La Belle de Carnac - Gisèle Guillo - E-Book

La Belle de Carnac E-Book

Gisèle Guillo

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Beschreibung

Des disparitions mystérieuses mènent à d'étranges découvertes.

Un enfant est enlevé en plein Paris. Sa mère disparaît à son tour. L’affaire est d’autant plus excitante qu’elle fleure bon le scandale politique. Mais attention ! Une affaire peut en cacher une autre…
Pour Vincent, chargé d’obtenir une interview à sensation, un jeu de piste commence qui va de la vieille ville de Genève à la baie de Carnac et à ses célèbres menhirs. La poursuite est jalonnée de découvertes étranges, de dangers aussi, lorsque le traqueur se rend compte qu’il est lui-même traqué.

De la Suisse à la Bretagne en passant par Paris, suivez cette enquête sous forme de jeu de pistes !

EXTRAIT

« Il a suffi de quelques instants d’inattention de la nurse, occupée à se faire servir à la pâtisserie, pour que le petit garçon (cinq ans) disparaisse. Bien qu’ils soient en instance de séparation, le ministre Backermann et sa femme conjuguent leurs efforts pour aider la police à retrouver leur enfant. »
— Conjuguent leurs efforts… Tu parles !
Dans toutes les salles de rédaction, les épisodes rocambolesques du divorce du ministre étaient un secret de polichinelle. Quant à la lutte féroce qu’ils se livraient, sa femme et lui, pour obtenir la garde de leur fils unique, elle faisait les choux gras de la presse “people”. Tout ministre qu’il était, Georges Backermann pouvait bien remuer ciel et terre, sa femme lui avait échappé.
— À moi aussi, elle a échappé, se dit Vincent. Mais pas pour longtemps !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gisèle Guillo fait partie des Bretons de Paris : carrière parisienne mais fidèle à ses racines bretonnes, notamment à Arradon où elle fait de fréquents séjours. Agrégée de Lettres Modernes, elle a enseigné la littérature comparée et la linguistique, a publié des ouvrages scolaires et universitaires. Elle finit par succomber à sa passion pour la littérature policière et signe ici son quatrième polar.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Nous remercions tout particulièrement les Editions YCA à Quimper pour leur participation (photo de couverture) et vous recommandons leurs magnifiques cartes postales.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

La sonnerie la fit sursauter. Elle ralentit un peu. Sa main gauche se fit plus ferme sur le volant, tandis que, de la droite, elle tâtonnait précautionneusement sur le siège, vide, du passager. Elle saisit le portable, le colla à son oreille :

— J’écoute…

— C’est moi.

Enfin ! Un bref instant, elle se prit à imaginer le visage de cette inconnue dont la voix commençait à lui devenir familière, une voix féminine, un peu flûtée, avec des accents presque enfantins.

— Où êtes-vous ?

— J’approche. Attendez un instant…

Elle doubla une camionnette, revint sur la voie de droite, reprit son portable.

— Allô ? Excusez-moi, je dépassais…

— Je voulais dire… Où êtes-vous exactement ? La voix était devenue coupante, teintée d’impatience.

— À quelques kilomètres…

— Précisez davantage.

— À peu près à trois kilomètres du poste-frontière. Je viens de voir le panneau. Crassier, c’est bien cela ?

Elle avait dû trahir la nervosité qui la gagnait car le ton de son interlocutrice se fit apaisant.

— C’est bien cela. Détendez-vous, les douaniers suisses se concentrent sur les postes de l’autoroute. On en voit rarement à Crassier. Votre passager ?

— Attaché, à l’arrière. Il dort Je lui ai donné ce qu’il fallait.

— Vous êtes sûre de ne pas avoir été suivie ? Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.

Il y avait bien cette voiture sombre, haute sur pattes, qui roulait derrière elle depuis un moment…

— Je ne crois pas, dit-elle.

— Je vous demande si vous en êtes sûre.

Il y avait de l’agacement dans la voix.

— J’en suis sûre.

— Voici les instructions, reprit son interlocutrice. Immédiatement après Crassier, prenez la direction de Signy, c’est un centre commercial. Garez-vous sur le parking du premier niveau. C’est là que s’effectuera le changement.

— Ensuite ?

— Ensuite, vous serez prise en charge. On s’occupe de tout. Où êtes-vous maintenant ?

