Violée, et alors ! - Dominique Da Ponte - E-Book

Violée, et alors ! E-Book

Dominique Da Ponte

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Beschreibung

D. traverse une adolescence marquée par de profondes turbulences qui la fragilisent et la forcent à quitter prématurément le foyer familial. Livrée à elle-même, elle subit un premier viol, puis un second, tous deux restés impunis malgré des preuves accablantes. Ces traumatismes l’entraînent dans un tourbillon d’addictions et de tentatives de suicide répétées. Dans un récit à la fois poignant et percutant, D. décortique les mécanismes d’un système où le pouvoir se fait complice de l’abus, tandis que les survivantes peinent à se faire entendre. En s’appuyant sur des témoignages bouleversants, elle interroge la notion de consentement, dénonce la complaisance législative à l’égard des agresseurs et met en lumière le cheminement douloureux des victimes, de la plainte au procès. Cet ouvrage s’élève en un cri de révolte vibrant, un plaidoyer audacieux pour une justice véritable et une réflexion profonde sur la condition des femmes à travers le monde.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Dominique Da Ponte a réalisé cet ouvrage afin d’illustrer le destin tragique que la société réserve aux femmes victimes de viol : l’ignorance de leurs traumatismes, le manque d’écoute et de considération, comme si, dans l’inconscient collectif, le viol ne constituait qu’un fait divers ordinaire.

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Seitenzahl: 329

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Dominique Da Ponte

Violée, et alors !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dominique Da Ponte

ISBN : 979-10-422-5391-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Premières anicroches

Quelques premiers souvenirs flottent encore dans ma pensée, enfant, je suis comme une fleur qui vient d’éclore dans un territoire déjà hostile, une tulipe blanche égarée dans un champ de tulipes noires. Ces premiers souvenirs peuvent paraître anodins mais ils sont l’entame de ce que j’allais devenir, de ce que je suis finalement devenue, ils incarnent l’ébauche d’un rite initiatique, une sorte d’entrée dans la vie des hommes, un peu comme si ceux-ci m’avaient dit « bienvenue chez nous ».

Quand on a neuf ans et que l’on est une petite fille, on pense à quoi ? À tout sauf à ça, en tout cas, c’était mon cas.

J’ai donc neuf ans, j’aime bien mes couettes blondes et ma jolie robe. Mon cousin Alain s’approche de moi, il veut m’embrasser sur la bouche, je ne sais même pas ce que cela veut dire, je suis encore une enfant. Lui semble trouver cela normal. Je le repousse gentiment.

À treize ans, j’adore nager et plonger. J’enchaîne les longueurs à la piscine Keller. Mes parents ont divorcé. Pour mon anniversaire, mon père invite un de ses amis, de passage à Paris. Je n’ai jamais vu cet ami jusqu’alors, j’apprendrai plus tard qu’il réside en Thaïlande. Il m’offre un cadeau inespéré, un équipement complet de plongée que je pourrai utiliser l’été prochain à Cadaqués. Ma joie s’estompe vite car cet ami m’incommode, l’insistance malsaine du regard qu’il porte sur moi me met mal à l’aise, j’ai la désagréable sensation qu’il cherche à me capter, à m’hypnotiser presque. Je détourne pudiquement le regard. Dès qu’il quitte mes yeux, son regard libidineux s’appesantit sur mes genoux comme s’il désirait se les approprier, les graver dans sa mémoire. J’ai l’impression qu’il souhaite m’accaparer, cela me perturbe fortement.

En fin de soirée, alors que mon père range la cuisine, son ami en profite pour s’asseoir à côté de moi. Je ressens une brutale oppression quand il pose sa grosse main moite sur un de mes genoux. Je n’ose le regarder. Je projette de me dégager de cette salace étreinte quand mon père revient à point nommé, j’ai alors la confirmation des curieux penchants de son ami car il reprend furtivement sa place en face de moi, comme si de rien n’était.

Un soir de mes quatorze ans, la nuit est noire, mes souvenirs sont clairs.

À l’angle d’une avenue non loin du bois de Boulogne, je vois une voiture ralentir, longer ensuite très lentement le trottoir pour finalement stationner, le moteur en marche, feux allumés, comme si le conducteur ou la conductrice cherchait son chemin. Je m’approche donc de cette voiture pour rendre service. Quatre hommes discutent dans la voiture. L’un d’eux ouvre la fenêtre et il me demande : « c’est combien » ?

Je suis naïve à l’époque, je ne comprends pas tout de suite la portée de cette question car je suis en jean et col roulé rouge. Je ne réponds pas et je m’éloigne.

Après coup, je me demande si c’est mon attitude qui a suscité cette question : « c’est combien » ?

Depuis, je ne veux surtout pas avoir des rendez-vous où je dois attendre sur le trottoir.

