Vanilla Porridge - Alssyu C. - E-Book

Vanilla Porridge E-Book

Alssyu C.

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Beschreibung

Yoo Kiwoo, journaliste sportif ambitieux, est en quête de l'article parfait qui lui offrira une opportunité dans la section politique du Maeil Inside, journal pour lequel il travaille. Après une conférence de presse donnée par Shin Hosung, un champion de taekwondo contraint de mettre sa carrière en pause suite à une blessure à l'épaule, Kiwoo se rend compte que ce dernier s'avère être son voisin de palier. Malgré leurs personnalités diamétralement opposées, une amitié improbable commençe à se former. Cependant, les choses se compliquent lorsque le patron de Kiwoo lui demande d'obtenir des informations exclusives sur Hosung afin de créer un article sensationnel qui attirera l'attention du public. Kiwoo se trouve alors face à un dilemme : il doit choisir entre ses sentiments et sa carrière. Sera-t-il aveuglé par ses ambitions au point de trahir la confiance de son ami ?

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Seitenzahl: 301

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Pour Lulu ♥

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Depuis toujours, Kiwoo aimait mettre les gens dans des cases bien spécifiques. C’était devenu un automatisme à chaque fois qu’il rencontrait une nouvelle personne. Il ne jugeait pas sur les apparences — enfin, pas tout le temps — mais un regard ou un mot suffisait pour qu’il sache à qui il avait affaire. Pour lui, deux grandes catégories se démarquaient ; d’un côté les personnes qui lui ressemblaient, des intellectuels qui préféraient lire un bon livre ou contempler une œuvre d’art dans un musée. Des individus qu’il jugeait dans la norme, avec une routine bien huilée, un quotidien réglé comme du papier à musique. Des habitudes, des ambitions, et des rêves qui restaient tout de même réalisables. Rien de bien trépidant en soi, rien de très farfelu. Mais cela était ce qui semblait la meilleure option de vie pour ce jeune homme qui entamait sa vingt-sixième année. La deuxième catégorie rassemblait ceux qui vivaient dans un monde imaginaire, avec des idéaux surréalistes. Ces personnes ne lui inspiraient rien. Il les trouvait vides de tout, vides d’émotions véritables, vides de sens. Elles se remplissaient juste d’espoir, d’illusion, de gloire, d’arrogance et de vanité.

Malheureusement pour lui, il côtoyait presque chaque jour des gens comme ça, des gens qui voulaient viser la lune, mais n’arrivaient même pas à atteindre les étoiles. Des gens qui pouvaient voir leurs rêves se briser en une fraction de seconde. C’était une des dures réalités qui planait sur le monde sportif, un domaine qu’il ne connaissait que trop bien — à son plus grand désarroi — depuis qu’il était journaliste au Maeil Inside. Il s’agissait d’un journal régional qui traitait de nombreux sujets d’actualité ; du sport en passant par la politique, des événements marquants, des polémiques et même une page people et ragots pour les plus curieux des lecteurs. Kiwoo n’avait pas pu intégrer la section dont il rêvait. Il avait longtemps exprimé le souhait de parler de politique, il adorait ça, il trouvait ce sujet passionnant, bien que parfois houleux. Mais c’était ce qui lui plaisait justement ; les débats, les réformes, les échanges souvent mouvementés qui apportaient un peu de piment. Ce fut avec une grande déception qu’il s’était vu attribuer le poste de rédacteur dans la rubrique sportive. Cela avait fait remonter tous les souvenirs d’école qu’il aurait préféré totalement oublier une bonne fois pour toutes.

Il avait toujours détesté le sport. Il n’aimait pas le regarder à la télévision, il trouvait que c’était une véritable perte de temps que d’observer des joueurs courir après un ballon, ou encore des athlètes se déchainer pendant un cent mètres haies pour une médaille d’or et un titre de champion olympique. Cela l’ennuyait à mourir. Il ne comprenait pas comment on pouvait être admiratif de ces personnes qui, à son sens, ne faisaient rien d’extraordinaire. Mais plus que d’en regarder à travers un écran, Kiwoo avait horreur d’en pratiquer et cela ne datait pas d’hier. À l’école, les cours de sport avaient été sa hantise. Alors que la plupart des enfants sautaient de joie quand ce moment de la semaine arrivait, Kiwoo, lui, aurait tout fait pour l’éviter jusqu’à même souhaiter se casser une jambe autant de fois qu’il le faudrait pour être dispensé à vie. Il n’y avait pas un seul aspect du sport qu’il appréciait.

