UNE ÉTUDE EN ROUGE - ARTHUR CONAN DOYLE - E-Book

UNE ÉTUDE EN ROUGE E-Book

Arthur Conan Doyle

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Beschreibung

Une étude en rouge, aussi traduit Un crime étrange ou encore Écrit dans le sang, est un roman policier d'Arthur Conan Doyle paru en 1887 dans le Beeton's Christmas Annual avant d'être publié en volume en 1888.

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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UNE ÉTUDE EN ROUGE

Pages de titre1859-1930Chapitre premierChapitre IIChapitre IIIChapitre IVChapitre VChapitre VIChapitre VIIChapitre VIIIChapitre IXChapitre XChapitre XIChapitre XIIChapitre XIIIChapitre XIVPage de copyright

1859-1930

UNE ÉTUDE EN ROUGE

(novembre 1887)

Table des matières

Chapitre premier M. Sherlock Holmes .................................... 3

Chapitre II La science de la déduction.................................... 15

Chapitre III Le mystère de Lauriston Gardens...................... 28

Chapitre IV Ce que John Rance avait à dire .......................... 44

Chapitre V Notre annonce nous amène une visiteuse........... 54

Chapitre VI Tobias Gregson montre son savoir-faire............ 64

Chapitre VII La lumière luit dans les ténèbres.......................77

Chapitre VIII La grande plaine salée ..................................... 89

Chapitre IX La fleur de l’Utah............................................... 101

Chapitre X John Ferrier s’entretient avec le prophète ......... 110

Chapitre XI La fuite............................................................... 117

Chapitre XII Les Anges Vengeurs .........................................129

Chapitre XIII Suite des Mémoires du docteur John Watson139

Chapitre XIV Conclusion ...................................................... 152

Toutes les aventures de Sherlock Holmes ............................ 159

Chapitre premier

M. Sherlock Holmes

En 1878, reçu médecin à l’Université de Londres, je me rendis

à Netley pour suivre les cours prescrits aux chirurgiens de

l’armée ; et là, je complétai mes études. On me désigna ensuite,

e

comme aide-major, pour le 5 régiment de fusiliers de Northum-

berland en garnison aux Indes.

Avant que j’eusse pu le rejoindre, la seconde guerre

d’Afghanistan avait éclaté. En débarquant à Bombay, j’appris que

mon corps d’armée s’était engagé dans les défilés ; il avait même

poussé très avant en territoire ennemi. A l’exemple de plusieurs

autres officiers dans mon cas, je partis à sa poursuite aussitôt ; et

je parvins sans encombre à Kandahar, où il stationnait. J’entrai

immédiatement en fonctions.

Si la campagne procura des décorations et de l’avancement à

certains, à moi elle n’apporta que déboires et malheurs. On me

détacha de ma brigade pour m’adjoindre au régiment de Berk-

shire ; ainsi je participai à la fatale bataille de Maiwand. Une balle

m’atteignit à l’épaule ; elle me fracassa l’os et frôla l’artère sous-

clavière. Je n’échappai aux sanguinaires Ghazis que par le dé-

vouement et le courage de mon ordonnance Murray : il me jeta en

travers d’un cheval de bât et put me ramener dans nos lignes.

– 3 –

Épuisé par les souffrances et les privations. Je fus dirigé, avec

un convoi de nombreux blessés, sur l’hôpital de Peshawar. Bien-

tôt, j’entrai en convalescence ; je me promenais déjà dans les sal-

les, et même j’allais me chauffer au soleil sous la véranda, quand

la fièvre entérique me terrassa : c’est le fléau de nos colonies in-

diennes. Des mois durant, on désespéra de moi. Enfin je revins à

la vie. Mais j’étais si faible, tellement amaigri, qu’une commission

médicale décida mon rapatriement immédiat. Je m’embarquai

sur le transportOronteet, un mois plus tard, je posai le pied sur

la jetée de Portsmouth. Ma santé était irrémédiablement perdue.

