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À Santa Cruz, en 1970, Paolo a quitté temporairement sa Florence natale pour passer les vacances chez son oncle et surfer en compagnie d'Enzo, son cousin. Au cours d'une soirée sur la plage, il croise le chemin de Sungjae, un jeune homme excentrique et au style décontracté. Cependant, derrière ses sourires et ses plaisanteries salaces, se dissimule un drame duquel il n'a jamais guéri. Paolo espère passer des vacances inoubliables à ses cotés, mais il se retrouve entrainé dans un tourbillon d'émotions et de révélations plus poignantes les unes que les autres.
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Seitenzahl: 397
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Avec une infinie tendresse et en mémoire des personnes qui
sont parties,
ce livre est dédié à toutes les âmes courageuses qui ont
connu la douleur d’une perte.
Puissent ces pages apporter un peu de réconfort et raviver
les doux souvenirs
de celles et ceux qui continueront à vivre éternellement dans
nos cœurs.
Avertissements :Cet ouvrage est destiné à un public averti. Scènes de sexe explicites, langage cru, drogue, alcool, deuil, dépression, automutilation, tentative de suicide, agression, mention de noyade.
Prenez soin de vous
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Après une journée riche en émotions, Paolo souhaitait que sa soirée soit tout aussi mémorable.
Torse nu, une serviette sur la tête pour sécher ses cheveux mouillés, il sortit de la salle de bain et alla rejoindre la chambre juste à côté. Il poussa la porte entrebâillée et sourit à Enzo, son cousin, qui était étendu sur le lit de gauche.
— T’as vachement bronzé depuis que t’es là.
Paolo haussa un sourcil charmeur avant de jeter la serviette sur son propre lit. Il s’y laissa tomber et, toujours avec son air taquin placardé sur le visage, il observa ses biceps qu’il s’amusa à contracter tour à tour.
— À mon avis avec ça, peu de chance que tu passes la nuit seul.
Il pouffa de rire et cette fois, il fit remuer ses pectoraux.
— Tu pars quand d’ailleurs ?
Paolo jeta un coup d’œil au radio-réveil posé sur la table de chevet qui séparait les lits. Il haussa les épaules et imita la position d’Enzo. Il n’avait pas d’horaire précis ; après tout il était en vacances, et il avait juste envie de profiter sans se prendre la tête. Ça ne durerait pas : il reviendrait bientôt dans son train-train quotidien, réglé comme du papier à musique. Il voulait oublier tout ça pendant ces deux semaines qu’il s’était enfin octroyées. Ça n’avait pas été facile de décider de partir loin de ses parents et de ses amis. Toutefois, il ne le regrettait pas. Il avait déjà passé de longues journées à se prélasser au soleil sur le sable chaud ou à se perfectionner au surf.
Lorsqu’il avait de nouveau foulé le sol californien, un agréable sentiment de liberté et de sérénité avait envahi Paolo. Il avait même l’impression d’être le roi du monde, ou tout du moins le roi de son monde. Ce n’était pas la première fois qu’il voyageait aux États-Unis : il y était allé deux fois en compagnie de ses parents, mais c’était il y avait longtemps, alors qu’il était encore un lycéen timide et peu sûr de lui.
Son oncle avait quitté l’Italie en 1961 avec sa femme et ses trois enfants. Ils étaient d’abord allés s’installer à Los Angeles, où une importante communauté italienne les attendait. On leur avait facilité la tâche en les assistant dans la recherche d’un logement et d’un emploi. Paolo était très proche de son cousin qui avait un an de moins que lui, et il en avait versé des larmes en apprenant son départ. Il ne l’avait revu que quatre ans plus tard, lorsque son père avait obtenu une promotion qui leur avait permis d’effectuer ce voyage très coûteux. Certes, Paolo et Enzo s’écrivaient régulièrement des lettres pour entretenir le lien, mais ils se manquaient. Ils avaient passé leur enfance ensemble, ils riaient constamment aux pitreries de l’un et de l’autre, comme deux frères inséparables.
Lorsqu’il l’avait revu après ces quelques années, Paolo avait été surpris de trouver un adolescent extraverti, ouvert d’esprit, qui n’avait peur de rien et qui s’était fait beaucoup d’amis de tous horizons. Le voir aussi heureux et épanoui, aussi jovial et entouré, ça l’avait fait rêver.
Enzo lui avait raconté tout ce qu’il avait appris, tout ce qu’il avait vécu, sans oublier ses quelques aventures amoureuses. Il était plutôt beau garçon, pas très grand et musclé, mais charmant. Avec ses cheveux noirs légèrement ondulés, son regard profond et sa confiance en lui, il en faisait tomber plus d’une. Paolo l’enviait, mais sans excès ; en fait, il l’admirait, car il voulait vivre une jeunesse aussi mouvementée que la sienne. Cependant, ses études et les cours supplémentaires payés par ses parents ne lui laissaient pas le temps de s’amuser comme il le souhaitait. Il avait longtemps été le premier de sa classe, le garçon très intelligent et travailleur, le petit trophée de la famille que tout le monde félicitait. Ce statut ne lui avait jamais plu. Il n’aimait pas être le centre de l’attention.
Aujourd’hui Paolo avait vingt-deux ans et il avait changé. Il était entré à l’université pour étudier les langues, et il revenait avec quelques atouts supplémentaires. Il n’était plus le gamin renfermé sur lui-même qui cherchait à se cacher dès qu’on s’intéressait à lui. Il savait ce qu’il valait. Il avait appris à s’aimer et à s’accepter, à prendre confiance en lui. Il était capable de relâcher la pression, il ne se laissait plus influencer par ses parents et leur idéal d’enfant parfait. Il s’était un peu rebellé après le lycée, il avait besoin de vivre sa vie, d’avoir davantage de libertés et il s’était octroyé ce qu’il n’avait jamais pu avoir, parfois au détriment de ses résultats scolaires. Mais il restait un jeune homme sérieux et qui voulait réussir, même s’il n’avait encore aucun projet professionnel concret.
