Verbalisons - Alva Eriksdotter - E-Book

Verbalisons E-Book

Alva Eriksdotter

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Beschreibung

C’est le récit d’un voyage effrayant dans l’univers absurde de l’Éducation nationale. Un monde à part, aux antipodes des valeurs que l’institution prétend défendre et où la hiérarchie est largement incompétente, mais toute-puissante. Prof lambda depuis cinq ans, la narratrice vit soudain une descente aux enfers après sa rencontre avec un inspecteur aux gestes déplacés qui, dans un second temps, détruira efficacement sa carrière. Lorsqu’elle prend l’initiative d’en informer l’administration, elle se retrouve face à une machine implacable qui est là pour soutenir à tout prix la hiérarchie et qui prend même le relais pour assurer un acharnement sans fin. Elle découvrira également que les syndicats sont totalement impuissants, voire se rangent du côté de l’administration. À la fin, ce sera une lutte pour réussir à en sortir vivante…


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Seitenzahl: 187

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Alva Eriksdotter

VERBALISONS

ou MeToo n’a pas mis un pied dans L’Éducation nationale

PROLOGUE

Le mot « verbaliser », utilisé de façon transitive, signifie selon le dictionnaire Larousse « formuler de vive voix ce qui était intériorisé ». J’ai compris l’importance vitale de la verbalisation à la suite du cauchemar invraisemblable que j’ai vécu dans l’Éducation nationale pendant cinq années, dans un univers où l’omerta règne en maître absolu derrière le vernis fragile de la bienveillance dont l’institution aime à se revêtir.

C’est donc dans ces pages que je vais mettre des mots sur ce que ma hiérarchie m’a infligé : un acharnement interminable qui m’a valu des problèmes de santé permanents et qui a fini par m’obliger à quitter un travail que j’aimais pour me retrouver sans emploi à un moment où j’avais trois enfants à charge, dont deux étudiants.

Avant que tout ceci n’arrive, j’étais une professeure lambda. Après dix années passées au sein d’un établissement bancaire, lasse de mon travail et animée par le désir de faire un métier plus chargé de sens, j’avais décidé de passer le concours de professeur d’anglais. Une fois le Capes obtenu, j’étais contente de mon changement de cap professionnel : être prof me convenait bien. Les débuts, pourtant, n’avaient rien d’idéal. C’était l’année où, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, on avait décidé que les stagiaires qui débutaient dans le métier commenceraient directement avec dix-huit heures de cours, c’est-à-dire un plein-temps, avec quelques journées de formation seulement avant la rentrée − appelées à juste titre « kit de survie » par les formateurs − qui consistaient en quelques conseils sommaires en matière de pédagogie et de tenue de classe. Je n’étais pas avantagée par rapport aux autres stagiaires qui avaient pour la plupart fait une préparation à l’IUFM, l’Institut universitaire de formation des maîtres. Largement imparfaite, certes, cette première année de formation avait quand même permis aux autres stagiaires d’avoir quelques notions de pratique professionnelle, ce qui n’était pas mon cas : une fois le concours passé, hop, dans le grand bain sans formation aucune.

Par chance, j’eus une très bonne tutrice, intelligente et bienveillante, et ma validation à la suite de l’année de stage se passa sans encombre. Comme beaucoup de profs débutants, je dus passer quelques années dans un établissement assez loin de mon domicile avant de pouvoir m’en rapprocher. Au bout de quatre ans, je décidai de m’attaquer au concours costaud du niveau au-dessus : l’agrégation. Via le concours externe, car je n’étais pas éligible aux épreuves internes avec leur programme allégé.

Grâce à ma formation pluridisciplinaire et des séjours dans des pays anglo-saxons, je disposais d’une culture générale solide et d’un très bon niveau en anglais. Les écrits se passèrent bien et je redoublai d’efforts en vue de l’oral. C’était un véritable marathon qui m’attendait : trois journées blindées d’oraux en tous genres. Une épreuve quasiment physique, en tout cas psychologique. Je rentrai complètement éreintée.

