Un coup fatal - Abdelkarim Belkassem - E-Book

Un coup fatal E-Book

Abdelkarim Belkassem

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Beschreibung

Plongé malgré lui dans l’ombre du crime, un écrivain voit sa vie se mêler à la cavale d’un homme sans scrupules, prêt à tout pour échapper à la justice. Face à lui, le commissaire Bilal, déterminé et incorruptible, mène une traque implacable où chaque choix devient un combat entre loyauté et compromission. De l’Hexagone aux ruelles brûlantes d’Espagne et du Maroc s’ouvre une course haletante où le bien et le mal s’affrontent, sans répit. Un récit palpitant où les destins se croisent, se heurtent, et la vérité se paie toujours au prix fort.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Professeur de littérature arabe, Abdelkarim Belkassem est aussi musicien classique, oudiste et ténor en chant arabo-andalou et oriental. Membre de la Société des Gens de Lettres et de l’Association des Écrivains Combattants, il se consacre à la rédaction de romans et d’essais, véritables passerelles entre ses deux cultures.

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Seitenzahl: 394

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Abdelkarim Belkassem

Un coup fatal

De Beauvais à Safi

Roman

© Lys Bleu Éditions – Abdelkarim Belkassem

ISBN : 979-10-422-8655-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Voyage à Beauvais

C’était une journée merveilleuse ! Pas comme celles des années passées…

L’écrivain avait l’habitude de participer à un salon, même quand son agenda était trop rempli.

Un salon de plein air, comme le disait Salem. Ce n’était ni un bon signe, ni une organisation qui pouvait le pousser à y dédicacer. Alors parfois, une exception lui fait enfreindre ses règles et se mettre en vue sur la place de la mairie de Beauvais. Celle-ci est une belle bâtisse historique, où il aime se poser sur les empreintes des ancêtres.

Originaire du Maroc, il vient d’être naturalisé français par mariage et sa personnalité est hors du commun, celle d’un homme de lettres, de principe et de morale. Qu’il préfère aux liens du sang.

L’humanité est née d’un seul homme et d’une seule femme ! Et même si le Pape dément l’histoire d’Adam et Ève, Salem reste fermement sur son idée.

L’écriture lui colle au corps. C’est le passe-temps qu’il a découvert à l’âge adulte. Sa femme, Rosalina, à ses côtés dans les salons, le soutient dans son projet de vie. À chaque évènement littéraire, elle est sa première passagère dans la voiture ! Comme une mère, une femme active, appréciant les voyages et la culture. La Franco-Anglaise, la plus généreuse que Salem ait rencontrée dans sa vie.

Un salon d’un jour est le fruit du travail de l’année, ce que les visiteurs et les lecteurs ne savent pas.

L’auteur est actif jour et nuit. En imagination et en écriture. On dirait un ermite au sommet d’une montagne, loin de la civilisation.

Rosalina est bien réveillée, plus que l’écrivain, à la recherche de moments de relâchement et d’apaisement. Il n’aime pas dépenser son énergie et la garde pour ce qui est important dans sa vie, précieuse dans tous ses instants de conscience.

Comme d’habitude, Rosalina organise les agendas des manifestations. L’écrivain, lui, est occupé, toujours partant. Tout l’intéresse. Quand il n’écrit pas, il cherche des informations sur internet. Il ne délaisse rien sur les informations du monde. Il explore tout ce qui existe. Sciences, littérature, histoire, géographie, astronomie, sports, voyages, avec sa deuxième passion, la musique. Son instrument à portée de main, il le saisit et frotte les cordes. Il entend des phrases de musique dans sa mémoire, celle de son passé et celle qu’il interprète.

À chaque invitation de dédicace de ses ouvrages, Salem se lève le premier, le plus tôt possible, et prépare les sacs de collations et les cartons de ses livres.

Il aime la chaleur et parfois, le soleil éclaircit le ciel, ce qui n’est pas toujours habituel en Normandie. Rouen se niche dans une marmite, comme dit sa femme. Nuageux et venté.

Mais parfois, le ciel est clément. Salem attend le dernier moment pour partir pour éviter de se fatiguer et voyager avec plaisir.

Quand il fait très froid, en temps de neige ou de verglas, il réchauffe la voiture pour le confort de sa femme. La climatisation est un cadeau des sciences modernes. Et Salem n’hésite pas à en profiter !

Sa femme est toujours partie prenante, et il aime cela chez elle.

La galère de l’écrivain

Aux temps anciens, les écrivains étaient heureux. Ils créaient avec bonheur des œuvres.

Aujourd’hui, tout s’est modifié, l’auteur devient aussi un commerçant. Dès la signature du contrat d’édition, il vend son œuvre. C’est une obligation, car les petites maisons littéraires ont besoin du coup de pouce des écrivains. Leurs familles et les amis, proches et lointains, sont un bon marché pour vendre la matière première d’un artiste, tels les livres ou autres œuvres d’art.

Les écrivains ne peuvent plus seulement s’atteler à écrire. Ils pensent commerce, ce qui est leur hantise.

Lui, il fait ce travail pour le plaisir et pour réaliser une prophétie de sa mère, qui disait de lui, lorsqu’il avait cinq ans, qu’il deviendrait un SAVANT !

Cela paraissait inaccessible, un rêve irréalisable pour un petit garçon de bidonville aux toits de zinc.

En réalité, ce qui semblait impossible pour le petit et sa mère ne l’était pas pour le destin.

Il suffit parfois d’y croire : « I have a dream ».

Ce temps est celui des rêves alors que le réel est plus vivable pour les enfants du monde !

Il ne suffit pas de vendre les livres à l’entourage, mais aussi sur le net. Sur des blogs et les sites sociaux, tels Facebook, Twitter et autres.

L’écrivain doit voyager, faire le tour des librairies et des médiathèques aussi loin qu’il peut le faire. Il lui faut traverser des villes et parfois des pays pour se faire connaître. Ses efforts et ses dépenses ne sont pas des investissements sûrs. Cela peut être une perte d’argent et de temps, perdus à jamais. Ce qui arrive à 90 % de ces créateurs littéraires. Les chanceux sont minoritaires.

