Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Edel Belland, troisième né de la famille royale de Faerdham, a toujours vécu dans l'ombre de son frère et de sa soeur. Avec le temps, il a développé une haine et une jalousie exacerbées à leur encontre. Il les envie. Il les déteste. Il en veut à ses parents pour avoir fait d'eux leur idéal tandis que lui n'a que le rôle du fils indigne et pernicieux. Sa seule raison de rester au château est Kristen, un religieux qui s'est toujours montré avenant et bienveillant à son égard. Edel est prêt à tout pour le séduire, même à tomber dans les extrêmes.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 299
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Cet ouvrage contient des scènes pouvant heurter la sensibilité de certains lecteurs.
Scènes de sexe explicites et violentes, langage cru.
Présence de religion, blasphème et possession démoniaque.
Mention de violence, sang et exorcisme.
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
La musique, l’alcool, les effluves de tabac, les rires, les sifflements des hommes.
Edel prenait plaisir à tout entendre, à tout sentir. Il avait la tête qui tournait, la vision floue, les cheveux et la peau humides à cause de la température élevée à l’intérieur de la taverne. Il dansait à en perdre haleine, à en avoir mal aux pieds, mais il ne s’était jamais senti aussi vivant. Il passait de table en table, sans se soucier des regards réprobateurs des clients les plus pudiques. Il les connaissait bien, ces regards qui lui criaient qu’il n’était qu’une catin, qu’un corps avec lequel les hommes jouaient, avec lequel les hommes pouvaient laisser ressortir leurs envies les plus bestiales.
Et lui, il s’en fichait.
Il aimait attirer l’attention, aussi toxique puisse-t-elle être. Il voulait qu’on le regarde, lui, qu’on le dévore des yeux, qu’on lui fasse croire qu’il était le roi du monde juste le temps d’une nuit, de quelques heures. Il voulait être le seul et l’unique, il voulait qu’on l’abîme, qu’on lui fasse mal, qu’on lui enlève toute part d’humanité, car il n’y avait que lorsqu’il souffrait qu’il avait la sensation d’être en vie.
Au milieu de toutes les filles de joie de la taverne, il se démarquait. Tout d’abord parce qu’il ne demandait rien en échange de tout ce qu’il pouvait offrir. Ce qu’il recevait était un semblant d’amour, un peu d’affection, et beaucoup de douleur. C’était tout ce qu’il désirait obtenir de ceux qui posaient leurs regards lubriques sur lui. Avec un physique comme le sien, il ne passait pas inaperçu. Il était sans doute l’homme le plus beau du royaume, l’homme le plus désiré de tous. Sa silhouette longiligne pouvait faire pâlir toutes les dames de la cour. Ses cheveux noirs, légèrement ondulés, frôlaient ses épaules frêles et blanches. Et sa bouche… Sa bouche ! Elle criait à qui voulait bien l’entendre de lui faire subir les plus violents des assauts, de la souiller. Elle criait d’autres choses dans certaines circonstances, mais seuls les plus téméraires avaient le privilège d’entendre la mélodie que ses cordes vocales pouvaient produire quand il atteignait l’extase.
Edel Belland avait une réputation qui n’était plus à faire à Faerdham, capitale du royaume d’Orëgrund. Tout le monde savait, mais personne ne disait rien. Les hommes de la ville se gardaient bien de se vanter de leurs frasques nocturnes avec le troisième né de la famille royale. Qui sait ce qui pouvait leur arriver si les souverains en avaient vent un jour. Edel profitait de son petit pouvoir ; ses conquêtes restaient anonymes et cela lui convenait parfaitement. Il fuyait le château à la nuit tombée et se glissait dans les sombres ruelles afin de rejoindre le Serpent Rouge, l’endroit où il faisait toutes ses rencontres, où il pouvait être lui-même.
Il sourit en constatant qu’un homme au comptoir s’était tourné pour l’analyser des pieds à la tête tandis qu’il se déhanchait, dos à une tablée de cinq clients. Ces derniers l’encourageaient, lui criant des mots crus qui ne manquaient pas de faire grimper la température. Il adorait se sentir convoité, sentir le désir l’envelopper. Mais là, à cet instant, il n’entendit plus les voix de ces hommes. Tout ce qu’il voyait était celui en face, celui qui le toisait d’une façon à la fois similaire aux autres et différente. Comme s’il ne le voyait pas que comme un simple morceau de viande sur lequel se jeter, mais comme une belle âme avec qui il pourrait passer un agréable moment. Bien entendu, Edel percevait en lui une certaine luxure. Il n’était pas dupe, cet homme le voulait dans son lit pour se glisser entre ses fines cuisses. Mais il avait quelque chose de doux. Quelque chose de rassurant. Il dégageait autant de sympathie que de sensualité.