Il savait désormais parler anglais et cela l’aidait beaucoup à se faire comprendre ici, aux États-Unis. Il allait plus facilement vers les autres ; il était plus à l’aise avec son corps qu’il entretenait du mieux possible, et ses efforts ne passaient pas inaperçus. Cheveux bruns et bouclés, taches de rousseur qui ressortaient au soleil, muscles bien dessinés. Il attirait les regards d’un bon nombre de jeunes femmes sur la plage de Santa Cruz. Il était là depuis quatre jours, quatre jours qu’il avait passés en compagnie de son cousin.
Son oncle, Salvatore, avait un ami qui tenait un club de surf, et ils s’y étaient rendus avec Enzo. Ils avaient dompté les vagues ensemble avant d’aller savourer des milkshakes au petit café d’à côté. Ils regardaient les gens marcher sur Beach Street tout en commentant leurs dégaines dans leur langue native.
C’était d’ailleurs la veille, dans ce même café, qu’ils avaient fait la connaissance de deux jeunes femmes dont ils avaient déjà oublié les prénoms. Leur tenue colorée et sexy, ainsi que leurs nombreux bijoux, les avaient interpellés. Tout ce dont ils se souvenaient était qu’elles les avaient conviés à une soirée à Corcoran Beach. On leur avait assuré que celle-ci serait bien arrosée et animée. Ils avaient accepté, ça ne coûtait rien d’aller y faire un tour, et si l’ambiance ne leur plaisait pas ils pouvaient toujours rentrer chez eux.
Malheureusement, Enzo avait promis à sa mère de lui venir en aide dans le petit restaurant qu’elle tenait. Il s’étendait au rez-de-chaussée de la maison et il était plutôt prisé le soir. D’habitude, ses sœurs se proposaient pour servir les clients ou même travailler en cuisine, mais c’était à leur tour de sortir. Paolo avait insisté pour rester lui aussi, mais son cousin l’avait convaincu d’aller s’amuser. Il n’était là que pour deux semaines, il n’allait pas gâcher son temps à laver des assiettes ou à débarrasser des tables. Surtout qu’une soirée se jouait en face. Il avait fini par céder, il avait tout de même envie de s’y rendre car les deux jolies filles avaient attisé sa curiosité. Il voulait découvrir ce qui l’attendait là-bas. Peut-être allait-il finir la nuit en bonne compagnie, comme son cousin l’avait suggéré.
— T’es pas trop dégoûté ? lança Paolo.
Enzo soupira en levant les yeux au ciel.
— Je vais tenir ma parole parce que je veux pas mettre ma mère dans l’embarras, mais je t’assure que je suis méga blasé.
Paolo pouffa de rire et se leva pour ouvrir l’armoire. Il fouilla un instant dans les vêtements avant de sortir une chemise colorée au tissu fluide. Il l’enfila sans la boutonner jusqu’en haut, puis il se tourna vers son cousin, les bras écartés et un sourire en coin sur le visage.
— Alors ? T’en dis quoi ?
Enzo l’examina de la tête aux pieds.
— Ça va, pas trop ringard, s’amusa-t-il.
— Pas trop ?
— Ouais. Avec ton petit short en jean ça fait… hm, je sais pas.
Paolo haussa un sourcil pour l’interroger silencieusement. Il sentait, dans la voix de son cousin, qu’il était d’humeur taquine, et il ne manquerait pas d’en faire les frais dans quelques secondes.
— Ça fait un peu gay.
Il faillit s’étouffer. Enzo se jeta en arrière pour atterrir sur son lit et il éclata de rire à s’en tordre le ventre.
— En fait, je comprends. T’es juste jaloux parce que tu vas manquer une soirée avec des bombasses.
Le visage d’Enzo se décomposa, il l’avait piqué au vif.
— Hé ! Remue pas le couteau dans la plaie ! se plaignit-il, les sourcils froncés. Je te jure, je vais changer d’avis et te demander de venir aider aussi.
— Désolé, mais ça va pas être possible. Y’a deux bombes atomiques qui m’attendent sur la plage avec de l’alcool et de la bonne musique.
Il lui lança un clin d’œil et se dirigea vers la porte.
Avant de quitter la chambre, il adressa un dernier signe de main à Enzo qui lui lança un oreiller. Paolo rit et descendit rapidement l’escalier. En bas, il sursauta en croisant le regard de Salvatore.
— Pas mal ta tenue, lui fit-il remarquer.
— Enzo trouve ça…
Il marqua une pause.
— Un peu ringard, continua-t-il.
— J’ai dit que ça faisait gay ! cria le jeune homme depuis l’étage.
— Hm, ouais c’est ce qu’il a dit.
Salvatore eut un mouvement de recul et il haussa les épaules.
— Si t’aimes ça. Enfin je veux dire, les vêtements ! J’ai jamais prétendu que tu aimais les hommes.
Il lui asséna une puissante tape sur le bras.
— Oh et puis, tu fais bien ce que tu veux. T’es en vacances, c’est pour profiter.
Paolo afficha un sourire tout en acquiesçant. Il appréciait à quel point son oncle et sa tante étaient des personnes tolérantes et respectueuses. Il avait l’impression qu’ici, aux States, les mentalités étaient bien différentes de sa Florence natale et il était heureux de pouvoir souffler un peu. Il se sentait moins oppressé, plus détendu, il n’avait pas besoin de faire attention à sa manière de parler, de se tenir, à sa façon de s’habiller. Il pouvait lâcher prise, se vider la tête et réellement profiter de la vie. Même si ce n’était que deux semaines, il allait s’en contenter, et surtout les vivre à fond.
— Tu vas où comme ça au fait ?
— Une soirée à Corcoran Beach.
— Tu veux que je t’y conduise ? Ça fait un bout quand même d’ici.
Paolo hésita un instant avant de secouer la tête.
— Je vais prendre un bus, Enzo m’a expliqué comment ça marchait, je vais me débrouiller.
— OK, comme tu veux. Et au pire, si t’es paumé, tu fais du stop. Y’aura bien une nana sympa qui te fera grimper.
Il reçut une seconde tape sur le bras, plus forte que la précédente, et Salvatore lui demanda d’attendre. Il revint quelques secondes après et tendit la main droite.
— Quoi qu’il en soit, tu t’amuses, dit-il en lui attrapant le poignet, mais tu fais de gosse à personne, d’accord ?