Toutefois, un gouvernement paternel m’octroya neuf mois pour

l’améliorer.

Je n’avais en Angleterre ni parents ni amis : j’étais aussi libre

que l’air – autant, du moins, qu’on peut l’être avec un revenu quo-

tidien de neuf shillings et six pence ! Naturellement, je me diri-

geai vers Londres, ce grand cloaque où se déversent irrésistible-

ment tous les flâneurs et tous les paresseux de l’Empire. Pendant

quelque temps, je menai dans un hôtel privé du Strand une exis-

tence sans but et sans confort ; je dépensais très libéralement. A

– 4 –

la fin, ma situation pécuniaire m’alarma. Je me vis en face de

l’alternative suivante : ou me retirer quelque part à la campagne,

ou changer du tout au tout mon train de vie. C’est à ce dernier

parti que je m’arrêtai ; et, pour commencer, je résolus de quitter

l’hôtel pour m’établir dans un endroit moins fashionable et moins

coûteux.

Le jour où j’avais mûri cette grande décision, j’étais allé pren-

dre un verre auCriterion Bar; quelqu’un me toucha l’épaule. Je

reconnus l’ex-infirmier Stamford, que j’avais eu sous mes ordres

à Barts. Pour un homme réduit à la solitude, c’était vraiment une

chose agréable que l’apparition d’un visage familier. Auparavant

Stamford n’avait jamais été un réel ami, mais, ce jour-là, je

l’accueillis avec chaleur, et lui, parallèlement, parut enchanté de

la rencontre. Dans l’exubérance de ma joie, je l’invitai à déjeuner

auHolborn; nous partîmes ensemble en fiacre.

« A quoi avez-vous donc passé le temps, Watson ? me de-

manda-t-il sans dissimuler son étonnement, tandis que nous rou-

lions avec une bruit de ferraille à travers les rues encombrées de

Londres. Vous êtes aussi mince qu’une latte et aussi brun qu’une

noix ! »

Je lui racontai brièvement mes aventures.

« Pauvre diable ! fit-il avec compassion, après avoir écouté

mon récit. Qu’est-ce que vous vous proposez de faire mainte-

nant ?

– Chercher un appartement, répondis-je. Peut-on se loger

confortablement à bon marché ?

– Voilà qui est étrange, dit mon compagnon. Vous êtes le se-

cond aujourd’hui à me poser cette question.

– Qui était le premier ?

– 5 –

– Un type qui travaille à l’hôpital, au laboratoire de chimie.

Ce matin, il se plaignait de ne pas pouvoir trouver avec qui parta-

ger un bel appartement qu’il a déniché : il est trop cher pour lui

seul.

– Par Jupiter ! m’écriai-je. S’il cherche un colocataire, je suis

son homme. La solitude me pèse, à la fin ! »

Le jeune Stamford me regarda d’un air assez bizarre par-

dessus son verre de vin.

« Si vous connaissiez Sherlock Holmes, dit-il, vous n’aimeriez

peut-être pas l’avoir pour compagnon.

– Pourquoi ? Vous avez quelque chose à dire contre lui ?

– Oh ! non. Seulement, il a des idées spéciales… Il s’est enti-

ché de certaines sciences… Autant que j’en puisse juger, c’est un

assez bon type.

– Il étudie la médecine, je suppose.

– Non. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fabrique. Je le crois fer-

ré à glace sur le chapitre de l’anatomie, et c’est un chimiste de

premier ordre ; mais je ne pense pas qu’il ait jamais réellement

suivi des cours de médecine. Il a fait des études décousues et ex-

centriques ; en revanche, il a amassé un tas de connaissances ra-

res qui étonneraient les professeurs !

– Qu’est-ce qui l’amène au laboratoire ? Vous ne lui avez ja-

mais posé la question ?

– Non, il n’est pas facile de lui arracher une confidence…

Quoique, à ses heures, il soit assez expansif.