Il était plutôt pas mal. Viril comme Edel les aimait ; de larges et fortes épaules, des cheveux châtains ondulés, des yeux d’un bleu azur, un nez aquilin et une barbe entretenue. Ses vêtements avaient l’air de bonne facture, sans doute un riche marchand venu d’ailleurs.
Il continua de se dandiner et, d’un geste habile, il fit sauter deux autres boutons de sa chemise déjà bien ouverte. Son torse pratiquement dévoilé, il se mordit la lèvre et avança à travers la foule afin de se retrouver à moins d’un mètre de l’inconnu. Sa chope de bière était à moitié vide et, sans un mot, juste d’un mouvement de tête, il invita Edel à s’installer à côté. Il ne se fit pas prier et sauta sur le tabouret, s’accoudant instantanément sur le comptoir. Il logea le menton dans sa paume de main, la tête légèrement penchée sur le côté, les yeux noirs de désir.
— Je t’ai jamais vu ici, lança-t-il.
— Tu viens souvent dans cette taverne ? rétorqua l’homme.
— Aussi souvent que je le peux.
Edel passa la langue sur ses lèvres pulpeuses et les garda entrouvertes. Tout était parfaitement calculé, il savait ce qui pouvait rendre fou un homme. Son regard bifurqua une courte seconde vers l’entrejambe de l’inconnu avant qu’il ne se concentre de nouveau sur ses prunelles noisette.
— Tu viens d’où ? Comment tu t’appelles ? demanda-t-il.
— Juvel. Je suis marchand itinérant.
— C’est bien ce que je me disais. Je suis Edel. Edel Belland.
— Belland ? s’étonna-t-il. Un lien de parenté avec les souverains d’Orëgrund ?
Edel émit un petit rire et leva les yeux au ciel.
— Oui, on peut dire ça.
— Des cousins éloignés ?
— Je te trouve bien curieux pour un premier rendez-vous.
Juvel, qui venait de boire une gorgée de sa bière, manqua de s’étouffer. Edel ne passait pas par quatre chemins, il n’était pas du genre à perdre du temps et jouer avec ses proies l’amusait. Oui, ici, il était le véritable chasseur. Il aimait laisser croire à ses proies qu’elles avaient l’ascendant sur sa personne mais en réalité, il les faisait tomber dans ses filets, rien d’autre.
— Un premier rendez-vous, s’amusa le marchand. Moi je te trouve bien audacieux pour un garçon de ton âge.
— Me prendrais-tu pour un puceau ?
Chaque mot qu’Edel prononçait était une véritable provocation. Son regard, ses lèvres, la façon dont il faisait claquer sa langue, sa voix suave… Juvel pouffa de rire.
— Tu viens là, tu te trémousses, tu me dragues et…
— Je t’arrête tout de suite, qui drague qui ici ? demanda-t-il en haussant un sourcil.
L’homme rit jaune. Sa chope vide s’échoua sur le bois et il leva la main en direction de la serveuse afin qu’elle remette une tournée. Il déposa quatre piécettes sur le comptoir, elle leur apporta deux grandes chopes remplies à ras bord. Ils en descendirent près de la moitié en un claquement de doigts, assoiffés par la chaleur ambiante qui ne faisait que grimper seconde après seconde.
— Tu me regardais depuis ta place, comme si tout ce que tu désirais était de fourrer ta queue en moi.
— C’est plus de la drague à ce stade.
Une de ses mains vint se positionner sur le genou d’Edel à sa portée. Il le lui malaxa, ses os roulaient sous ses doigts.
— Et ? On fait quoi maintenant ? demanda le jeune prince, les yeux pétillants.
— T’as très bien résumé la situation un peu plus tôt…
— Heureux de voir que je t’avais parfaitement cerné.
Juvel se leva. Il saisit sa chope et termina son breuvage si vite qu’il en fit couler une bonne partie le long de son menton, et dans son cou. Edel ne manqua rien de ce spectacle. Sa pomme d’Adam était saillante et mouillée. À son tour, il quitta le tabouret et d’une poigne ferme, attrapa le veston du marchand pour que leurs corps se retrouvent l’un contre l’autre. Il mit un petit coup de nez dans sa mâchoire afin qu’il relève la tête. Son cou dévoilé, à sa merci, il vint y poser la langue et recueillit le liquide ambré qu’il n’avait pas encore eu l’occasion d’éponger. Juvel laissa filer un grognement, Edel s’en délecta avec grand plaisir. Il avait hâte d’entendre d’autres sons sortir de sa bouche et pour cela, il n’avait qu’une chose à lui proposer.
— Il y a des chambres à l’étage, ça t’intéresse ?