Des vestiaires au terrain, ou au gymnase, c’était une torture. Il se changeait dans un coin, recroquevillé sur lui-même pour que ses camarades ne le regardent pas pendant qu’il enfilait son ensemble de jogging d’un bleu délavé en matière éponge — une loque de plus qu’il avait hérité de son cousin de sept ans son aîné. Il détestait récupérer des habits déjà portés par d’autres personnes, même si elles faisaient partie de sa famille.

Mais l’enfer ne s’arrêtait pas là. Il était souvent le dernier à être choisi dans les équipes — si on pouvait vraiment qualifier cela de choix. Il attendait toujours qu’un des capitaines prononce son prénom, que quelqu’un l’appelle parce qu’il voulait faire équipe avec lui. Mais il restait là, à regarder ses camarades s’en aller un par un pour rejoindre leurs copains tandis que lui ne serait qu’un choix par défaut. Il fallait bien le caser quelque part, comme disait un de ses chers professeurs. Eux non plus n’avaient jamais été tendres avec lui. Ils en avaient même souvent été désespérés. En plus de ne pas être à l’aise avec son corps, c’était une véritable catastrophe ambulante.

Sur le terrain, il était soit celui qui ne rattrapait pas un seul ballon, soit celui qui faisait valser ses copains d’un simple coup d’épaule s’ils avaient la malchance de se trouver sur son chemin. Et lorsqu’on lui assignait le rôle de goal — ce qui heureusement n’arrivait qu’en cas d’extrême urgence —, l’équipe de laquelle il faisait partie était sûre de se faire laminer en moins de deux. Kiwoo n’était pas un expert pour défendre son camp. Il avait si peur de se prendre une balle en pleine figure et de casser ses précieuses lunettes de vue qu’il entamait à chaque fois une danse ridicule pour éviter l’objet volant. Il avait au moins le mérite de faire rire ses adversaires.

Sa réputation de trouillard l’avait suivie jusqu’au lycée où un de ses anciens camarades avait eu la gentillesse de raconter à tous ses déboires sportifs. S’ils n’avaient pas été mis au courant, ils auraient tout de même fini par s’en rendre compte car rien n’avait changé si ce n’était le fait qu’il avait enfin une tenue de sport digne de ce nom.

Ses parents lui répétaient que personne ne pouvait être bon en tout, et qu’être doué en sport n’était pas donné à tout le monde. Ils préféraient voir leur fils obtenir d’excellents résultats dans toutes les autres matières que d’être un as du basket, ou de n’importe quel autre sport d’ailleurs. Pour eux, le sport était un loisir peu instructif, alors ils ne s’en plaignaient pas le moins du monde. Parce que oui, Kiwoo était un élève brillant, un premier de la classe, un acharné des révisions et des devoirs, qui visait toujours l’excellence. Si on ne voulait pas de lui pendant les cours de sport, on se battait pour l’avoir dès qu’un travail de groupe se présentait. Il changeait du tout au tout. Le garçon peu sûr de lui des vestiaires devenait un petit chef autoritaire qui menait ses troupes à la baguette pour les élever vers la perfection.

Sans aucune surprise, il avait obtenu son diplôme haut la main. Avec un profil comme le sien, les portes de toutes les universités lui étaient grandes ouvertes. Passionné par la presse, la culture et l’écriture, ce fut assez naturellement qu’il se dirigea dans le secteur du journalisme. Il avait été admis dans une grande école au Royaume-Uni, un endroit très réputé, ce qui avait rendu ses parents extrêmement fiers de lui. Encore une fois, tout était gagné d’avance pour Kiwoo. Il ne pouvait pas échouer, c’était impensable et surtout inenvisageable. Il était dur avec lui-même, il s’imposait des heures de travaux personnels, des heures d’études, un rythme effréné que beaucoup auraient été incapables de suivre. Il ne voulait pas revenir en Corée du Sud les mains vides. La réussite était une notion phare qui caractérisait son pays natal : avoir un diplôme valorisant pour trouver un bon métier, avoir un bon salaire, obtenir la reconnaissance de son patron, s’acheter une voiture, une maison, fonder une famille. C’était le schéma type que Kiwoo s’était promis de suivre.

Il avait validé pas mal d’étapes, peut-être pas dans l’ordre qu’il avait au préalable imaginé, mais c’était déjà ça. Il n’était pas peu fier, à vingt-six ans à peine, d’être là où il était désormais. Dès qu’il avait foulé le sol coréen, il s’était mis en quête d’un emploi dans son domaine de prédilection. Il en avait passé des entretiens, il en avait rencontré des patrons dans tout Séoul. Jusqu’à ce qu’arrive le jour où il fit connaissance de celui qui lui offrirait une place au sein de son équipe. Ce jour-là avait marqué la récompense de quelques années de sacrifices.