Le dernier jour de l’année scolaire, j’étais en réunion dans mon établissement quand mon mari m’appela pour me dire que les résultats venaient de tomber : j’avais été reçue à l’agrégation ! Du premier coup. Et avec un placement correct. J’étais aux anges et peinais à y croire. L’année se terminait décidément bien. Pas grave si j’étais crevée après une année exténuante à mener à bien mon travail à temps plein, l’agrégation et à côté de cela gérer la famille. Les vacances étaient au pas de la porte avec la légitime fierté d’avoir réussi un concours sélectif qui allait m’offrir de nouvelles perspectives de carrière : possibilité de postuler dans le supérieur ou sur des postes spécifiques tels que les classes prépa et un salaire plus élevé. Je me vois encore partir en vacances cet été-là : tout était soulagement, joie et promesses d’avenir.

Ce furent les derniers bons moments qui allaient m’être accordés pendant bien des années. Si j’avais eu une idée de ce qui m’attendait, j’aurais renoncé. Mais il n’y a pas de retour en arrière et faute de mieux, on peut toujours se dire qu’on a appris des choses. Ce qui est certainement vrai et pas négligeable, humainement parlant. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Encore faut-il survivre et c’est de cela qu’il s’agiraici.

L’INSPECTEURou Une hiérarchie indigne

À la rentrée, n’ayant pas de nouvelles, je fais un mail à l’inspecteur d’anglais pour savoir comment se déroulerait mon année de stage. Car je savais que je n’y échapperais pas : même si j’étais professeure certifiée depuis cinq ans, le passage d’un autre concours rend obligatoires un stage, des formations et une procédure de validation à la fin de l’année. Qui dit stage dit aussi un tuteur ou une tutrice. L’inspecteur me répond que j’aurai une formation interdisciplinaire de quatre jours, deux journées de formation propres à ma discipline et une tutrice pendant six mois, du mois d’octobre jusqu’au mois de mars, et une inspection en vue de la validation en fin d’année. Voilà la sauce à laquelle je devais être mangée. Pas bien méchant de prime abord.

L’année scolaire débute et le temps passe vite. Juste avant les vacances de la Toussaint, à la mi-octobre, je fais connaissance avec la personne que l’inspecteur m’a désignée comme tutrice. Ariane est très jeune et avoue n’être professeure que depuis six ans, c’est-à-dire un an de plus que moi. À la fois visiblement flattée d’avoir été nommée tutrice, signe de reconnaissance de la part de la hiérarchie, mais aussi mal assurée devant cette tâche, elle ne m’inspire pas confiance. À l’âge qui est le mien, 45 ans, on sait en général que ce mélange de manque d’assurance et d’ego flatté est très dangereux chez une personne à qui on donne des responsabilités. Par trois fois, elle me demande si cela ne me gêne pas d’avoir une tutrice plus jeune que moi ; je la rassure en affirmant que ce n’est pas le cas : ma tutrice quand j’ai passé mon Capes était bien plus jeune que moi et cela n’avait pas posé de problème.

Pourtant, sa personnalité m’inquiète bel et bien. Son discours et ses gestes sont contradictoires : elle affirme que son rôle est d’être présente afin que nous puissions « échanger autour de nos pratiques », mais en même temps elle cherche clairement à asseoir une autorité sur moi, voire à trouver des failles. Je sors de l’entrevue mal à l’aise.

Je fais part de mes inquiétudes à mon mari en rentrant : cette tutrice doit rédiger un rapport sur moi à la fin de l’année. Professeur comme moi, Pierre est en plus responsable syndical depuis des années. Une partie de son travail consiste à conseiller et accompagner des professeurs en difficulté, notamment des stagiaires lors de leur titularisation. Je sais, pour l’avoir souvent entendu en parler, que des problèmes avec le tuteur ou la tutrice constituent la cause la plus fréquente de non-validation, plus que de réelles difficultés. Lorsqu’il avait appris le nom de ma tutrice de stage de Capes, qu’il connaissait un peu, il avait tout de suite déclaré que tout se passerait bien et il avait eu raison.