Aux anicroches suivent les accros

Comme beaucoup d’autres jeunes filles, mon adolescence n’est pas des plus simples. Après avoir divorcé, mes parents se sont remariés mais ils continuent à s’entredéchirer, ils vivent un éternel remake du genre : « Je t’aime moi non plus ». J’en subis les affres, constamment ballotée dans le tourbillon de leur instabilité. Ma mère multiplie les infidélités, elle a l’impudence d’amener ses amants dans l’appartement familial et pousse même le vice en couchant avec un de mes jeunes amis. Non contente de jouer les séductrices, elle est jalouse de voir que je commence aussi à plaire. Alors que mon père est d’une exquise douceur avec moi, elle le transforme en bourreau en l’affriolant pour qu’il me punisse. Sur injonction de ma mère, mon père commence à me battre à outrance : « Je te frappe jusqu’à ce que tu ne puisses plus te relever », dit-il. Ma mère jubile d’orchestrer cette inattendue violence paternelle, elle en use à merci contre moi. Une mauvaise note, la moindre erreur que je commets sont sévèrement sanctionnées. Un jour, alors que je suis dans mon lit, ma mère détruit toute ma chambre parce que je ne lui ai pas répondu quand elle m’a appelée du salon. Je ne reconnais plus mon père, je me sens constamment rejetée. Mes résultats scolaires s’en ressentent, je dois donc quitter le lycée. Je fuis mon nouvel établissement en répétant les absences. Mon père me le reproche, il devient odieux : « Tu es nulle en classe, au moins tu pourras faire pute ». Les agressions verbales, les punitions démesurées s’amplifient à tel point qu’un jour, je décide de claquer la porte, je fuis l’enfer familial, c’est une question de survie.

Livrée à moi-même à dix-sept ans, je dois me construire alors que j’ai un immense besoin de liberté. Cette soif d’insouciance, je l’épanche dans une rencontre avec un homme plus âgé que moi car les jeunes de mon âge ne m’attirent pas. Cet homme s’avère trop possessif alors j’en trouve un autre qui ne me satisfait pas non plus. Je me cherche sans parvenir à trouver ce qui me convient vraiment.

On ne peut pas construire une pyramide sans en établir les fondations. La violence, la permanente insécurité créée par mes parents m’ont rendue fragile, instable, écorchée vive. Je veux donner de l’amour mais je n’y parviens pas car on ne m’en a pas donné, je me sens vite étouffée, à chaque fois, mon immanent besoin d’indépendance et de liberté me pousse à interrompre la relation par peur de m’y noyer.

Par moment, je retrouve l’insouciance tant recherchée mais elle n’est qu’éphémère car je me brûle en elle, je veux croquer la vie à pleines dents mais je tire beaucoup trop sur la corde en cumulant le travail avec de longues soirées festives. Je suis très irritable, j’ai parfois de grosses colères inappropriées, je suis euphorique ou je me sens angoissée, je vis dans l’excès des deux. Je ne vais pas bien, en fait.

Peu après mes dix-neuf ans, ma mère me préconise de consulter un de ses amis psychiatres. Comme je refuse tout ce qui vient de ma mère, je ne le consulte pas dans un premier temps mais je finis par me rendre compte que j’ai besoin d’une aide extérieure car je suis épuisée psychiquement. Je vais donc voir ce psychiatre, je suis vulnérable, il le sent, il s’en réjouit même. Au début, il fait mine de m’écouter, de s’intéresser à mon cas, je commence à me sentir en confiance avec lui. Au bout de quelques séances, il me demande de venir consulter chez lui, j’acquiesce. Sous un prétexte fallacieux, il m’impose des rendez-vous en toute fin d’après-midi. Un soir chez lui, il me propose à boire de l’alcool, comme si de rien n’était. Je n’ai encore jamais bu d’alcool. Je ne sais pas pourquoi j’accepte d’en prendre.

Il me fait boire deux verres de gin, je ne sais plus du tout où je suis. Il profite bassement de mon trouble pour se montrer d’un coup très prévenant, je le repousse trop timidement, trop naïvement. Je sens le danger trop tard car il me force de la plus dégradante des manières. Je quitte son appartement en courant comme une fugitive sans pleinement réaliser ce qui vient de se passer. Je me trompe de direction pour rentrer chez moi. Je monte quatre à quatre les escaliers de mon immeuble puis je m’enferme à double tour. Je vomis à plusieurs reprises. En position fœtale dans mon lit, je reste prostrée toute la nuit, frigorifiée, le rideau de ma vie s’est brusquement déchiré. En quelques minutes, ce salaud m’a dévastée. Le lendemain matin, après une nuit sans sommeil, je me sens atrocement souillée. Je suis perdue, anéantie. J’ai honte de m’être laissée aussi facilement piégée.

Les jours qui passent élargissent ma blessure. J’ai l’impression d’être un vase brisé en mille morceaux. Au bord du gouffre, je pense à disparaître de cette vie, je veux que la vie m’oublie. Pour tenter de m’assembler, pour échapper à cette soudaine détresse, je me retranche en moi-même mais le constat est là ; loin de remonter la pente, je me suicide à petit feu en m’enfouissant dans une double addiction drogue/alcool pour me vider la tête. Je passe quelquefois des jours sans manger puis tout à coup, j’engloutis des quantités phénoménales en quelques minutes, je me fais vomir ensuite car je me sens toute gonflée. Je ne vois plus grand monde, je me réfugie dans les nuages du silence de l’oubli.

