Un, deux, trois… Ehpad comme les autres ? - Carelle Dinon - E-Book

Un, deux, trois… Ehpad comme les autres ? E-Book

Carelle Dinon

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Beschreibung

« Moi en Ehpad ? Jamais ! » Pourtant, un jour, vous y entrez. Que vous soyez une personne âgée dépendante, sa famille ou un salarié, vous avez un dénominateur commun : la souffrance ! Animatrice depuis une vingtaine d’années dans un Ehpad, Carelle Dinon travaille avec psychologues, directeurs, cadres et l’ensemble du personnel soignant. Elle s’est inspirée de faits réels, dans celui-ci et ailleurs, et dépose dans cet ouvrage son indignation, sa colère, son sentiment d’impuissance et celui de tous ceux qui endurent, dans l’ombre. Les violences récurrentes physiques et psychologiques nous brisent et laissent des traces indélébiles. Vous serez choqués par les négligences, la médiocrité de l’accompagnement des personnes vulnérables, le climat délétère et la maltraitance institutionnelle qui règnent dans ce microcosme. Tous, nous nous heurtons aux géants des marchés juteux, à la passivité des instances, à la complicité de l’État. Le silence ferait-il loi ? Se taire, c’est cautionner ! Écrire, c’est lutter !




À PROPOS DE L'AUTRICE

Sous le slogan « Se taire, c’est cautionner ! Écrire, c’est lutter ! », Carelle Dinon brandit sa plume pour dévoiler la vérité cachée derrière les Ehpad. Avec une détermination sans faille, elle sensibilise ses lecteurs et attire l’attention des au

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Seitenzahl: 285

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Carelle Dinon

Un, deux, trois… Ehpad

comme les autres ?

Essai

© Lys Bleu Éditions – Carelle Dinon

ISBN : 979-10-422-6133-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Nos vieux souffrent en silence,

Se taire, c’est cautionner !

Carelle Dinon

Quand je demande à mes collègues de travail de l’Ehpad s’ils placeraient un membre de leur famille dans leur structure, les réponses sont unanimes, « Non, jamais, quelle horreur, j’en pleurerais… »

Alors que se passe-t-il pour que les salariés, même les plus engagés, soient effrayés à l’idée même de placer un être cher dans l’Ehpad où ils travaillent ?

Préface

Qui suis-je ?

Je suis animatrice sociale professionnelle dans un Ehpad. À travers ce livre, je souhaite informer, ouvrir les yeux, interroger chacun de nous sur la manière de prendre en charge aujourd’hui les personnes âgées. Je souhaite sensibiliser les pouvoirs publics sur la façon la plus efficace de prendre soin d’elles dignement, ces personnes que nous serons demain.

Je suis à un tournant de ma vie où je ne peux plus me taire et laisser passer sous silence l’inconcevable, j’ai nommé : l’irrespect de l’être humain vieillissant. À travers ces témoignages, je souhaite que tous les acteurs de l’accompagnement des personnes âgées prennent conscience de leur approche, se remettent en cause et revoient leur copie sur leurs propres pratiques au quotidien à accompagner les aînés, des humains dignes de ce nom.