Mais puisque tout était un peu trop beau pour être vrai, Kiwoo n’avait pas pu intégrer la section dont il rêvait. Son ancien lui en survêtement bleu éponge dansait dans un coin de son esprit comme pour le narguer, lui rappelant ô combien le sport lui avait pourri une partie de sa scolarité. Mais Kiwoo avait grandi, il avait mûri et le travail était le travail. Il était capable de faire la part des choses et, même s’il détestait par-dessus tout se déplacer pour interviewer des sportifs ou assister à des matchs qu’il n’aurait jamais eu l’idée d’aller voir dans d’autres circonstances, il agissait toujours avec un professionnalisme impressionnant et irréprochable. Bien qu’il soit quelquefois un peu bourru dans sa manière d’interroger les athlètes qu’il rencontrait, ses articles étaient clairs, nets et précis. Il maniait les mots avec simplicité et facilité, et cela lui valait bien souvent les félicitations de son patron.

— Encore un article qui s’annonce excellent Yoo ! La voiture vous attend sur le parking.

Le jeune homme força un sourire quand monsieur Lee, son supérieur, passa à côté de son espace de travail en lui tapotant l’épaule d’une façon amicale. Kiwoo espérait seulement qu’il s’éloigne de lui le plus vite possible afin de finir de préparer ses dernières affaires. Mais il en avait décidé autrement. L’homme d’une quarantaine d’années aux cheveux poivre et sel se pencha dans sa direction pour lui chuchoter :

— Vous savez pourquoi je vous envoie là-bas ?

Kiwoo secoua simplement la tête de gauche à droite.

— Parce que vous êtes mon meilleur rédacteur dans cette rubrique. Vous, vous savez quand et comment poser les bonnes questions. Puis vous n’avez pas trop d’états d’âme, vous n’avez pas peur.

— Je fais juste mon travail, Monsieur.

Il donna une tape beaucoup plus forte que les précédentes, un rire extravagant et faux s’échappa de sa gorge. Comme il était venu, il repartit, laissant Kiwoo soulagé de le voir enfin lui foutre la paix.

— Bref ! Je compte sur vous Yoo ! Vous êtes le roi du sport !

L’homme leva les deux pouces en l’air comme il l’aurait fait avec un de ses amis proches pour ensuite tourner les talons d’une façon exagérée. Le roi du sport, il était bien loin du compte ! Kiwoo avait l’habitude de ce genre de scène loufoque, et il ne pouvait que les supporter sans rien dire. Il attendit que monsieur Lee soit occupé à saluer un collègue juste à côté pour épousseter discrètement sa chemise blanche d’un vif frottement de main. Cet homme, en plus d’être un peu trop tactile pour lui, était le profil type du boss tapageur. Il faisait suffisamment de bruit pour que l’ensemble des bureaux sache qu’il était présent. Il était en effet persuadé que le fait de crier lui donnait un air cool et que cela démontrait ses compétences en gestion du personnel. La plupart des employés ne disaient rien, ils se contentaient de sourire pour les plus intimidés, ou bien d’entrer dans son jeu hypocrite pour ceux qui voulaient absolument se faire bien voir. Mais Kiwoo avait un peu de mal à faire semblant, le comportement du quarantenaire le gênait plus qu’autre chose.

Paré de sa sacoche du parfait petit journaliste, Kiwoo traversa l’open-space d’un pas décidé, les talons de ses brogues couleur camel marquant le rythme. Pour un « nouveau », il avait la chance d’avoir un des meilleurs emplacements, un bureau situé non loin de la baie vitrée qui lui donnait une vue imprenable sur la capitale sud-coréenne, ses buildings et son célèbre fleuve Han. Kiwoo adorait ce lieu dans lequel résonnaient les bruits des claviers d’ordinateur qu’on martelait à longueur de journée. C’était son quotidien de rédacteur avec parfois ses inconvénients, mais également ses avantages.