Psychiatres ou maniaques ?

Des années plus tard, à l’heure où j’écris ces lignes, je veux savoir si je suis la seule à avoir été lâchement abusée par un psychiatre qui m’a bousillée et m’a précipitée dans l’addiction.

Suis-je un cas isolé ?

En 20111 : « Un psychiatre de 57 ans a été condamné à six ans de prison pour viols et agressions sexuelles (…) sur deux de ses anciennes patientes (…) la première jeune femme (…) soignée pour dépression et un début d’addiction à l’alcool, la jeune femme avait appelé (…) le médecin lors d’une crise d’angoisse. L’homme lui avait demandé de venir à son domicile (…) la patiente de 22 ans s’était rendue “une trentaine de fois” (…) au domicile du psychiatre qui lui proposait du whisky avant d’abuser d’elle, selon l’accusation (…) le psychiatre avait nié ces accusations ».

Plus récemment, un psychiatre de la Côte d’Azur est radié par le Conseil de l’Ordre pour avoir abusé sexuellement d’une de ses patientes2 : « H… sortait d’une tentative de suicide quand elle a consulté le docteur (…) elle avait 23 ans (…) elle était fragile et vulnérable : “Dès la deuxième séance, il m’a massé la poitrine avec une huile d’amande douce” (…) sous emprise, la patiente consent à des relations sexuelles pendant les consultations payantes qui dureront 4 ans (…) “J’étais en grandes difficultés et cette relation n’a fait que me dévaloriser (…) me pousser au suicide tant j’étais sous emprise, mais je veux aussi éviter qu’il y ait d’autres victimes” ».

Le vendredi 26 novembre 2021, un psychiatre a été radié par le Conseil de l’Ordre des Médecins. Il travaillait à Pont-L’Évêque, il était accessoirement youtubeur avec 48 000 abonnés. Deux femmes avaient formé un recours auprès du Conseil de l’Ordre des médecins3 : « Il lui était reproché d’avoir eu des relations intimes avec trois de ses patientes affectées par des états de fragilité psychologique, relations présentées par les intéressées comme “des relations soumises et contraintes” (…) les femmes avaient porté plainte au pénal, une information judiciaire a été ouverte mais le psychiatre n’a pas été mis en examen.

Le Conseil de l’Ordre n’a pas été de cet avis et a radié le médecin : “Ces actes mettent en évidence un mode opératoire comparable, dont il peut être déduit que les imputations (…) présentent un degré de vraisemblance élevée”, indique la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre “Outre le fait que le médecin doit (…) s’abstenir de tout comportement ambigu, en particulier à caractère sexuel, le (médecin) a profité de sa situation d’ascendant moral vis-à-vis de patientes psychologiquement sensibles (…) il y a lieu de retenir qu’en sollicitant des faveurs sexuelles en profitant de leur état de faiblesse psychique, le comportement du (médecin) caractérise des manquements particulièrement graves au principe de moralité, de probité et d’honnêteté prescrits par le code de déontologie médicale” (…) le médecin affirme que ces actes étaient “le prolongement de relations amicales et sans contraintes (…) qu’elles sont devenues des amies, des proches et même des confidentes” ».

La défense de ce médecin m’apparaît comme révélatrice de sa duperie. Il use de sa position de force pour placer sous emprise ses patientes afin d’ensuite assouvir ses fantasmes de domination. Persuadé de sa totale impunité, il fait croire que les relations sont consenties alors qu’il n’a fait que profiter de la vulnérabilité de ses patientes, venues pour simplement chercher soutien et réconfort.

Dans une autre affaire4 : « Une enquête suit depuis onze ans le parcours judiciaire semé d’embûches de J. agressée et violée par son psychiatre (…) le documentaire s’articule autour de l’enquête au long cours du coréalisateur Xavier Deleu qui suit depuis onze ans J. (…) alors qu’elle portait plainte pour viols répétés contre son psychiatre (…) Les images des entretiens d’hier se mêlent à ceux d’aujourd’hui, réalisées par Julie Pichon (…) Face à la caméra, J. se remémore à haute voix les propos de son thérapeute “Vous sentez que je vous désire J. (…) je suis en train de bander (…) il me prend la main et il la met sur son sexe. Et là, nous sommes passés à l’acte” (…) depuis la coréalisatrice filme le long parcours judiciaire de J. le premier non-lieu, la non-prise en compte de “la relation d’autorité” (…) le jugement en appel alors que J. est devenue SDF ».