Ma fonction d’animation implique une communication transversale avec l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire. Mes tâches m’amènent à arpenter tous les endroits de la résidence, à prendre les informations auprès de chaque salarié afin d’optimiser un accompagnement personnalisé auprès de chaque résident. Ainsi, je peux observer, collecter les données concernant chacun d’eux, les analyser pour mettre des actions d’animation individuelles ou collectives en place. Cette approche me permet d’aller à la rencontre des salariés au cœur de leur métier, de comprendre leurs difficultés, d’écouter leurs plaintes, de quantifier leur charge de travail, de conscientiser leur souffrance au quotidien. En tant qu’animatrice en Ehpad et compte tenu de ma personnalité, je suis tour à tour un électron libre, un maillon de la chaîne du soin, une « agitatrice » de bonne conscience, une fédératrice, une rassembleuse, une confidente et quel que soit le costume que j’endosse, il n’est pratiquement pas un aspect de la personne âgée ou de l’organisation dans la structure qui ne m’échappent. Cette position m’a permis, au fil des années, outre quelques personnes qui jalousent mon statut particulier, d’avoir la confiance de mes collègues, de nombreux cadres et directeurs, des familles, me permettant ainsi de recueillir ce que vous allez découvrir dans ce livre. Les faits relatés par la suite ne sont pas de la trahison pour l’ensemble des salariés qui « subissent » des pressions de la direction, des intimidations de leurs semblables, du harcèlement, des mises à l’écart, des abus de pouvoir, du chantage, mais de la reconnaissance de leur souffrance au quotidien. Nous répondons tous, nous les petites mains au service des personnes âgées, à une exigence personnelle vitale, travailler quel qu’en soit le prix, coûte que coûte, pour survivre à l’un de nos besoins fondamentaux : manger. Cette évidence justifie elle-même que des salariés, dont je fais partie, restent à travailler dans l’entreprise jusqu’à la maladie invalidante, la dépression, le burn-out. Toutefois, si j’écris ce livre, c’est bien pour dénoncer les agissements de ceux qui tiennent les manettes et je ne les épargnerai pas. La majorité des directeurs successifs ont sous-estimé mes capacités à observer, entendre, analyser, comprendre. Certains m’ont affublée d’un costume de clown et je l’ai endossé pour mieux recueillir leurs confidences, avoir accès à des documents spécifiques, insuffler de nouvelles organisations de travail, les accompagner dans leurs décisions, leur divulguer ce que les salariés ne peuvent pas se permettre de dire. Bien entendu, toujours sur le ton de l’humour et du sarcasme, je me suis vêtue de mes habits de bouffon du roi pour leur dire ce qui ne fonctionne pas dans leurs actes et décisions, les faire plier, les remettre en question au service d’une amélioration du cadre de travail et des conditions du « petit peuple ». Vous m’avez prise pour une imbécile, mais le bouffon du roi n’est pas mort et aujourd’hui il va vous précipiter dans vos retranchements. Toutefois, je reconnais que le rôle de directeur dans un Ehpad est une épreuve dont certains ne sortiront pas intacts. Le directeur est seul, tiraillé entre ses salariés et ses supérieurs hiérarchiques. Le directeur souffre, certes, mais comment penser et manager quand on a la migraine ?

J’affirme que dans ce microcosme, directeur, salariés, personnes âgées, familles ont ce dénominateur commun, j’ai nommé : la souffrance et je pèse ce mot. Le poids de la frustration et de la culpabilité auxquelles on ajoute cadences et charges de travail implique de façon récurrente l’abattement, le renoncement, l’abandon du personnel et des familles. Les chiffres et statistiques font état d’un absentéisme colossal et, de fait, un turnover notoire.

Mes constats, réflexions, prises de conscience, inquiétudes ont pour seul objectif d’alerter les pouvoirs publics, les élus, les instances, les associations, les directeurs et cadres de santé, l’ensemble du personnel de ces structures, les familles et leurs proches, les personnes âgées en instance d’entrer en Ehpad de leur propre gré, toute personne amenée à un moment de sa vie à accompagner une personne âgée dépendante. Je souhaite bousculer l’humain qui est en nous, qui est en vous chers lecteurs.

Pourquoi ce livre ?

Quand j’ai commencé à écrire dans mon cahier d’écolier, c’était pour moi une échappatoire, la possibilité de déposer mon indignation, ma colère, mon sentiment d’injustice et d’impuissance. Animatrice professionnelle, j’ai ensuite validé une formation de « formatrice, de niveau III ». Formatrice, me semblait-il, devait me permettre d’alerter les consciences, d’être actrice d’une remise en question, d’agir directement sur des pratiques professionnelles inappropriées, de bousculer les habitudes ancestrales. Par le biais de cette fonction, je voulais agir au cœur des Ehpad contre l’inacceptable, sortir le soignant de sa zone de confort, inconfortable pour le résident. Je n’ai trouvé quasi aucune mission ni aucun emploi dans cette voie. Personnes âgées mal menées, maltraitées, personnel soignant non formé, directeurs peu scrupuleux, abus de pouvoir, instances aveugles sciemment ou pas, paroles verrouillées, loi du silence ! Et moi, modeste animatrice spectatrice de cette violente réalité, serais-je donc condamnée à me taire ?

Écrire m’est donc apparu comme étant la seule solution viable, sans me mettre trop en danger, pour libérer la colère et l’indignation qui me hantent jour après jour, en prenant le recul nécessaire pour peser la portée de mes mots, dire la vérité dans l’espoir de faire bouger le curseur du bien-être de la personne en fin de vie. Ma fonction d’animateur et formateur ne me permettent pas de critiquer ouvertement ce système vérolé, cupide et avide de « Vieux » dont chaque tête est cotée en bourse, l’édition de ce livre me le permettra-t-il ?