Il trouva rapidement la Hyundai i40 à la carrosserie noire luisante dans le parking souterrain et s’installa au volant. Après toutes les vérifications faites — car Kiwoo n’était jamais trop prudent —, il entra l’adresse du dojang où il devait se rendre dans l’ordinateur de bord et lança sa playlist grâce à son téléphone qu’il avait connecté au véhicule. Avec Ed Sheeran pour l’accompagner, le trajet et les sempiternels embouteillages lui sembleraient un peu moins barbants. Il ne manquait plus qu’il arrive déjà tendu à cette conférence de presse et Dieu savait ce qu’il pourrait encore poser comme question incommodante. Non, c’était du sérieux, il devait rester calme, ne pas s’énerver au volant et se concentrer sur la mélodie de Happier qui avait le don de l’apaiser bien qu’elle lui fasse un peu trop penser à une histoire qui s’était terminée récemment. Kiwoo n’avait pas apprécié qu’on lui impose de choisir entre son travail et ses sentiments. Quelle personne censée laisserait tomber sa carrière pour un couple ? En fait, la véritable question était plutôt : quel genre de fille serait assez tordue pour demander à son compagnon de mettre de côté sa vie professionnelle juste pour s’occuper d’elle ? Kiwoo avait la réponse : Cha Hayun, qui était désormais reléguée au statut d’ex à ne surtout plus jamais recontacter sous aucun prétexte. Aucun.

Comme un robot, le jeune journaliste suivait les instructions du GPS qui l’avait amené sans trop d’encombres à son point de rendez-vous. Il s’engouffra dans un parking gardé, ne cherchant pas à passer plus de temps à tourner dans les rues pour trouver une place libre. Kiwoo n’avait pas une minute à perdre s’il voulait être à un bon rang durant la conférence de presse.

Ce matin, il allait assister au retrait temporaire d’un grand espoir du taekwondo qui s’était blessé à l’épaule. Un bête concours de circonstances, un mauvais échauffement et voici qu’il se retrouvait en convalescence pour trois mois, forcé de se retirer d’une compétition régionale. Kiwoo avait simplement quelques indications, son nom, la raison de cette conférence et… c’était tout. Ce certain Shin Hosung était inconnu au bataillon pour lui. Il n’aurait même pas été capable de le reconnaître s’il l’avait croisé par hasard dans la rue. C’était pour dire à quel point il ne s’intéressait pas au sport même si cela faisait partie intégrante de son métier. Et avec tout le travail qu’il avait en ce moment, il n’avait pas eu cinq minutes pour consulter internet afin de faire un minimum de recherches. Il allait improviser. C’était un pro de l’improvisation après tout.

Dans le rétroviseur intérieur du véhicule, Kiwoo vérifia le col de sa chemise et replaça les lunettes aviateur en métal doré sur son nez. Il n’avait plus vraiment besoin de cet accessoire puisqu’il portait désormais des lentilles, mais il apportait un intérêt tout particulier à son style. Il enfila sa veste et, sacoche à l’épaule, quitta la berline. La conférence donnée par Shin Hosung se tenait dans le dojang du club où il s’entraînait. Le bâtiment ne payait pas de mine ; une construction en briques rouges avec de petites fenêtres rectangulaires qui se trouvait dans une rue aux abords d’Insadong, un quartier traditionnel réputé pour ses galeries d’art, ses souvenirs et ses restaurants. Autrement dit, le berceau de la culture artistique coréenne. Cela faisait bien une éternité que Kiwoo ne s’y était pas rendu.

À l’entrée, il tendit le badge qu’il arborait comme une médaille pour attester de son appartenance à la presse, et celui qui faisait office de vigile lui intima d’entrer. D’un regard vif, il balaya la salle qui était plus remplie qu’il ne l’avait imaginé. Beaucoup de confrères d’autres journaux et chaines télévisées s’étaient donné rendez-vous. Il commençait à croire que le taekwondoiste était peut-être une figure célèbre, et par célèbre, il entendait : qui avait remporté de vrais prix, qui faisait du sport sa carrière, pas une personne lambda qui participait à des tournois juste pour le divertissement. Enfin, faire carrière dans le sport était un concept un peu fantasque pour le journaliste. Mais c’était purement subjectif.

Il s’installa au premier rang, son petit sac en cuir posé sur les genoux comme l’écolier modèle qu’il avait été durant toute sa scolarité. Il en sortit une pochette de matière similaire qui se dépliait complètement pour donner accès à un calepin. Un stylo était glissé dans un anneau en tissu. Il ajouta à cela le dictaphone qui le suivait depuis ses débuts au Maeil, un appareil fidèle qui avait enregistré des dizaines, non, des centaines d’interviews et conférences. Il devait sûrement être aussi épuisé que lui à force d’entendre parler de sport.

Les autres représentants médiatiques s’entassèrent dans la salle qui n’était pas du tout prévue pour recevoir autant de personnes. Certains avaient même dû rester debout au fond. Pour ça, Kiwoo pouvait se réjouir d’être plus ponctuel qu’il ne le fallait.