Les grandes maisons d’édition prennent le marché pour elles avec les écrivains choisis en petit nombre. Tout se fait par amitié et recommandations.

Ce qui rend la vie difficile pour Salem, même si ses écrits sont à la hauteur de ceux qui sont publiés par les éditeurs ayant pignon sur rue, sa chance est faible. Il lui faut serrer les dents pour assouvir son goût d’écrire, de raconter des histoires.

Ce que fait Salem sans relâche !

Sa femme Rosalina est à ses côtés pour l’encourager. Elle a confiance en sa prose et elle l’évalue de bon niveau.

Et même s’il n’est pas reconnu comme un grand, il aura laissé une trace de son passage sur cette terre. Et cela le console.

En route vers Beauvais

Quand Salem est invité à participer à un salon, il se lève tôt en fin de semaine pour être prêt, à son rythme.

Il donne d’abord à manger à ses chats, tâche obligatoire pour avoir ensuite le champ libre pour ses préparatifs.

Avant que Salem n’émerge, les cinq chats, eux, sont debout !

Ils se nettoient le pelage avant de déjeuner. Parfois, il arrive que Salem reçoive leur visite avant de sortir du lit.

Les chats ont l’habitude de prendre leur premier repas à cinq heures.

Dès que le maître bouge, le plus vieux chat se met à miauler ! Il insiste pour obtenir sa pâtée.

Salem se sentirait presque coupable de ne pas le nourrir assez vite.

Dès qu’il s’approche du chat, les autres arrivent en courant. Le pauvre Salem se sent déséquilibré par le mouvement des chats dans ses jambes.

Il sent la tension monter en lui, mais il ne se montre pas agacé envers les chats si instinctifs.

Salem se contrôle et les sert du plus grand au plus petit. Leur impatience est phénoménale. Chacun se lance à son tour pour montrer son existence, parfois même, ils se chamaillent et se mordillent. L’un chasse l’autre pour prendre sa place.

Leur maître a d’autres chats à fouetter. Il doit gérer ses problèmes personnels et l’organisation du voyage sur une distance de 80 km et parfois plus. Il fait ainsi le tour de France, étape après étape pour présenter ses livres aux lecteurs.

Et même si ses livres font le tour du monde en numérique, sa chance n’est pas à la hauteur de ce qu’il souhaite. Ce qui l’apaise, c’est son amour et sa passion pour l’écriture. Mais il aimerait aussi avoir des ventes, preuve qu’il est apprécié des amoureux du livre.

Le repas du jour

C’était mieux avant !

Il y a une dizaine d’années, les salons étaient différents. Des aides étaient accordées aux organisateurs et les écrivains ne repartaient pas les mains vides lors de manifestations culturelles. Au moins, on leur remboursait l’essence !

Parfois, les organisateurs étaient plus généreux. Repas gratuits, billets de train ou de bus et même des chambres pour inciter les auteurs à se déplacer depuis d’autres régions.

Les auteurs étaient encouragés, des Français, des Belges et même des Canadiens, des Américains, des Hollandais et des Scandinaves. Les auteurs avaient ainsi l’occasion de se faire des connaissances et de s’inviter les uns les autres. Les éditeurs, aussi, étaient de la partie et rencontraient beaucoup de confrères.

Salem n’a pas confiance alors il emporte son propre sac de repas. On dirait que sa voiture est un restaurant mobile. Du thé à la menthe, du café noir, de l’eau chaude, des boîtes de thon, du fromage, du miel et du sucre, du pain et des gâteaux.

Il ne veut pas être en manque, surtout en ces jours de vacances, où parfois les boutiques de villages sont fermées.

Il n’a pas besoin d’elles, il transporte ce qu’il lui faut.

Le sac de pique-nique est le premier dans la voiture, avant même ceux des livres et des gadgets pour son stand.

Les places à l’arrière sont encombrées. Plus aucun espace vide, même pour y glisser sa pochette personnelle. Il est parfois difficile de voir à travers les vitres arrière tellement les affaires sont entassées les unes sur les autres.

En route, quand il a un peu d’avance et une petite faim, il se stationne en pleine nature et prépare le café ou le thé pour sa passagère Rosalina et lui. Joyeuse, sa compagne apprécie ces moments privilégiés.

— Il faut vivre l’instant, avec ce qu’on a ! dit-elle.

Suffisant tant qu’on est heureux.

Même un voyage de 80 km est une distraction. On n’a guère besoin de plus.

Pour ne pas être bousculé dans ses préparatifs chez lui, Salem prépare tout avant de réveiller sa femme.

Elle déjeune avant de prendre la route. C’est son habitude et son plaisir. Par contre, Salem ne se sustente pas. Le stress le rend nauséeux.

Quand il a préparé son étal au salon, il mange. Il en a envie quand tout est organisé. Les visiteurs peuvent s’intéresser à ses livres disposés avec une méthode bien rodée.

Alors qu’il fait ça depuis des années, il se sent à l’aise et apaisé en voyant ses romans. Un vrai grand bonheur !

— Je n’en crois pas mes yeux. C’est tout ça, mon travail…

Un écrivain, au moment de poser les premières phrases, ne sait pas s’il pourra continuer. Ce qu’il a en tête est une page noire ! D’autres parlent du « syndrome de la page blanche ».

C’est un miracle quand le livre est terminé, le stylo déposé après le dernier mot ou le clavier fermé.

— Un grand moment à fêter, dit Salem quand il achève un ouvrage.

Le plus difficile, aujourd’hui, c’est le réveil très matinal. Plus léger quand il y a seulement une demi-journée de dédicace !

Pour Rosalina aussi. Salem l’appelle des dizaines de fois, avant qu’elle ne réponde.

— Je suis réveillée, dit-elle, comme si elle grondait Salem.