— Pourquoi, t’es fatigué ?
Edel resserra son emprise sur le veston de Juvel.
— Je suis loin d’être fatigué, prépare-toi à me voir bien éveillé toute la nuit.
— Oh, tu es si endurant que ça ?
Le prince acquiesça.
— T’as pas idée de combien de fois à la suite je peux me faire sauter.
— Alors je le découvrirai volontiers.
Edel le relâcha et fit lentement descendre sa main pour empoigner celle de l’homme avec qui il comptait s’amuser. Il le tira à travers la foule, passa devant les tablées qui l’interpellaient pour lui faire d’indécentes propositions. Trop tard, il avait déjà mis la main sur une belle prise.
Ils grimpèrent les escaliers à la hâte, le bois craquant sous chacun de leurs pas pressés. Edel souriait, envahi par l’euphorie et l’envie. Juvel se laissa porter à travers le corridor. Une chambre était libre, et si ça n’avait pas été le cas, Edel l’aurait sans doute emmené au détour d’une ruelle pour une partie de jambes en l’air rapide et sauvage. Mais il était heureux d’avoir droit à un lit moelleux pour la nuit. Il avait beaucoup de projets pour ce beau marchand venu d’un autre pays, et cela les incluait tous les deux nus et transpirants sous les draps.
Il ferma la porte, puis enclencha le verrou. Juvel, au milieu de la pièce, le détaillait, le déshabillait des yeux. Edel n’avait même pas encore ôté un seul de ses vêtements qu’il se sentait mis à nu.
— Tu attends quoi pour m’enlever tout ça ?
Il ne répondit pas. D’une démarche assurée et sensuelle, il s’approcha d’Edel et attrapa un pan de sa chemise pour tirer dessus. Il l’arracha, le dernier bouton qui la maintenait fermée vola dans la pièce et roula sous le lit. Il fit glisser le vêtement de ses épaules et alla les embrasser, les mordiller, les lécher. Il y laissa traîner les mains avec précaution, comme s’il avait affaire à une chose précieuse et fragile. Mais Edel détestait qu’on le ménage, qu’on le dorlote.
— Arrête d’agir comme si j’allais me briser.
— Parce que tu ne l’es pas déjà, brisé ?
Il recula d’un pas et, de son index et de son majeur, il obligea son partenaire à relever la tête.
— Juvel, je veux que tu me souilles jusqu’à ce que mon corps tout entier explose, jusqu’à ce que ma voix ne puisse plus sortir. Ne fais pas l’enfant, conduis-toi en homme.
Les mots d’Edel éveillèrent un instinct primitif chez le beau marchand. Ses yeux s’étaient teintés de mystère et d’envie, d’un désir obscène qu’il ne put réprimer. Il l’attrapa par le cou et avança le visage vers le sien.
— Tu l’auras voulu, sale putain.
Juvel resserra les doigts contre sa gorge et pivota à cent-quatre-vingts degrés pour violemment le faire valser sur le lit. Edel sourit, satisfait d’avoir poussé son nouvel amant dans ses derniers retranchements. En quelques secondes, leurs corps se retrouvèrent nus, bouillants, mouillés. Celui du marchand était fort, hâlé, décoré d’un grand serpent noir dont la queue prenait naissance sur son bas-ventre et la tête se reposait sur son pectoral gauche. Edel s’était fait un plaisir de le lécher de tout son long en le fixant dans les yeux.
Il succombait peu à peu à toutes les sensations qui l’envahissaient. Il riait, il jubilait, il jurait. Les mains de Juvel, ses doigts aventureux, sa bouche audacieuse, son sexe tendu pointant vers son orifice. Il aurait pu se liquéfier sous son toucher.
Ils s’enlacèrent davantage, jusqu’à ne faire plus qu’un. Le tableau de leurs ébats était sauvage, maladroit, sens dessus dessous, mais tellement merveilleux.
Edel soupirait, gémissait, puis criait. Il laissait sa voix, désormais cassée par le bonheur, éclater dans la chambre. Les voisins l’entendraient, ils l’entendaient toujours de toute façon. Il ne pouvait pas se retenir, surtout quand son partenaire se montrait si bestial. Il adorait la brutalité de ses à-coups, la rudesse de ses mots, la violence dans son regard. Il le voulait, Juvel le voulait plus que tout, et ça le rendait dingue. Malgré tout, il avait la sensation qu’il gardait de la retenue, du contrôle sur lui-même. Et Edel détestait le contrôle. Il voulait un rapport honnête, un rapport où tout le monde pouvait se montrer sous son plus mauvais jour. Il voulait du réel, de l’humain, de la douleur.
— Fais pas ton timide, dit-il entre deux soupirs, j’ai déjà vu des plus petites queues me faire plus de bien que ça.