— Tout près. Je vois le poste-frontière… Attendez ! Ne quittez pas !

— Qu’y a-t-il ?

— Des douaniers !

— Des douaniers ou des policiers ?

— Je ne sais pas ! Ils font stopper la camionnette devant moi ! Le conducteur montre ses papiers… Ils vont me demander les miens !

Son interlocutrice la coupa de nouveau :

— Ne vous énervez pas ! Faites ce que je vous dis. Ralentissez pour passer le poste. On arrête rarement deux voitures de suite. Surtout conduisez normalement.

— Je ne peux pas !

Ses mains tremblaient sur le volant. Elle étouffa un sanglot. Si près du but ! C’était trop bête…

— Je ne peux pas !

Elle se rendit compte qu’elle avait crié. L’inconnue revint à la charge :

— Votre moteur a changé de régime. Que faites-vous ?

— Je fais demi-tour…

— Ne faites pas cela ! Vous allez vous faire prendre. Vous allez tout faire rater !

— Je ne peux pas !

Le pied de Vincent écrasa la pédale de frein. Crissement de pneus. Le quatre-quatre s’était arrêté net. Sans dévier d’un pouce de sa trajectoire.

— Un bon achat, cette “Toyota”…

Devant lui, la Peugeot venait d’opérer une marche arrière audacieuse, barrant la route en perpendiculaire. Ébahi, Vincent la vit foncer en sens opposé. Il n’eut que le temps de donner un coup de volant brutal vers le bas-côté de la route.

— Elle a vraiment failli me rentrer dedans ! Qu’est-ce qui lui prend ?

Pas de temps à perdre… Un demi-tour éclair, la “Toy” virait sur place.

— Une belle bête, décidément.

L’une derrière l’autre, les deux voitures refaisaient le chemin en sens inverse, vers Divonne, roulant dans une avenue bordée de jardins. Vincent réussit à lire le nom de la rue : avenue du Mont-Blanc. Devant lui, la conductrice conduisait de plus en plus lentement, son portable collé à l’oreille… Vincent était si attentif qu’il se parlait à lui-même.

« On lui donne des instructions… Est-ce qu’elle va essayer de passer la frontière ici ? Dangereux, ça ! Après sa manœuvre en catastrophe, les douaniers doivent être en alerte… »

La Peugeot tourna à droite, vers le centre-ville et Vincent la vit se garer sur le parking central devant le supermarché Casino. Trois places plus loin, il en fit autant. La conductrice ne descendait pas.

— Elle attend quelqu’un.

Il attrapa son Leica mais n’eut pas le temps d’ajuster le viseur : le portable sonnait. C’était Jean-Luc.

— Ça se passe comment ?

— Bizarrement. Elle a essayé la frontière à Crassier. Au moment de passer, elle a fait demi-tour.

— Où êtes-vous, en ce moment ?

— À Divonne, sur le parking central. Pour le moment, elle ne quitte pas sa voiture.

— Qu’est-ce que c’est la voiture ?

— Une 307 bleu métallisé, flambant neuf. Elle est toujours à l’intérieur, elle attend.

— Elle t’a repéré ?

— Je ne crois pas.

— Tu es sûr que c’est bien elle ?

— À quatre-vingt-dix pour cent. Mais, jusqu’à présent, je n’ai pu la voir que de dos.

— Tu as fait des clichés ?

— Bien sûr ! De la plaque d’immatriculation aussi. Au fait, rappelle le détective. Essaie de savoir si elle a pris contact avec quelqu’un du Morbihan. La voiture est immatriculée cinquante-six. Attends, elle reprend son portable, on a dû l’appeler. Elle redémarre. Je coupe.

La Peugeot venait de rejoindre la file de voitures qui roulait vers la sortie de Divonne, vers le poste-frontière. Vincent se faufila à sa suite. La plupart des voitures portaient des plaques de la Confédération. Rien d’étonnant. Vincent savait que, de toute la “Côte” vaudoise, on venait volontiers faire ses courses du côté français, à meilleur prix.

Les voitures ralentissaient à peine devant les guérites des douaniers. La Peugeot passa sans encombre. Vincent passa à son tour. Mais, à son étonnement, la Peugeot, négligeant l’autoroute, vira à droite. Vincent lut l’écriteau : Chavannes de Bogis.