Quand on a des rendez-vous, curieusement, on aime son lit…

Les jours sans activité prévue, on est debout à 5 h du matin sans difficulté. Eh oui, on est assuré de pouvoir retourner se coucher.

Rosalina est en retraite et Salem s’approche du repos mérité, après une longue vie difficile. Et même après sa fin de carrière, il restera un écrivain.

— Un écrivain un jour est un écrivain toujours ! disait-il.

La route des surprises

Dès que les bagages sont installés et les vérifications faites, Salem regarde sa femme Rosalina. Il attend qu’elle termine sa collation et qu’elle s’habille.

Parfois rapide, parfois moins !

Il faut du temps de préparation. Après la toilette, se maquiller, choisir des vêtements en harmonie entre eux, porter quelques bijoux. Il pousse la galanterie jusqu’à lui accrocher ses boucles d’oreilles.

Mais il est stressé ! Pour rien du tout, ses mains tremblent. Salem ne peut pas les maîtriser. Il tente de se calmer, mais penser à la route, puis à la journée l’en empêche. L’adrénaline de la motivation crée cet état comme dans une soucoupe à magnitude 7.

Il s’imagine prêt à vomir de stress, alors qu’il est à jeun.

C’est un combat qui s’arrête dès qu’il prend la route et quitte les limites de sa ville, vide à l’aube.

Salem pense aussi au stationnement, à l’emplacement de sa table et à la disposition de ses livres.

Le métier n’est plus aussi facile.

Il n’y a pas seulement l’écriture, mais aussi conduire, vendre, analyser ses livres, répondre aux questions… Le monde se complique.

N’oublions pas qu’il faut aussi postuler et se faire inviter à un salon du livre. Savoir se présenter avec un CV ! On dirait un étudiant lors de l’examen de fin d’année.

Que de déceptions, avant d’être honoré et distingué au milieu de toutes les demandes, il faut beaucoup de patience !

Rosalina est enfin prête et c’est elle qui donne le signal du départ. Il faut parfois patienter un peu, parce qu’elle peut faire marche arrière…

— En avant !

— Roule ma poule, répond Salem, rieur.

La voiture est déjà réchauffée, pour le confort de Madame.

Dès que les deux pigeons voyageurs sont installés, démarrage et éclairage des phares.

D’habitude, Salem utilise un GPS avec une carte d’Europe pour les longs voyages, mais Rosalina aime jouer au copilote. À l’ancienne. Avec elle, une carte routière et même un guide.

Rosalina prépare le trajet à l’avance. C’est son plaisir de découvrir des lieux qu’elle visitera. Il ne faut pas qu’elle manque quelque chose d’intéressant pour son blog. Des photos et des reportages seront créés après chaque déplacement, partout en France et dans les autres pays d’Europe où la chance conduit l’écrivain à des salons et à des dédicaces. C’est le meilleur dans la vie d’un auteur et de ceux qui l’accompagnent.

Il ne faut pas que Salem change d’itinéraire proposé, sinon il sera sermonné. Une initiative de sa part, et la journée sera gâchée. Il faut appliquer la carte à la lettre sans faire d’erreur, car il aura l’obligation de faire demi-tour pour reprendre la bonne route.

Il est vrai que, lorsqu’on intervertit des itinéraires, on néglige des lieux importants à voir aux yeux de Rosalina.

Même si l’écrivain est très occupé par la durée du parcours, peu lui importe la route.

Se présenter tôt signifie choisir une bonne place, une table à la longueur adéquate À défaut, Salem se fâchera avec les organisateurs.

Il faut savoir se situer, sinon la journée se passera sans dédicace, et la déception sera grande si de potentiels lecteurs passent au loin.

Il faut sourire même à ceux qui regardent avec dureté, comme si on arrivait d’une autre planète.

Une tête d’Arabe, comme celle de Salem, suffit pour que des visages se ferment, sans aucune sympathie. On dirait qu’il est venu occuper la France ! Pourtant, il est comme eux : Français, avec tous ses droits de citoyenneté et la richesse des racines multiples.

Malgré tout, ils lui font sentir qu’il n’est pas à sa place de vrai Français, descendant des Gaulois.

Pourtant, les habitants de la France n’étaient ni gaulois ni francs. Ils transhumaient de partout et le berceau de leur père se trouve à des milliers de kilomètres, là où Salem est né, à Jabel Ighod, près de la ville de Safi, au Maroc. C’est sur ces terres que les archéologues ont exhumé le squelette du père de l’humanité, le plus vieux des Homo sapiens, datant de 400 000 ans.

Voyager vers le Salon du livre fait oublier les aléas de la préparation et les risques de mauvaises rencontres. Mais ce n’est heureusement pas toujours le cas !

Des lecteurs intéressés et intéressants s’approchent pour mieux apprécier les écrits de Salem, d’origine étrangère.

Une fois, Gérard Larcher, le président du Sénat, est venu le voir au Salon du livre de Rambouillet. Après avoir bien consulté les romans de Salem, il lui a demandé :

— Écrivez-vous pour le Maroc ?

Salem n’apprécie pas ces remarques qui le désignent comme étranger, alors il lui a répondu :

— J’écris pour le Monde.

Gérard Larcher l’a longuement fixé du regard puis :

— C’est bien. Félicitations et bonne continuation !

Habituellement, Salem est fier de son pays d’origine, le Maroc, et reconnaissant à ceux qui en parlent positivement.

Pourquoi pas le Maroc ? C’est un beau pays cher au cœur de Salem.

Il n’effacera pas 40 ans de sa vie ni celle de ses parents et de ses ancêtres. Il aime tant son pays natal.

— C’est un vrai Arabe marocain, comme le répétaient ceux qui le connaissaient.

— On ne change pas de peau ! confirmait toujours Salem.

La couleur de peau est trompeuse… Quand les gens l’observent sans le connaître, ils lui demandent toujours s’il est Sud-Américain. Mexicain ?