Il lui glissa deux préservatifs dans la paume de sa main. Paolo devint écarlate jusqu’aux oreilles et se hâta de les cacher dans la poche arrière de son short. Il était un peu gêné d’avoir reçu ces préservatifs de la part de son oncle, même s’il savait que c’était par bienveillance. Il aurait préféré que ce soit Enzo qui les lui donne, car la situation aurait été plus normale — mais il n’était pas certain qu’il en eût en sa possession.
— Et si tu rentres pas cette nuit, on s’inquiète pas.
Paolo eut un petit sourire. C’était agréable d’entendre ces mots pour une fois, de savoir qu’il ne serait pas puni s’il dépassait la limite imposée par ses parents. Il était peut-être majeur, mais il vivait chez eux et devait respecter leurs règles. S’il ne le faisait pas, il avait droit à des remontrances. Il avait fini par les prendre à la légère, mais ce n’était pas agréable. Il préférait éviter de se faire sermonner.
— Je dirai rien à ta mère, t’inquiète pas.
— Merci tonton.
— Je t’en prie, t’es ici pour profiter, ce serait con de jouer les garçons modèles.
Il le remercia encore et alla enfiler sa paire de baskets blanches. Il en était fier, car c’était la première chose qu’il s’était achetée avec sa toute première paye. Il avait décroché un emploi étudiant à la bibliothèque de son université : quatre heures par semaine, bien qu’il ne gagnait pas beaucoup, il avait l’impression d’être plus autonome. Au moins, il n’avait pas besoin d’attendre que ses parents lui donnent de l’argent pour acheter ce qui lui faisait envie.
Un dernier signe de la main, un dernier « Bon courage ! » à Enzo — plus pour le faire rager que pour le motiver —, et Paolo rejoignit le rez-de-chaussée. Il passa devant le petit restaurant de sa tante. Il n’était pas encore ouvert, mais quelques clients attendaient déjà pour entrer. Le soleil commençait à décliner à l’horizon et le spectacle était magnifique : des nuances d’orange et de rose peignaient le ciel dégagé.
Paolo avança jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche et consulta rapidement les horaires tout en jouant avec les pièces qu’il avait dans sa poche. Avant cet été, il n’aurait jamais osé partir seul, dans un pays étranger, tout ça pour rejoindre un groupe d’inconnus.
Tout ça pour rejoindre deux jolies blondes.
Le trajet ne lui sembla pas long et même plutôt agréable, bien qu’il fût seul. Quand il prenait les transports avec Enzo, ils passaient leur temps à discuter, alors il n’avait pas l’occasion d’observer les rues qu’ils empruntaient. C’était un voyage dans un autre monde, bien différent de Florence. Les rues étroites étaient bordées de bâtiments aux façades ornées de motifs géométriques colorés. Les maisons en bois aux volets peints ajoutaient un charme rustique à l’ensemble, tandis que les trottoirs étaient animés par une variété de passants. Paolo s’imaginait quelle vie ils pouvaient bien mener. Il y avait des personnes originales qui parlaient à tout le monde, arborant un style extravagant et psychédélique. Pantalons à pattes d’éléphant et chemises bariolées, ils étaient libres et décontractés. D’autres étaient un peu plus discrets et se cachaient dans des vêtements amples et bohèmes. Les habitants de Santa Cruz étaient aussi fascinants que les bâtiments historiques de la ville.
Paolo se leva pour descendre lorsque le bus se stoppa sur 21 Street Avenue. À l’intersection avec East Cliff Drive, il fit la rencontre d’un groupe de jeunes gens assez bruyants et enjoués. Il s’arrêta pour les laisser passer, ils devaient être une vingtaine, bien assez pour transporter plusieurs packs de bières et des glacières. Il entendit qu’ils allaient à « la plus folle des soirées » à Corcoran Beach, mais les deux femmes n’étaient pas avec eux. Peut-être étaient-elles déjà sur place ? Il décida néanmoins de les suivre et fut surpris d’apprendre que l’endroit était juste à côté.
De vieilles automobiles, un peu cabossées et dont la peinture était écaillée, stationnaient sur le côté de la route conduisant jusqu’au bord de mer.
Paolo s’arrêta près d’un van orange et blanc pour contempler ce qu’il avait sous les yeux. Ici, pas de transat, pas de parasol, seulement le sable, la mer, le chant des mouettes et une agréable brise.
Il inspira à pleins poumons et un sourire étira ses lèvres. Il disparut rapidement lorsque des voix et des rires éclatèrent au loin. Il descendit les petites marches en pierre et prit conscience qu’il y avait deux groupes bien distincts sur la plage. Un à gauche, et un à droite. Tous deux semblaient avoir organisé leur propre soirée, les uns avaient lancé un feu autour duquel ils étaient installés, les autres avaient ramené une radio portable et dansaient, canette à la main.
Machinalement, Paolo se dirigea vers l’endroit le plus animé et, en s’approchant davantage, il reconnut celles qui les avaient invités. Il leur adressa un grand signe de main, accompagné d’un immense sourire, et l’une d’elles accourut vers lui. Elle s’accrocha aussitôt à son épaule pour le pousser vers le groupe. Son amie vint les retrouver.
— Il est pas là ton pote ? demanda-t-elle aussitôt.
— Non, il avait un truc de prévu finalement.
— Ça craint ! commenta l’autre en faisant la moue.
Elles semblaient déçues et Paolo se sentit presque blessé dans son ego. Enzo était un gars très mignon qui attirait facilement les filles, mais lui aussi n’était pas mal. Elles auraient pu simplement se contenter de sa présence.
— Bref, tu veux boire une bière ?
— Hm, ouais.
Elle lui tendit une canette, puis se retourna vers son amie pour discuter. Paolo avala quelques gorgées avant de se rendre compte que les deux jeunes femmes étaient parties rejoindre d’autres personnes un peu plus loin. Il soupira et observa attentivement ceux qui se trouvaient là. Ils avaient l’air de tous se connaître et, même s’il était plus facile pour lui de communiquer et d’aller vers les gens, il avait la sensation d’être de trop. Et il détestait ça. Il avait bien compris que ce n’était pas lui qui les intéressait, et c’était vexant. Elles auraient pu prendre la peine de faire sa connaissance, demander d’où il venait, ce qu’il faisait.
Il haussa les épaules et termina sa boisson. Il écrasa la canette et la jeta dans le sac servant de poubelle.