Il avait enfin lâché son sac pour croiser les jambes. Il balança son pied dans les airs tout en observant la table devant lui où de nombreux microphones qui portaient les logos de ses concurrents avaient été fixés. Il commença à s’impatienter, les minutes défilaient et toujours pas de signe de vie du taekwondoiste. Tous pareils, pensa Kiwoo. Comme des rockstars, les sportifs se faisaient désirer. Bientôt, il aurait fallu les encourager. Jamais ils ne débutaient une conférence à l’heure, et pour Kiwoo qui était tatillon sur les horaires, cela l’agaçait vraiment. C’était un des autres aspects pénibles de son métier. Attendre bien sagement que l’information lui tombe dans le bec. Il avait l’impression d’être pris pour un pigeon, mais que pouvait-il faire ? C’était son travail, sa passion, ce qui le faisait manger. Pourtant, il aspirait à autre chose. Il gardait toujours son rêve d’intégrer la rubrique politique dans un coin de son esprit, et il ne lâcherait jamais ses efforts jusqu’à ce que cela se réalise.

L’attention de tous les journalistes présents fut attirée par un homme qui s’avança dans la salle, une démarche humble et un petit sourire sur ses lèvres étroites. Il s’inclina presque à chaque pas qu’il fit et arriva au niveau de la table. Les flashs des appareils photo l’assaillirent alors qu’il n’avait pas encore prononcé un seul mot. Mais visiblement, il ne s’agissait pas de Shin Hosung, le sportif à interviewer, puisque l’homme ne montrait aucun signe de blessure. Il se pencha, sans s’asseoir, puis se présenta rapidement.

Kiwoo retint simplement que ce n’était pas celui qu’il attendait, alors il ne jugea pas utile d’apporter plus d’attention à ce qu’il racontait, ou à son apparence générale. Il n’avait même pas mis son dictaphone en route. Après que l’inconnu eut terminé son discours qui avait peu intéressé les trois quarts de l’auditoire, il s’installa sur un siège à droite de celui qui se trouvait à hauteur des micros. Un deuxième homme pénétra dans l’enceinte de la pièce. Taille moyenne, carrure assez imposante, cheveux noir de jais tombants sur son front. Il se tourna vers l’assemblée tout en s’inclinant, un sourire tiré et fatigué épinglé sur un visage qui avait l’air bien trop pâle. Kiwoo se demanda s’il était né ainsi, avec une peau si parfaite et brillante que même une poupée de porcelaine l’aurait enviée, ou s’il était juste malade. Quand il posa les yeux sur le bras droit de l’arrivant, aucun doute possible. Il avait devant lui le taekwondoiste dont la carrière allait peut-être brutalement s’arrêter. Quand il disait que ces personnes se nourrissaient de bien trop d’espoir, la présence de Shin ne fit que confirmer cette idée qu’il s’était fait du monde sportif. Ce dernier avait récolté une attelle, il portait un bras en écharpe et semblait tout simplement épuisé. Les cernes sous ses yeux laissaient imaginer qu’il avait très peu dormi les précédentes nuits et la maquilleuse n’avait même pas été en mesure de faire des miracles.

Ce fut ainsi que Shin Hosung entra d’emblée dans une petite case.

Kiwoo appuya sur le bouton « Enregistrer » de son fidèle compagnon. Hosung s’éclaircit la gorge pour enchainer sur un « Un, deux, un, deux » dans les micros, ce qui fit sensiblement rire l’ensemble de l’auditoire et même sa propre personne. Cependant, il y en avait bien un qui restait impassible, comme toujours. Il n’était pas venu pour voir un one-man-show après tout et l’heure tournait, il était inutile d’en rajouter. Il en avait déjà assez d’attendre, il voulait que ça aille vite afin de repartir pour se terrer dans son bureau et rédiger son article.

— Bien euh… comme vous pouvez le constater, je n’ai pas vraiment eu de chance au dernier tournoi.

Il leva un peu le bras, une grimace de douleur exagérée se glissa aussitôt sur son visage. De nouveaux rires éclatèrent. La voix du taekwondoiste était chaleureuse, un peu trop guillerette pour un récent blessé. Il jouait peut-être trop sur l’humour, et ça ne plaisait pas à tout le monde. Même si Kiwoo n’avait pas cillé une seconde, la première phrase que Hosung avait prononcée lui avait bien fait ressentir un petit quelque chose. Il avait un cheveu sur la langue, ce trait spécifique le sensibilisait davantage au sort de ce jeune homme puisqu’il se trouvait là un point commun avec lui. Le journaliste avait ce même défaut de prononciation — quoique moins marqué grâce au travail qu’il avait fait pour tenter de s’en débarrasser — et cela rendait Hosung plus humain que l’idée qu’il s’était faite de lui avant même de le rencontrer.