En 20135 : « Le Conseil national de l’Ordre des médecins vient de radier à vie un psychiatre de Metz accusé par l’une de ses patientes de viols et agressions sexuelles entre 2008 et 2010. “Il a abusé de l’état d’extrême fragilité psychologique de ma cliente”, résume Maître G… l’avocat de D… (…) “Elle est allée le consulter pour un problème de dépendance affective aux hommes. Au lieu de l’en soigner, il en a profité et l’a détruite”, insiste l’avocat (…) “Il a assujetti ma cliente à des pratiques sexuelles déviantes et lui a même supprimé ses médicaments car ceux-ci diminuaient sa libido !” enrage Maître G… (…) “Très vite, il a commencé à m’embrasser. Il m’a placée sous son emprise, comme un gourou. C’était d’autant plus facile que pour ma thérapie, je lui confiais absolument tout (…) il me faisait descendre dès qu’il en avait envie” poursuit D… (…) qui a enchaîné les tentatives de suicide depuis, elle “veut qu’il soit puni” (…) une autre procédure au civil est en cours. Paradoxalement, la justice pénale, elle, n’a pour l’instant pas bougé. Une première plainte a été classée et l’instruction en cours piétine (…) de son côté, le praticien mis en cause annonce qu’il va faire appel de sa radiation au Conseil d’État ».

En 20226 : « Un psychiatre parisien poursuivi pour viol. Mis en examen pour viol, le psychiatre a reconnu l’existence de rapports sexuels “consentis” avec une de ses patientes “qui serait tombée amoureuse de lui” (…) le praticien avance être lui-même “tombé sous le charme de sa patiente”. Des mois que M., 23 ans, souffre de crises d’angoisse qui l’empêchent de vivre normalement. Elle se sent mal à l’aise dans les lieux publics, ne parvient plus à se concentrer à son travail. La jeune femme est même traversée par des idées suicidaires ».

En novembre 20237 : « Un médecin psychiatre était jugé (…) pour des faits d’agression sexuelle sous hypnose commis sur deux patientes en 2016 et 2020 (…) après plusieurs séances et une mise en confiance, le psychiatre leur prenait la main et leur demandait de se laisser aller puis il abusait d’elles sous hypnose (…) le psychiatre s’est défendu en expliquant que ces femmes ont eu “des souvenirs liés à des souffrances du passé qui ont ressurgi et qu’elles ont reconstruit ces souvenirs” ».

En décembre 20238 : « Un psychiatre condamné à huit ans de prison pour des viols sur une ancienne patiente (…) lorsqu’elle a rencontré le psychiatre, la victime était âgée de 28 ans (…) “Au fil du temps, il m’a demandé de faire des photos de nus, pour soigner mon anorexie”, a-t-elle expliqué. “Les viols ont commencé à la deuxième séance, il m’a violée pendant plusieurs années, je pensais qu’il avait raison” (…) Mis en cause A. n’a jamais contesté cette relation, au contraire. L’intéressé a soutenu qu’elle était consentie “Je n’ai jamais senti chez elle quelque chose de contraint, j’étais amoureux d’elle” a-t-il expliqué (…) les observations des experts psychiatres qui l’ont examiné ont relevé chez lui “une absence totale d’affect”. Pointant la “grande malhonnêteté” du psychiatre qui se trouvait dans une posture “de toute-puissance” vis-à-vis de sa patiente ».

En mars 20249 : « Un psychiatre abuse d’une jeune patiente : le Conseil de l’Ordre radie, la justice traîne. En décembre dernier, D… a été interdit d’exercer pour avoir entretenu une liaison avec une jeune patiente en état de “grande vulnérabilité”, une sanction rare. En revanche, malgré des éléments accablants, l’enquête judiciaire est au point mort ».

À la lumière de toutes ces affaires, inutile de dire que je suis loin d’être la seule victime de la perversité d’un psychiatre. J’éprouve un sentiment de colère contre ces médecins qui profitent de leur pouvoir pour s’arroger un droit de propriété sur le corps de leurs jeunes patientes déjà fragiles. C’est immonde d’exploiter nos faiblesses pour ensuite faire croire que les relations sont consenties comme s’il s’agissait de banales intrigues amoureuses. J’observe que la justice ne s’empresse pas de poursuivre les médecins incriminés.

De mal en pis

L’aube de mes 22 ans s’inscrit sous de meilleurs auspices car je tombe amoureuse, follement, éloignant pour un temps mes douloureux souvenirs. Mais la chute est brutale, l’idylle ne dure pas car mon amoureux a la malencontreuse idée de soudainement partir aux USA.

Je retombe aussitôt dans mes ténébreuses incertitudes. Ma vie personnelle est trop décousue pour m’apporter la stabilité recherchée. Côté travail, je cumule aussi les insatisfactions. Toujours en proie à mes addictions, je consulte d’autres psychiatres qui ne m’apportent rien d’autre que de me renvoyer à ma propre souffrance. À chaque fois, c’est la même chose, à croire que je fais toujours la mauvaise pioche, aucune écoute, des ordonnances longues comme le bras, des rendez-vous hebdomadaires pour me rendre dépendante d’eux et pour l’un d’eux encore une nauséabonde tentative d’approche.

J’en ai assez, je ne me sens ni écoutée ni reconnue, je n’ai pas ma place dans ce monde hostile. Chaque jour, je ressens comme un fardeau toutes ces blessures qui s’accumulent en moi sans que je puisse les évacuer, j’ai envie de définitivement sortir de l’abyssale obscurité de ma vie.