Ils ne savent pas que Salem aimerait être un États-Unien, blanc, aux cheveux blonds et aux yeux verts…

Si seulement on pouvait choisir. C’est le destin qui décide et non l’homme et il faut l’accepter.

— Le plus important, c’est ce qu’on devient après la naissance ! dit Salem.

C’est sa devise dans la vie.

Entre Rouen et Beauvais, il faut 2 heures de route, au moins. Mais on ne roule pas à 80 km/h tout le temps. Parfois à 30, parfois à 50 et on s’arrête aussi aux feux tricolores.

C’est la route qui nous guide selon les circonstances jusqu’à notre destination.

Le voyage est un théâtre !

Il faut garder patience sur les routes de France ! Plus qu’autrefois, car les automobilistes et les motards sont de plus en plus pressés.

On ne permet pas de faute de conduite, alors qu’elle est humaine. Tous sont exigeants. Vite, il faut faire vite et rouler vite. Ne pas perdre une minute quand le feu passe au vert, et parfois même se risquer à passer au rouge, poussé par ceux qui vous succèdent, collés à vous.

Le plus étrange, c’est que certains souhaitent que vous accélériez, même plus qu’autorisé.

Salem est au maximum, 50 km/h, comme l’indique le panneau et un routier klaxonne à tout va, derrière lui, pour l’inciter à rouler plus vite dans la zone urbaine. Ne parlons pas des axes autour de la ville. Les chauffards roulent à 80 km/h l’heure au lieu de 50 ou même 30, quand il y a des dos d’âne !

Mais ils ne sont pas les seuls sur la route.

— On est dans un pays démocratique. On ne peut pas agir selon son bon plaisir sans respecter la loi et les droits des autres.

Rosalina est agacée, mais Salem reste calme en voyant les autres dégrader les conditions de conduite routière.

Il ne va pas à chaque fois s’arrêter pour donner une leçon aux fauteurs de trouble. Il n’est pas responsable de leurs actes et si on s’arrête à chaque rond-point, on n’arrivera pas à temps à Beauvais. On mettra dix jours au lieu d’une heure et demie.

— Voilà encore un avertisseur ! dit Rosalina.

— Mais sur qui ? Sur moi ou sur les autres ?

On ne sait plus ce que signifie le coup de klaxon, ni la nuit, ni le long de lieux calmes, comme les hôpitaux. Comme au bled dans les années 70 !

Les conducteurs étaient illettrés et ne connaissaient pas le Code de la route. Conduite instinctive…

— Là, on est en France ! dit Salem. Un pays civilisé avec des habitants cultivés et bien éduqués !

— C’était avant ! répond Rosalina. Ce monde n’existe plus !

— Je le constate ! ajoute Salem. Mais laissons tomber. On a d’autres chats à fouetter.

Voilà qu’un chauffard klaxonne encore depuis son camion. Il met les pleins phares et s’approche tout près de l’arrière de la voiture de Salem, le plus proche possible.

Salem a peur que l’avant du camion monte dans le coffre de sa voiture. Il accélère pour s’éloigner du camion et lui laisser la place. Le chauffeur fait des signes avec les mains, lâchant le volant, pour dire à Salem d’avancer.

Salem, au maximum autorisé sur cette route, n’ira pas plus vite pour faire plaisir au routier.

Le chauffeur se calme quelques minutes et recommence en punissant Salem avec ses pleins phares.

Salem est indécis. Ses mains sont collées au volant et il est obligé de décélérer le plus possible pour voir la route.

Alors que Salem manœuvre pour éviter un accident, le chauffard accélère et dépasse la ligne blanche pour le doubler. Il augmente beaucoup sa vitesse et continue sur la voie de gauche.

Salem ne voit plus que les fumées qui teintent les vitres de la voiture. Il ne voit plus la route.

— Je freine ! crie Salem à sa femme pour qu’elle se mette en position de sécurité. Même avec les ceintures, les deux voyageurs auront la possibilité d’éviter le coup du lapin.

Rosalina reste stoïque quand Salem entre en action, mais quand cela se calme, elle se défoule en paroles…

Elle respecte son mari. Elle sait que sa conduite ne met jamais les autres en danger.

Un moment de silence suit l’incident !

On croirait qu’il n’y a plus personne dans la voiture, seul le moteur ronronne et parfois les clic-clacs des clignotants animent l’espace.

Après la tempête, le calme.

— On est passé près de la mort, mais cette fois, les cons n’auront pas notre peau ! dit Rosalina.

Salem sourit, car la phrase est de sa belle-mère. Elle le répétait pour dire que nous sommes les plus forts. Qu’il ne faut pas baisser les bras et surtout se relever, si on tombe.

Sur la route du Beauvais de Rouen, après la métropole de Rouen, la première curiosité qui attire l’attention, c’est un beau château, celui de Martainville, un musée des coutumes normandes, puis dans un vallon, à peine visible, celui de Vascoeuil où l’écrivain Michelet vivait.

En passant devant Martainville, Rosalina sort de son silence et s’exclame sur sa beauté et son envie de le visiter. Salem dit qu’il faut prévoir un moment dans leur agenda. Aujourd’hui, impossible. On est attendu au Salon de Beauvais.

— 50 km/h ! dit Rosalina pour prévenir Salem en pleine ville.

— Regarde, je suis à 50. Le compteur est devant toi.

— C’est seulement pour t’informer. Stop !

Elle a vu qu’après un passage surélevé, un stop est marqué sur la route nationale et qu’une petite voie entre les maisons est prioritaire pour faciliter la vie le long d’une grande route passagère.

Pour se distraire et animer le voyage, quand Salem aperçoit un stop, il devance sa femme pour dire :

— Sop !

C’est un mot du bled, crié aux chats pour les chasser, quand ils approchent leurs têtes des plats de leurs maîtres.

Rosalina trouve « Sop » mignon et éclate de rire.

Au moins, elle constate que son mari est attentif et respectueux du Code de la route. Pas comme les tarés de chauffards et les buveurs sortant des boîtes de nuit qui conduisent en état d’ébriété.