— Où peut-elle bien aller ?

À ce moment, Jean-Luc rappelait :

— Où en es-tu ?

— On vient de passer la frontière… On arrive à un centre commercial. Elle se gare sur le parking. Attends… J’arrête… Il se passe des choses…

Une voiture venait de se garer à côté de la Peugeot, un coupé Volkswagen immatriculé dans le canton de Genève. La portière s’ouvrit. La conductrice était en plein dans le champ de vision de Vincent : plutôt jeune, brune, physique agréable autant qu’il pouvait en juger. Elle descendit. La passagère de la 307 en fit autant, chaussant immédiatement d’énormes lunettes noires. Mais Vincent avait eu une seconde pour la dévisager. Il jeta un coup d’œil sur la photo qui s’étalait à la “une” du journal posé à côté de lui.

— Plus de doute ! C’est bien elle.

Les deux femmes échangèrent quelques mots et elles tirèrent de l’arrière de la 307 un enfant enveloppé dans une couverture. Puis tout s’accéléra. L’enfant fut installé sur la banquette arrière, une valise passa d’un coffre à l’autre. La conductrice de la 307 abandonna son véhicule – Vincent nota qu’elle n’avait pas verrouillé la portière – et monta dans la Volkswagen qui démarra aussitôt. Le changement de voiture n’avait pas duré plus de deux minutes. Pas une seconde à perdre : contact, démarrage en trombe vers l’autoroute en direction de Genève.

Sitôt sur l’autoroute, la VW accéléra. Vincent suivait, tout en prenant soin, parfois, de se laisser distancer pour ne pas se faire remarquer, ce qui n’allait pas sans difficulté : la VW changeait souvent d’allure et opérait des dépassements-surprises. On entra dans Genève.

Ce fut peu après le parc Mon Repos que les choses se gâtèrent.

On roulait au pas sur le quai du Mont-Blanc, ce qui permettait d’admirer au passage la perspective du quai Gustave-Ador, le bout du lac et le jet d’eau.

Tout à coup, la VW prit à droite l’une des rues populeuses qui montent vers la gare Cornavin. De justesse, Vincent réussit à suivre. Il n’était pas au bout de ses peines. Tours, détours, retours en arrière, à coups de virages pris in extremis.

La conductrice de la VW connaissait Genève comme sa poche !

— Pas de doute, elles essaient de me semer ! Elles vont trouver à qui parler !

Quand on est grand reporter, on est souvent obligé de se conduire comme les paparazzi. Vincent avait une riche expérience de la “filoche” et, à ce jeu-là, il gagnait toujours !

On roulait maintenant à vive allure dans un quartier inconnu de Vincent : une longue rue, droit vers le Salève… Virage à gauche… On franchit le Rhône…

— Qu’est-ce que c’est que ce pont ?

Il n’en savait rien. Il ne se réorienta qu’en arrivant à Plainpalais.

Là, pagaille dans la circulation : le quartier, hérissé d’engins de toutes sortes, était en pleins travaux. Dans les roues de la VW, Vincent faisait du slalom entre les carrefours éventrés, les rues barrées.

Un feu passait au rouge : les deux voitures s’immobilisèrent.

— Ouf !

Brusquement, la VW bondit, grilla le feu, frôla un bac à gravats, enfila une rue adjacente…

Impuissant, à demi-coincé derrière une énorme bétonneuse, Vincent la vit disparaître. Le feu passa au vert. Pendant quelques minutes, il tenta de retrouver la trace, au hasard, dans le quartier. En vain.

Au cours de ses reportage à travers le monde, Vincent s’était constitué une belle collection d’injures dans les langues les plus variées.

Il s’en envoya quelques-unes – corsées – à voix haute. Furieusement.

II

Vincent sortit de sa douche, s’étrilla longuement avec le drap de bain et, avant d’enfiler son peignoir éponge, se planta devant la glace. Margot le taquinait souvent à propos de ce qu’elle appelait une vraie manie. Vincent n’en avait cure, il surveillait attentivement sa ligne. Il se considéra d’un œil critique, fit jouer ses épaules, inspira pour faire rentrer un soupçon de ventre.

« Ça va mais il ne faut pas que je relâche la musculation. »

Il enfila son peignoir et regarda autour de lui. La chambre n’était pas grande mais claire et la fenêtre donnait sur les premiers contreforts du Jura : une vue agréable.