– 6 –

– J’aimerais faire sa connaissance, dis-je. Tant mieux s’il a

des habitudes studieuses et tranquilles : je pourrai partager avec

lui l’appartement. Dans mon cas, le bruit et la surexcitation sont

contre-indiqués : j’en ai eu ma bonne part en Afghanistan ! Où

pourrais-je trouver votre ami ?

– Il est sûrement au laboratoire, répondit mon compagnon,

tantôt il fuit ce lieu pendant des semaines, tantôt il y travaille du

matin au soir. Si vous voulez, nous irons le voir après déjeuner.

– Volontiers », répondis-je.

La conversation roula ensuite sur d’autres sujets.

DuHolborn, nous nous rendîmes à l’hôpital. Chemin faisant.

Stamford me fournit encore quelques renseignements.

« Si vous ne vous accordez pas avec lui, il ne faudra pas m’en

vouloir, dit-il. Tout ce que je sais à son sujet, c’est ce que des ren-

contres fortuites au laboratoire ont pu m’apprendre. Mais puis-

que vous m’avez proposé l’arrangement, vous n’aurez pas à m’en

tenir responsable.

– Si nous ne nous convenons pas, nous nous séparerons, voilà

tout ! Pour vouloir dégager comme ça votre responsabilité, Stam-

ford, ajoutai-je en le regardant fixement, vous devez avoir une

raison. Laquelle ? L’humeur du type ? Est-elle si terrible ? Parlez

franchement.

– Il n’est pas facile d’exprimer l’inexprimable ! répondit-il en

riant. Holmes est un peu trop scientifique pour moi, – cela frise

l’insensibilité ! Il administrerait à un ami une petite pincée de

l’alcaloïde le plus récent, non pas, bien entendu, par malveillance,

mais simplement par esprit scientifique, pour connaître exacte-

ment les effets du poison ! Soyons juste ; il en absorberait lui-

même, toujours dans l’intérêt de la science ! Voilà sa marotte :

une science exacte, précise.

– 7 –

– Il y en a de pires, non ?

– Oui, mais la sienne lui fait parfois pousser les choses un peu

loin… quand, par exemple, il bat dans les salles de dissection, les

cadavres à coups de canne, vous avouerez qu’elle se manifeste

d’une manière pour le moins bizarre !

– Il bat les cadavres ?

– Oui, pour vérifier si on peut leur faire des bleus ! Je l’ai vu,

de mes yeux vu.

– Et vous dites après cela qu’il n’étudie pas la médecine ?

– Dieu sait quel est l’objet de ses recherches ! Nous voici arri-

vés, jugez l’homme par vous-même. »

Comme il parlait, nous enfilâmes un passage étroit et nous

pénétrâmes par une petite porte latérale dans une aile du grand

hôpital. Là, j’étais sur mon terrain : pas besoin de guide pour

monter le morne escalier de pierre et franchir le long corridor

offrant sa perspective de murs blanchis à la chaux et de portes

peintes en marron foncé. A l’extrémité du corridor un couloir bas

et voûté conduisait au laboratoire de chimie.

C’était une pièce haute de plafond, encombrée

d’innombrables bouteilles. Çà et là se dressaient des tables larges

et peu élevées, toutes hérissées de cornues, d’éprouvettes et de

petites lampes Bunsen à flamme bleue vacillante. La seule per-

sonne qui s’y trouvait, courbée sur une table éloignée, paraissait

absorbée par son travail. En entendant le bruit de nos pas,

l’homme jeta un regard autour de lui. Il se releva d’un bond en

poussant une exclamation de joie :

– 8 –

« Je l’ai trouvé ! Je l’ai trouvé ! cria-t-il à mon compagnon en

accourant, une éprouvette à la main. J’ai trouvé un réactif qui ne

peut être précipité que par l’hémoglobine ! »

Sa physionomie n’aurait pas exprimé plus de ravissement s’il

avait découvert une mine d’or.

« Docteur Watson, M. Sherlock Holmes, dit Stamford en nous

présentant l’un à l’autre.