Du sixième étage, je me jette dans le vide.

Je tombe sur une verrière. Douze côtes cassées, une vertèbre aussi, du sang dans les poumons. Il faut retirer ce sang. Un interne en médecine vient dans ma chambre d’hôpital. Sans me prévenir, sans anesthésie, il m’enfonce un trocart dans le poumon. J’ai affreusement mal. Je me demande pourquoi il m’a fait si mal sans m’avertir.

Je reste hospitalisée pendant six mois, dont trois en corset plâtré. À ma sortie, j’ai un rendez-vous programmé avec un psychiatre. Je n’y vais pas car maintenant, je me méfie des psychiatres.

Deux ans plus tard, je rentre précipitamment chez moi après des vacances tumultueuses passées chez mon compagnon de l’époque. Au mois d’août, j’arrive à Paris, vidé de ses habitants. Je décide de quitter ce compagnon qui m’a énormément déçu. Je me sens horriblement mal, seule, abandonnée. J’appelle une thérapeute pour qu’elle me rassure un peu au téléphone.

Au lieu de ça, une demi-heure plus tard, neuf pompiers et policiers forcent la porte de mon chez-moi alors que je regarde la télé. Ils veulent m’hospitaliser de force, pourquoi ? Parce que cette satanée thérapeute les a appelés dans mon dos.

Cela m’énerve tellement que j’essaie de leur résister. Je crie, je m’insurge, je me débats. Je suis chez moi et je n’emmerde personne. Pourquoi veulent-ils me forcer à partir à l’hôpital ?

Sans la moindre explication, ils me prennent par les bras et les jambes, ils me soulèvent et m’emmènent manu militari à l’hôpital, alors que je suis à moitié nue.

Auraient-ils fait ça à un homme ?

Au Centre Hospitalier, sans aucunement m’interroger car je suis cataloguée « psy » depuis ma tentative de suicide, « mon saut de l’ange sur la verrière », on m’envoie de force dans un hôpital psychiatrique, en lointaine banlieue parisienne.

Pour mettre en lumière le fait que la société évolue très lentement dans le respect qu’elle porte à une femme, je reviens sur le passé d’autres femmes ayant connu des traumatismes similaires aux miens. Ainsi, sans vouloir m’identifier à une femme célèbre, je ne peux m’empêcher de voir quelques similitudes entre mon internement brutal et celui de Camille Claudel :

Le 3 mars 1913, le père de Camille Claudel, Louis-Prosper Claudel meurt à Villeneuve sur Fère. N’étant pas informée du décès, Camille n’assiste pas aux obsèques. Le père de Camille lui a toujours donné amour et protection. Dès que le père protecteur meurt, la mère de Camille savoure enfin sa vengeance, la mère de Camille a toujours été jalouse de sa fille, belle femme au port altier, aux yeux d’un bleu profond, à la bouche fière, aux longs cheveux châtains. La mère n’a jamais supporté le génie créatif de sa fille qui a eu l’impudence de braver les conventions en embrassant la carrière de sculpteur qui n’a à l’époque pas d’équivalent au féminin, une fille qui vit seule, célibataire sans enfants.

Camille vit cloîtrée, elle est parfois en proie à des crises de rage, elle détruit ses œuvres. Le 7 mars 1913, soit le lendemain des obsèques du père, la mère de Camille Claudel fait une demande d’internement avec l’assentiment de Paul Claudel, écrivain et frère de Camille. Le docteur Michaux rédige le certificat d’internement10 : « Le 10 mars, deux infirmiers musclés s’arrêtent devant l’hôtel particulier où loge Camille Claudel. Celle-ci a barricadé la porte. Qu’à cela ne tienne, les deux infirmiers cassent les carreaux d’une fenêtre et ils passent par celle-ci. Camille hurle. Qu’importe, les infirmiers la jettent dans le fourgon qui l’amène à l’asile d’aliénés de Ville-Evrard ».

Malgré son génie créateur, Camille restera internée jusqu’à la fin de sa vie dans un asile psychiatrique. Comme d’autres, je préfère utiliser le terme de « séquestration », voire « d’incarcération », Camille est séquestrée, incarcérée.

Durant la guerre, alors que la mère de Camille est fortunée, Camille est transférée dans des cellules de troisième classe à l’asile de Montdevergues, à Montfavet dans le Vaucluse. Malgré ses supplications, Camille continue à être internée sur la seule volonté de sa mère qui s’oppose de toutes ses forces à sa sortie. Sa mère lui interdit les visites : « Quand elle était chez elle, elle ne recevait personne (…) pourquoi maintenant ne pourrait-elle se passer de visites ? » écrit-elle au directeur de l’asile11. La correspondance de Camille est saisie et détruite. À la mort de sa mère, c’est son frère Paul qui prolonge le supplice de Camille. Paul est désormais un diplomate et un écrivain de renom, faire sortir sa sœur pourrait entacher sa réputation. Dans l’indifférence générale, Camille restera enfermée jusqu’à sa mort de malnutrition, trente ans plus tard. Sa famille ne fait pas le déplacement pour ses funérailles, Camille est jetée dans une fosse commune.