Juvel grogna et redoubla d’efforts. Ses provocations avaient fonctionné, comme toujours. Edel n’en fut que plus satisfait.
Il se laissa porter au gré des coups de reins, criant son plaisir à tout-va, plantant ses ongles dans les omoplates de son amant. Il le sentait faiblir, mais il tenait le rythme, porté par cette forte envie de se libérer de toute la tension qu’il avait en lui. Juvel était sans doute un homme nerveux, mais qui se laissait rarement déborder par ses sentiments. C’était un homme qui gardait tout, qui accumulait les préoccupations et là, il avait enfin la possibilité de tout déverser.
— Juvel, continue…
Edel n’était qu’une poupée dans ses bras et bientôt, la poupée allait se disloquer sous l’orgasme. Une boule ardente lui tiraillait le bassin, lui retournait les entrailles. Il la sentait grossir, grossir, et grossir encore. Son corps engourdi par l’épuisement se raidit, ses mains s’agrippèrent aux cheveux du marchand pour tirer dessus et, de sa bouche, s’échappa le plus indécent de tous les gémissements. Juvel plongea le visage dans le cou de son partenaire et à son tour, il s’autorisa à lâcher prise. Il grogna, comme une bête, et ses dents se plantèrent dans sa peau. Ils avaient tous les deux joui, et Edel ne pensait qu’à recommencer.
— Putain… souffla Juvel en s’allongeant à côté de son amant.
— J’espère que t’es prêt pour la suite.
L’homme lâcha un petit rire et tourna la tête vers Edel.
— Laisse-moi me remettre de mes émotions d’abord.
— Petit joueur.
Le silence. Le prince se glissa vers lui et posa la tête contre son torse. Juvel l’enlaça, son geste tendre contrastait avec ce qu’il venait de lui faire. Il lui caressa les cheveux, puis le haut du dos, tandis qu’Edel traçait des cercles imprécis sur son ventre légèrement dessiné.
— J’ai une question pour toi, murmura Juvel.
— Une question ?
Il hocha la tête.
— Qu’est-ce que tu désires le plus au monde ?
Edel fronça les sourcils, mais il n’eut pas besoin de réfléchir. Il savait ce qu’il désirait le plus au monde. Il le savait depuis deux ans maintenant, et l’objet de toutes ses convoitises se trouvait au château, sous ses yeux, presque constamment.
— Je voudrais être aimé, et par une personne en particulier.
— Hm, intéressant. Tu couches avec lui ?
— Oh non ! s’exclama-t-il. C’est pas près d’arriver. Il est… Il est spécial.
— Spécial ?
— Il est prêtre.
Un silence s’installa dans la chambre, un silence pesant. Edel soupira. Il se trouvait bien ridicule d’éprouver des sentiments pour le seulement homme qui n’avait pas le droit d’avoir de relations, qu’elles soient charnelles ou non. Il s’envoyait en l’air avec n’importe qui, n’importe où, et pourtant, tout ce qu’il souhaitait était qu’un homme dans les ordres tombe pour lui. Il visait l’impossible.
— Jusqu’où es-tu prêt à aller pour obtenir ce que tu veux ?
— Je ferais n’importe quoi, vraiment.
— Je peux peut-être t’aider.
Un rire franc et concis éclata dans la chambre. Que pouvait bien faire un simple marchand pour sa situation ? Edel n’en avait aucune idée, mais cela l’amusait beaucoup. Voilà que Juvel se la jouait grand sauveur après lui avoir fait toucher les étoiles. Il n’avait toujours pas retrouvé ses esprits, c’était certain.
— Pourquoi te moques-tu ?
— Tu ne sais rien de moi. Ce que tu connais le mieux c’est mon cul, et encore…
— Sérieusement Edel, je ne dis pas ça pour plaisanter.
— Et c’est quoi alors, ton truc miracle ?
Juvel pivota pour se mettre sur le côté et atterrir face à son amant. Il lui caressa tendrement la joue et pressa les lèvres contre les siennes.
— Je suis peut-être qu’un simple marchand, mais j’ai en ma possession des trésors dont tu n’as même pas idée.
— Un marchand ? Et si tu étais plutôt un voleur en réalité ?
— Le voleur vient pour dérober, égorger et détruire. Moi je viens pour que les Hommes aient une vie abondante.
Le prince se blottit un peu plus contre lui et de son index, il traça le serpent qui encrait sa peau.
— Et donc, parmi ces trésors, il y en a un qui pourrait m’aider ?
— Je crois bien que oui.
— Et tu peux me le montrer ?
— À une seule condition.
Edel haussa un sourcil, impatient de connaître la clause qui pourrait lui donner accès à ce qui l’intéressait.