Déçu par cet accueil, il décida de marcher un peu et d’observer l’autre groupe. Même s’il percevait des rires, ils avaient l’air plus posés et moins extravagants. Les musiciens jouaient de la guitare et chantaient autour du feu ; les lueurs sur leurs visages leur donnaient un air gai et légèrement ivre. Toutefois, ils semblaient moins superficiels et plus ouverts.
Il s’avança davantage et un des jeunes hommes qui chantaient attira son attention. Son poignet droit, posé sur un genou replié, était couvert de multiples bracelets tressés et, entre ses doigts, il tenait une cigarette roulée.
À côté de lui, plusieurs canettes s’entassaient : de la bière sûrement. Il s’arrêta pour le contempler. Son visage était harmonieux, doux et accueillant. Il avait une petite bouche qui, lorsqu’il chantait, laissait apparaître ses dents de devant plutôt mal alignées. Ses cheveux mi-longs et pas vraiment soignés lui donnaient un certain charme.
Paolo déglutit quand ses grands yeux expressifs se plantèrent dans les siens et qu’il lui adressa un signe de tête pour lui demander silencieusement ce qu’il voulait. C’était officiel : cet inconnu avait du charisme à revendre.
— T’es tout seul ? lança-t-il après avoir tiré sur sa roulée.
Sa voix était douce, il avait un petit accent et Paolo en fut déstabilisé. Il hocha la tête, les mains enfoncées dans les poches de son short.
— Ça dérange si je m’incruste ?
Le jeune homme rit et tapota le sable près de lui.
— Viens poser ton joli petit cul ici.
Paolo ne se fit pas prier pour aller s’installer à l’endroit qu’il lui indiquait. Maintenant qu’il était plus près, il pouvait davantage le détailler. Qu’il était beau, à la lumière des flammes qui se réfléchissaient sur sa peau granuleuse ! Il avait quelques imperfections, elles sautaient aux yeux, mais elles le rendaient hypnotisant.
— T’es qui ?
La question était bizarre ; Paolo pouffa de rire.
— Un gars en vacances, qui devait aller à une soirée mais qui s’est fait snober, je crois.
— Ton prénom, je m’en fous de ta vie.
— Paolo. Et toi, t’es qui ?
— Ton futur plan cul.
Il sourit de toutes ses dents avant d’éclater de rire. Il s’arrêta au bout de quelques secondes et lui tendit la clope qu’il avait entre les doigts. Paolo la saisit et se rendit compte qu’il ne s’agissait pas seulement de tabac. À en croire le parfum qui s’en dégageait, il y avait autre chose à l’intérieur.
— Je rigole, je m’appelle Sungjae.
La guitare et les chants semblaient s’être atténués. En réalité, Paolo ne les captait plus, le visage du jeune homme qu’il venait de rencontrer le subjuguait bien trop. Ses yeux noisette reflétaient les flammes qui dansaient devant eux, et Paolo avait l’impression qu’il pouvait le percer à jour, connaître chacun de ses secrets, chacune de ses pensées. Son regard pétillait de curiosité, d’envie, d’amusement, peut-être même de folie. Il l’observait d’un air malicieux et joueur, les lèvres légèrement relevées en un sourire en coin. Il avait l’air euphorique, mais épuisé, avec ses cernes apparents. Il dégageait quelque chose de fort et d’intimidant, mais aussi de rassurant.
Il se posait déjà mille et une questions à son sujet. Qui était-il ? D’où venait-il ? Que faisait-il ? Il avait envie de tout savoir sur lui, de le connaître dans les moindres détails, qu’il le bombarde d’informations jusqu’à ce que son cerveau explose. Pour l’instant, il ne connaissait que son prénom, et il avait l’impression d’être déjà accro. Sungjae… Il ignorait d’où il pouvait être, mais son anglais était impeccable. Il se demandait s’il était en vacances, ou s’il habitait là.
— Bon, tu prends une taffe ou t’attends le déluge ?
Paolo secoua la tête, puis il se concentra sur sa cigarette.
— C’est quoi à l’intérieur ?
Sungjae haussa un sourcil.
— T’es sérieux ?
— Ouais, je préfère demander.
— Donne-moi ça.
Il lui arracha le cylindre des mains et le cala entre ses lèvres pour tirer dessus durant quelques secondes. Il s’en sépara dans un soupir de soulagement et laissa ensuite la fumée s’évaporer dans les airs.
— De l’herbe, lança-t-il. T’aimes pas ça ?
Paolo fronça les sourcils. Il n’en savait rien, l’occasion de toucher à ce genre de substances ne s’était pas présentée avant ce soir. Il n’avait pas accès à ça, ou tout du moins il n’avait pas toutes les combines pour s’en procurer. À sa connaissance, la drogue n’existait pas dans son université tranquille et respectable de bons élèves.
— J’ai jamais testé.
Sungjae se recula légèrement pour l’analyser avec attention. Il ne put s’empêcher de pouffer de rire, puis il prit une autre inspiration.
— T’es pas d’ici toi, déduisit-il.
— Non. Toi oui ?
— Ouais. Ça t’étonne ?
— Sungjae, ça sonne pas trop américain à vrai dire.
Le concerné se mit à rire de plus belle, ce qui déstabilisa quelque peu Paolo. Son nouveau camarade était très enthousiaste et bruyant.
— Tu voulais que je me fasse appeler comment ? James ? William ? Stephen ?
Paolo leva les yeux au ciel tandis qu’il continuait à lui énumérer des prénoms. Il finit par recevoir un coup de coude dans les côtes.
— C’est bon, décoince-toi ! T’es toujours comme ça ?
— Comme ça ? demanda Paolo en faisant une grimace.
Sungjae le poussa d’une main.
— Tu t’incrustes dans notre soirée, tu poses des questions étranges. Tu te comportes comme si t’étais du FBI. Tu peux juste arrêter d’être coincé et profiter, fumer un peu, et arrêter de faire ta tête de pioche ?
— Je peux partir si ça te dérange.
— Je t’ai dit que t’étais mon futur plan cul, j’sais pas si y’a vraiment moyen que tu partes du coup.