Qui a brisé la vie de Camille Claudel en la faisant hospitaliser à vie en asile psychiatrique ?

D’abord, la jalousie d’une mère constamment dépressive qui a banni sa fille. Puis son frère Paul, fervent catholique qui veut que sa sœur expie son avortement. Paul entretient des relations houleuses avec sa sœur, il abhorre Auguste Rodin. Paul Claudel écrit de Rodin¹¹ : « Un démon qui flaire la merde avec un nez énorme comme la racine d’une trompe, comme un groin de cochon ». En écrivant à une amie qui a avorté, il ajoute à propos de sa sœur¹¹ : « Sachez qu’une personne de qui je suis très proche a commis le même crime que vous et qu’elle l’expie depuis vingt-six ans dans une maison de fous. Tuer un enfant, tuer une âme immortelle, c’est horrible ! C’est affreux ! Comment pouvez-vous vivre et respirer avec un tel crime sur la conscience… ».

La mère et le frère ont scellé l’atroce internement de Camille avec la complicité des psychiatres.

Quel était le tort de Camille ?

De n’avoir reçu aucune affection de sa mère autoritaire qui la rejetait ? D’être admirée par son père, ce qui irritait profondément sa mère ? D’être déprimée à la suite de sa rupture avec le sculpteur Auguste Rodin ?

Rupture en partie consécutive à l’avortement de Camille, dont la maternité est refusée par Rodin qui ne reconnaît pas ses enfants illégitimes. Le Professeur Lhermitte, neurologue, annonce qu’elle est atteinte d’un délire paranoïaque de persécution. Camille Claudel n’est pas forcément folle, c’est une femme libre dans une société d’hommes, elle a le culot de sculpter des nus avec la même liberté que les hommes, heurtant la morale sexiste. Exubérante et excessive certes, mais surtout profondément meurtrie par la fin brutale d’une passion amoureuse où elle a eu l’impression d’avoir été manipulée par son mentor qui a profité d’elle, de son génie, de son corps, sans jamais quitter sa maîtresse attitrée alors qu’il a promis d’épouser Camille. Camille souhaite une relation exclusive avec Rodin qui lui refuse, continuant à partager sa vie avec sa compagne Rose Beuret. Camille est laminée par les énormes problèmes financiers qui suivent cette rupture, les commandes de sculpture se faisant alors de plus en plus rares. Son amour pour Rodin se transforme en une haine farouche contre lui, alimentée par des idées paranoïdes dans lesquelles elle se mure. N’est-elle pas tout simplement « border line » ?

Cela vaut-il un enfermement de 49 à 79 ans ?

Hôpital psychiatrique, l’enfer existe

Dans les suites de mon bref séjour aux urgences du Centre Hospitalier, je suis donc internée dans cet hôpital psychiatrique, situé en lointaine banlieue parisienne. Comme c’est le 15 août, qu’aucune chambre n’est disponible et qu’il n’y a soi-disant pas de médecins, je suis d’emblée mise en chambre d’isolement.

On me confisque ma montre, mon précieux smartphone, mes cigarettes, je dois retirer mes sous-vêtements. Je me retrouve trois jours dans cette sordide chambre d’isolement dit « le cabanon ». C’est une pièce entièrement vide, hormis un lit avec des barreaux et trois sangles, deux pour les membres supérieurs et inférieurs, une pour le bassin, histoire de me faire comprendre que si je ne suis pas sage, on pourra aussi me sangler. Les murs et la porte sont entièrement matelassés pour éviter que je me blesse en me tapant la tête. La porte est munie d’un judas situé à l’extérieur pour que le personnel m’observe à loisir, elle est verrouillée de l’extérieur, rien de pire quand on souffre de claustrophobie. Le personnel la ferme à double tour, depuis, je ne supporte plus d’entendre le bruit d’une clé tourner dans une serrure.

Je n’entends plus aucun bruit extérieur, ma seule distraction : observer languissamment le clignotement discontinu des néons du plafond, allumés jour et nuit. Sans montre ni smartphone, je perds toute notion du temps. Pieds nus et en tee-shirt, je meurs de froid. Comme la lumière est constante, je ne parviens pas à dormir. La privation de sommeil, une torture moderne qui ne laisse pas de trace, très efficace pour détruire encore plus une jeune femme désemparée.

Je perds tous repères, j’en ai toujours eu besoin car ils me rassurent en balisant ma journée. Je n’entends plus rien d’autre que toutes les pensées horribles qui tournent en boucle dans ma tête, je perds tout contact avec l’extérieur, je ne peux parler à personne d’autre qu’à moi-même car je n’ai pas le droit aux visites des proches. Je n’ai aucune possibilité d’exprimer mon désaccord, je suis bâillonnée. On me noie dans un océan de silence.

Alors que j’arrive déjà dans un état d’angoisse critique, tous les ingrédients sont réunis pour m’engloutir dans la folie. Vous êtes censée rentrer dans un milieu psychiatrique pour qu’on vous protège, vous rassure. Que nenni ! c’est tout l’inverse, on fait tout pour vous humilier et vous démolir.