La terre des rois

La route de Beauvais, comme toutes celles de France, est un lieu d’Histoire vivante. Avant, Salem ne la connaissait qu’à travers ses cours, au lycée.

Aujourd’hui, en France, Salem lit lui-même le passé du pays auquel il s’est attaché.

La France est grande, la mère du monde, un enclos de la civilisation depuis le début des temps. Pour ça et le grand amour de Salem pour les cultures anciennes et modernes, son cœur bat la chamade à chaque mètre parcouru.

— Notre histoire est unique, dit-il. Où elle se déroule, elle nous appartient ! La terre est celle des hommes et ils n’ont qu’un père et une mère. Nous sommes tous frères, même si certains l’oublient égoïstement. Égoïsme.

Le château de Martainville est un de ces joyaux. On ne peut se diriger vers Beauvais sans l’apercevoir de la route. Comme les pyramides d’Égypte, là, dans l’imagination avant d’être visibles.

Salem est sur des charbons ardents quand il le voit. Il veut le visiter depuis une vingtaine d’années, mais les occupations de la vie l’ont empêché.

Le château n’est pas si éloigné pourtant et le destin n’a pas dit son dernier mot. On décidera, soi-disant, de s’y rendre, mais on n’est maître de rien…

On dirait que 20 ans ne suffiraient pas pour visiter les joyaux culturels de la France. C’est du moins ce que pense Salem qui découvre ces lieux historiques depuis son arrivée en France. Il n’en a pourtant pas suffisamment vu et il se dit qu’une vie ne suffit pas pour tout connaître.

Salem est croyant, comme au Maroc, alors il pense que la vie est entre les mains de Dieu. Si un évènement est prévu, il sera vécu. Telle sa vie en France, un rêve qui s’est réalisé après la rencontre avec Rosalina. Inimaginable !

L’échange de deux phrases sur un ordinateur est devenu un projet de vie réel.

— C’est la rencontre de l’âme sœur, comme il le répète. En réalité, c’est son destin écrit avant sa naissance, message de celui qui a la foi. Avant la création de la terre et des cieux, avant même Adam et Ève.

Tout est écrit dans un livre de la main du Créateur !

C’est vrai que Salem a la chance de croire à ce qu’il dit, comme lui précise Rosalina, car d’autres aimeraient bien croire, mais ne trouvent pas le chemin vers Dieu.

Salem a toujours de l’espoir pour ceux qui n’ont pas le bonheur de croire et que, même dans la dernière minute de la vie, le chemin sera trouvé et l’homme rencontrera Dieu heureux et gagnera son paradis.

Il ne faut jamais perdre cet espoir. Il faut travailler et faire le bien jusqu’à son dernier souffle.

La terre des Normands est une terre riche de penseurs, de poètes et d’écrivains, des gens sains éclairent le chemin.

Salem, avant d’être écrivain, appréciait énormément les idéologues, philosophes et poètes. L’histoire des hommes et les contes populaires.

Et la route de Beauvais en est riche. Le château de Vascoeuil en est un exemple avec Michelet. La région rouennaise, Hector Malot et Gustave Flaubert, Pierre Corneille et son frère Thomas, autres écrivains et penseurs normands du passé comme du présent.

Salem se considère lui-même leur descendant, même s’il est originaire du Maroc. Sa vie ici est un prolongement de la vie des Normands, avant d’être la suite de sa vie passée au Maghreb.

Il met tout en œuvre pour que les autres soient convaincus de ce qu’il ressent. Ses créations en sont une trace.

Pour lui, la route ne se lit pas à travers ses communes, mais par sa richesse créative dans le domaine des pensées et des sciences.

Pour voir la vie en rose, il faut admirer les beautés de la pensée à travers l’Histoire.

C’est entre le rêve et la réalité que défile la route vers Beauvais !

Dès qu’on sort du domaine urbain de Rouen, nous découvrons la pleine nature. De très grands champs et leur terre rouge, comme le sang. Salem aime beaucoup ces paysages qui lui rappellent ceux de son pays natal et Safi, la cité de l’océan Atlantique !

Durant son enfance, quand il sortait ses moutons, un mâle, une brebis et ses deux agneaux ainsi qu’une chèvre et son chevreau femelle, il se sentait au paradis. Des champs de la liberté, alors que sa maison au village était une prison. Il a toujours aimé la solitude, s’éloigner des autres, y compris ses frères et sa mère. Son père, lui, travaillait la nuit et parfois le jour.

Les partages avec les siens le faisaient souffrir. Même autour d’un repas à une table bien garnie d’une fête.

Il fallait réussir à se nourrir au milieu de neuf personnes. Avoir le bras long et la main rapide ! Très long même. Parfois, Salem se couchait à moitié vers le plat pour réussir à attraper une bouchée de couscous ou un morceau de légume et non la viande qu’il fallait attendre à la fin.

C’était la partie noble du repas, car il n’y en avait pas beaucoup pour chacun des convives. On l’ajoutait pour donner un goût encore meilleur aux céréales et aux primeurs. Ceux du bled mangent à leur faim le jour de l’Eid Lakbir, la fête du mouton ! Les autres jours de l’année, la viande est onéreuse et les pauvres, comme Salem et sa famille. Ils n’arrivent pas à s’en procurer.

Si Salem réussit, malgré ses frères, à atteindre le plat pour dénicher un morceau de légume, c’est déjà bien.

La grande assiette est soit posée sur la table, soit par terre, sur une pierre plate et les membres de la famille s’assoient autour. Chacun pousse l’autre pour prendre le plus de place, comme les animaux. On grogne pour avoir la priorité. S’ils pouvaient tout manger, ils n’hésiteraient pas à le faire.

Aucune démocratie entre ceux qui ont faim. Il n’y a que la survie et tant qu’on tient un gros morceau de nourriture, on est sûr d’atteindre l’autre repas de la journée. Si la chance permet à la mère de trouver quelque chose à mettre dans la marmite avec un peu d’eau !