— Je t’écoute.
— Je veux ton corps, toute la nuit.
— Ça tombe bien, tu l’avais déjà.
Juvel se lécha la lèvre inférieure avant de la mordre.
— Je sais, c’était juste une question de formalité.
Ils s’enlacèrent avec fougue et désespoir, cherchant à se fondre l’un en l’autre. Edel s’abandonna une fois de plus à la luxure, sans retenue, sans pudeur, laissant ses seuls désirs guider son instinct. Ce que lui avait promis le marchand n’était plus sa priorité, il voulait seulement qu’il lui fasse mal en lui faisant du bien, et ce des heures durant.
Les premières lueurs de l’aube pénétrèrent dans la chambre et Edel, encore à moitié endormi, fronça les sourcils. Il retroussa le nez et, alors qu’il était allongé sur le dos, pivota sur le côté. À tâtons, il avança la main à la recherche d’une présence, d’un corps nu, d’une chaleur, mais rien. Il lutta pour ouvrir les yeux et face à lui il ne trouva qu’une place vide. Il ne réagit pas tout de suite. Les bières qu’il s’était enfilées lui avaient causé un sacré mal de crâne.
La nuit mouvementée qu’il avait passée avait eu raison de son corps. Il était éreinté, courbaturé, prêt à se disloquer en mille morceaux. Pourtant il sourit. Il sourit malgré la douleur qu’il ressentait au plus profond de ses entrailles. Ses bras, ses jambes, son cuir chevelu, sa gorge, sa nuque, et même le bout de ses orteils le faisaient souffrir. Mais ce qu’il aimait ça, souffrir après une longue et intense nuit de débauche ! Il aimait avoir mal, mal jusqu’à ressentir encore une présence en lui. Mais plus personne n’était là, même pas à ses côtés.
Juvel avait dû fuir avant le lever du jour, pour que personne ne s’imagine qu’il s’était envoyé en l’air pendant des heures dans une taverne. Un marchand avec autant de classe que lui devait garder une belle image. Il n’était pas mieux que les autres, à fuir la réalité de leurs actes. C’était toujours ainsi. Edel ne voyait que rarement ses conquêtes au réveil, sans doute que la nuit et l’alcool les rendaient moins inhibés et qu’une fois l’euphorie descendue, ils se rendaient compte de ce qu’ils avaient fait. Il pensait Juvel un peu différent, il s’était trompé.
Son cœur se serra. Il avait aimé partager cette nuit avec lui, il avait aimé ses mots, ses gestes, même les plus tendres. Il avait été impitoyable, mais il avait aussi été doux entre deux parties de jambes en l’air sauvages. Un homme de contraste qu’Edel s’était surpris à apprécier.
Il soupira et se remit sur le dos, le drap blanc couvrant seulement son bas-ventre. Il resta un moment dans la même position, les yeux fixés sur le plafond sale et décrépi. Son torse se soulevait lentement, de manière régulière, et il laissa les battements de son cœur résonner dans tout son corps. Il s’était senti vivant une nuit de plus, mais désormais, il avait la sensation que tout s’évaporait. Il retournerait au château et reprendrait sa misérable vie de troisième né. Il devrait répondre à des exigences dont il se fichait, jouer le rôle du parfait petit prince alors qu’il n’était que le vilain petit canard de la famille. Avec un peu de chance, il croiserait la seule et unique personne pour qui il avait de l’admiration et du respect. Et avec un peu de chance, il lui accorderait un regard, un sourire sincère, un simple « Bonjour » qui lui ferait totalement perdre ses moyens.
Il inspira à pleins poumons et relâcha tout. Si seulement il pouvait obtenir l’objet de tous ses désirs. Il se redressa d’un bond, les yeux grands ouverts.
Ce qu’il désirait le plus ? Ces mots firent écho dans sa tête et il balaya la pièce d’un œil hagard. Juvel ne lui avait rien donné, il était parti sans même respecter son marché. Edel tapa violemment des poings sur le matelas. Même s’il s’était montré moqueur, il avait cru à ses belles paroles, il avait espéré qu’il puisse lui venir en aide. Et il s’était volatilisé. Il était parti comme un voleur et l’avait abandonné à son désespoir.
Menteur. Il s’était fait passer pour un ange de lumière, mais il n’était qu’un diable.
Tant bien que mal, Edel se leva. Il gémit de douleur et ses jambes faibles manquèrent de le faire flancher. Il avait l’impression d’avoir couru des kilomètres. Il n’imaginait pas que le lendemain serait si compliqué. Il était peut-être un peu déçu de n’avoir rien obtenu, mais il ne pouvait s’empêcher de jubiler du fait que tout son corps avait été ravagé.