– Comment allez-vous ? » dit-il cordialement

Il me serra la main avec une vigueur dont je ne l’aurais pas

cru capable.

« Vous avez été en Afghanistan, à ce que je vois !

– Comment diable le savez-vous ? demandai-je avec étonne-

ment.

– 9 –

– Ah çà !… »

Il rit en lui-même.

« La question du jour, reprit-il, c’est l’hémoglobine ! Vous

comprenez sans doute l’importance de ma découverte ?

– Au point de vue chimique, oui, répondis-je, mais au point

de vue pratique…

– Mais, cher monsieur, c’est la découverte médico-légale la

plus utile qu’on ait faite depuis des années ! Ne voyez-vous pas

qu’elle nous permettra de déceler infailliblement les taches de

sang ? Venez par ici ! »

Dans son ardeur, il me prit par la manche et m’entraîna vers

sa table de travail.

« Prenons un peu de sang frais, dit-il. (Il planta dans son

doigt un long poinçon et recueillit au moyen d’une pipette le sang

de la piqûre.) Maintenant j’ajoute cette petite quantité de sang à

un litre d’eau. Le mélange qui en résulte, a, comme vous voyez,

l’apparence de l’eau pure. La proportion du sang ne doit pas être

de plus d’un millionième. Je ne doute pas cependant d’obtenir la

réaction caractéristique. »

Tout en parlant, il jeta quelques cristaux blancs ; puis il versa

quelques gouttes d’un liquide incolore. Aussitôt le composé prit

une teinte d’acajou sombre ; en même temps, une poussière bru-

nâtre se déposa.

« Ah ! ah ! s’exclama-t-il en battant des mains, heureux

comme un enfant avec un nouveau jouet. Que pensez-vous de

cela ?

– 10 –

– Cela me semble une expérience délicate, répondis-je.

– Magnifique ! Magnifique ! L’ancienne expérience par le

gaïacol était grossière et peu sûre. De même, l’examen au micros-

cope des globules du sang : il ne sert à rien si les taches de sang

sont vieilles de quelques heures. Or, que le sang soit vieux ou non,

mon procédé s’applique. Si on l’avait inventé plus tôt, des centai-

nes d’hommes actuellement en liberté de par le monde auraient

depuis longtemps subi le châtiment de leurs crimes.

– En effet ! murmurai-je.

– Toutes les causes criminelles roulent là-dessus. Mettons

que l’on soupçonne un homme d’un crime commis il y a plusieurs

mois ; on examine son linge et ses vêtements et on y décèle des

taches brunâtres. Mais voilà : est-ce qu’il s’agit de sang, de boue,

de rouille ou de fruits ? Cette question a embarrassé plus d’un

expert, et pour cause. Avec le procédé Sherlock Holmes, plus de

problème ! »

Au cours de cette tirade, ses yeux avaient jeté des étincelles ;

il termina, la main sur le cœur, et s’inclina comme pour répondre

aux applaudissements d’une foule imaginaire.

« Mes félicitations ! dis-je étonné de son enthousiasme.

– Prenez le procès de von Bischoff à Francfort, l’année der-

nière, reprit-il. A coup sûr, il aurait été pendu si l’on avait connu

ce réactif. Il y a eu aussi Mason de Bradford, et le fameux Muller,

et Lefèvre de Montpellier et Samson de La Nouvelle-Orléans. Je

pourrais citer vingt cas où mon test aurait été probant.

– Vous êtes les annales ambulantes du crime ! lança Stamford

en éclatant de rire. Vous devriez fonder un journal : Les Nouvelles

policières du Passé !

– 11 –

– Cela serait d’une lecture très profitable », dit Sherlock

Holmes en collant un petit morceau de taffetas gommé sur la pi-

qûre de son doigt.

Se tournant vers moi, avec un sourire, il ajouta :

« Il faut que je prenne des précautions, car je tripote pas mal

de poisons ! »

Il exhiba sa main ; elle était mouchetée de petits morceaux de

taffetas et brûlée un peu partout par des acides puissants.