Toutefois, quand je lui parle de mon appréhension, il secoue les épaules et m’explique que même si je ne passe pas une très bonne année, je n’ai pas trop de soucis à me faire : étant donné qu’on m’a déjà validée une première fois dans le cadre du Capes, il n’est en réalité pas possible de remettre en question une validation déjà faite. Bien. Juste une formalité. Pas de quoi en faire tout un plat. Un peu rassurée, je passe de bonnes vacances d’automne.

Une semaine après la rentrée, Ariane vient assister à un de mes cours. Elle me donne un conseil ou deux, ensuite nous regardons ensemble les documents que je compte utiliser dans la séquence. Elle me demande de commencer avec un document culturel pour susciter l’intérêt des élèves et choisit un texte qui correspond à cette exigence. Je connais l’astuce et exprime mon accord sur le principe, mais j’ai des réserves sur le document qu’elle a sélectionné que j’estime trop difficile pour un début de séquence avec une classe que je sais très faible et j’ai un doute sur sa capacité à aiguiser la curiosité des élèves. Même si ma tutrice m’a affirmé qu’elle était là pour qu’on puisse échanger, elle ne s’attendait manifestement pas à ce que je formule des objections, même présentées de manière très polie et circonstanciée. Elle se crispe et me dit qu’il faut que je suive ses conseils si je ne veux pas avoir des problèmes avec la validation.

Des problèmes avec la validation ? Je n’en reviens pas qu’elle se sente autorisée à le suggérer : elle n’a pas beaucoup plus d’expérience que moi de l’enseignement et elle a été parachutée tutrice très jeune après une seule journée de formation. Qu’est-ce qu’elle peut en savoir ?

Une fois rentrée à la maison, le malaise ne me quitte plus. Une semaine plus tard, je dois aller observer ses cours. Ayant une matinée par semaine dégagée à cet effet, je me rends dans son établissement et j’assiste à trois cours. Il y a une ou deux activités qui me donnent quelques idées, mais je suis un peu époustouflée par son sans-gêne, car elle-même applique très peu ce qu’elle m’a conseillé de faire. D’après elle, il faut faire plus d’oral et notamment en interaction. Or au premier cours, seuls deux ou trois élèves avaient prononcé quelques mots en anglais et dans les autres, il n’y avait pas eu d’interaction. À la fin des trois heures, elle me demande ce que j’en pense. À en juger par son expression, elle s’attend à ce que je sois élogieuse. Je fais l’effort de trouver quelques mots positifs, mais elle est visiblement déçue par mon manque d’enthousiasme. Je prends alors mon courage à deux mains :

–Il y a quelque chose que je voulais te dire par rapport à la dernière fois. Je ne me sentais pas très bien après notre entretien. Ce serait bien si on pouvait éviter de parler de problèmes de validation dès le début, il me semble. Ce n’estpas…

–Alors là, je t’interromps tout de suite, lâche-t-elle avec autorité. Quand j’ai rencontré l’inspecteur qui m’a confié la mission d’être ta tutrice, il m’a dit qu’il y avait des choses qui n’allaient pas dans tes cours. Il y a beaucoup de progrès à faire, sinon tu auras des problèmes avec la validation.

