenté un peu de cette réconfortante eau-de-vie, toute-puissante contre les brumes du soir. Il n’en laissa pas une goutte au fond de la petite tasse. Puis :

« God aften ! dit-il.

– God aften, mon garçon ! »

C’est le bonsoir norvégien. Il fut simplement échangé. Pas même une inclination de tête. Et le jeune gars partit, sans s’inquiéter de la longue trotte qu’il avait à faire. Ses pas se furent bientôt perdus sous les arbres du sentier qui côtoie la torrentueuse rivière.

Cependant Hulda regardait toujours la lettre de Ole et ne se hâtait pas de l’ouvrir. Qu’on y songe ! Cette frêle enveloppe de papier avait dû traverser tout l’Océan pour arriver jusqu’à elle, toute cette grande mer où se perdent les rivières de la Norvège occidentale. Elle en examinait les différents timbres. Mise à la poste le 15 mars, cette lettre n’arrivait à Dal que le 15 avril. Comment, il y avait un mois déjà que Ole l’avait écrite ! Que d’événements avaient pu se produire pendant ce mois, sur ces parages du New-Found-Land – nom que les Anglais donnent à l’île de Terre-Neuve ! N’était-ce pas encore la période de l’hiver, l’époque dangereuse des équinoxes ? Ces lieux de pêche ne sont-ils pas les plus mauvais du monde, avec les formidables coups de vent que le pôle leur envoie à travers les plaines du Nord-Amérique ? Métier pénible et périlleux, ce métier de pêcheur, qui était celui de Ole ! Et s’il le faisait, n’était-ce point pour lui en rapporter les bénéfices, à elle, sa fiancée, qu’il devait épouser au retour ! Pauvre Ole ! Que disait-il dans cette lettre ? Sans doute, qu’il aimait toujours Hulda, comme Hulda l’aimerait toujours, que leurs pensées se confondaient, malgré la distance, et qu’il voudrait être au jour de son arrivée à Dal !

Oui ! il devait dire tout cela, Hulda en était sûre. Mais, peut-être ajoutait-il que son retour était proche, que cette campagne de pêche, qui entraîne les marins de Bergen si loin de leur terre natale, allait prendre fin ! Peut-être Ole lui apprenait-il que le Viken achevait d’arrimer sa cargaison, qu’il se préparait à appareiller, que les derniers jours d’avril ne s’écouleraient pas sans que tous deux fussent réunis en cette heureuse maison du Vestfjorddal ? Peut-être l’assurait-il, enfin, que l’on pouvait déjà fixer le jour où le pasteur viendrait de Mœl pour les unir dans la modeste chapelle de bois dont le clocher émergeait d’un épais massif d’arbres, à quelques centaines de pas de l’auberge de dame Hansen ?

Pour le savoir, il suffisait simplement de briser le cachet de l’enveloppe, d’en tirer la lettre de Ole, de la lire, même à travers les larmes de douleur ou de joie que son contenu pourrait amener dans les yeux de Hulda. Et, sans doute, plus d’une impatiente fille du Midi, une fille de la Dalécarlie, du Danemark ou de la Hollande, eût déjà su ce que la jeune Norvégienne ne savait pas encore ! Mais Hulda rêvait, et les rêves ne se terminent que lorsqu’il plaît à Dieu de les finir. Et que de fois on les regrette, tant la réalité est décevante !

« Ma fille, dit alors dame Hansen, cette lettre que ton frère t’a envoyée, c’est bien une lettre de Ole ?

– Oui ! j’ai reconnu son écriture !

– Eh bien, veux-tu donc remettre à demain pour la lire ? »

Hulda regarda une dernière fois l’enveloppe. Puis, après l’avoir décachetée sans trop de hâte, elle en retira une lettre soigneusement calligraphiée et lut ce qui suit :

Le jeune gars n'en laissa pas une goutte.

« Saint-Pierre-Miquelon, 17 mars 1882.

« Chère Hulda,

« Tu apprendras avec plaisir que nos opérations de pêche ont prospéré et qu’elles seront achevées dans quelques jours. Oui ! Nous touchons à la fin de la campagne ! Après un an d’absence, combien je serai heureux de revenir à Dal, et d’y retrouver la seule famille qui me reste et qui est la tienne.

Une scierie à Dal.

« Mes parts de bénéfice sont belles. Ce sera pour notre entrée en ménage. Messieurs Help frères, Fils de l’Aîné, nos armateurs de Bergen, sont avisés que le Viken sera probablement de retour du 15 au 20 mai. Tu peux donc t’attendre à me voir à cette époque, c’est-à-dire, au plus, dans quelques semaines.