Au fait, quelle faute ai-je commise ? Est-ce une faute d’être angoissée ? D’être mal ? On me punit pour une faute que je n’ai pas commise.

Même en garde à vue, on a le droit à un avocat qui est là pour vous défendre, un avocat qui constate vos conditions de détention et qui peut aussi les dénoncer. Alors que je n’ai commis ni crime ni délit, on m’enferme dans ce « cachot », pire, on me réduit au silence sans que personne ne puisse me défendre. On me force à prendre de très fortes doses de neuroleptiques qui m’abrutissent totalement. Ces médicaments rendent ma vue trouble, engendrent une totale confusion en moi, favorisant encore davantage ma désorientation. Quand j’étouffe tellement je me sens oppressée, je dois à chaque fois taper plusieurs minutes sur la porte de la chambre pour qu’un infirmier vienne, ce qui n’arrive que très rarement. Assise au bord du lit, je dois rester d’épuisantes minutes à essayer de trouver de l’air. Il faut mendier pour qu’on ne m’accorde que quatre cigarettes par jour, que je dois fumer pieds nus sur un balcon exigu, entièrement clos d’énormes barreaux rouillés. Je suis obligée de prendre mes repas à genoux par terre car il n’y a ni table ni chaise. En trois jours, j’ai le droit à une seule douche que je dois prendre devant le personnel hospitalier car il n’y a pas de rideau. Mon droit à l’intimité est bafoué, une manière de me faire comprendre que je n’ai plus le droit au respect, que je ne suis qu’une chose à la merci du personnel. Ces trois jours d’enfer dans ce « cabanon » me marquent à jamais au fer rouge.

Ce que je vis dans cette chambre d’isolement est à des années-lumière des recommandations sur l’isolement de la Haute Autorité de Santé12. Viennent en premier les indications à l’isolement :

– Procurer un espace de faible stimulation afin de permettre une diminution de la tension interne de la patiente. Pour moi, cela a été tout l’inverse.

– Prévention d’une violence imminente de la patiente avec un risque grave pour l’intégrité de celle-ci ou d’autrui. J’étais tout à fait calme quand on m’a mise en chambre d’isolement.

– En dernier recours pour une durée limitée et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque, après une évaluation de la patiente.

J’hallucine en faisant le parallèle entre mon cauchemar et ces douces recommandations.

La suite n’est pas mal non plus !

Modalités de mise en œuvre de l’isolement :

– Il est indispensable, au moment de la mise en place de la mesure d’isolement, de donner à la patiente des explications claires concernant les raisons de l’isolement et les critères permettant sa levée.

– Les sevrages sont pris en compte en proposant des traitements substitutifs, notamment pour le tabac.

– Une patiente en isolement doit pouvoir garder ses vêtements et certains objets personnels ayant une signification pour elle, ou être en pyjama pour sa sécurité.

– L’espace d’isolement est équipé de moyens d’orientation temporelle ; heures, dates, nouvelles ou informations. Il est équipé d’un dispositif d’appel toujours accessible par la patiente. Il inclut un éclairage qui peut être contrôlé par la patiente. Il est bien isolé et ventilé avec un contrôle de la température à l’extérieur de la pièce. Il ne doit pas être fermé à clé.

– La mesure d’isolement doit respecter les droits des patientes à la dignité et au respect de leur intégrité personnelle.

– L’indication doit être limitée à douze heures, si l’état de santé le nécessite, la décision et la fiche de prescription doivent être renouvelées dans les douze heures. En cas de prolongation, la décision et la fiche de prescription doivent être renouvelées toutes les vingt-quatre heures. Les isolements de plus de 48 heures doivent être exceptionnels.

– Un entretien et un examen médical sont réalisés au moment de l’isolement.

– La surveillance de l’état psychique de la patiente par l’équipe soignante se fait au moins toutes les heures et peut aller jusqu’à une surveillance continue.

– La patiente bénéficie au minimum de deux visites médicales par 24 heures.

C’est bien simple, tout ce qui est énuméré ci-dessus n’a jamais été appliqué pour moi.

Je suis atterrée de lire l’énumération des contre-indications de l’isolement13 :

– Jamais pour punir, infliger des souffrances ou de l’humiliation ou établir une domination.

– En aucun cas pour résoudre un problème administratif, organisationnel, ni répondre à la rareté des professionnels.

Je suis restée trois jours sans voir un ou une psychiatre car soi-disant il n’y en avait pas de disponible, je suis rentrée en isolement car il n’y avait pas de lits vacants lors du pont du 15 août, je n’ai eu aucune évaluation pendant trois jours. Je reste persuadée qu’on a fait ça pour me punir, m’humilier et me faire souffrir, on y est totalement parvenu car ce fut le pire cauchemar de ma vie. Bravo !