— Suite à ma visite à l’hôpital il y a deux jours, j’ai été mis en arrêt total pour trois mois durant lesquels je dois suivre un programme de soin concernant ma luxation de l’épaule. Ensuite je devrai entamer des séances de rééducation. On ne sait pas encore s’il pourrait y avoir des récidives, mais ça reste une hypothèse.

Kiwoo assimilait les informations tout en notant ce qui lui semblait le plus important sur son calepin. Il voulait sortir un article concis, mais le plus clair et pertinent possible. C’était une de ses spécialités, faire passer le plus d’informations en un texte d’une longueur honorable. Ni trop long, ni trop court, avec juste ce qu’il fallait pour satisfaire la curiosité du lecteur et le renseigner en même temps. Ceux qui achetaient le Maeil Inside étaient surtout des gens pressés qui lisaient les actualités dans le bus ou le métro avant de se rendre au travail.

Le taekwondoiste continua son monologue ; il lut également les comptes rendus médicaux qui attestaient de sa blessure comme il avait été prévu et, après quelques minutes, la parole fut donnée aux médias. C’était la partie favorite de Kiwoo, le moment le plus intéressant. Il aimait se trouver au premier rang, cependant, il n’aimait pas poser les questions en premier. Il préférait d’abord écouter les autres, cela lui permettait de tâter le terrain, d’analyser les réactions de l’athlète quand les questions étaient plus personnelles ou gênantes. Et pendant ces instants, il pouvait observer les postures, les expressions, le physique de la personne en face de lui. Il repensa dès lors à l’histoire de ces petites cases. Oui, Kiwoo avait un côté voyeur qu’il n’assumait pas trop mais en tant que journaliste, il se persuadait que cela faisait un peu partie de son métier.

Les questions s’enchainèrent tandis que Kiwoo griffonnait des mots clés sur son petit carnet. D’un simple regard, cela avait l’air un peu fouillis, mais c’était sa propre organisation et il était parfaitement capable de tout remettre en ordre une fois devant son ordinateur.

— Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu les deux premiers jours qui ont suivi votre blessure ? Y a-t-il eu des personnes qui vous ont aidé ? Des proches ?

Kiwoo tourna la tête en direction de sa voisine, une femme dans sa tranche d’âge, petite et mince, à la voix aiguë. Elle regardait le sportif avec de grands yeux, ses cils battant contre ses pommettes saillantes tandis que ses lèvres parées d’un rouge vif venaient se pincer en une moue. À sa façon de se comporter, un bloc-notes qu’elle serrait contre sa poitrine comme s’il s’agissait de la chose la plus précieuse dans sa vie, Kiwoo la redirigea dans une case qu’il venait tout juste d’inventer. « Débutante superficielle sans professionnalisme ». Elle était sans aucun doute novice, elle avait dû atterrir là comme un cheveu sur la soupe. Si elle était bien journaliste — et c’était ce que sa carte de presse laissait imaginer —, Kiwoo ne pouvait pas du tout s’identifier à une personne comme elle. Même ce Shin Hosung semblait déconcerté par son attitude presque semblable à celle d’une groupie. Le malaise qu’il ressentait à cet instant était palpable et avait jeté un froid. La bouche légèrement entrouverte comme s’il essayait de comprendre une blague douteuse mal racontée, il lança un regard vers l’homme installé à ses côtés. Un coup de coude de sa part l’obligea à réagir. Il se redressa et se racla la gorge, puis secoua la tête comme pour se débarrasser d’une mouche qui était rentrée dans son oreille.

— Comment je l’ai vécu...

Il leva les yeux vers le plafond, une grimace marqua sa réflexion poussée.

— Pas très bien, je suppose.

Le volume de sa voix s’était atténué. Cela avait l’air de le toucher plus qu’il n’aurait aimé le laisser paraître. La femme au rouge à lèvres acquiesça, ses cils battaient toujours autant tel un éventail. Kiwoo entendait presque l’air se brasser à chaque mouvement. Il en avait assez. Quand quelque chose l’agaçait, il avait cette fâcheuse manie à se focaliser dessus et à ne pas être en mesure de faire semblant. Il lança un regard à sa voisine. Pourquoi avait-il fallu que ça tombe sur lui ?

— Ça a été très éprouvant, entre les examens et le verdict, c’était un peu comme si le ciel me tombait sur la tête, continua l’homme sur un ton plus limpide. Quand on est dans la course, qu’on s’entraîne tous les jours, on ne pense jamais à ce genre d’accident.