« Nous sommes venus pour affaires », dit Stamford.

Il s’assit sur un tabouret et il en poussa un autre vers moi.

« Mon ami, ici présent, cherche un logis. Comme vous n’avez

pas encore trouvé de personne avec qui partager l’appartement,

j’ai cru bon de vous mettre en rapport. »

Sherlock Holmes parut enchanté.

« J’ai l’œil sur un appartement dans Baker Street, dit-il. Cela

ferait très bien notre affaire. L’odeur du tabac fort ne vous in-

commode pas, j’espère ?

– Je fume moi-même le « ship », répondis-je.

– Un bon point pour vous. Je suis toujours entouré de pro-

duits chimiques ; et, à l’occasion, je fais des expériences. Cela non

plus ne vous gêne pas ?

– Pas du tout.

– Voyons : quels sont mes autres défauts ? Ah ! oui, de temps

à autre, j’ai le cafard ; je reste plusieurs jours de suite sans ouvrir

– 12 –

la bouche. Il ne faudra pas croire alors que je vous boude. Cela

passera si vous me laissez tranquille. A votre tour, maintenant.

Qu’est-ce que vous avez à avouer ? Il vaut mieux que deux types

qui envisagent de vivre en commun connaissent d’avance le pire

l’un de l’autre ! »

L’idée d’être à mon tour sur la sellette m’amusa.

« J’ai un petit bouledogue, dis-je. Je suis anti-bruit parce que

mes nerfs sont ébranlés. Je me lève à des heures impossibles et je

suis très paresseux. En bonne santé, j’ai bien d’autres vices ; mais,

pour le moment, ceux que je viens d’énumérer sont les princi-

paux.

– Faites-vous entrer le violon dans la catégorie des bruits fâ-

cheux ? demanda-t-il avec anxiété.

– Cela dépend de l’exécutant, répondis-je. Un morceau bien

exécuté est un régal divin, mais, s’il l’est mal !…

– Allons, ça ira ! s’écria-t-il en riant de bon cœur. C’est une

affaire faite – si, bien entendu, l’appartement vous plaît.

– Quand le visiterons-nous ?

– Venez me prendre demain midi. Nous irons tout régler en-

semble.

– C’est entendu, dis-je, en lui serrant la main. A midi précis. »

Stamford et moi, nous le laissâmes au milieu de ses produits

chimiques et nous marchâmes vers mon hôtel. Je m’arrêtai sou-

dain, et, tourné vers lui :

« A propos, demandai-je, à quoi diable a-t-il vu que je reve-

nais de l’Afghanistan ? »

– 13 –

Mon compagnon eut un sourire énigmatique.

« Voilà justement sa petite originalité, dit-il. Il a un don de

divination extraordinaire. Plusieurs ont cherché sans succès à se

l’expliquer.

– Oh ! un mystère ? A la bonne heure ! dis-je en me frottant

les mains. C’est très piquant. Je vous sais gré de nous avoir mis en

rapport. L’étude de l’homme est, comme vous le savez, le propre

de l’homme.

– Alors, étudiez-le ! dit Stamford en prenant congé de moi.

Mais vous trouverez le problème épineux !… Je parie qu’il en ap-

prendra plus sur vous que vous n’en apprendrez sur lui. Au plai-

sir, Watson !

– Au plaisir ! » répondis-je.

Je déambulai vers mon hôtel, fort intrigué par ma nouvelle

relation.

– 14 –

Chapitre II

La science de la déduction

Nous nous sommes retrouvés le lendemain comme il avait été

convenu et nous avons inspecté l’appartement au 221, Baker

Street, dont il avait parlé lors de notre rencontre. Le logis se com-

posait de deux confortables chambres à coucher et d’un seul stu-

dio, grand, bien aéré, gaiement meublé et éclairé par deux larges

fenêtres. L’appartement nous parut si agréable et le prix, à deux,

nous sembla si modéré que le marché fut conclu sur-le-champ et

que nous en prîmes possession immédiatement. Le soir même je

déménageais de l’hôtel tout ce que je possédais et le lendemain

matin Sherlock Holmes me suivait avec plusieurs malles et vali-

ses. Un jour ou deux, nous nous sommes occupés à déballer et à

arranger nos affaires du mieux possible. Cela fait, nous nous

sommes installés tout doucement et nous nous sommes accoutu-

més à notre nouveau milieu.