« Chère Hulda, je compte te trouver encore plus jolie qu’à mon départ, et, comme ta mère, en bonne santé. En bonne santé aussi, ce hardi et brave camarade, mon cousin Joël, ton frère, qui ne demande pas mieux que de devenir le mien.

« Au reçu de la présente, fais bien toutes mes amitiés à dame Hansen, que je vois d’ici, au fond de son fauteuil de bois, près du vieux poêle, dans la grande salle. Répète-lui que je l’aime deux fois, d’abord parce qu’elle est ta mère, et ensuite parce qu’elle est ma tante.

« Surtout ne vous dérangez pas pour venir au-devant de moi à Bergen. Il serait possible que le Viken fût signalé plus tôt que je le marque. Quoi qu’il en soit, vingt-quatre heures après mon débarquement, chère Hulda, tu peux compter que je serai à Dal. Mais ne va pas être trop surprise si j’arrive en avance.

« Nous avons été rudement secoués par les gros temps pendant cet hiver, le plus mauvais que nos marins aient jamais passé. Par bonheur, la morue du grand banc a donné avec abondance. Le Viken en rapporte près de cinq mille quintaux, livrables à Bergen, déjà vendus par les soins de Messieurs Help frères, Fils de l’Aîné. Enfin, ce qui doit intéresser la famille, c’est que nous avons réussi, et les profits seront bons pour moi qui, maintenant, suis à part entière.

« D’ailleurs, si ce n’est pas la fortune que je rapporte au logis, j’ai comme une idée, ou plutôt j’ai comme un pressentiment qu’elle doit m’attendre au retour ! Oui ! la fortune… sans compter le bonheur ! Comment ?… Cela, c’est mon secret, chère Hulda, et tu me pardonneras d’avoir un secret pour toi. C’est le seul ! D’ailleurs, je te le dirai… Quand ? Eh bien, dès que le moment sera venu – avant notre mariage, s’il était reculé par quelque retard imprévu – après, si je reviens à l’époque dite, et si, dans la semaine qui suivra mon retour à Dal, tu es devenue ma femme, comme je le désire tant !

« Je t’embrasse, chère Hulda. Je te charge d’embrasser pour moi dame Hansen et mon cousin Joël. J’embrasse encore ton front, auquel la couronne rayonnante des mariées du Telemark mettra comme un nimbe de sainte. Une dernière fois, adieu, chère Hulda, adieu !

« Ton fiancé,

« OLE KAMP. »

|2|

Dal – quelques maisons seulement, les unes le long d’une route qui n’est à vrai dire qu’un sentier, les autres éparses sur les croupes voisines. Elles tournent la face à l’étroite vallée du Vestfjorddal, le dos au cadre des collines du nord, au pied desquelles coule le Maan. L’ensemble de ces constructions formerait un des gaards très communs dans le pays, s’il était sous la direction d’un seul propriétaire de cultures ou d’un fermier à gages. Mais il a droit, si ce n’est au nom de bourg, du moins à celui de hameau. Une petite chapelle, édifiée en 1855, dont le chevet est percé de deux étroites fenêtres à vitraux, dresse non loin, à travers le fouillis des arbres, son clocher à quatre pans – le tout en bois. Çà et là, au-dessus des rios qui courent à la rivière, sont jetés quelques ponceaux, charpentés en losange, dont l’entrecroisement est rempli de pierres moussues. Plus loin se font entendre les grincements d’une ou deux scieries rudimentaires, actionnées par les torrents, avec une roue pour manœuvrer la scie, et une roue pour mouvoir la poutre ou le madrier. À courte distance, chapelle, scieries, maisons, cabanes, tout semble baigné dans une molle vapeur de verdure, sombre avec les sapins, glauque avec les bouleaux, que dessinent les arbres, isolés ou groupés, depuis les berges sinueuses du Maan jusqu’à la crête des hautes montagnes du Telemark.

Tel est ce hameau de Dal, frais et riant, avec ses habitations pittoresques, extérieurement peintes, celles-ci de couleurs tendres – vert naissant ou rose clair – celles-là enluminées de couleurs violentes, jaune éclatant ou sang-de-bœuf. Leurs toits d’écorces de bouleau, emplâtrés d’un gazon verdoyant que l’on fauche à l’automne, sont coiffés de fleurs naturelles. Tout cela est délicieux et appartient au plus charmant pays du monde. Pour tout dire, Dal est dans le Telemark, le Telemark est en Norvège, et la Norvège, c’est la Suisse avec plusieurs milliers de fiords qui permettent à la mer de gronder au pied de ses montagnes.