Ses yeux brillaient davantage, et son expression devint plus insolente et provocante. Paolo comprit que ce n’était pas un mauvais garçon ; il était juste un peu éméché. Il voulait qu’il se montre sous son jour véritable, sans jouer un rôle qui n’était pas le sien. Sungjae avait raison. Il était venu ici pour profiter. Les vacances venaient tout juste de débuter, mais il retournerait bientôt à sa vie monotone et fade, où les plaisirs n’étaient que des illusions, des miettes sur lesquelles il se jetait dès qu’elles tombaient au sol.
— Je comprends pourquoi ils t’ont ignoré de l’autre côté.
— Ça n’a rien à voir.
— Ah oui ? Alors, explique-moi pourquoi, monsieur Coincé.
Il soupira et se pencha en arrière, posant ses mains sur le sable.
— Je devais venir avec mon cousin, et visiblement c’était lui qui les intéressait. Faut dire qu’il est plus mignon que moi.
— Attends, s’arrêta Sungjae en levant l’index. T’es en train de me dire que tu t’es fait recaler parce qu’elles te trouvaient… pas à leur goût ?
Il haussa les épaules. C’était la seule explication qu’il avait trouvée et il se sentait toujours un peu vexé.
— Tu comptais choper une meuf, mais ça a foiré dès le départ, du coup tu t’es rabattu sur un gars. Ouais, ça tient la route.
Cette fois, Paolo lâcha un rire. Sungjae l’amusait : il irradiait une telle confiance en lui qu’il n’avait aucune envie de le contredire. Ce qu’il avançait n’était pas tout à fait vrai : il était venu là un peu par dépit, et parce que le groupe semblait sympa de prime abord. En plus, il l’avait aperçu et devait bien avouer que sa présence ne lui déplaisait pas. Peut-être avait-il fait le bon choix finalement.
— Franchement, elles ont pas de goût.
— Comment ?
— T’es canon. Enfin j’veux dire, t’es pas mal, dit-il en penchant la tête.
— Canon ou pas mal ? ricana Paolo.
Sungjae fit la moue en tirant à nouveau sur son joint. Cette fois, il expulsa la fumée vers son visage.
— Pas mal avec tes fringues. Et j’imagine canon sans.
— Ah ouais, t’es franc.
— Tu crois que j’ai que ça à faire de te draguer, de t’emmener boire un milkshake, de t’emmener au cinéma, tout ça pour qu’on finisse à poils toi et moi ? J’ai vraiment pas ton temps.
Son ton était on ne peut plus sérieux, mais Paolo fut obligé d’en rire à nouveau. Autant de sincérité le prenait de court ; ce jeune homme ne passait pas par quatre chemins, il allait droit au but, il savait exactement ce qu’il voulait.
— Moi j’ai du goût, dit-il en l’observant encore avec attention. Et je vois plus loin que le bout de mon nez. J’imagine sans problème ce qu’il y a en dessous et ça m’excite.
— T’es dingue.
— Peut-être. Et complètement défoncé aussi.
Paolo acquiesça et ils échangèrent un regard intense, qui en disait long. Lui aussi le trouvait à son goût, même s’il n’avait jamais été attiré par un autre homme auparavant. Il ne s’était jamais posé de question sur sa sexualité et ne voulait pas s’en poser davantage. Dans la société dans laquelle il avait grandi, il était normal qu’il trouve une épouse pour partager sa vie, qu’elle lui donne des enfants et qu’elle prenne soin de la maison pendant qu’il travaillerait. En réalité, il aspirait à autre chose : un quotidien excitant et rempli de sens. Cependant, il n’avait pas de solution magique pour y échapper. Il pouvait se révolter, se convaincre qu’il était libre, mais il ne le serait jamais vraiment.
Quand il était arrivé en Californie pour les vacances, il s’était pris pour un roi, mais un roi sans royaume. Et ce soir, devant ce parfait inconnu, il avait enfin mis la main sur des richesses inestimables.
— Tu veux que je te rende aussi dingue que je le suis ?
— C’est possible ?
Sungjae eut l’air de réfléchir durant d’interminables secondes. Elles furent si longues que Paolo crut bien qu’entre-temps il avait perdu le fil de leur conversation.
— Non, tu seras jamais aussi dingue que moi. Mais attends, laisse-moi faire un truc.
Il reprit le joint entre ses lèvres et prit une bouffée, les yeux fixés sur Paolo. Ce dernier ne rata pas un seul instant de ce magnifique spectacle. Sa peau mate, son regard pétillant, il était obnubilé par ses traits harmonieux et il ne remarqua pas tout de suite que leurs visages se trouvaient à seulement quelques centimètres l’un de l’autre. Il n’en prit conscience que lorsqu’il commença à voir flou et que la main libre de Sungjae se glissa dans sa nuque pour les rapprocher davantage. Alors, instinctivement, il ferma les yeux quand il atteignit sa bouche pour l’effleurer de la sienne. Sans réfléchir, il sépara ses lèvres, permettant ainsi à son partenaire de lui transmettre la fumée qu’il avait gardée jusque-là.
À cet instant, il se fichait de tout. Carpe diem. Il voulait tout oublier, s’enrichir de chaque moment qu’il pouvait vivre, de chaque sensation qu’il avait l’occasion de croiser. Il acceptait tout, sans limites. Il ne voulait pas avoir de regrets, et s’il finissait par avoir des remords, il les assumerait.
Sungjae se recula, Paolo garda les yeux fermés pendant quelques secondes. Il n’arrivait pas à reprendre part à la réalité, il n’en avait sans doute pas vraiment envie. Au fond de lui, il désirait que le jeune homme revienne à la charge, juste pour l’embrasser avec fougue.
Un coup de coude le rappela à l’ordre.
— Réveille-toi la belle au bois dormant, la soirée n’est pas terminée.
Il afficha un léger sourire. Il se sentait tout gêné par ce qu’ils venaient de faire, et aussi par ce à quoi il pensait. C’était la première fois qu’il était aussi proche d’un autre homme, et ça lui faisait quelque chose. Il était curieux de savoir ce que cela ferait s’ils s’embrassaient, s’ils se touchaient, s’ils commençaient à s’enlacer et à se coller l’un à l’autre. Il avait envie de vivre des expériences, de découvrir de nouveaux horizons. Et il avait l’impression qu’avec Sungjae, ce serait facile. Il n’avait aucune crainte, aucun a priori. Il était étrangement confiant avec lui, même s’il ne le connaissait pas. Il l’avait tout de suite mis à l’aise, malgré sa répartie et sa rudesse.