Le sujet est vaste, pluridimensionnel et ne peut être isolé de ce qui le rattache à l’organisation de l’Ehpad, les résidents, les familles. Toutefois, il me semble important de commencer par rappeler l’essence même de toute décision de travailler auprès des personnes âgées. Toutes les personnes qui entrent en formation d’AS (Aide-soignant), d’AMP (Aide-médico-psychologique), AES (Accompagnant Éducatif et Social), ou de Bac Pro à la personne… font leurs premiers pas en Ehpad et sont mues par une réelle et sincère motivation à vouloir être un aidant consciencieux. De par ce qu’ils ont observé lors de leurs stages et été sensibilisés pendant leur formation, ils entrent comme sauveur, comme bon et gentil soignant qui pense faire mieux que tous les autres. Ce n’est pas de la prétention de leur part, c’est un leitmotiv, un sacerdoce, une intime conviction. Les soignants aux diverses intentions sont censés exercer leurs compétences ensemble pour une optimisation des soins apportés aux résidents. Ils s’apprécient ou se cognent entre eux, ils se frottent aux résidents entre des chambres et des couloirs d’où personne ne sort vraiment intact. Entre les nouveaux diplômés, les non-formés, les anciens salariés, les stagiaires, l’approche technique, humaine, professionnelle ou non, les « Vieux » ne bénéficient pas deux fois de la même prise en charge. Cette expression « prise en charge » est souvent employée dans le domaine empirique. À mon sens, du point de vue sémantique, je préfère dire l’accompagnement d’une personne. La prise en charge laisse supposer la lourdeur physique de la personne et plus encore la lourde tâche à en prendre soin, de fait un acte contraignant. Je me souviens d’un Monsieur obèse, dément, entendant un salarié souffler quand il poussait son fauteuil roulant, dire « je suis désolé, je suis un gros lard ». La posture de l’aidant est avant tout une ouverture d’esprit à autrui, encore faut-il l’être soi-même.

Je souhaite à travers cet essai, démolir le décor, secouer les acteurs de l’Ehpad, déboulonner les intouchables de leur piédestal. Après avoir démoli, par le seul pouvoir de l’écriture, le monde pervers de l’Ehpad, je voudrais être une force de proposition pour changer les mentalités, les valeurs accordées au grand âge, à la grande dépendance. Je suis déterminée à répondre à une finalité existentielle : faire évoluer les Ehpad, au bénéfice uniquement des personnes âgées.

Je souhaite aussi mettre en lumière quelques belles personnes que j’ai reconnues comme des êtres d’exception aux valeurs humaines, à l’humanisme professionnel profond. Ce sont avec elles que le changement pourrait s’opérer,encore faut-il qu’elles soient reconnues.

Avant-propos

Aider ou accompagner ?

Je souhaite faire le distinguo entre aider et accompagner qui est, selon moi, d’une importance capitale, car il permet d’appréhender, de façon juste, sa propre pratique auprès des personnes âgées. Accompagner est une forme d’aide, certes, c’est surtout se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui, ce qui suppose, dans la relation qui nous intéresse ici, une écoute active, un non-jugement de valeur, une abnégation de sa propre personne, une disponibilité, une attention particulière pour autrui afin de répondre à son besoin. Dans une relation d’accompagnement, je vois une personne qui sollicite une autre en préservant son autonomie comme ressource aux difficultés inhérentes au grand âge. De fait, le soignant accompagnant valorise et encourage le potentiel restant, dans le respect et la dignité humaine. L’accompagnement se quantifie par la réalisation d’un acte de façon coopérative avec le résident et s’apprécie comme vecteur d’autonomisation et donc de respect de ce qui fait de nous des êtres humains.

Alors aider, c’est quoi ? Il est courant de comparer le soignant à une béquille du soigné. Pour imager mes propos, si je retire la béquille, la personne tombe. Elle ne peut donc rien faire sans sa béquille ? Aider relève de la toute-puissance ! Le soignant pense à la place de l’autre, sait ce dont l’autre a besoin, ne tient pas compte de la singularité du soigné et « fait à sa place ». L’aidant ne dialogue pas, n’écoute pas, il pose des gestes techniques, les mêmes à tous les résidents et ses gestes deviennent automatiques, robotisés. Accompagner n’est pas un métier, c’est une posture professionnelle, éthique qui relève de la réflexion et de la remise en cause perpétuelle. On aide l’autre, on accompagne avec l’autre. La notion est subtile et tellement importante ! Aujourd’hui, en Ehpad, les soignants aident, ils n’accompagnent pas !