Mon enfer est malheureusement partagé par de nombreux autres patients/es. Dans l’Ain¹³, un centre psychiatrique a été visité : « Dans un rapport en 2016, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a constaté le cas d’une jeune femme de trente ans qui était depuis un an en chambre d’isolement, les quatre membres attachés mais qui par contre, était autorisée à rentrer tous les week-ends chez elle où elle vivait normalement, allait chez le coiffeur. Des prescriptions de contention ou d’isolement sont parfois renouvelées sans examen systématique du patient, parfois même à des fins disciplinaires » (…) « On n’a pas l’impression d’être des barbares, estiment les responsables. Pour une capacité de 412 lits, le centre comprend 46 chambres d’isolement dont 35 sont utilisées en permanence. Seules certaines de ces 46 chambres sont équipées d’un bouton d’appel dont beaucoup ne fonctionnent pas. Les malades n’ont d’autre recours que de crier ou de taper sur les portes pour appeler ou pour ceux qui sont attachés d’attendre le passage d’un infirmier pour boire ou aller aux toilettes. Certains patients y sont attachés à un fauteuil ou à leur lit jusqu’à 23 h par jour ».

Toujours dans ce centre psychiatrique, un rapport édifiant du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) constate ceci14 :

– Toutes les unités de ce centre sont fermées. Elles ont toutes une cour intérieure close qui n’est accessible qu’à certaines heures de la journée et seulement à certains patients, en fonction de l’autorisation médicale. Pour la majorité des patients, l’accès à la cour intérieure est limité à deux fois une demi-heure par jour. L’accès au parc de l’hôpital est encore plus restreint (…) Il est interdit de fumer plus de quatre cigarettes par jour. Dans les unités les plus fermées, il est interdit de fumer. Le port du pyjama est obligatoire pendant toute la durée du séjour, il est interdit aux patients de conserver dans leur chambre leurs affaires personnelles (…) Dans le meilleur des cas, les patients ne sont enfermés que dix-neuf heures par jour dans leur chambre.

– Des placards sont fermés dans les chambres sans que les patients n’en détiennent la clé et un accès aux affaires personnelles restreint, nécessitant l’intervention des soignants conformément à la prescription médicale.

– La pratique habituelle du maintien de certains patients dans leur chambre fermée, jour et nuit.

– Des « prescriptions » médicales d’enfermement et de contention renouvelées pendant plusieurs mois et dans certains cas, sans examen systématique du patient.

– Dans les chambres, aucun espace n’est à l’abri du regard extérieur. Les douches, une pour deux chambres, sont des cabines sans portes ni rideaux, imposant aux patients de se laver sous la surveillance directe des soignants.

– Dans l’une des unités, une personne est isolée, attachée depuis une période indéterminée, certains des soignants interrogés ont répondu n’avoir jamais vu cette personne en dehors de la chambre d’isolement, alors qu’ils sont en poste dans l’unité depuis plusieurs années.

– Pour certains patients, pendant des mois également, voire des années, des patients subissent une contention au lit ou au fauteuil, jusqu’à vingt-trois heures par jour.

Le quatrième jour de mon hospitalisation, j’ai enfin le droit de voir une psychiatre. Elle m’interroge quelques minutes. Quelles conclusions peut-elle tirer sur moi qui suis totalement ravagée puisque je viens de passer trois jours et demi dans l’enfer de l’isolement ?

C’est là que je comprends tout le sens du mot aliéné, il ne s’agit pas d’aliénation mentale mais bien d’aliéner la liberté des patients/es qui sont déjà en grande souffrance.

Comme je prends constamment sur moi pour garder mon calme, on m’autorise enfin à regagner une chambre normale. Il faut faire profil bas pour essayer de sortir au plus vite de cet endroit angoissant où je côtoie des délinquants, des psychopathes et d’autres individus louches qui me reluquent bizarrement.

Je demande quels sont mes droits, on me répond : « Vous avez le droit d’émettre ou de recevoir des courriers, de consulter le règlement intérieur, d’exercer votre droit de vote et de vous livrer aux activités religieuses de votre choix. D’accord, ai-je le droit de sortir d’ici ? Non car vous êtes en HO. En HO ? Oui en Hospitalisation d’Office. Ah et c’est quoi ? Vous êtes ici car vous avez dû être un danger pour l’ordre public. Ah bon ? Non, je regardais la télé chez moi et quand pourrai-je sortir ? Il faut attendre la décision du Juge des Libertés et de la Détention. Il faut attendre la décision d’un juge ? Oui. Et quand le juge décide-t-il ? Au bout de 12 jours d’hospitalisation. Ah et s’il refuse que je sorte ? Si vous devez être maintenue ici, je crois qu’après c’est tous les mois qu’il y a une nouvelle réévaluation. Tous les mois ? Oui, je crois ».

Je suis stupéfaite, mon séjour ici est suspendu à la décision d’un juge de la détention, un juge ? Mais pourquoi un juge ? Quel crime ai-je commis ? Ce ne sont même pas les médecins qui décident. Et s’il y a un jugement, où est mon avocat ?

Le cauchemar de Frances

Je ne perçois pas de changement notoire de la condition féminine car vingt ans après le cauchemar de Camille Claudel, une autre femme a misérablement vécu la même horreur des années durant :