— T’en veux toujours pas ?
Paolo accepta le joint qui lui était tendu et il tira une première fois dessus avant de s’étouffer.
— Petite nature.
Sungjae lui donna deux tapes dans le dos avant de reprendre son précieux poison sans ajouter un mot de plus. Paolo resta silencieux. Il était distrait par sa récente rencontre et toutes les pensées qu’elle avait suscitées en lui, ainsi que toutes les questions qu’elle soulevait.
— Au fait, t’as quel âge ? osa-t-il finalement demander.
— Ça y est, le retour du FBI…
— Je m’intéresse à toi.
Il soupira et laissa tomber le reste de sa roulée dans le sable. Devant le regard accusateur de Paolo, il précisa qu’il allait le ramasser après pour le jeter — s’il n’était pas trop stone pour ça.
— Tu peux pas juste t’intéresser à moi d’une autre manière ? J’sais pas, intéresse-toi à moi quand on va baiser.
— C’est vraiment tout ce dont t’as envie ?
Sungjae hocha la tête.
— J’ai vraiment pas envie de me prendre la tête, alors ouais. Si j’avais voulu jouer les saints, je serais pas là.
Paolo ne savait pas quoi répondre. Il n’était pas aussi direct que son interlocuteur et ça le déstabilisait de le voir se comporter ainsi avec lui. Il voulait se laisser aller, il ne savait même pas ce qui le retenait d’abandonner toute bienséance et de lui donner ce qu’il attendait. Peut-être cette sensation étrange et inhabituelle d’éprouver du désir pour un autre homme.
— Ah, mais j’ai compris ! J’suis con aussi !
— T’as compris quoi ?
— T’as jamais eu de relation sexuelle avec un homme. Ça te fait flipper, mais c’est parce que tu sais pas ce que ça donne. T’es curieux en fait, hein ?
Il avait raison, et il ne pouvait pas le nier. Même s’il avait beaucoup fumé et bu, sa lucidité était troublante.
— T’as pas ce problème avec les filles, je me trompe ? Enfin, quand elles te recalent pas. Ça n’aurait pas quelque chose à voir avec ce que t’as dans le froc, par hasard ?
Devant son air provocateur, la mâchoire de Paolo se contracta et ses poings se crispèrent. Il avait enfoncé le doigt là où ça faisait mal. Il se sentait blessé dans son orgueil et avait envie de lui montrer qu’il n’avait pas peur, qu’il n’avait pas de complexes. Il avait trop longtemps été un adolescent peu sûr de lui : il devait prendre sa revanche.
— Ferme ta gueule.
Il attrapa le t-shirt de Sungjae et tira dessus. Sans autre forme de procès, il scella leurs lèvres et remua les siennes avec empressement. Ce baiser était maladroit et désordonné, mais il sentait son partenaire sourire dans l’échange, comme s’il n’avait attendu que cela depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Il en était probable, à la lumière des nombreux signaux qu’il lui avait adressés. Ses mains se posèrent alors dans la nuque de Sungjae, faisant naître un tout autre genre de baiser. Leurs langues se rencontrèrent d’un commun accord, attirées l’une par l’autre comme si c’était une évidence. Le goût de l’herbe et de l’alcool se mélangeaient, brouillant encore plus leurs sens.
— Hm, t’es pas mauvais… glissa Sungjae pendant qu’il reprenait un peu d’air.
— Ferme-la.
Paolo s’empara de sa bouche avec fougue ; il ne manqua pas de la mordre, de la lécher sans retenue, et de lui montrer qu’il n’était pas méfiant, qu’il avait de l’assurance. Il allait le défier, mais surtout se défier lui-même. C’était d’abord un moyen pour lui de se prouver qu’il était capable de se détacher de sa maîtrise de soi dans son quotidien en Italie.
Ils s’embrassèrent ainsi durant d’interminables minutes, se fichant totalement de la présence des autres. Ils étaient dans leur bulle ; ils profitaient des lèvres et de la langue de l’autre, de leurs mains qui se faisaient de plus en plus baladeuses, des faibles soupirs qu’ils poussaient de temps à autre quand ils se séparaient pour reprendre leur souffle. Paolo repoussa Sungjae, posa sa main sur son épaule et l’incita à s’allonger. Sa tête et son dos heurtèrent le sable. Il rit, interrompant ainsi leurs affaires qui, si elles continuaient comme ça, ne resteraient pas que des baisers et des caresses. Même si son esprit était un peu embrouillé, Paolo en prit conscience. Ils ne pouvaient pas s’adonner à des plaisirs plus poussés en présence des autres.
— Tu veux venir finir le travail ailleurs ? proposa Sungjae dans un murmure.
Paolo s’en lécha les lèvres avec envie. La proposition était on ne peut plus tentante, et il n’y avait rien qui pouvait le retenir d’accepter. Il se redressa et secoua la tête ; il tenait debout, et c’était déjà pas mal. Il frotta son short pour en chasser le sable, puis il tendit la main à son partenaire. Debout l’un en face de l’autre, leurs doigts s’entrelacèrent et ils échangèrent un regard entendu. Sungjae se tourna vers son groupe d’amis, ces derniers ne semblaient pas vraiment intéressés par ce qu’ils faisaient.
— J’me casse ! annonça-t-il de manière à ce qu’ils l’entendent.
Ils lui accordèrent un peu d’attention pour le saluer et retournèrent aussitôt à leurs occupations ; fumer, chanter, et s’embrasser eux aussi à la lueur des flammes.
— Tu me suis ?
— Avec plaisir.
Ils quittèrent la plage sans un regard en arrière. Après tout, la fête n’était pas encore finie pour eux. Ils escaladèrent les marches menant à la rue, là où les véhicules étaient alignés au bord du chemin.
— Tu m’emmènes chez toi ? questionna Paolo.
— Ouais, on va dire ça.
Sungjae sortit un jeu de clés de sa poche et s’arrêta devant le van orange et blanc stationné le long d’une haie près de la route. Paolo leva un sourcil : il se souvenait l’avoir vu en arrivant. Son partenaire déverrouilla la porte arrière du véhicule et dévoila l’intérieur qui avait été aménagé avec des matériaux de récupération. Un meuble en bois droit devant et un lit assez grand pour qu’ils puissent y dormir à deux.