Parfois même, l’eau de la source est tarie et la terre désertique et rien ne pousse.

Vers la fin du repas, la mère récupère les 200 g de viande et les partage. Chacun un petit morceau. Pour le renifler, comme elle disait. Et sentir le bout minuscule procure un intense plaisir. Mais quand on porte la viande à sa bouche, les miettes restent coincées entre les dents sans rien à mâcher…

Les rêves de la vie

On dirait que celle de Salem passe des milliers de fois devant ses yeux. Dans sa petite mémoire se cachent tous ses rêves éveillés. Il fait les comptes de ce qui a été réalisé et ce qui ne l’a pas été. La nostalgie du passé, de son pays natal, mais aussi de sa vie, aujourd’hui, en France.

Il ne regrette jamais d’être parti, mais il est nostalgique de ne pas vivre dans son pays. Circulent en lui les instants tristes et surtout les beaux moments. On ne peut guère changer le passé, mais on peut le revivre à sa façon ! Dans nos rêves, ce qu’on aime et ce qu’on déteste.

Tout s’engrange dans la mémoire, le bien comme le mal.

Quand on fait mal à Salem, il s’adapte. Il ne laisse jamais se répéter une erreur. Parfois, il se laisse aller et retombe. C’est humain. Il ne faut surtout pas avoir honte de se tromper et c’est parfois un plaisir quand on maîtrise le jeu !

Les rêves gratifient plus que la vie elle-même, mais ils ne sont pas éternels.

Un moment apprécié devient un cauchemar qui harcèle les nuits. Il nous ferait presque regretter d’être vivant.

Salem est de ceux qui veulent plus que ce qu’ils peuvent. Un homme simple, qui vit l’instant comme il se présente à lui. Ce qu’aiment les gens en lui. Cependant, parfois, ceux qui le connaissent se fâchent qu’il ne demande pas plus de la vie. Ils croient qu’il fait semblant pour les agacer, alors que lui, c’est sa façon la plus simple d’être lui-même. De vivre en paix, avec soi.

Pour garder le moral et la santé, il ne faut pas faire plus d’efforts que l’on peut. Salem se préserve pour être prêt lors de surprises.

On les retient avec une ligne de pêche et on les perd, en cassant les grosses chaînes en fer ! Il l’a toujours pensé.

La voiture circule toujours au bord des champs. Parfois, les arbres fruitiers attirent son attention quand sa femme lui en donne les noms :

— Des pommiers !

Elle sait bien ce que Salem admire, mais en conduisant, il n’arrive pas à visualiser tout ce qui l’entoure. Rosalina utilise parfois ses annonces pour tirer Salem de sa léthargie. Dans la plaine, Salem s’endort, tandis que Rosalina reste attentive à son chauffeur préféré, comme elle le qualifie. Il ne faut pas qu’il se laisse aller et que la voiture sorte de sa ligne pour s’enfoncer dans la terre rougeâtre.

Peut-être que Salem aimerait bien y être pieds nus. Il en avait l’habitude à l’âge de sept ans. Il enlevait ses sandales et foulait le sol. Ses mains ne cessaient de jouer avec des mottes de terre. Il exerçait toute sa force pour transformer les boules de terre en poussière. Comme les paysans pour y semer leurs grains de blé.

La terre est vitale pour les paysans du bled. Ils demandent à leurs enfants de s’accrocher au lopin qu’ils possèdent, de ne jamais le lâcher. L’héritage des ancêtres vaut plus que de l’or.

Les villageois exhortent leurs descendants à ne jamais vendre les terres des anciens et à les conserver pour leurs descendants, éternellement. Ceux qui les vendent sont des traîtres !

C’est la première règle de l’éducation des Orientaux et des Maghrébins.

Salem aurait aimé avoir son champ, mais avec quel argent ?

Son père a lui-même délaissé ses prairies et arganeraies sans les vendre, et sa mère a négocié celles dont elle avait hérité de sa mère. La grand-mère avait offert presque toute sa terre aux pauvres de son village, à ceux qui croyaient en avoir besoin pour nourrir leurs enfants.

Parfois, la générosité fait perdre la tête, comme disait la mère.

Pour Salem, c’est un désir sans fondement. À son âge, il ne pourrait plus travailler les champs.

La terre est vivante, et pour la garder en grande vitalité, il faut la chérir. Un travail quotidien, sans autre activité. Avec le temps, le travail et l’effort permanent deviennent étouffants. Le prix à mettre pour avoir des résultats.

Salem aurait de quoi réaliser son rêve quand il voyage en France, mais il n’en a plus l’envie.

Pourtant, il le dit et le répète :

— J’aimerais avoir une terre comme celle-ci !

Un simple souvenir caché au fond de lui, qui surgit à chaque fois qu’il voit ces beaux espaces rouges, cultivés. Sa tristesse n’est jamais refoulée. Il la vit à cet instant.

Sa femme Rosalina n’aime pas qu’il se prive.

— Achète-là ! lui dit-elle.

Mais il y a quelque chose qui manque pour le réaliser et ce n’est pas une histoire d’argent.

Salem n’a jamais été paysan ni campagnard. Il habitait un petit village en périphérie de la ville. Un vrai citadin qui ne sait rien faire de mieux que de prendre un stylo et écrire des livres ou donner des cours à ses élèves et expliquer le monde.

Même avec ce qu’il a comme connaissances, parfois il se questionne. Ce qu’il sait, sert-il à quelque chose ? La valeur des idées se perd avec le temps…

Surtout dans un monde où l’intelligence artificielle est devenue le maître, même celui de ceux qui l’ont créée !

Pour sortir Salem de son silence incompréhensible, Rosalina lui raconte ses rêves de la nuit.

Des voyages au pôle Nord ! Une vie avec l’ours blanc et des voyages au loin dans le désert où le ciel est plus chaud que celui de France et surtout de Rouen.

Salem se laisse conter les rêves de sa femme. Une autre dimension que ceux de son enfance.