La maltraitance, thème récurrent et transversal

Durant l’essai, je traiterai le sujet de la maltraitance qui ne peut être isolé dans un chapitre. En effet, vous comprendrez, à travers les exemples cités, que cette plaie ouverte s’insinue à tout niveau, de façon consciente ou pas, à l’encontre de la personne âgée. La souffrance et la maltraitance sont intimement imbriquées dans ce lien pervers entre soignant et soigné. Le devoir du soignant ne devrait-il pas être un accompagnant palliant les difficultés de la personne âgée ? Or, pour gagner du temps, le soignant balaie toute possibilité à la personne de continuer à faire certains actes qu’elle est en mesure de réaliser, même partiellement. La dérive s’installe alors très rapidement, le soignant fait « à la place » de la personne, lui entamant donc son capital autonomie dans une relation univoque. La personne devient alors un objet que le soignant porte, transporte, lave, habille, manipule aux sens polysémique du terme. Ce lien soignant/soigné peut glisser insidieusement vers une relation de type dominant/dominé et de fait devenir un lien toxique, pervers. La maltraitance revêt plusieurs formes et chacun d’entre nous peut en être acteur à tout moment. Elle n’est pas seulement ce que vous entendez à travers le prisme des médias. Ces informations ne sont que des faits isolés et ces scandales font monter les audiences en flèche. Ces faits, odieux, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ces informations désinforment le public et canalisent l’opinion sur l’horreur de frapper, injurier, blesser, violer, une personne fragile et sans défense. Certes ! Toutefois, les chaînes d’informations ne mentionnent pas ce que j’appelle la maltraitance ordinaire. Les négligences, les inattentions, les moqueries, les infantilisations, chantages, intimidations, privations… tous ces actes sont autant de comportements dont les journaux ne font pas état ou si rarement, mais qui constituent de véritables violences physiques ou psychiques insidieuses, perfides, banalisées et pourtant d’une extrême violence etgravité. Je reviendrai régulièrement sur ces faits de maltraitance. Qu’ils soient institutionnels, actifs ou passifs, ils rythment, en toute impunité,les journées des résidents au quotidien, sans avertir, ni leurs auteurs, ni les cadres, ni les directeurs, ni les familles. Ces comportements passent la plupart du temps inaperçus, sont minimisés ou tus et, s’ils sont dénoncés, ils sont étouffés sciemment.

To cure, to care

Les Anglais ont deux mots différents pour parler du soin : « to cure » et « to care ». To cure signifie soigner par le biais de médicaments et de traitements impliquant un espoir de guérison. En fait, il est propre au domaine de la médecine, des infirmiers, des soignants… Il répond à des protocoles de soins précis. En France on emploie l’adjectif incurable pour définir un mal ou une maladie qu’on ne peut pas guérir, qui a copié sur qui ? (Humour…)

To care signifie prendre en charge (expression malheureusement banalisée !), mais c’est, surtout, se soucier de la personne, lui porter de l’attention, la reconnaître en tant qu’individu aux multiples besoins de liens sociaux, de bien-être physique, cognitif et psychologique.

Pourquoi ce distinguo me paraît-il utile d’être évoqué en début de livre ?

Par manque de temps, négligences, manque de connaissances, sectorisation des services et des tâches imputées à chaque fonction, manque de conscientisation, d’empathie… les soignants « cure ».

On sait depuis longtemps que, pour guérir d’une maladie dite grave, la personne qui en est atteinte, outre les médicaments qui lui seront administrés, a besoin d’un environnement enveloppant et accompagnant (famille, proche…). Il est évident que la psychologie positive a autant d’impact sur une maladie que le traitement.

Les soignants en Ehpad, vous allez le découvrir au fur et à mesure de votre lecture, privilégient les soins de nursing (ensemble des soins d’hygiène et de confort prodigués par l’infirmière et l’aide-soignante aux personnes dépendantes), la prise des médicaments, les pansements… au détriment d’un sourire, d’un toucher bienveillant, d’un mot apaisant…

Quant à ma fonction d’animateur, elle se situe dans le « to care ». Je prends en compte toutes les dimensions d’accompagnement personnalisé, d’attention spécifique à l’autre, à ses émotions, à ses ressentis. Je suis attentive à son environnement (chambre, espaces communs de restauration, à ce qu’il voit…) en proposant des couleurs et senteurs personnalisées. Je pallie leurs difficultés au quotidien pour faciliter leurs repères spatio-temporels dans la structure, leurs déplacements. Je prends en compte leurs goûts musicaux, culinaires et essaye (avec les lourdes contraintes liées à l’Ehpad) de m’approcher de leurs envies, de leurs habitudes de vie. Je les regarde, leur parle, les écoute et détecte les moindres gestes, rictus et communication non verbale qui peuvent déceler un mécontentement, une peur, un questionnement, une colère, une satisfaction, une joie… Toutes mes observations m’amènent à faire des hypothèses, à les analyser et à mettre en place des actions, aussi minimes qu’elles puissent paraître, pour les valoriser, respecter ce qu’ils aiment, ce qu’ils sont, ce qu’ils peuvent et veulent encore faire.Je prends en compte les peurs des résidents et de leurs proches, je facilite la communication entre eux. J’écoute, j’explique, j’apaise, je rassure…

To, care, c’est garder un contact, un lien social et humain, c’est échanger, prendre parfois le temps de rester assis à côté d’une personne, de lui tenir la main, c’est être ouvert à l’autre, sans intention autre que d’être présent, dans l’instant présent.