— Voilà, c’est chez moi. Tu veux entrer boire un dernier verre ? s’amusa-t-il.
— C’est si gentiment proposé.
Sungjae l’entraîna à l’intérieur, ferma la porte, puis tira les rideaux à carreaux. Il se laissa tomber sur le lit, étira ses jambes et retira son débardeur pour le balancer plus loin. Une odeur pas vraiment agréable flottait dans l’air : un mélange d’herbe et de renfermé. Paolo n’en eut pas la moindre gêne, car ses préoccupations étaient ailleurs. Il contempla le torse nu du jeune homme allongé et, malgré la pénombre, il remarqua sans peine que celui-ci était décoré de marques violacées.
— Tu viens ou merde ? s’impatienta Sungjae.
Il ne se fit pas prier davantage pour se glisser à ses côtés. Timidement, il vint caresser son corps du bout des doigts, comme s’il pouvait se brûler.
— C’est quoi tout ça ?
— Mes anciens plans cul t’intéressent tant que ça ? Parce que moi, là, j’en ai personnellement rien à foutre d’eux. C’est toi que je veux.
Il s’accrocha à la chemise de Paolo pour le faire tomber sur lui et l’embrasser. Il se trémoussa en sentant sa langue pénétrer dans sa bouche. De sa main libre, il vint lui caresser l’entrejambe, tous deux étant déjà très excités. La température augmentait à chaque seconde qui passait.
— Baise-moi… soupira Sungjae.
Paolo n’eut d’autre choix que de monter au-dessus de lui pour l’embrasser avec plus de fougue. Leurs sexes étaient en érection et se frottaient l’un contre l’autre au gré des mouvements de leurs bassins. Sungjae gigotait pour se rapprocher de Paolo, créant ainsi plus de friction. Il gémissait et soupirait, désespéré de ne pas obtenir plus de sensations en raison de leurs vêtements.
— Dis-moi que tu vas me baiser…
Paolo hocha frénétiquement la tête. Bien sûr qu’il allait le faire ! Il ne laisserait pas passer une telle opportunité. Il retira enfin ses chaussures, puis ôta sa chemise. Il se préparait à déboutonner son short en jean lorsqu’il se retourna pour jeter un coup d’œil vers Sungjae. Il s’arrêta alors en le voyant immobile. Son torse se soulevait lentement, et son visage était apaisé. Un soupir lui échappa et il se mordit la lèvre.
Sungjae s’était endormi.
Paolo entrouvrit les yeux, la lumière du jour vint l’éblouir et il se tourna sur le côté droit pour y échapper. Il lui fallut un certain temps pour émerger et se rendre compte qu’il ne se trouvait pas dans la chambre d’Enzo. Il fronça les sourcils, puis ses paupières se refermèrent. Il n’était pas contre un peu de repos supplémentaire. Sa tête le faisait souffrir et il avait la bouche pâteuse. Il tenta de déglutir et il crut bien s’arracher la gorge, ce qui lui fit presque regretter d’avoir fumé la veille.
Les images de la soirée apparaissaient de manière totalement aléatoire dans son esprit, et il chercha à les remettre en ordre pour obtenir une certaine cohérence.
Il soupira lorsqu’il se rappela que les deux jeunes femmes qu’il avait rencontrées au café l’avaient recalé. Si seulement il avait pu effacer cet échec pour ne plus se sentir honteux, il l’aurait fait volontiers. Cependant, il n’avait pas perdu au change, il avait passé un agréable moment avec l’autre groupe. Plus précisément avec sa nouvelle rencontre. Il sourit. Bien qu’ils furent un peu flous, les souvenirs des nombreux baisers passionnés qu’ils s’étaient échangés lui provoquaient encore des frissons. Il avait l’impression de sentir les lèvres de Sungjae sur les siennes, sa langue profondément enfoncée dans sa bouche pour en découvrir les moindres recoins, ses mains sur son corps qui ne demandaient qu’à aller plus loin. Il regrettait juste qu’il se fût endormi avant qu’ils n’aient pu passer aux choses sérieuses.
Paolo sursauta lorsqu’un grognement retentit derrière lui. Des doigts aventureux se glissèrent sur sa peau, lui frôlant les côtes pour remonter sur son épaule. Puis ils firent le chemin inverse avant de venir s’attaquer à son ventre. Il lâcha une profonde expiration. Les attentions de son partenaire étaient délicates, elles contrastaient avec ce qu’il lui avait montré la veille. Mais ce n’était pas pour lui déplaire.
— T’es réveillé ? marmonna Sungjae, la voix enrouée.
Paolo émit un simple son de gorge et le corps de son camarade se colla tout contre le sien. Son torse était bouillant et sa main se fit un peu plus entreprenante. Il descendit sur son bas-ventre et déboutonna habilement son short en jean afin de passer la main à l’intérieur. Par la même occasion, il la glissa dans son sous-vêtement et s’amusa avec les poils de son pubis. Sungjae passa les doigts dedans, puis les entortilla autour de son index tout en déposant de légers baisers sur son épaule. Paolo frissonna, les yeux révulsés alors qu’il n’avait encore rien fait de concret. Il appréciait le simple fait qu’il s’occupe de lui, sans avoir besoin d’en faire plus.
Soudain Sungjae s’arrêta et lâcha un petit cri.
— C’est quoi cette merde ? râla-t-il en ôtant sa main.
Paolo perdit sa chaleur et jeta un coup d’œil derrière lui. Son partenaire s’était redressé, les deux préservatifs en main. Il les agita avec un air interrogateur.
— C’est quoi ça ?
— Des capotes.
Il grimaça alors qu’il les observait, puis les reposa sur le matelas.
— T’as cru que j’allais tomber en cloque ?
— Non, c’est juste mon oncle qui me les a filés pour pas que…
— On a rien fait cette nuit ? l’interrompit-il.
— À ton avis ? Tu t’es endormi tellement t’étais défoncé.
— Ah ouais !
Paolo pivota pour lui faire face. Son visage un peu bouffi par le sommeil et ses cheveux châtain en bataille le firent sourire. Il ne put s’empêcher de trouver Sungjae vraiment beau. Il était naturel, bien qu’un peu original, mais il était si décomplexé qu’il en devenait somptueux. Il avait l’impression d’avoir mis la main sur un trésor, et il ne comptait pas l’abandonner.