Nouveau hochement de tête de la jeune femme. Hosung prit une grande inspiration et se tourna vers l’homme installé à sa droite, ce dernier esquissa un léger rictus compatissant. Le taekwondoiste posa une main sur son épaule et l’observa avec une admiration telle que l’audience en resta scotchée, en haleine. Quelque chose allait se passer, une séquence émotion. C’était un échange silencieux mais qui, comme tout le monde l’espérait, laissait passer des sentiments très forts.

— Ma famille étant loin, j’ai pu compter sur mon coach et ami pour me soutenir.

Des exclamations attendries firent irruption dans la salle. Kiwoo roula des yeux. Ce qu’il détestait ce genre de moments dramatiques où les sportifs jouaient sur la corde sensible pour émouvoir ceux qui pouvaient visionner la conférence ! Il était même persuadé que sa voisine y serait la plus réceptive, elle ne manquerait pas d’introduire ce passage chargé d’émotions dans son article, peut-être même que c’était là tout ce qu’elle retiendrait de la conférence. Elle avait l’air tellement à l’ouest… Kiwoo pouvait déjà imaginer le gros titre, quelque chose de bien niais et cliché, le genre de titre « putaclic » qu’on mettrait sur une vidéo YouTube, tout ça pour attirer les lecteurs comme on attrapait des mouches avec du miel.

Le journaliste du Maeil Inside profita de cette accalmie pour lever une main. Il replaça ses lunettes et tapota sa chevelure légèrement ondulée pour s’assurer qu’aucune mèche ne s’était échappée de la coiffure qu’il avait mis tant de temps à faire ce matin. Tout était redevenu calme, son intervention soudaine en avait surpris plus d’un. Celui qui avait enfin un rôle à jouer dans l’esprit de Kiwoo lui indiqua d’un bref geste en sa direction qu’il avait la parole. De son petit air satisfait, il humidifia ses lèvres et fit habilement tourner son stylo entre ses fins doigts avant de poser sa question.

— Imaginez que vous ne pouviez plus jamais pratiquer le taekwondo, est-ce vous avez d’autres projets professionnels ? Ça ne doit pas être facile de se recycler après ça.

Toujours fidèle à lui-même. Il n’avait pas pu s’empêcher de poser une question à la limite de l’indécence. Il ne prêtait pas attention aux journalistes autour de lui, trop obnubilé par la réaction de Hosung qui se faisait attendre. Mais les messes basses qui parvenaient à ses oreilles ne ressemblaient pas à des louanges à sa personne.

— Comme je l’ai dit, je n’ai jamais pensé que je devrais mettre fin à ma carrière si brutalement. Pour l’instant, je préfère faire confiance aux médecins et si ça devait arriver, alors j’aviserai à ce moment-là.

Kiwoo était agréablement surpris par la façon avec laquelle l’homme lui avait répondu. Courtois, simple, sans une once d’irritation aussi bien dans sa voix que dans son regard. C’était un peu comme s’il avait réussi à passer le test. Mais il n’en avait pas terminé avec lui.

— Une autre question !

— Je vous écoute.

— Vous dites que votre famille est loin, alors maintenant que vous êtes blessé, est-ce que vous comptez passer du temps avec elle ? Qu’est-ce que vous allez faire pendant votre convalescence ?

Il prenait un certain plaisir à remuer le couteau dans la plaie.

— Je vais juste rentrer chez moi et me reposer. Je dois rester dans la capitale pour mes soins, en espérant guérir rapidement.

Comme Kiwoo n’avait pas de question supplémentaire qui lui venait à l’esprit, il leva légèrement les mains pour indiquer qu’il en avait terminé. Il continua à coucher quelques annotations sur sa feuille tandis qu’un autre journaliste prit sans tarder le relai. Kiwoo fronçait les sourcils, un peu perturbé par le caractère si singulier de Shin Hosung. Il n’en avait, pour l’instant, jamais rencontré deux comme lui. En repensant à ses petites idioties au début de la conférence, il laissa un discret rire lui échapper. La jeune femme aux lèvres rouges lui lança un regard intéressé, puis un sourire, comme si elle se sentait concernée par son attitude. Ou cherchait-elle juste à se faire des connaissances dans le milieu ? Kiwoo détourna bien vite les yeux, il n’était pas venu là pour faire des rencontres. Il avait assez donné avec les femmes, il lui faudrait sans doute pas mal de temps avant de vivre une nouvelle liaison.

La conférence toucha à sa fin. Après que Hosung eût posé en compagnie de son coach pour quelques clichés qui serviraient à illustrer les futurs articles de journaux, il regagna les vestiaires de son club afin de reprendre ses affaires.