Le paradoxe est que les soignants en Ehpad privilégient le « to cure » pour des personnes aux multipathologies incurables ou tout simplement très âgées et en fin de vie. Comment peut-on aujourd’hui imaginer que des soignants soient dans des gestes purement techniques, sans âme, sans empathie pour des personnes en fin de vie dont seule la relation à l’autre, la relation de confiance et l’écoute donnent du sens à leurs derniers jours ? J’insiste sur le fait que les directeurs d’Ehpad appellent leur structure, un « lieu de vie ». Privilégiez le management de vos équipes au « to care », chers directeurs, et qu’il en soit toujours ainsi !

Problématiques

I

Profil des personnes âgées accueillies en Ehpad

L’accueil en Ehpad garantit-il une réponse satisfaisante aux besoins et aux attentes des personnes âgées en fin de vie ?

Pourrait-on éradiquer la négligence des personnes âgées, la maltraitance passive ordinaire, journalière et récurrente ? Comment expliquer cet accompagnement si médiocre et insuffisant des résidents ?

Comment justifier le travail bâclé et l’usure de l’ensemble du personnel des Ehpad ? Ce personnel est-il vraiment bien formé à travailler auprès de personnes grabataires, démentes, violentes ? Comment leur redonner l’envie d’accompagner sereinement les personnes âgées avec empathie et plaisir, comment les remettre sur les rails de l’engagement professionnel et humain ? Comment accompagner ces soignants à retrouver du sens à leur travail ? Comment leur redonner l’envie de s’investir au service des aînés ?

Qui sont ces directeurs, aux costumes bien apprêtés, au service de gros groupes financiers, ces gestionnaires enfermés dans leur tour d’ivoire d’où ils ne voient rien ? Ont-ils la capacité, le pouvoir de concilier exigences financières et humanisme ? Quels sont leur réel pouvoir et leur marge de manœuvre, quelles sont leurs limites ?

La maltraitance institutionnelle qu’ils engendrent est-elle inéluctable ? Plus de personnel et plus d’argent sont-ils les garants de la bientraitance ?

Comment créer un accueil nouveau, réellement personnalisé, une écoute active, une présence enveloppante et rassurante, un environnement réellement attentif et bienveillant où personnes âgées, famille et salariés auraient réellement leur place ? Qui voudrait concevoir l’Ehpad de demain comme un lieu de vie où répondre aux besoins, envies et désirs des personnes vieillissantes serait LE seul objectif ?

Être vieux, une polysémie

● Au regard de l’OMS, de la loi, d’une société

Prétendre comprendre la personne âgée et chercher à « lui penser » un environnement bienfaisant, à l’écouter dans ses besoins, c’est tout d’abord se questionner de façon basique : c’est quoi être vieux ?

J’ai cherché une définition, s’il en existe une, de « vieux » dans le Larousse, l’une des bibles de tous les dictionnaires. J’ai trouvé : « Qui est très avancé en âge, dans la dernière période de sa vie, qui existe depuis longtemps, qui est déjà usé, entamé, par opposition à ce qui est neuf, qui est hors d’usage, périmé… ». Une autre définition propose : « ce qui est usagé, ancien ». La définition de « usagé » définit « qui a servi et qui a perdu l’aspect du neuf ». La personne vieillissante a perdu l’aspect du neuf, certes, et pour autant, elle a servi quoi ! À quoi, à qui, comment ? Dans cette notion de servir, doit-on comprendre qu’elle a été utile ? S’interroger sur l’utilité d’une personne relève du domaine de la philosophie et je ne prétends pas m’engager dans cette voie. Alors, est-ce péjoratif de parler des personnes âgées en termes de « vieux » ? J’ai vite le sentiment que cette définition est incomplète, rendue difficile par la notion de temps qu’elle évoque. En effet, qu’est-ce qu’un âge avancé ? La dernière période de vie peut-elle être datée, chiffrée, quantifiée ? Qui est hors d’usage ? Quel est l’usage d’un humain de son vivant ?