Rosalina n’a jamais été privée de quelque chose. Elle recevait tout ce dont elle avait besoin durant son enfance. Elle a réussi à avoir une bonne situation professionnelle, mais il reste quand même des rêves à réaliser avant notre grand départ. Une vie humaine ne suffira jamais pour les découvrir.

Les paroles de Rosalina « réveillent » Salem. Il se sent chanceux avec cette compagnie. Et Rosalina aime bien suivre Salem aux salons du livre.

C’est un plaisir de passer la journée à faire des rencontres avec le monde des lecteurs. Des gens de tout niveau et de toute couche sociale.

La forêt et ses habitants

La France ressemble à l’Amazonie avec ses arbres qui bordent les voies. La Normandie est au cœur de la verdure, la région des rois de France où leur passe-temps était la chasse.

Toutes les terres dans cette région ont été parcourues par eux. Un paradis, un refuge quand on veut quitter la routine du quotidien.

Les routes normandes traversent les fleuves et de petites rivières, côtières ou non.

La verdure et les arbres millénaires en sont témoins, ils n’ont jamais connu la sécheresse, comme celle qui existe au pays natal de Salem.

Il dit pourtant :

— Le Maroc est le paradis vert de l’Afrique !

Il n’y a rien qui l’émeut plus que la verdure. La vie, sa richesse !

Ce peuple de France ne connaîtra jamais la faim, tant que ces arrosoirs naturels irrigueront la terre, comme les veines nourrissent le corps.

Rosalina est passionnée de plantes. C’est son passe-temps, après une longue vie de travail stressant. Au service des autres souffrants, un métier difficile. Il laisse des séquelles après avoir tenté durant toute sa carrière d’être objective tout en gardant de la distance avec les problèmes des autres et sa propre vie.

— On reste avant tout humain ! On ne réussit pas à se soustraire quand on voit les autres mal en point, dit Rosalina.

Pourtant, elle a étayé, servi de béquilles en plus de quarante ans de fonction. Elle a démarré son travail à la fin de son adolescence et elle n’a jamais arrêté, jusqu’à ce que sa santé ait lancé une sérieuse alerte.

Sa retraite ne l’a pas empêchée d’être attentive, d’une autre façon que son travail officiel.

— Être au service de l’homme un jour, c’est l’être toujours !

C’est sa devise.

Elle transmet ses connaissances sur les arbres et les plantes, leur histoire et de la méthode de plantation tout le long de la route.

La forêt est son livre ouvert. Les tilleuls, figuiers, merisiers, pommiers, poiriers, acacias, chênes, érables, frênes, noisetiers… et autres arbres qui offrent leurs fruits aux animaux.

Nous voyons des cerfs et des sangliers sur des kilomètres. Des lièvres et des faisans.

Des panneaux indicateurs signalent le passage éventuel de ces animaux sauvages.

Salem est toujours attentif à ces indications depuis qu’il a vu un chien traverser tranquillement l’autoroute, alors qu’il roulait à 120 km/h.

Salem a appuyé de toutes ses forces sur le frein, mains cramponnées au volant, pour éviter l’animal et ne pas partir en tonneaux.

Rosalina, à côté de lui, serrait les dents, et son cœur battait la chamade, de peur de tuer l’animal. Quand il a terminé sa course de l’autre côté, Rosalina a sauté de joie ! Sans entendre sa voix alors qu’elle criait à tue-tête intérieurement pour ne pas déranger Salem.

Les rapaces divers et variés survolent les champs alors de temps à autre, Rosalina demande à Salem de se stationner pour les photographier.

Rosalina est un reporter comme un journaliste professionnel. Elle a besoin de vrais témoignages pour son blog. Des amis et admirateurs les attendent avec patience, après les salons du livre pour connaître ce qui s’est passé.

Ils voyagent avec Rosalina et son écrivain préféré, Salem, son mari.

— Monsieur Cerise comme ils l’appellent au nom du blog. Un pseudonyme entre copains.

Salem est sexagénaire et tous le croient plus jeune. Un homme qui n’hésite pas à se faire plaisir et qui vit en relâchant toutes les cordes !

— Il ne faut pas se prendre au sérieux. Ce qu’on a, c’est ce qui est promis. Par la force, on ne peut changer le destin, dit-il, en bon croyant.

Cependant, il met tout en œuvre pour réaliser ce qu’il apprécie. Il veut laisser une trace, des souvenirs qui feront parler de lui quand il sera parti…

Un signe, encore, d’un vrai croyant que ne cesse pas de penser que l’humain n’est pas éternel sur cette terre et n’est que de passage.

— On se doit de laisser un bon souvenir !

Et quoi de plus beau que de transmettre des écrits qui formeront les générations futures.

Un printemps précoce

En ce mois d’avril, le printemps est déjà là et c’est exceptionnel.

Le salon est connu pour la pluie et le vent ! C’est la septième fois que Salem y participe et, chaque année, il est mouillé, venté et la tempête est annoncée.

C’est le seul salon en plein air que Salem accepte de faire. Excepté pour des marchés de Noël, Salem demande à Rosalina de ne pas l’inscrire aux salons extérieurs.

Trop risqué d’arroser les livres, sous des trombes d’eau. Parfois dans un froid glacial !

La Normandie est une terre qui connaît la fraîcheur et la neige l’hiver. Alors, pour rien au monde, Salem n’accepterait de dédicacer en plein air, alors que des salons autour de lui ont lieu dans des salles bien confortables et chauffées, donc accueillantes.

Ce salon est organisé sur la belle place historique de l’hôtel de ville qui honore les écrivains. C’est inscrire son nom dans cette jolie ville.

Le marché des lecteurs est important pour les écrivains. Une ville de 70 000 habitants leur assure de ne pas passer la journée sans les visiteurs qui ont l’habitude de venir à cette exposition culturelle.

Salem est un habitué pour les organisateurs accueillants, mais aussi pour les lecteurs qui le connaissent bien.

Ils lui font de bons retours sur ses romans et cela l’enchante plus que les droits qu’il gagne à chaque dédicace.