Il ramassa ses vêtements et les enfila, non sans ressentir quelques picotements. Sa chemise avait passé un sale quart d’heure et il la referma du mieux que possible. Il rencontra quelques difficultés à remettre son pantalon de cuir ; il dut se dandiner légèrement pour le faire passer le long de ses jambes, et la sensation dans son bassin fit ressurgir en lui d’obscènes images. Il en frissonna, laissant échapper un petit couinement d’entre ses lèvres rougies et gonflées.
Il prit une minute pour contempler les rayons du soleil emplir la chambre et il leva la main pour aller à leur rencontre. C’était chaud sur sa peau, agréable. Il s’en détourna quand un scintillement lui tapa dans l’œil. Il se recula, pencha la tête sur le côté et plissa les yeux.
Sur la commode, un objet brillant semblait l’appeler. Il s’en approcha ; il s’agissait d’une pierre translucide, à la fois bleue et blanche aux reflets nacrés. Elle était accrochée à une chaine en argent qui avait l’air de bonne facture. Edel battit des cils. Et si Juvel avait tenu sa promesse ? D’une main hésitante, il se saisit du pendentif et le leva devant ses yeux avant de le tourner d’un côté à un autre. Il aurait presque pu voir son reflet à l’intérieur. Mais il ignorait comment ce simple petit objet allait pouvoir lui donner ce qu’il convoitait. Il pouffa de rire en imaginant qu’il avait peut-être une puissance cachée, un pouvoir obscur. Juvel avait pu le récupérer d’un sorcier qu’il avait croisé durant un de ces nombreux voyages. Ou alors, son histoire n’était qu’un ramassis de foutaises.
Edel haussa les épaules. Il passa le collier autour de son cou et prit quelques secondes pour replacer correctement ses longs cheveux. Ils étaient emmêlés, mais il n’avait rien sous la main pour arranger ça. Il devrait attendre d’être rentré au château pour prendre un bon bain et se débarrasser de tous les fluides qui recouvraient sa peau.
Après s’être assuré qu’il n’avait rien oublié, il quitta la chambre. Les escaliers craquèrent, indiquant à la propriétaire des lieux que quelqu’un était sur le point de s’en aller. Derrière son comptoir, occupée à essuyer les chopes, elle se retourna et lança un regard équivoque au prince.
— Sacrée nuit, non ?
Edel sourit tout en se mordant la lèvre. Il marcha jusqu’à elle et, de sa poche, extirpa quelques pièces.
— Ton bel étalon a déjà réglé pour la chambre.
— Vraiment ?
— Ouais. Il était vraiment pas mal celui-là dis donc ! Tu l’as trouvé où ?
— Ici, à cette même place, dit Edel en pointant le tabouret où Juvel était installé la veille.
— Bon sang, et j’ai raté un morceau pareil ! râla-t-elle tandis qu’elle posait une chope sur les étagères.
Edel lâcha un rire.
— Il était bien au moins ?
Il hocha la tête, l’air un peu trop béat. Il n’arrivait pas à chasser les scènes de leurs ébats de son esprit, mais aussi le fait que Juvel lui avait laissé un présent. Ça le touchait, c’était la première fois qu’il recevait quelque chose de matériel en échange de son corps.
— Tant mieux ! s’esclaffa la femme. Allez rentre mon p’tit, sinon tu risques de passer un sale quart d’heure.
Il la remercia et la salua avant de quitter la taverne. Faerdham commençait tout juste à s’agiter, les roues des carrioles remplies de marchandises diverses faisaient résonner un tintamarre dans les rues, annonçant aux habitants que la place du marché allait bientôt se remplir. Ils ouvraient les volets, battaient les couvertures par les fenêtres, ou fumaient la pipe à l’air libre. Edel appréciait ce spectacle à chaque fois qu’il était en route pour rentrer. Il aimait observer à quel point le peuple était fringant.
Il aurait aimé vivre de cette façon, loin du château et des faux-semblants. Là-bas, il devait jouer un rôle, jouer au bon petit garçon. Il n’en était pas un, il n’en serait jamais un. Être mignon et gentillet, ça l’ennuyait. Et pourtant, il s’efforçait de le paraître devant l’homme qu’il aimait. Il ne voulait pas qu’il le déteste, il désirait qu’il le voie, qu’il lui sourie, qu’il le complimente, même si dans le fond, il ne le méritait pas. Il savait que la situation était compliquée. Lui, le prince détraqué, être aimé d’un homme aussi pieux et droit ? Quelle vaste blague ! Mais si tout changeait ? Si un jour il succombait et s’autorisait à goûter au fruit défendu ?