Aujourd’hui, comme pour minimiser ou alléger le poids des années, l’homme a trouvé une sémantique à ce sujet. Ainsi, l’être humain ne serait plus « vieux », mais âgé, ancien, aîné, vétéran, ancêtre, doyen, sage… Ce pis-aller de langage ne donne pas plus de précision sur ce qu’est « être vieux », mais semble vouloir lui donner un statut honorable. Au même titre, les adjectifs « désuet », « périmé », « fatigué », « dépassé », « poussiéreux », « hors service », et j’en passe, semblent rabaisser et dénigrer le fait d’être vieux. « Troisième âge » puis « quatrième âge », ces expressions sont aujourd’hui délaissées, sans doute car elles génèrent des castes d’individus à part, en marge de la société. Quelles que soient les appellations, pour désigner « les Vieux », elles clivent et discriminent plus qu’elles ne définissent et représentent.

Clichés, mépris, méconnaissance, aveuglement, sacralisation, subjectivité, il me paraît intéressant d’avoir un langage commun concernant le vieillissement et la vieillesse avant de concevoir un livre sur l’accompagnement des personnes âgées dépendantes. N’ayant aucune prétention à définir de façon rationnelle et chiffrée l’état de vieillesse, je vais en tracer les contours en m’appuyant sur les textes existants, sur la réalité des phénomènes de vieillissement, sur les aspects physiologiques et psychologiques et sur les propos recueillis auprès d’une population allant de l’âge de dix ans aux personnes très âgées de l’Ehpad dans lequel je travaille, en capacités cognitives et de réflexion pour s’exprimer à ce sujet.

Tout d’abord, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) retient un critère d’âge. Dans un rapport sur le vieillissement, l’OMS a proposé de définir la vieillesse en deux classes : les plus de 65 ans (parfois les plus de 60 ans) représentent les personnes âgées et les plus de 80 ans représentent les personnes très âgées. Une définition sociale utilise l’âge de cessation d’activité professionnelle, ce qui revient à entrer dans la vieillesse à 60 ans sachant que depuis un siècle, l’âge de départ à la retraite officiel oscille, en plus ou en moins selon les politiques, autour de 60 ans et que l’on parle même aujourd’hui de 70 ans dans quelques années ! Deviendrait-on vieux le jour où l’on arrête de travailler ? Deviendrait-on vieux également selon que l’on soit ouvrier ou profession libérale puisque l’âge de la retraite n’est pas le même selon l’employeur et la caisse de retraite à laquelle on cotise ? Enfin, l’âge moyen constaté dans les institutions gériatriques est d’environ 85 ans. La perception de sa vieillesse ou de celle des autres est personnelle et très variable.

L’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) donne les mêmes indications que l’OMS. Le HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) écrit « L’absence d’un âge de la vieillesse souligne l’opposition entre le vieillissement biologique naturel universel dans les sociétés humaines et la construction du vieillissement social dans différents types de société ». Nous évoquerons ici les différents processus du vieillissement individuel, en les situant à nouveau, pour les aspects sociaux, dans le contexte des sociétés industrialisées. La France en est un exemple. Le pays a connu depuis un siècle de profonds changements sociodémographiques qui conduisent à examiner les définitions actuelles de la vieillesse. La notion de vieillissement est souvent envisagée dans sa seule dimension biologique et la conception de l’avance en âge comme déclin universel est encore dominante. Or, le vieillissement est un ensemble de processus, l’homme étant à la fois un être biologique et un être pourvu de raison dans un contexte social… La sénescence est l’expression du déroulement du temps biologique, l’avance en âge, celle du déroulement du temps chronologique. La sénescence est habituellement définie comme « l’ensemble des processus biologiques qui, au fur et à mesure de l’avancée en âge, rendent les individus plus sensibles aux facteurs susceptibles d’entraîner la mort ».

Le CCNE (Conseil Consultatif National d’Éthique) stipule que je cite : « la vieillesse est la représentation subjective de la sénescence. Le vieillissement caractérise le processus physiologique de dégradation des fonctions organiques et cognitives ainsi que l’altération de l’aspect visible du corps ».

● « Vieux » ou « Personnes âgées », quel vocabulaire utiliserai-je ?