Sungjae se pencha pour ouvrir le tiroir du petit meuble en bois. Il en extirpa un joint déjà roulé — qu’il s’empressa de caler entre ses lèvres — puis un briquet. Il prit une première inspiration et se laissa retomber aux côtés de Paolo. Il lui balança la fumée au visage et ils se fixèrent durant d’interminables secondes.
— Comme ça, dès le matin ?
— Tu prends pas de petit-déjeuner toi ? lui lança-t-il, un sourcil haussé.
Il lâcha un rire.
— Pas de ce genre, non.
— Quel genre ?
Il repoussa la main de Sungjae pour qu’il ne lui reprenne pas l’envie de fumer, et il se glissa plus près de lui, jusqu’à ce que leurs souffles ne se mêlent. Il se mordit la lèvre, hésitant un instant. Il se demandait si aller plus loin était bien raisonnable. Il ignorait l’heure qu’il était et même si Salvatore avait dit ne pas s’inquiéter de son absence durant la nuit, peut-être ne devait-il pas trop exagérer.
— Tu me la roules cette pelle ou tu fais ton lâche ?
Paolo ne put s’empêcher de rire à cette remarque, il lui parlait de lâcheté alors qu’il s’était endormi la veille sans qu’ils n’aient eu l’occasion de s’amuser davantage. C’était vraiment l’hôpital qui se foutait de la charité ! Et en y repensant, il avait envie de lui prouver que lui, il n’allait pas fuir à un moment aussi important. Il s’empara de sa bouche, une main posée sur sa joue, et il vint rapidement ajouter sa langue. Sungjae l’accepta sans une once d’hésitation et un gémissement de satisfaction lui échappa.
Leurs langues se retrouvèrent et se caressèrent sans aucune pudeur. Ils n’en avaient que faire du goût de l’herbe, de l’haleine du matin, ce n’étaient que des détails futiles. Comment auraient-ils pu résister à l’envie de s’embrasser ? Impossible.
Sungjae finit par se reculer pour jeter un coup d’œil au joint qui se consumait lentement entre ses doigts. Paolo comprit qu’il était tenté de le porter à ses lèvres, mais il avait autre chose pour s’amuser. Il s’apprêtait à revenir à la charge, sa main libre traçant son chemin jusqu’à l’entrejambe de son partenaire. Ils sursautèrent de concert aux coups qui éclatèrent contre le pare-brise arrière.
— Putain !
Sungjae se redressa et tira le rideau à carreau ; un homme au crâne rasé et au visage rond se tenait là, les sourcils froncés.
— Dégage de devant chez moi ! cria-t-il. Tu dépasses sur mon allée !
Sa main s’abattit à nouveau sur la vitre et Sungjae lui déclara un doigt d’honneur.
— Dégage j’te dis ! Ou j’appelle les flics !
Paolo se fit tout petit et se colla le plus possible contre l’habitacle. Il n’avait pas envie d’avoir des problèmes avec la police. Il était d’accord pour profiter des vacances, pour s’envoyer en l’air, boire, fumer, mais pas pour finir au commissariat à cause d’une histoire de véhicule mal garé.
— T’as cinq minutes !
Sungjae referma le rideau, tira sur son joint, et quitta le lit. Toujours cloîtré dans son coin, Paolo l’observa avec attention. Sa peau bronzée était décorée de suçons plus ou moins récents, et il s’interrogea sur le nombre d’aventures d’une nuit que le jeune homme pouvait avoir. Quand il ne s’endormait pas… Avait-il l’habitude des coups d’un soir ? Avait-il un petit ami ? Ou même une petite amie ?
— Tu veux ma photo ?
— Peut-être bien, s’amusa Paolo.
— Pour te branler ?
Il haussa les épaules et pouffa de rire. Assis au bord du lit, il analysa davantage ce qui l’entourait. C’était assez sommaire, avec quelques décorations colorées ; des banderoles, des fils de laine, des statuettes de Bouddha et des babioles sans grand intérêt. L’intérieur du véhicule était tout de même bien aménagé et rangé, même s’il ne sentait pas très bon.
— Tu vis ici ? Enfin je veux dire, tu vis dans ton van ?
Sungjae soupira et roula des yeux.
— Ouais.
Sa réponse était sèche, froide, et Paolo se demanda pourquoi il s’était soudain montré aussi antipathique. Il avait remarqué qu’il était franc, qu’il aimait être taquin aussi, mais pas si austère. Un point sensible avait été touché, il n’aurait peut-être pas dû lui poser cette question.
Il se redressa, boutonnant son short, puis récupéra sa chemise pour l’enfiler. Elle était froissée et défraîchie, mais il n’allait pas rentrer chez son oncle à moitié nu.
— Si tu veux savoir, ça fait quelques années que je vis comme ça.
Paolo, qui mettait ses chaussures, fut surpris qu’il continue la conversation. Il pensait s’être aventuré sur un terrain glissant, mais au final, Sungjae avait l’air un peu plus enclin à lui en parler.
— J’avais envie de voir d’autres horizons, alors je suis allé jusque dans l’État de New York l’été dernier. Je voulais aller au festival de Woodstock, je suis revenu ici qu’à la fin du printemps. J’ai pas mal voyagé.
— C’est cool, t’as dû voir du pays.
— Hm, on va dire.
Il tira sur son joint et le tendit à Paolo qui le refusa poliment. Si Sungjae semblait en faire son petit-déjeuner, lui n’en avait pas envie. Il le vit l’éteindre dans le cendrier posé sur le meuble.
— Faut pas que je sois trop déchiré pour conduire.
— En effet, c’est mieux.
— Putain, y’est déjà onze heures ! On ferait mieux de partir avant que l’autre connard sorte avec un flingue.
Paolo écarquilla les yeux, son cœur venait de faire un bond, et cela fit rire Sungjae. Il ne se priva pas pour s’esclaffer à gorge déployée.
— OK, c’était de mauvais goût, admit-il. Allez, on décolle.
— Faut que je rentre, annonça Paolo.
— Tu veux pas passer la journée avec moi ? Je vais vendre des bijoux que j’ai fabriqués sur la plage de Santa Cruz.