L’inspecteur. J’ai l’impression de sentir le sol se craqueler sous mes pieds. L’inspecteur lui a donc dit cela ? Je ne me souviens plus comment la discussion s’est terminée et comment je suis revenue à mon collège où je devais assurer deux cours l’après-midi. En arrivant, je m’effondre dans la salle des profs. Le chef d’établissement me trouve en train de pleurer et je lui fais donc part de l’échange avec ma tutrice. Il me demande si je veux qu’il appelle l’inspecteur. Après quelques secondes de réflexion, je décline : non, ce n’est pas la peine. Il essaie de me rassurer et met ma classe en permanence pour que j’aie le temps de me calmer. Je discute avec deux professeures de français qui tentent de me remonter le moral. L’une d’elles me demande si les cours de ma tutrice sont parfaits. Je réponds que non, mais que ce n’est pas du tout la question. Le problème est ce qu’elle a dit sur l’inspecteur. Il lui a visiblement donné une image très négative de moi, même si ce n’est pas très clair : est-ce elle qui est allée jusqu’à insister sur une possible non-validation ou est-ce l’inspecteur qui l’a dit ou sous-entendu ? L’assurance avec laquelle elle en a parlé me fait alors craindre que ce soit bienlui.

–Et alors ! dit ma collègue avec conviction. Qu’est-ce qu’il en sait ? Pourquoi aurait-il un a priori concernant ta validation ? Ça n’a pas de sens !

Je ne lui réponds pas. Le problème est que ça pourrait très bien avoir du sens. Pendant le week-end, je sens les craquelures sous mes pieds s’agrandir à folle allure quand je me remémore ce qui s’est passé avec cet inspecteur. Jeretourne deux années en arrière, à l’époque où j’ai fait connaissance avec cet homme à l’occasion de ce qui devait être ma première inspection.

Catapultée professeure avec une formation extrêmement sommaire, je me rends compte, en discutant avec des collègues, qu’il y a plein de choses qui semblent être connues de tous, mais que moi j’ignore. Je m’inscris à une formation ou deux, mais elles sont programmées pour la fin de l’année. Je les ai suivies quelques jours à peine avant l’inspection. Je suis aussi extrêmement stressée, car j’ai quitté mon emploi dans le secteur bancaire à cause de problèmes avec ma nouvelle responsable de service qui, tout d’un coup, s’est mise à contester mes compétences après presque dix ans à mon poste. Bref, la hiérarchie ne me dit rien qui vaille.

Lors de l’inspection, mes élèves sont très gentils et participent bien. Toutefois, l’inspecteur me laisse clairement comprendre que ce n’est pas ce qu’il aurait voulu voir. Sa gestuelle l’exprime de façon très nette ; il semble soupirer, passe sa main devant les yeux, fait des petites grimaces. Je suis presque étonnée de réussir à finir mon cours, mais je suis aussi franchement surprise qu’un inspecteur expérimenté ne comprenne pas que c’est extrêmement déstabilisant qu’il montre si ostensiblement son jugement négatif pendant la séance.

Une inspection est toujours suivie d’un entretien. Le chef d’établissement est également présent. On s’installe dans une petite salle de réunion, l’inspecteur et le proviseur à un bout d’une longue table et moi de l’autre. Mon malaise est grand. Pour en avoir parlé avec d’autres collègues d’anglais, je sais que cet inspecteur a la réputation d’être soit très gentil, soit très dur, voire immonde. C’est tout l’un ou tout l’autre.

À mon grand soulagement, il s’avère extrêmement gentil. Il commence par me demander si l’anglais est ma langue maternelle. Quand je réponds par la négative, il affirme ne pas avoir pu déceler mon accent lors de mon cours ; j’en suis flattée. Il remarque avec beaucoup de sympathie que j’étais très stressée, dit qu’il ne faut pas que je m’inquiète, que c’est une première inspection pour donner des conseils, justement. Il me pose des questions sur ma formation, mon parcours, mes origines, mon trilinguisme. Je détaille les conditions difficiles de ma première année d’enseignement, où je suis projetée professeure à temps plein après avoir passé avec succès le concours sans aucune formation préalable et sans m’être destinée à l’enseignement auparavant. Il s’intéresse à mes enfants et veut savoir s’ils parlent ma langue maternelle. Pendant un bon moment, il fait tourner la discussion autour d’eux et de leur apprentissage des langues. Il est réceptif à ce que je lui lance, un peu au hasard, sur ma fille qui semble tout retenir du premier coup : « C’est une petite éponge, dit-il, si cela ne vous gêne pas que je l’appelle ainsi ? » Non, bien sûr que non. Ce serait idiot d’avoir une quelconque objection lorsqu’on a la chance d’avoir un inspecteur aussi gentil à la suite d’une inspection ratée...