Un arrêté ministériel du 13 mars 1985 (relatif à l’enrichissement du vocabulaire relatif aux personnes âgées, à la retraite et au vieillissement) recommande de remplacer le mot « vieux » par « personne âgée ». Aujourd’hui, il paraît plus correct de parler de personnes âgées en société, ce « paraître » supposant que la personne qui l’emploie serait cultivée, avisée, réfléchie. Fourberie de langage pour cette personne qui pourrait percevoir, de façon négative, la personne âgée ou respect total et vision positive de la personne âgée ? La pensée relative au domaine du vieillissement est donc bien subjective et relève du domaine de la sémantique.

Le sens qu’on y donne est parfois positif si on y voit la rareté et la qualité et peut être également négatif si on perçoit une quelque dégradation. Avant les années 70, l’homme gardait et réparait ses biens le plus longtemps possible (ma grand-mère se donnait du mal à repriser les chaussettes et était fière de leur redonner une nouvelle vie). Serait-ce inconvenant de constater, en parallèle, qu’à cette époque les personnes âgées vivaient, jusqu’à leur dernier souffle de vie, chez elles ou au domicile d’un proche. Depuis les années 70 et de façon exponentielle, le tout jetable a envahi le quotidien, présenté comme un progrès. Actuellement, dans la société de consommation, un vieil objet a une valeur négative d’une chose à remplacer de suite, à jeter. Il n’y a qu’un pas à faire entre le vocable « vieux » et une personne qui serait vue, comme grabataire, impotente, démente…

Le langage révèle ici quelque chose de plus profond, à mon sens. L’Homme a d’énormes difficultés à nommer une personne qui vieillit. Cette difficulté met en exergue la place donnée aux personnes qui ne sont plus considérées comme jeunes dans la société et la dévalorisation de la vieillesse.

Ainsi, ces réflexions et débats pouvant faire l’objet d’un livre à eux seuls, plutôt que de s’étendre sur la sémantique, soyons pragmatiques et occupons-nous des « Vieux » avec respect et bienveillance !

Il est important de préciser qu’à travers les lignes qui vont suivre, j’emploierai alternativement les mots « vieux » et « personnes âgées », le mot vieux, pour ma part (inutile à présent de devoir me justifier), étant empreint de toute neutralité. Je dis « vieux » comme je pourrais dire « jeune ». Pour autant, je me défends de faire ni âgisme ni jeunisme et enfin, pour finir cet aparté, j’ai plaisir à dire que quand j’entends le mot « vieux », il m’évoque la VIE DANS LES YEUX.

● Physiquement, physiologiquement, psychologiquement et socialement

Ainsi, je préfère m’en tenir aux dires du HCSP qui fait le distinguo entre le vieillissement biologique naturel et l’idée de la vieillesse que la société nous renvoie à partir d’un certain âge. Ainsi il est utile de dire et redire que vieillir n’est pas une maladie, même si la probabilité de développer des maladies augmente, mais un processus naturel qui modifie la structure et les fonctions de l’organisme au fil du temps. Les cellules de notre corps, dès la naissance, se répliquent par divisions cellulaires, se dégradent et se réparent. Le vieillissement ne permet plus cette réplication des cellules et entraîne, de fait, un déséquilibre entre les processus de dégradation et de régénération. Le vieillissement est lié à une modification des processus physiologiques et psychologiques étroitement liés aux facteurs intrinsèques génétiques et aux facteurs extrinsèques environnementaux. Le vieillissement s’accompagne d’une perte progressive des capacités fonctionnelles (vue, odorat, communication, compréhension, capacités physiques…). Cette diminution des réserves fonctionnelles induit une diminution de la capacité de l’organisme à s’adapter aux situations d’agression. Les effets visibles physiquement sont connus et vécus psychologiquement de façon très hétérogène. Ainsi toutes les fonctions sont concernées par le vieillissement. Les effets se portent progressivement sur le système nerveux ; on va constater un temps de réaction plus lent, une diminution des capacités mnésiques et à acquérir de nouvelles connaissances, une modification du sommeil… Les effets du vieillissement se portent également sur les sens où audition et vue commencent à s’amoindrir dès la cinquantaine. L’âge entraîne également des changements dans le système cardiovasculaire, les systèmes respiratoire et digestif, les appareils locomoteur, urinaire, génital.

Si ces « pertes » sont inéluctables, c’est bien la capacité de chacun de nous à s’adapter à ces changements physiologiques, à trouver des stratagèmes, à faire le deuil de ce qu’on faisait et définir comment avancer sereinement quand le poids des années devient une entrave à se mouvoir, à réfléchir, à penser. S’adapter, c’est accepter, vivre le moment présent et sans cesse redéfinir le pourtour de nos envies, nos désirs, nos projets. Je crois que ce qui fait la différence, à capacités physiques, physiologiques et cognitives identiques d’un individu à l’autre, c’est la façon de percevoir son propre état et de s’en faire un allié et non un ennemi. L’environnement et les liens, conservés ou nouveaux, avec un entourage bienveillant ou non, de par leur portée valorisante ou non, de par leur respect, quel que soit son âge, déterminent la place de cette personne au sein d’un groupe, d’une société.