« Et, de toute manière, pour une nuit… »

Il avait hésité avant de décider où loger : Annemasse ? Saint-Julien ? Malgré le trajet, il avait finalement opté pour Divonne.

« Pourquoi ? Parce que je connais. Margot a raison, je suis un homme d’habitudes. »

Il s’assit sur le bord du lit et reprit les clichés qu’il venait de tirer, les rapprocha une fois encore des deux photos qui soulignaient le titre à la une du journal.

« LE FILS D’UN MINISTRE ENLEVÉ EN PLEIN PARIS. » Le journal datait de l’avant-veille mais les photos étaient excellentes, des photos d’archives. En médaillon, Georges Backermann et sa femme, enfin son ex-femme, Christine.

— Pas de doute, c’est bien elle.

Tout était dans le titre qui s’étalait en gros caractères. Quant au contenu de l’article, c’était plutôt mince, juste les circonstances : la sortie d’un « jardin d’enfants », dans une des avenues les plus chics de la plaine Monceau ; le bambin qui réclame une glace… « Il a suffi de quelques instants d’inattention de la nurse, occupée à se faire servir à la pâtisserie, pour que le petit garçon (cinq ans) disparaisse. Bien qu’ils soient en instance de séparation, le ministre Backermann et sa femme conjuguent leurs efforts pour aider la police à retrouver leur enfant. »

— Conjuguent leurs efforts… Tu parles !

Dans toutes les salles de rédaction, les épisodes rocambolesques du divorce du ministre étaient un secret de polichinelle. Quant à la lutte féroce qu’ils se livraient, sa femme et lui, pour obtenir la garde de leur fils unique, elle faisait les choux gras de la presse “people”. Tout ministre qu’il était, Georges Backermann pouvait bien remuer ciel et terre, sa femme lui avait échappé.

— À moi aussi, elle a échappé, se dit Vincent. Mais pas pour longtemps !

Pour la troisième fois, il appela Jean-Luc : toujours occupé ! Il essaya le portable, n’obtint que la messagerie. Et pourtant, il fallait, et d’urgence, en savoir plus. Il grillait d’envie d’appeler “l’agence”, c’est-à-dire le détective privé qui était le “contact” de Jean-Luc. Il renonça. C’était peut-être maladroit… Il se préparait à descendre dîner quand la sonnerie de son propre portable retentit. Jean-Luc le rappelait.

— Alors ? Où en est-on ? C’est bien elle ?

— C’est bien elle, aucun doute là-dessus. Le tuyau de l’agence était bon. J’étais à la gare de Bellegarde un quart d’heure avant l’arrivée du TGV. Je l’ai vue descendre du train.

— Seule ?

— Avec l’enfant.

— Qui l’attendait ?

— Personne ! Il y avait une voiture vide, le long d’un trottoir, près de la gare. Elle y est montée avec l’enfant. Elle avait les clés. Je l’ai prise en chasse, discrètement, et cela nous a menés jusqu’aux environs de Divonne. Première tentative pour passer la frontière à un village, Crassier. Au dernier moment, elle a fait demi-tour.

— Pourquoi ?

— Je n’ai pas vraiment compris. Je pense que quelqu’un lui donnait des consignes par téléphone Elle conduisait, le portable collé à l’oreille. Donc retour à Divonne frontière et, sur un parking, changement de voiture. Elle quitte la Peugeot. Une fille l’attend au volant d’une autre voiture, immatriculée en Suisse…

— Quelle marque la voiture ?

— Une Volkswagen, petite, une “Polo” ou quelque chose comme cela. J’abrège. Cap sur Genève. Et là, je me suis fait avoir comme un débutant. Elles m’ont semé !

Au bout du fil, Jean-Luc, d’ordinaire si maître de lui et de son langage, égrena un chapelet de jurons, à la mesure de sa déception.

— Alors, on repart à zéro !

— Pas tout à fait, fit Vincent. Sur le parking de Divonne, j’ai réussi à prendre des photos…

— De Christine Backermann ?

— Bien sûr. Et aussi de la plaque minéralogique de la voiture. Je viens d’agrandir et – on a de la chance – au-dessous du numéro, il y a le nom du garage où la voiture a été achetée, Garage Rodriguez à Carnac.