Edel sentit une myriade de frissons parcourir sa colonne vertébrale. Le tableau qu’il peignait dans son esprit était une véritable œuvre d’art, une pièce maîtresse, teintée d’amour et de péché. De fantasme et de déchéance.
Il attrapa le pendentif dans une main et le serra très fort, comme s’il croyait réellement que ce simple caillou allait lui venir en aide d’une quelconque manière. Il se raccrochait à ce qu’il pouvait, il en avait besoin.
Plus vite qu’il ne l’avait imaginé, il arriva aux abords du château. Après s’être faufilé discrètement par un chemin qu’il avait l’habitude d’emprunter à travers des fourrées, il passa par une des portes dérobées dont il avait volé les clés. Déjouer la surveillance des gardes et se moquer de leur incompétence l’amusait. Ils n’étaient même pas capables de l’attraper, de le voir, et malgré toutes les fugues qu’il avait faites, il continuait à leur filer entre les doigts.
Il remonta à la surface par un étroit escalier de pierres en colimaçon. Il arriva dans l’arrière-cuisine et s’introduisit rapidement dans l’enceinte du château, dans la partie qui desservait les chambres de son frère et de sa sœur, ainsi que la sienne tout au fond du couloir. Il jeta un coup d’œil à sa droite et tourna à gauche. Il avança à pas de loup, craignant que ses bottes ne le fassent repérer. Il se figea quand il aperçut Arving à proximité de sa chambre. Il s’agissait de l’aîné de la fratrie, le prince héritier, et il n’était pas seul. Tarjei Bjørnsson, un haut gradé de l’armée avec qui il était très ami, l’accompagnait.
— Belland ! cria Arving.
Edel déglutit, mais il ne laissa aucune place à la peur. D’un pas assuré, son frère le rejoignit et se planta face à lui.
— Où étais-tu encore passé ?
— Je me baladais.
Arving passa une main dans sa chevelure blonde pour la replacer vers l’arrière. Son regard démontrait de la colère, de l’agacement, et Edel savait parfaitement où tout cela allait le mener. Son frère n’était pas du genre à se retenir, il avait un tempérament explosif, et surtout avec lui. Rien d’étonnant, Edel aimait le provoquer, ça l’amusait de voir le futur roi de ce pays perdre son sang-froid face à un gamin impertinent.
— Tu te baladais ? Espèce de sale mioche irresponsable !
Il lui envoya une gifle en pleine figure et Edel resta de marbre. Il planta son regard noir dans celui de son frère, sans bouger, sans sourciller. Il ne l’impressionnait pas. Et la présence de Tarjei non plus. Ce dernier avait beau avoir une musculature très développée et un visage fermé, ça ne lui faisait ni chaud ni froid.
— Je me baladais, répéta le jeune prince.
Arving inspira et expira en une fraction de seconde.
— Mère est furieuse ! Tu avais des cours importants avec ton précepteur, et il est encore venu pour rien !
Edel resta immobile. Arving l’analysa de bas en haut, une grimace de dégoût déformant ses lèvres, puis il s’arrêta sur le collier qu’il portait. D’un geste brusque, il tira dessus pour l’arracher, Edel tenta de le récupérer.
— Rends-moi ça ! hurla-t-il.
— Ce sont les putains qui portent ça !
— Rends-le !
— T’es une putain ? se moqua l’aîné.
— Rends-le !
Arving leva le bras pour mettre le pendentif hors de la portée de son frère. Edel ne cessait de répéter les mêmes mots à tue-tête, sa voix résonnant dans les couloirs du château.
— Il suffit !
Cette fois, ce fut une voix féminine qui s’éleva, mais terriblement intense et profonde. Les deux frères se stoppèrent quand la reine avança avec nonchalance vers eux, la mâchoire crispée et les poings serrés.
— Espèce de sale garce !
À son tour, elle administra une claque à Edel, sur l’autre joue. Il avait le visage rouge, les larmes aux yeux, et la rage au ventre. Les coups de sa mère étaient les pires. Sa colère était épouvantable et tout le monde en avait peur. Il n’y avait aucun de ses enfants qui réussissait à lui tenir tête, même son mari courbait le dos devant elle. Ici, c’était elle qui portait la culotte, personne d’autre.
— Tu es le pire fils qui soit.
— Il m’a pris…
— Ferme-la ! Je ne veux rien savoir, tu n’as aucun droit à la parole ici. Pas après ce que tu as encore fait. Regarde-toi ! Quelle honte !
Il baissa les yeux et ravala sa salive. Il voulait simplement récupérer son bien, c’était injuste.
— Va confesser tes péchés, immédiatement.
— Mère…
— Immédiatement !