Le Telemark est compris dans cette portion renflée de l’énorme cornue que figure la Norvège entre Bergen et Christiania. Ce bailliage – une dépendance de la préfecture de Batsberg – a des montagnes et des glaciers comme la Suisse, mais ce n’est pas la Suisse. Il a des chutes grandioses comme le Nord-Amérique, mais ce n’est pas l’Amérique. Il a des paysages avec des maisons peintes et des processions d’habitants, vêtus de costumes d’un autre âge, comme certains bourgs de la Hollande, mais ce n’est pas la Hollande. Le Telemark, c’est mieux que tout cela, c’est le Telemark, contrée peut-être unique au monde par les beautés naturelles qu’elle renferme. L’auteur a eu le plaisir de le visiter. Il l’a parcouru en kariol avec des chevaux pris aux relais de poste – quand il s’en trouvait. Il en a rapporté une impression de charme et de poésie, si vivace encore dans son souvenir, qu’il voudrait pouvoir en imprégner ce simple récit.

À l’époque où se passe cette histoire – en 1862 – la Norvège n’était pas encore sillonnée par le chemin de fer qui permet actuellement d’aller de Stockholm à Drontheim par Christiania. Maintenant un immense lien de rails est tendu à travers ces deux pays scandinaves, peu enclins à vivre d’une vie commune. Mais, enfermé dans les wagons de ce chemin de fer, si le voyageur va plus vite qu’en kariol, il ne voit plus rien de l’originalité des routes d’autrefois. Il perd la traversée de la Suède méridionale par le curieux canal de Gotha, dont les steam-boats, s’élevant d’écluse en écluse, grimpent à trois cents pieds de hauteur. Enfin, il ne s’arrête ni aux chutes de Trolletann, ni à Drammen, ni à Kongsberg, ni devant toutes les merveilles du Telemark.

À cette époque, le railway n’était qu’en projet. Quelque vingt ans devaient s’écouler encore avant qu’on pût traverser le royaume scandinave d’un littoral à l’autre – en quarante heures – et aller jusqu’au cap Nord, avec billets d’aller et retour pour le Spitzberg.

Or, précisément, Dal était alors – et qu’il le soit longtemps ! – ce point central qui attirait les touristes étrangers ou indigènes, ces derniers, pour la plupart, étudiants de Christiania. De là, ils peuvent se disperser sur toute la région du Telemark et du Hardanger, remonter la vallée du Vestfjorddal entre le lac Mjös et le lac Tinn, se rendre aux merveilleuses cataractes du Rjukan. Sans doute, il n’y a qu’une seule auberge dans ce hameau ; mais c’est bien la plus attrayante, la plus confortable que l’on puisse désirer, la plus importante aussi, puisqu’elle met quatre chambres à la disposition des voyageurs. En un mot, c’est l’auberge de dame Hansen.

Quelques bancs entourent la base de ses parois roses, isolées du sol par une solide fondation de granit. Les poutres et les planches de sapin de ses murs ont acquis avec le temps une dureté telle que l’acier d’une hache s’y émousserait. Entre ces poutres, à peine équarries, disposées horizontalement les unes sur les autres, un rejointoiement de mousses, mélangées de terre glaise, forme des bourrelets étanches qui empêchent même les plus violentes pluies d’hiver d’y pénétrer. Au-dessus des chambres, le plafond chevronné est peint de tons rouges et noirs, contrastant avec les couleurs plus douces et plus réjouissantes des lambris. En un coin de la grande salle, le poêle circulaire envoie son tuyau se perdre dans la cheminée du fourneau de la cuisine. Ici, la boîte à horloge promène sur un large cadran d’émail ses aiguilles ouvragées et pique, de seconde en seconde, un tic-tac sonore. Là s’arrondit le vieux secrétaire à moulures brunes, près d’un trépied massif, peint en fer. Sur une planchette se dresse le chandelier en terre cuite, qui devient candélabre à trois branches quand on le retourne. Les plus beaux meubles de la maison ornent cette salle : — la table en racine de bouleau, à pieds renflés, le coffre-bahut, à fermoirs historiés, où sont rangées les belles toilettes des fêtes et dimanches, le grand fauteuil dur comme une stalle d’église, les chaises de bois peinturluré, le rouet rustique, agrémenté de tons verts qui tranchent vivement sur la jupe rouge des fileuses. Puis, deçà delà, le pot pour conserver le beurre, le rouleau qui sert à le comprimer, la boîte à tabac et la râpe en os sculpté. Enfin, au-dessus de la porte, ouverte sur la cuisine, un large dressoir étale ses rangées d’ustensiles de cuivre et d’étain, des plats et des assiettes, à émail vif, en faïence et en bois, la petite meule à aiguiser, à demi plongée dans son colimaçon verni, le coquetier antique et solennel qui pourrait servir de calice ; et quelles parois amusantes, tendues en tapisseries de linge, représentant des sujets de la Bible, enluminées de toutes les couleurs de l’imagerie d’Épinal ! Quant aux chambres des voyageurs, pour être plus simples, elles n’en sont pas moins confortables avec leurs quelques meubles d’une propreté engageante, leurs rideaux de fraîche verdure qui pendent de la crête du toit gazonné, leur large lit à draps blancs, en frais tissu d’« akloede », et leurs lambris qui portent des versets de l’Ancien Testament, écrits en jaune sur fond rouge.