Je réponds de mon mieux à toutes ses questions, tout en étant complètement désorientée : n’est-il pas censé commenter mon cours, donner des conseils en vue de les améliorer ? D’un autre côté, j’avais déjà passé un entretien surprenant avec un autre inspecteur deux années plus tôt, lors de la validation de mon Capes. Cet homme vieillissant avait en effet tenu un monologue pendant une heure, discours pendant lequel il m’avait été impossible de placer un mot et à la suite duquel j’avais été validée sans problème.

Au bout d’une heure, le proviseur se lève en expliquant qu’il a d’autres obligations. Nous n’avons pas encore commencé à aborder mon cours. Je comprends bien que l’inspecteur veut dire que mon inspection n’était pas bonne, mais je voudrais surtout savoir ce qu’il aurait fallu faire. Le ton de l’entretien ne me plaît pas. Finalement, on commence à entrer dans le sujet. Il m’explique avec une gentillesse infinie que le document audio que j’avais choisi n’était pas le bon, qu’il aurait fallu faire une autre activité pour les guider dans la compréhension du document… Je prends quelques notes, tout en soupirant intérieurement : il ne s’agit que de conseils qui ne sont pas transférables à d’autres situations et donc peu utiles. L’entretien tire à sa fin, l’inspecteur explique qu’il doit partir. Il me recommande d’aller voir les cours d’une autre collègue qui a été inspectée récemment.

En sortant, je constate que l’entretien a duré un peu plus de deux heures. J’évalue le temps passé sur mon cours à une demi-heure environ, peut-être quarante minutes en incluant quelques conseils vagues d’ordre général à la fin. Toujours immensément soulagée qu’il ait été si sympathique, je n’en reviens pas d’avoir passé deux heures pour un entretien aussi improductif.

En rentrant, je me contente de dire à Pierre que ça ne s’est pas très bien passé, en lâchant juste un petit commentaire sur le manque de sérieux de l’inspecteur. Il me dit en secouant les épaules que l’inspecteur d’anglais n’est pas connu pour son professionnalisme.

Quelques mois plus tard, à l’automne, quand nous sommes tous les deux en train de travailler dans le bureau, Pierre me demande si j’ai reçu mon rapport d’inspection. Non, pas de rapport. Mon mari fronce les sourcils : il y a quelque chose qui ne va pas, la date a été dépassée sans qu’il y ait de note et de rapport d’inspection. Je suis adhérente au syndicat dont mon mari est secrétaire général. C’est lui qui s’occupe des professeurs du second degré. Dont moi, donc. Il me dit qu’il va falloir interroger l’inspection sur ma note et mon rapport inexistants. Je lui réponds que ce n’est pas la peine : je sais qu’il faut avoir une bonne note pour obtenir un avancement accéléré et cela ne sera certainement pas le cas. Je suis embêtée, je préfère oublier cette histoire, me faire oublier, mais mon mari syndicaliste n’est pas d’accord : il doit y avoir une note, il faut l’interroger.

Quelques jours plus tard, je le vois s’énerver sur son ordinateur. Il me montre le mail qu’il a reçu de la part de l’inspecteur. Ce dernier avait répondu sèchement qu’il n’y avait pas lieu de mettre une note, puisqu’il s’agissait d’une inspection-conseil, ce qu’il avait d’ailleurs expliqué à Mme Eriksdotter, qu’il n’appréciait pas que les syndicats le contactent directement, et que si cette dernière voulait des précisions, elle pouvait s’adresser à son secrétariat ; information que son représentant syndical pouvait lui transmettre étant donné qu’elle était « assurément pas bien loin ».

–Tu as vu ? s’écrie Pierre.