— Bravo ! s’exclama Jean-Luc.

— C’est notre seule piste, enchaîna Vincent, mais elle est sérieuse. D’ailleurs, à propos de cette voiture, j’ai besoin de détails supplémentaires. J’ai failli appeler “l’agence”. Je me suis retenu.

— Tu as bien fait. Je te raconte en deux mots. Le détective, il s’appelle Duclos, est fou furieux. Backermann l’avait lancé aux trousses de sa femme. Objectif : obtenir un flagrant délit d’adultère. Fiasco complet.

— Bien fait pour sa pomme ! s’exclama Vincent. Ce type qui a bouffé à tous les râteliers pour parvenir au gouvernement…

— Il vient de virer Duclos sans lui payer un centime… À la rédaction, on a accepté que nous prenions le relais. Duclos me refile les renseignements goutte à goutte. Il sait qu’il risque gros, il sait aussi que nous faisons équipe mais, par prudence, il ne veut qu’un seul interlocuteur, moi en l’occurrence.

— Entendu, dit Vincent. Et pour finir, comment va ta rotule ?

— Bien, d’après le chirurgien. Mais les séances de rééducation ne sont pas une partie de plaisir. Et ce qui est pénible, c’est de ne pas pouvoir circuler librement.

— Voilà ce que c’est que de trop jouer au tennis…

— C’est ce que me répète Anne-Marie.

— Tu l’embrasses de ma part, fit Vincent, avant de raccrocher.

La minute d’après, le portable sonna de nouveau, c’était Jean-Luc.

— J’allais oublier… Quand pars-tu pour Carnac ?

— Dès demain, aux aurores.

III

L’ascenseur arrivait. La porte s’ouvrit… Vincent hésita et la laissa se refermer. Il ressentait le besoin de bouger, de se dégourdir les jambes. Il dévala les marches de l’escalier, déposa sa clé de chambre à la réception et demanda l’adresse de l’Office du tourisme et un annuaire téléphonique :

— Les pages jaunes, de préférence.

Son doigt glissa rapidement, la rubrique des garages n’était pas très étoffée.

Il trouva tout de suite : Garage Rodriguez – 33 rue du Crouesty. Il nota l’adresse, le numéro de téléphone, remercia et sortit. Dehors, le ciel était limpide, l’air étonnamment doux.

— Tu verras, avait dit Margot, lorsqu’il l’avait appelée pendant sa pause-café, le printemps est précoce en Bretagne.

Et il faisait un temps radieux… À peine quelques pas dans l’avenue des Druides et l’Office de tourisme était là. Il entra, se fit donner un plan, puis il tourna à angle droit et prit une rue bordée de villas. Tout au bout, la mer scintillait.

Il n’était pas là pour faire du tourisme, soit, mais après plus de dix heures au volant, quelques pas au grand air avant de partir en chasse, c’était une nécessité.

Il déboucha sur la plage, se laissa tomber sur le sable et, à demi-couché, appuyé sur les coudes, il contempla la baie. La mer était haute. Sur la gauche, le soleil déclinant éclairait les découpures de la pointe de Kerbihan. À droite, dans une poussière de lumière, la baie de Quiberon s’étirait, à peine estompée par le contre-jour.

— C’est beau, n’est-ce pas ?

Vincent se retourna. Derrière lui, sans qu’il s’en fût aperçu, quelqu’un était venu s’asseoir.

Un vieil homme, coiffé d’un béret basque, fixait l’horizon.

— C’est la première fois que vous venez dans la région ?

— Non, répondit Vincent, laconique.

Devant l’air déçu du vieillard, il ajouta :

— Je connais Vannes… Quiberon aussi.

— Ah oui, fit l’autre, Vannes, Quiberon, c’est pas mal, mais ici on a quelque chose d’exceptionnel, les alignements…

— Oui, je sais, coupa Vincent.

L’homme ne se décourageait pas, il avait visiblement envie, besoin peut-être, de parler, fût-ce au premier venu.

— Les alignements, les mégalithes, je vais vous expliquer…

Vincent jeta un coup d’œil à sa montre : presque cinq heures et demie.

Il fallait au plus vite se débarrasser de ce vieux raseur s’il voulait trouver le garage ouvert.

— Excusez-moi, dit-il en se levant, j’ai à faire. Le vieil homme eut un sourire résigné.