Selon le pays où l’on vieillit, on constate quela prise en charge des aînés dépend de la place que la société accorde aux anciens.En effet, que ce soit en Chine, au Japon, au Vietnam ou en Écosse, les aînés participent aux tâches inhérentes au foyer, sont des chefs de famille à qui les plus jeunes demandent conseil. Selon une enquête des Petits Frères des Pauvres (Association de personnes âgées à but non lucratif, reconnue d’utilité publique), en Europe, l’accent est mis sur un accompagnement à domicile avec des aides. Dans le nord de l’Europe, en cas de perte d’autonomie de la personne, on se tourne volontiers vers une institutionnalisation de la personne. Dans le sud de l’Europe, la prise en charge des aînés en perte d’autonomie, avec l’aide d’un proche, est privilégiée. Quand le lien social se rompt, quand une personne est oubliée, qu’on ne lui demande plus son avis, qu’on ne communique plus avec elle, qu’elle est ignorée, transparente, quel que soit son âge, elle est vouée à l’isolement, l’abandon, la perte de repères et de reconnaissance. Force est de constater que le vieillissement implique parfois ce type de situation, générant, de fait, tristesse, peur, angoisse et état dépressif. Les phénomènes de « jeunisme » ou « d’âgisme » sont bien présents dans les relations intergénérationnelles. Les personnes âgées, dépassées par le monde moderne et son lot de technicité, progrès, codes sociaux, ne cherchent pas à s’y intéresser. Elles vont se couper progressivement des liens avec les plus jeunes. A contrario, si les plus jeunes ne se documentent pas, ne connaissent pas et ne s’intéressent pas aux conditions de vie des aînés, à leurs histoires et à leurs codes sociaux, la communication paraît compromise. Celle-ci est entravée par nos paradigmes, par une audition souvent défectueuse de la personne âgée qui implique une répétition récurrente, agaçante tant pour celui qui émet le message que celui qui écoute, il faut bien le reconnaître, donc par une représentation de l’autre faussée… En l’absence de communication bienveillante adaptée, chacun restant campé sur ses positions, le lien s’estompe pour tendre à disparaître. Communiquer « vrai » demande une écoute active réelle, une reformulation sans interprétation ni jugement, un respect total de la parole de l’autre, et ce, bien évidemment, comme dans toute relation à autrui. Pour avoir travaillé et écouté ce que les « Vieux » voulaient me dire et avoir accompagné des familles de résidents en détresse affective, je constate à quel point, dans les familles, les personnes se connaissent peu, voire pas. C’est bien là où réside la difficulté. Chacun croit connaître l’autre et, en l’absence d’une communication supposée faire de la peine ou protéger l’autre, les non-dits sous-jacents tronquent la relation. Ainsi, par amour, dévouement, devoir, les familles et proches de résidents se croisent, se rencontrent, échangent des mots, mais ce sont bien deux mondes très différents qui se côtoient. Je suis souvent témoin de confidences différées d’un résident et de sa fille sur un thème donné où chacun affirme connaître l’intention de l’autre et où chacun se méprend. Il est difficile de se positionner en tant qu’adulte avec un parent vieillissant. La perte d’autonomie implique une adaptation et une remise en question du statut « d’enfant ». Les enfants inversent les rôles sans en être conscients, impliquant un changement de place et de ce statut pour chacun dans la famille, ajoutant donc de la confusion pour une personne âgée pouvant être déjà très confuse. On comprend alors que le rôle social de « père » ou de « mère » du résident ou de la résidente, seul lien restant dans les Ehpad, diminué par la perte des capacités cognitives de ceux-ci, est caduc. Peut-on alors dire qu’une personne consciente de ne plus pouvoir honorer son rôle et ses devoirs de parent serait « vieille » ?

● Qu’en disent les personnes de tous âges, les résidents de l’Ehpad ?

Pour reprendre les mots communs aux résidents en syndrome de glissement (voir annexe), ils me confient ne plus être utiles à personne, être un fardeau.

Aussi, afin de compléter la perception des personnes âgées à travers le prisme des générations, j’ai posé la question à beaucoup de personnes « c’est quoi, selon vous être vieux ? » J’ai également proposé un groupe de paroles, lors du temps réservé à l’animation sur ce thème. Le résultat ne manque pas d’intérêt…