–Quoi ?

–Eh bien, la fin, quand il dit qu’elle n’est pas bien loin ! Il doit savoir qu’on est marié même si on ne porte pas le même nom, c’est une allusion à cela. Il est en train de mêler le personnel et le professionnel ! fulmine Pierre.Et en plus, il a mis la moitié du rectorat en copie : la secrétaire générale de l’académie, le responsable de la direction du personnel enseignant… Il n’a pas à faire ça ! Il ne doit pas confondre mon rôle de représentant syndical avec le fait qu’on est un couple, ça n’a rien à voir et c’est complètement déplacé de sa part ! Je vais répondre et mettre tout le monde en copie.

Pierre est responsable d’un des principaux syndicats de l’académie depuis des années. En tant que tel, il est bien connu au rectorat où il a déjà participé à de nombreuses commissions, réunions et groupes de travail. Parmi le personnel administratif, il y a aussi des adhérents dont il s’occupe à l’occasion. Ses allées et venues au rectorat sont devenues tellement fréquentes que plus personne ne lui demande ses papiers à l’entrée, même après la mise en place d’une procédure stricte. Il effectue, d’après ce que je comprends, son travail de représentant syndical de manière sérieuse et engagée, et je sais qu’il est largement respecté par l’administration à ce titre. En même temps, il s’est par moments retrouvé en conflit avec des personnes qui se sont senties critiquées et je sais qu’il s’en est sérieusement pris au corps des inspecteurs à cause des disparités énormes de notation des professeurs entre les différentes disciplines, ce qui aboutissait à une situation très discriminante de progression de carrière selon les matières enseignées.

L’inspecteur d’anglais est connu pour détester les syndicats. La situation me met très mal à l’aise. Je supplie Pierre de ne rien faire : c’est déjà déprimant de ne pas avoir fait une bonne première inspection, mais avoir en plus un mari syndicaliste qui se dispute avec l’inspecteur me cause un terrible stress. En vain, Pierre reste inflexible :

–Désolée, mais je ne peux pas laisser faire ça. Ce n’est pas possible. C’est mon intégrité en tant que représentant syndical qu’il met en cause.

Il se met à rédiger une réponse brève, mais ferme, insistant sur son rôle de représentant syndical et lui demandant de faire abstraction de tout lien personnel avec moi. Je sais que c’est inutile d’insister davantage.

Pierre m’explique que les inspecteurs peuvent décider de transformer une inspection ordinaire en une inspection-conseil, qui ne donne pas lieu à une note. Je me creuse la tête et essaie de me remémorer les mots exacts de l’inspecteur, mais j’étais stressée et je ne m’en souviens pas. C’est vrai qu’il avait parlé de conseil et c’est possible qu’il ait parlé d’inspection-conseil, mais il ne m’avait définitivement pas expliqué ce que c’était et qu’il n’y aurait pas de note. Dommage, cela aurait évité ce cirque.

Quelques semaines plus tard, mon proviseur vient me voir pour m’annoncer que l’inspecteur d’anglais viendra prochainement dans l’établissement pour inspecter une autre collègue et qu’il voudra me voir à cette occasion. J’acquiesce, déjà reconnaissante envers l’inspecteur qui s’est sans doute rendu compte qu’il m’avait mise profondément mal à l’aise avec son mail et qui veut sans doute dissiper le malentendu.

Avant l’heure prévue, il y a un pot de départ dans la salle des profs. Quand je m’y rends après mon cours et cherche des collègues du regard, je croise celui de l’inspecteur, qui se tient dans un coin. Il m’a vue entrer et il me regarde avec insistance comme s’il attendait mon arrivée. Je trouve mes amies et me détourne rapidement. En buvant mon verre, j’ai l’impression de sentir son regard sur moi. Je viens de comprendre que ce n’est pas juste par pure gentillesse qu’il s’intéresse à moi et je me dis que j’aurais déjà dû comprendre cela lors de notre premier entretien.



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