Holmes n’était certes pas un homme avec qui il était difficile

de vivre. Il avait des manières paisibles et des habitudes réguliè-

res. Il était rare qu’il fût encore debout après dix heures du soir et

invariablement, il avait déjeuné et était déjà sorti avant que je ne

me lève, le matin. Parfois il passait toute la journée au laboratoire

de chimie, d’autres fois, c’était dans les salles de dissection, et de

temps à autre en de longues promenades qui semblaient le mener

dans les quartiers les plus sordides de la ville. Rien ne pouvait

dépasser son énergie quand une crise de travail le prenait ; mais à

l’occasion une forme de léthargie s’emparait de lui et, pendant

plusieurs jours de suite, il restait couché sur le canapé du studio,

prononçant à peine un mot, bougeant à peine un muscle du matin

jusqu’au soir. En ces circonstances j’ai remarqué dans ses yeux

une expression si vide, si rêveuse que j’aurais pu le soupçonner de

s’adonner à l’usage de quelque narcotique, si la sobriété et la rec-

titude de toute sa vie n’eussent interdit une telle supposition.

– 15 –

À mesure que les semaines s’écoulaient, l’intérêt et la curiosi-

té avec lesquels je me demandais quel but il poursuivait devinrent

peu à peu plus grands et plus profonds. Sa personne même et son

aspect étaient tels qu’ils ne pouvaient pas ne pas attirer

l’attention de l’observateur le plus fortuit. Il mesurait un peu plus

d’un mètre quatre-vingts, mais il était si maigre qu’il paraissait

bien plus grand. Ses yeux étaient aigus et perçants, excepté pen-

dant ces intervalles de torpeur auxquels j’ai fait allusion, et son

mince nez aquilin donnait à toute son expression un air de vivaci-

té et de décision. Son menton proéminent et carré indiquait

l’homme résolu. Ses mains étaient constamment tachées d’encre

et de produits chimiques et pourtant il avait une délicatesse

extraordinaire du toucher, ainsi que j’avais eu fréquemment

l’occasion de le constater en le regardant manipuler ses fragiles

instruments.

Il se peut que le lecteur me considère comme incorrigible-

ment indiscret quand j’avoue à quel point cet homme excitait ma

curiosité et combien de fois j’ai tenté de percer le silence qu’il ob-

servait à l’égard de tout ce qui le concernait. Avant de me juger,

pourtant, qu’on se rappelle à quel point ma vie était alors sans

objet et combien peu de choses étaient capables de retenir mon

attention. Ma santé m’empêchait de m’aventurer au-dehors à

moins que le temps ne fût exceptionnellement beau ; je n’avais

aucun ami qui vînt me rendre visite et rompre la monotonie de

mon existence quotidienne. Dans ces conditions j’accueillais avec

empressement le petit mystère qui entourait mon compagnon et

je passais une grande partie de mon temps à m’efforcer de le ré-

soudre.

Il n’étudiait pas la médecine. Lui-même, en réponse à une

question, m’avait confirmé l’opinion de Stamford à ce sujet. Il

semblait n’avoir suivi aucune série de cours qui fussent de nature

à lui valoir un diplôme dans une science quelconque ou à lui ou-

vrir l’accès des milieux scientifiques. Et pourtant son zèle pour

certaines études était remarquable, et, dans certaines limites, ses

connaissances étaient si extraordinairement vastes et minutieu-

ses que ses observations m’ont bel et bien étonné. À coup sûr, nul

– 16 –

homme ne voudrait travailler avec tant d’acharnement pour ac-

quérir des informations si précises, s’il n’avait en vue un but bien

défini. Les gens qui s’instruisent à bâtons rompus se font rare-

ment remarquer par l’exactitude de leur savoir. Personne ne

s’encombre l’esprit de petites choses sans avoir à cela de bonnes

raisons.