Edel sursauta et acquiesça. Il tourna les talons et se dirigea vers la chapelle qui se trouvait dans l’aile gauche du château. Il essuya ses larmes avec les manches de sa chemise, essayant tant bien que mal de faire taire ses sanglots. Il ne voulait pas que quelqu’un le voie dans cet état, il était misérable. Une véritable loque. Il ne supportait plus cette vie de captif, dans cette prison dorée. Il n’était rien pour la famille royale, il n’était qu’un fardeau, un enfant qu’ils auraient préféré envoyer aux oubliettes. Il était la honte incarnée aux yeux de ses parents, un déséquilibré. Un démon. Il ne comptait plus combien de fois il s’était confessé, combien de fois il avait été forcé de se rendre à la chapelle pour prier, pour demander le pardon et le salut. Les prêtres lui avaient prédit un aller simple pour l’enfer, et il se demandait parfois s’il n’y était pas déjà arrivé.
Il renifla et épongea ses joues rouges avant d’entrer dans la chapelle. La porte s’ouvrit avant même qu’il n’ait l’occasion de la pousser. Tout s’arrêta, le temps, son cœur. Il leva la tête et ses yeux s’ancrèrent dans les plus beaux yeux qu’ils lui avaient été donnés de voir dans sa vie. D’un bleu transcendant si pur.
— Prince Edel ?
Il s’inclina légèrement devant l’homme face à lui. Il n’arrivait pas à parler en sa présence, comme si sa langue était nouée. Il lui fallait un temps d’adaptation afin qu’il se rende compte qu’il était bien dans la réalité, et pas encore une fois dans un de ces nombreux rêves.
— Mon prince ? l’appela-t-il à nouveau.
Le jeune homme secoua la tête.
— Pardonnez-moi, mon Père.
— Avez-vous pleuré ?
Il acquiesça et une chaleur étrange se propagea dans tout son être. Il n’arrivait plus à réfléchir de façon cohérente. Cet homme le rendait complètement fou, plus fou qu’il ne l’était déjà. Il afficha un mince rictus, la joie qu’il ressentait avait terrassé toute la tristesse d’un peu plus tôt.
Kristen Solheim avait le don de lui redonner le sourire sans rien faire de spécial. Il était spécial. Il était son tout, il était son plus profond désir, son envie inavouée. Il était le seul homme de tout le royaume à l’avoir rendu éperdument amoureux, et Edel savait combien lui étaient passés sur le corps. Des dizaines, peut-être même des centaines. Mais il avait jeté son dévolu sur le plus pieux de tous. Un défi de taille qu’il s’était lancé. Edel l’avait toujours estimé, même s’il était un fervent religieux et que lui-même ne croyait en aucun dieu. Il voulait le charmer, le faire tomber dans ses filets. Il rêvait de se mettre à genoux pour lui, de lui vouer le culte qu’il méritait. Le seul vrai dieu qu’il y avait dans cette chapelle était Kristen.
— Que s’est-il passé cette fois ? demanda-t-il d’un ton posé.
— Je… Je me suis encore enfui pendant la nuit…
Kristen lâcha un faible soupir.
— Et mon frère m’a volé quelque chose de précieux.
Cette fois-ci, l’homme fronça les sourcils.
— Quoi donc ?
— Un présent que l’on m’a fait.
— Il vous le rendra, j’en suis sûr. En attendant, vous ne devriez pas partir la nuit, c’est dangereux et il pourrait vous arriver quelque chose.
— Je sais.
La main de Kristen se planta sur le haut de son crâne pour y exercer de douces et lentes caresses. Le prince se sentit furieusement rougir, son cœur s’arrêta, son souffle se coupa.
— Je n’ai pas envie qu’il vous arrive quoi que ce soit, Edel, dit-il en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Oui, mon Père. Je ferai plus attention.
— Je compte sur vous pour ne plus vous mettre en mauvaise posture, d’accord ?
Il hocha la tête et Kristen lui déclara un sourire qui fit disparaître ses yeux. Il était magnifique, doté d’une prestance exceptionnelle. Il avait la carrure d’un soldat, mais chacun de ses mots était empreint de bonté, de bienveillance, de douceur. Chacun de ses gestes relevait du divin. Quand il posait les yeux sur lui, quand il posait la main sur lui, Edel se sentait fondre. Il se sentait mourir à petit feu. Quand Kristen lui accordait de l’importance, il se sentait enfin spécial. Il voulait croire qu’il comptait un peu pour lui. Il était le seul à se comporter de cette manière à son égard, à ne pas juger ses frasques, à s’inquiéter pour son sort. Les autres se préoccupaient seulement de l’image qu’il pouvait leur donner, des répercussions que ses actes pouvaient avoir sur leur réputation.
— Vous me le promettez Edel ?
— Oui, je vous le promets.
— Parfait. Considérez que vous venez de confesser vos péchés.