Habituellement, un écrivain n’est pas un marchand de livres ! pense Salem. Mais il est obligé de se présenter à des salons pour faire connaître ses écrits. Une façon d’aider sa maison d’édition à se faire connaître et à se régionaliser.

— Cette fois, nous sommes chanceux ! s’exclame-t-il après avoir aperçu les rayons de soleil matinaux.

Pas de pluie… Le week-end annonce de la douceur. La route sera sèche. Pas de verglas qui donne la chair de poule.

Salem a de mauvais souvenirs d’un jour de tempête ! Il a dû s’accrocher aux montants des barnums pour éviter leur envol. Ses sacs et ses cartons, par terre, étaient trempés. Rosalina les a posés sur des chaises. Surélevés, les livres n’ont pas pris l’eau.

Depuis ces expériences, Salem s’est équipé. Il a acheté des nappes imperméables pour couvrir ses tables sur 4 m. Les organisateurs eux-mêmes, comprenant la situation, ont préparé des plastiques qu’ils ont distribués.

Un souvenir inoubliable !

Malgré tout, tout s’était bien passé, au final. Les lecteurs étaient heureux et Salem avait bien dédicacé.

En ce jour printanier, Rosalina est très heureuse. Elle a une multitude de photos à prendre. Des champs jaunes de colza, des coquelicots précoces et des champs de lin. Parfois des tapis de violettes et de primevères acaules, hautes sur tiges. Les couleurs ne manquent pas. Un festival pour la vue.

Le voyage est un moment de plaisir pour Salem, aussi beau que les dédicaces de ses livres et les échanges avec ses lecteurs.

Le plus touchant pour lui, alors qu’il longe les champs normands, c’est de voir des cigognes ! Il croyait que c’étaient des oiseaux endémiques du Maroc et, quand elles le survolent, il imagine son pays natal. Une image qui se répète !

Pour ne pas se mentir à lui-même, voire se convaincre que c’est la réalité, il pense que ces volatiles majestueux ont passé l’hiver au Maroc et sont arrivés, après un long voyage, en France. Il sait que les oiseaux parcourent des milliers de kilomètres pour se poser dans un environnement qui convient à leur survie et pour résister au changement climatique depuis le temps des dinosaures…

Quelle nostalgie pour lui ! À chaque fois, il les montre du doigt et raconte à sa passagère qu’au Maroc, lors des vacances, sa grand-mère l’invitait à voyager, près de leur quartier, à une dizaine de kilomètres, vers l’arrière-grand-mère.

Elle possédait quelques lopins de terre à proximité de la ville et qui n’étaient pas constructibles.

Ils traversaient un bois, le karting, les champs de Chkouri où il semait du blé et parfois du maïs, un club équestre aux compétitions nationales pour les fortunés de la ville. Dans les champs de blé, Salem voyait les cigognes se poser puis s’envoler. Il aurait aimé avoir des ailes, comme elles, pour voyager au loin.

Il admirait autour de lui comme s’il était un de ces oiseaux. À travers leurs yeux, en vol. Son imaginaire se mettait en roue libre pour penser et communiquer avec elles.

On aurait dit un Indien d’Amérique parlant avec la nature, la forêt et tous ceux qui vivent dans ces contrées restées sauvages.

Rosalina a entendu cette histoire des milliers de fois, elle les connaît par cœur, mais elle ne l’interrompt pas. Elle écoute parler son écrivain préféré.

— Puisque ça lui fait du bien ! Son visage est joyeux quand il répète cette histoire du passé. Laisse-le dire ! Parfois, on paie pour être de bonne humeur et parfois on s’abîme l’estomac et le cerveau avec des médicaments psychotropes pour ressentir un peu de joie. Il n’y a pas meilleur remède pour l’âme que la nature et ces moments de bonheur devant sa beauté ! pense Rosalina.

Pour taquiner Salem, elle lui dit :

— J’ai déjà entendu cette histoire !

Et elle lui raconte en quelques mots ce qu’elle sait

Salem la regarde d’un air courroucé, puis, après quelques minutes, il continue son histoire… Il ne peut pas se taire quand il parle des instants précieux dans le pays de son enfance.

Rosalina croit, parfois, que Salem la prend pour une débile, en se répétant, alors qu’elle a la capacité d’apprendre un poème, en une seule citation ! Il le sait, mais, en fait, il se parle à lui-même pour que les souvenirs restent imprégnés dans sa mémoire en une empreinte éternelle.

Il ne veut pas se passer d’heureux temps de sa vie. Et même quand il est triste ou se sent dépassé par le stress, il lui suffit de penser à ces moments privilégiés, pour retrouver sa joie et rester calme. La magie opère…

Bien sûr, Salem, aujourd’hui adulte, est différent. L’opinion sur les évènements change quand on grandit, mais, intérieurement, l’enfant du passé est toujours vivant.

Il réagit pour se remémorer son enfance avec toute son innocence. Sans problème et sans responsabilité. Aucun poids à porter, contrairement aux adultes ! Surtout en Europe en ce temps où la modernité est très exigeante avec les hommes et les femmes.

Salem entend parler de suicides dans les médias et il s’étonne que les Occidentaux, qui semblent tout avoir, pensent mettre fin à cette vie matérielle pour se délivrer.

Salem ne possédait rien, enfant. Pas d’argent. Sans suffisamment à manger dès le milieu du mois et, malgré tout, il n’a jamais pensé au suicide. Pas plus que son entourage.

Personne ne trouve dans la mort une solution pour les difficultés.

La vie même très onéreuse est appréciée par les croyants, comme dans la famille de Salem. Quand ils sont dans le manque, ils espèrent des temps meilleurs.

— C’est facile de choisir la mort, pense Salem, quand il apprend un suicide qui laisse les proches dans la souffrance. Le plus difficile, c’est de résister et d’arriver à dépasser les aléas du quotidien. Le bonheur a un prix sur terre.

Parfois, sa femme le contrarie :