Son ignorance était aussi remarquable que sa science. De la

littérature contemporaine, de la philosophie, de la politique, il

paraissait ne savoir presque rien. Un jour que je citais Carlyle, il

me demanda de la façon la plus candide qui ça pouvait être et ce

qu’il avait fait. Ma surprise fut à son comble, pourtant, quand je

découvris qu’il ignorait la théorie de Copernic et la composition

du système solaire. Qu’un être humain civilisé, au dix-neuvième

siècle, ne sût pas que la terre tournait autour du soleil me parut

être une chose si extraordinaire que je pouvais à peine le croire.

– Vous paraissez étonné, me dit-il, en soupirant de ma stupé-

faction. Mais, maintenant que je le sais, je ferai de mon mieux

pour l’oublier.

– Pour l’oublier !

– Voyez-vous, je considère que le cerveau de l’homme est, à

l’origine, comme une petite mansarde vide et que vous devez y

entasser tels meubles qu’il vous plaît. Un sot y entasse tous les

fatras de toutes sortes qu’il rencontre, de sorte que le savoir qui

pourrait lui être utile se trouve écrasé ou, en mettant les choses

au mieux, mêlé à un tas d’autres choses, si bien qu’il est difficile

de mettre la main dessus. L’ouvrier adroit, au contraire, prend

grand soin de ce qu’il met dans la mansarde, dans son cerveau. Il

n’y veut voir que les outils qui peuvent l’aider dans son travail,

mais il en possède un grand assortiment et tous sont rangés dans

un ordre parfait. C’est une erreur de croire que cette petite cham-

bre a des murs élastiques et qu’elle peut s’étendre indéfiniment.

Soyez-en sûr il vient un moment où, pour chaque nouvelle

connaissance que nous acquérons, nous oublions quelque chose

– 17 –

que nous savons. Il est donc de la plus haute importance de ne

pas acquérir des notions inutiles qui chassent les faits utiles.

– Mais le système solaire ! protestai-je.

– En quoi diable m’importe-t-il ? et sa voix était impatiente.

Vous dites que nous tournons autour du soleil ; si nous tournions

autour de la lune ça ne ferait pas deux liards de différence pour

moi ou pour mon travail !

J’étais sur le point de lui demander ce que ce travail pouvait

être, mais quelque chose dans sa manière me montra que la ques-

tion ne serait pas bien accueillie. Je réfléchis toutefois à notre

courte conversation, et m’efforçai d’en tirer mes déductions. Il

m’avait dit qu’il ne voulait pas acquérir des connaissances qui

soient sans rapport avec son travail. Par conséquent, toute la

science qu’il possédait était susceptible de lui servir. J’énumérai,

en pensée, les domaines divers dans lesquels il m’avait laissé voir

qu’il était bien informé. Je pris même un crayon et les notai sur le

papier. Quand j’eus terminé mon bilan, je ne pus m’empêcher

d’en sourire. Le voici :

Sherlock Holmes – Ses limites

1. Connaissances en Littérature : Néant.

2. Connaissances en Philosophie : Néant.

3. Connaissances en Astronomie : Néant.

4. Connaissances en Politique : Faibles.

5. Connaissances en Botanique : Médiocres, connaît bien la

belladone, l’opium et les poisons en général. Ignore tout du jardi-

nage.

6. Connaissances en Géologie : Pratiques, mais limitées. Dit

au premier coup d’œil les différentes espèces de sol ; après certai-

nes promenades a montré des taches sur son pantalon et m’a dit,

en raison de leur couleur et de leur consistance, de quelle partie

de Londres elles provenaient.

7. Connaissances en Chimie : Très fort.

8. Connaissances en Anatomie : Précis, mais sans système.

– 18 –

9. Connaissances en Littérature passionnelle : Immenses. Il