Il ne faut point oublier que les planchers de la grande salle, comme ceux des chambres du rez-de-chaussée et du premier étage, sont semés de petites branches de bouleau, de sapin, de genévrier, dont les feuilles emplissent la maison de leur vivifiante odeur.

Pourrait-on imaginer une plus charmante posada en Italie, une plus alléchante fonda en Espagne ? Non ! Et le flot de touristes anglais n’en avait pas encore fait élever les prix, comme en Suisse – du moins à cette époque. À Dal, ce n’est pas la livre sterling, le pound d’or, dont la bourse du voyageur est bientôt veuve, c’est le species d’argent qui vaut un peu plus de cinq francs, ce sont ses subdivisions, le mark d’une valeur d’un franc, et le skilling de cuivre, qu’il faut bien se garder de confondre avec le shilling britannique, car il n’équivaut qu’à un sou de France. Ce n’est pas non plus la prétentieuse bank-note dont le touriste vient faire usage et abus au Telemark. C’est le billet d’un species qui est blanc, celui de cinq qui est bleu, celui de dix qui est jaune, celui de cinquante qui est vert, celui de cent qui est rouge. Deux de plus, et l’on ferait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !

Puis – ce qui n’est point à dédaigner dans cette hospitalière maison – la nourriture y est bonne, chose rare dans la plupart des auberges de la région. En effet, le Telemark ne justifie que trop son surnom de « Pays du lait caillé ». Au fond de ces trous de Tiness, de Listhüs, de Tinoset, de bien d’autres, jamais de pain, ou si mauvais qu’il vaut mieux s’en passer. Rien qu’une galette d’avoine, le « flatbröd », sec, noirâtre, dur comme du carton, ou tout simplement un gâteau grossier, fait avec la substance intermédiaire de l’écorce de bouleau, mélangée de lichens ou de hachures de paille. Rarement des œufs, à moins que les poules n’aient pondu huit jours avant. Mais, à profusion, de la bière inférieure, du lait caillé, doux ou sur, et quelquefois un peu de café, si épais qu’il ressemble plutôt à de la suie distillée qu’aux produits de Moka, de Bourbon ou de Rio-Nunez.

Chez dame Hansen, au contraire, la cave et l’office sont convenablement garnies. Que faut-il de plus aux touristes même exigeants ? Saumon cuit, salé ou fumé, « hores », saumons des lacs qui n’ont jamais connu les eaux amères, poissons des cours d’eau du Telemark, volailles ni trop dures ni trop maigres, œufs à toutes sauces, fines galettes de seigle et d’orge, fruits, et plus particulièrement des fraises, pain bis, mais d’excellente qualité, bière et vieilles bouteilles de ce vin de Saint-Julien qui propage jusqu’en ces contrées lointaines la renommée des crus de France.

Aussi, réputation faite, dans tous les pays du nord de l’Europe, pour l’auberge de Dal.

On peut le voir, d’ailleurs, en feuilletant le livre aux feuilles jaunâtres sur lesquelles les voyageurs signent volontiers de leur nom quelque compliment à l’adresse de dame Hansen. Pour la plupart, ce sont des Suédois, des Norvégiens, venus de tous les points de la Scandinavie.

Cependant, les Anglais y sont en grand nombre, et l’un d’eux, pour avoir attendu une heure que le sommet du Gousta se dégageât de ses vapeurs matinales, a britanniquement écrit sur une des pages :

Patientia omnia vincit.

Il y a également quelques Français, dont l’un, qu’il vaut mieux ne pas nommer, s’est permis d’écrire :

« Nous n’avons qu’à nous louer de la réception qu’on nous a « fait » dans cette auberge ! »

Peu importe la faute grammaticale, après tout ! Si la phrase est plus reconnaissante que française, elle n’en rend pas moins hommage à dame Hansen et à sa fille, la charmante Hulda du Vestfjorddal.