— Eh bien, ce sera pour une autre fois.

Vincent, un peu honteux, lui fit un geste d’adieu. Peine perdue. Le vieil homme avait replongé dans sa contemplation solitaire.

Il fallait reprendre la voiture au parking de l’hôtel. Avant de démarrer, Vincent se repéra sur le plan. La rue du Crouesty se trouvait à la sortie de Carnac, tout près de la route d’Auray.

Quelques minutes plus tard, il s’arrêtait à une dizaine de mètres du garage Rodriguez. Modeste, le garage : un grand hangar flanqué d’une annexe vitrée. Le genre d’endroit où on devait connaître tous les clients.

Il entra dans l’annexe où une grosse blonde, boudinée dans une minijupe, téléphonait. Plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’on lui prêtât la moindre attention.

Du hangar voisin parvenaient des vrombissements en saccades. La blonde avait terminé le récit de son week-end, elle raccrocha, haussa les sourcils.

— C’est à quel sujet ?

L’accueil était frisquet. Vincent se fit suave :

— C’est pour une commande…

— C’est monsieur Corrier, le commercial, qui s’occupe des commandes. Il sera là demain matin.

C’était dit sans aménité.

— Mais je voudrais juste des renseignements pour…

— Je vais vous donner un catalogue, coupa la blonde.

— Vous ne me demandez pas pour quel modèle ?

— Mais si, j’allais le faire.

Le ton devenait agressif. Avec un pareil cerbère, le garage Rodriguez ne devait pas faire fortune ! Vincent essaya un sourire.

— C’est pour une 307. Je reviendrai demain.

— C’est mieux parce qu’on ferme.

Derrière lui, des bruits métalliques sonnaient comme des couperets. Il se retourna. Une petite jeune fille claquait des tiroirs, verrouillait des classeurs. La blonde posait des housses sur les machines. Il remercia et battit en retraite.

Pas complètement. Aux aguets dans sa voiture, Vincent vit les deux employées s’éloigner. Il sortit et s’approcha du hangar où un moteur s’emballait.

— Il y a quelqu’un, cria-t-il ?

Dans le hangar, renversé sous le ventre d’une moto, quelqu’un s’activait. Une tête maculée de cambouis apparut. Le moteur s’arrêta. Ouf ! Accoudé sur le sol, un jeune homme en salopette le regardait entrer.

— Salut, dit Vincent, c’est vous le mécanicien ?

— Non, il n’est pas là aujourd’hui, le mécanicien. Moi, je suis l’apprenti. D’ailleurs, c’est fermé.

— Mais vous êtes là… Vous faites des heures supplémentaires ?

L’apprenti s’était relevé.

— Moi, c’est pas pareil… Je travaille sur la moto d’un copain, pour le plaisir aussi…

— C’est juste pour un renseignement.

— Moi, je suis à l’atelier. Revenez demain.

Il allait retourner à son engin. Vincent sentit qu’il fallait mettre du liant.

— Dites donc qu’est-ce que vous lui faites à cette moto ? Vous ne seriez pas en train de trafiquer les soupapes, par hasard ? C’est interdit, cela…

Le garçon devint écarlate… Vincent se mit à rire…

— Ne vous en faites pas, je suis discret. Moi aussi, j’ai fait ça. À votre âge, j’étais fou de moto, je le suis toujours d’ailleurs…

Rassuré, le garçon s’essuyait les mains en couvant la moto d’un regard amoureux.

— C’est vrai, je la bricole un peu… Quand j’aurai fini, celle-là, elle pourra rouler avec les gros cubes ! C’était quoi votre renseignement ?

La glace était brisée.

— Je cherche une voiture d’occasion, une bonne occasion.

— Les occasions, on n’en fait pas beaucoup ici.

— Ce que je cherche, c’est une 307 en très bon état, récente…

— Ça, ça ne court pas les rues !

— Et en plus, continua Vincent, je suis difficile. C’est pour ma femme, vous savez ce que c’est, les femmes…

Le garçon hocha la tête d’un air entendu.

— Ma femme veut une couleur métallisée, un bleu métallisé, assorti à la couleur de ses yeux !

L’apprenti se mit à rire.

— Eh bien ! Elle sait ce qu’elle veut votre femme ! C’est vrai qu’il y a un bleu très chouette dans la gamme… On en a vendu une comme ça, il n’y a pas longtemps.