Loin des médias, Hosung se laissa tomber sur le banc et s’autorisa à soupirer avec lassitude. Toute cette pression, ces questions parfois pesantes et oppressantes, étaient un fardeau bien trop lourd à porter. Il n’était pas vraiment introverti, un peu intimidé peut-être quand il se retrouvait à être le centre d’attention, alors devoir donner des conférences était un moment long et pénible. Parler de lui était tout sauf sa tasse de thé. Mais il se forçait, ça faisait partie du revers de la médaille que de devoir s’exprimer en public. Dans un sens, il avait des comptes à rendre à ceux qui le soutenaient. Mais il était également un homme particulièrement sensible et qui avait des difficultés à dissimuler ses émotions. Alors peut-être était-ce pour cela qu’il se cachait derrière un caractère déconneur, pour ne pas trop s’exposer, pour ne pas montrer ses faiblesses. Il amusait la galerie pour ne pas craquer. Parce que oui, cette blessure le touchait énormément, et pas seulement physiquement.

Hosung passa la journée au dojang, conscient qu’il s’agissait sans doute de la dernière fois avant un bon moment. Il profita de chaque instant, de chaque minute, de la présence réconfortante de son coach et assista à quelques cours. Mais désormais, il avait besoin de repos, de répit, de reprendre des forces et de se ménager dans l’espoir de guérir. Il était déçu de devoir tout mettre sur pause alors que la passion l’animait. S’arrêter n’était pas chose facile.

— Tu veux que je te raccompagne ?

Le visage inquiet du coach dépassa par la porte entrouverte alors que Hosung observait les vestiaires avec nostalgie.

— Merci Minho, mais je vais prendre un taxi. Tu as des cours à assurer.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à appeler. D’accord ?

Face à l’insistance de Minho, Hosung força un sourire et opina du chef. Il ne voulait pas l’inquiéter plus qu’il ne l’était déjà. Et puis, il avait tellement fait pour lui ces deux derniers jours qu’il avait l’impression d’abuser de sa gentillesse. Il était allé jusqu’à l’accompagner à ses examens, quitte à mettre son travail et sa famille de côté. Minho était un coach et un ami soucieux du bien-être de ses élèves et surtout de celui de Hosung. Ils se connaissaient depuis bien longtemps et il était toujours derrière lui pour l’encourager et le pousser à se surpasser. Le taekwondoiste lui devait beaucoup.

— Mon taxi est là, déclara Hosung en revenant dans la salle où Minho était occupé à tout remettre en place à l’aide d’un apprenti.

Le coach le rejoignit pour l’accompagner à l’extérieur du bâtiment. La voiture orange, typique des taxis sud-coréens, était garée devant, feux de détresse clignotants pour espérer ne pas se faire klaxonner. Hosung remercia son ami pour la centième fois au moins depuis sa blessure, et il s’excusa également. Il culpabilisait de ne pas pouvoir continuer les tournées dans tout le pays, il avait cet horrible goût d’amertume dans la bouche qui ne le lâchait pas. Il était déçu de lui.

De son bras puissant, Minho l’amena vers lui pour l’étreindre avec une certaine délicatesse. Il tapota son crâne avec soin pour lui faire comprendre qu’il ne lui en voulait absolument pas. Il connaissait son élève mieux que personne, c’était un homme à l’apparence d’un gros dur mais à l’intérieur, il avait un cœur de guimauve.

— Prends bien soin de toi. Et écoute ce que dit le médecin surtout.

— Promis, je ferai attention.

— Je passerai te voir dès que j’ai du temps.

Minho lui asséna une dernière tape derrière la tête et ouvrit la portière du véhicule. Muni de son sac de sport fétiche — celui qui le suivait dans tous ses tournois —, Hosung y pénétra. Confortablement installé dans le siège en cuir noir, il regarda son ami qui lui faisait signe tandis que le taxi démarrait pour s’engouffrer dans le trafic infernal.

La nuit était sur le point de recouvrir Séoul ; le coucher de soleil était magnifique, ses teintes orangées se reflétaient sur le fleuve Han. C’était un spectacle si simple, mais si apaisant. Hosung devait bien admettre que cela faisait des jours qu’il n’avait pas contemplé un coucher de soleil. Peut-être même des semaines ou des mois, il ne savait plus trop. Il avait eu des journées si chargées, des heures d’entraînement, sans relâche, qu’il n’avait plus de temps pour les choses simples de la vie. Même s’il adorait son métier, il aspirait parfois à avoir ne serait-ce qu’un peu de repos. Seulement, il aurait préféré que ce ne soit pas dans ces conditions, avec un bras inutilisable et un arrêt de trois mois en prime. Il voulait du repos, certes, mais pas autant non plus.