Vincent retint son souffle.

— Elle est peut-être à vendre ?

— Ça m’étonnerait ! On l’a livrée, il y a à peine deux mois ! Et le client a déjà perdu une de ses clés… Il a fallu lui en commander un double et d’urgence ! Il était pressé… On se demande bien pourquoi, vu qu’il a une autre bagnole à Paris.

— Il habite Paris ? demanda Vincent, d’un ton détaché.

— Oui, mais il vient souvent.

Le garçon fourragea dans une boîte à outils, saisit un tournevis et se dirigea vers son engin.

— C’est un original, conclut-il.

— Un original ?

— Plutôt, oui ! Il paraît qu’il est architecte mais ce qui l’intéresse, c’est les fouilles, les vieux trucs, les vieilles pierres… Alors, vous pensez, à Carnac, il est servi ! C’est pour cela qu’il vient souvent. Il a une villa ici.

— Vous savez son nom ?

— Non… Je ne sais plus… Il était venu chercher sa voiture avec son neveu… un très beau type qui l’appelait, comment déjà ? Ah oui, ça me revient…

Jérémie… c’est ça. Mais il ne la vendra pas sa bagnole, il vient de la recevoir. Pour les occasions, vous devriez aller chez un grand concessionnaire, à Auray ou à Vannes.

— C’est ce que je vais faire, dit Vincent.

Sur le seuil de l’atelier, il se retourna.

— Et bon courage pour la moto !

Le garçon lui fit un grand sourire. Le moteur rugissait de plus belle.

IV

Vincent goûta son café, fit la grimace : à peine moins mauvais que celui qu’on lui avait servi au petit déjeuner, à l’hôtel. Pourquoi, dans tous les hôtels du monde, le café était-il âcre et trop fort ? Question à laquelle il n’avait jamais trouvé de réponse. Mais la terrasse du bistrot était agréable, ensoleillée malgré l’heure matinale. Il attrapa son journal et, de nouveau, parcourut l’article.

« DU NOUVEAU DANS L’AFFAIRE BACKERMANN

Le ministre soupçonne sa femme d’être à l’origine de l’enlèvement du petit Nicolas…

On sait que Georges Backermann et sa femme se disputent la garde de leur fils. L’enfant, provisoirement, en attendant l’issue du divorce, est confié à chacun des parents en alternance, une semaine sur deux. Mais, le ministre accuse celle qui est encore sa femme de ne pas remplir ses obligations. Il a déjà porté plainte, à deux reprises, pour non-présentation d’enfant. Cette, fois, les choses seraient plus graves puisque Christine Backermann semble avoir disparu à son tour ; elle n’est pas revenue à son domicile parisien depuis cinq jours et ses proches affirment ne pas savoir où elle se trouve. Georges Backermann la soupçonne d’être à l’origine de l’enlèvement de l’enfant. C’est en tout cas, d’après son avocat, ce qu’il aurait confié aux policiers… »

Vincent replia le journal. Tout cela n’était qu’un début. Le reste, le plus lourd de conséquences, le plus intéressant aussi, était à venir. La presse n’en parlait pas, pas encore.

— Fais gaffe, avait dit Jean-Luc, lorsqu’il l’avait appelé, la veille au soir. L’affaire ne fait que commencer. Avant de s’évanouir dans la nature, Christine Backermann, par l’intermédiaire de son avocat, a fait parvenir une lettre à la police. Explosive, la lettre…

— Explosive, en effet, pensa Vincent.

Christine Backermann ne faisait rien moins qu’accuser son mari de pratiquer des actes pédophiles sur la personne de leur fils.

— À la rédaction, avait ajouté Jean-Luc, c’est un secret d’état. On a des consignes. Le patron est formel : pour le moment, pas un mot là-dessus.

— Et la lettre, comment ?

— Par Duclos, le détective. J’ai eu du flair quand j’ai pris contact avec lui !

Jean-Luc n’avait jamais eu le triomphe modeste… Il enchaîna :

— Christine Backermann savait que son mari la faisait suivre et par qui. Elle a envoyé le double de sa lettre à Duclos…

— Duclos, c’est le détective engagé par son mari ?

— C’est ça.

— Mais pourquoi a-t-elle fait cela ?