Port-Louis, les ombres de la citadelle - Gisèle Guillo - E-Book

Port-Louis, les ombres de la citadelle E-Book

Gisèle Guillo

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Beschreibung

Une rédaction dangereuse...

Difficile de prêter sa plume, d’être le “nègre” d’un autre. Surtout si le roman à écrire n’est pas tout à fait un roman, s’il dit vrai, car toute vérité n’est pas bonne à dire…
Il s’en doutait, Alexis, lorsqu’il a accepté ce salaire inespéré, le salaire de la peur…
Vincent, journaliste à Télé-Média, se lance à son tour dans l’aventure. À Hambourg, le long des canaux, à Paris, à la Comédie Française, à Port-Louis, au cours de vacances qui n’en sont pas, il frôle constamment une vérité qui se dérobe. En effet, tout est faux dans cette affaire, même les morts…
Et, jusqu’au bout, la Citadelle de Port-Louis projette ses ombres sur le mystère du dénouement.

De la Bretagne jusqu'au nord de l'Allemagne, embarquez pour un polar littéraire haletant !

EXTRAIT

La rame arrivait. Il monta. Debout, en équilibre instable, une main agrippée au dossier du siège derrière lui, Alexis maintenait son sac, coincé entre ses pieds, tout en surveillant, vers le fond du wagon, un groupe de “jeunes” portant tous des vestes à capuche qui leur dissimulaient en partie le visage. Ils semblaient jouer, s’interpellaient bruyamment, descendaient à chaque arrêt avant de remonter au dernier moment, en bousculant les voyageurs. Ils se rapprochaient. Alexis remonta son sac, le maintint tant bien que mal entre son coude et la barre du siège voisin. Si on le lui arrachait ? Tout au fond, il y avait l’enveloppe contenant déjà le schéma de l’histoire, ébauché sur place. Ce serait ennuyeux, mais pas irrémédiable. L’affaire était compliquée, mais il l’avait bien en tête. D’ailleurs, des voleurs ordinaires regarderaient à peine l’enveloppe, ils se débarrasseraient de son contenu dans la première poubelle venue ; à leurs yeux, ce ne seraient que des papiers sans importance. Il n’y avait presque pas de risques, la plupart des noms étant codés. La plupart, mais pas tous. Dans sa hâte de recueillir le maximum de détails, la veille au soir, lors de la dernière entrevue, Alexis avait noté quelques noms en clair. Il suffisait d’un rien, que l’enveloppe tombe entre les mains de quelqu’un d’averti, de quelqu’un qui s’intéressait aux remous de l’actualité, aux scandales, pour que ces quelques feuilles se transforment en un document explosif.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Les rebondissements s'enchaînent, le mystère s'épaissit et on a l'impression de voyager dans le Morbihan ou dans les rues bretonnes de Port-Louis au fur et à mesure des pages. - Nathalie, blog Les lectures de Babouilla

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gisèle Guillo fait partie des Bretons de Paris : carrière parisienne mais fidélité à ses racines bretonnes, notamment à Arradon où elle fait de fréquents séjours. Agrégée de Lettres modernes, elle a enseigné la littérature comparée et la linguistique, a publié des ouvrages scolaires et universitaires.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

Dans un dernier soubresaut, l’avion s’immobilisa sur la piste. Alexis avait le nez collé au hublot : il faisait beau sur Paris. Il ne prêta qu’une oreille distraite à la voix de l’hôtesse qui annonçait :

— Nous venons d’atterrir à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. La température extérieure…

Contrairement à la plupart des voyageurs qui commençaient à s’agiter, Alexis s’obligea à attendre le signal lumineux pour déboucler sa ceinture. Les mains un peu crispées, mais en apparence parfaitement tranquilles, il attendit que ses voisins aient quitté leur siège pour extirper son sac du compartiment à bagages. Il y glissa la grosse enveloppe de papier kraft qu’il avait gardée sur lui pendant le vol, la dissimula sous un pull-over et descendit avec un salut à l’hôtesse et au steward souriant de chaque côté de la porte arrière. Jusque-là, tout s’était déroulé sans anicroche. À Hambourg, l’embarquement s’était bien passé. Le vol avait été sans histoire. C’était maintenant que les difficultés pouvaient commencer. Il se remémora les dernières recommandations :

— Ne vous faites pas remarquer. Restez naturel. Normalement, tout devrait bien se passer…

Normalement, oui ; mais sait-on jamais ? Il suffisait d’un contrôle inopiné, d’un douanier tatillon…

Au départ, à Hambourg, il n’avait rien fait enregistrer. Tout ce dont il avait eu besoin durant son bref séjour, tenait dans le sac de toile qu’il portait à la main. Pourtant, il se mêla au flot des voyageurs pressés de récupérer leurs bagages. C’était une mesure de prudence.

Pendant de longues minutes, il resta immobile à regarder défiler les valises sur le tourniquet. À ses côtés, une femme enveloppée dans une étole bariolée regardait, elle aussi. Il lui sembla qu’elle était trop près de lui, qu’elle l’observait à la dérobée. Il attendit encore. Les valises disparaissaient les unes après les autres, les rangs s’étaient clairsemés. Il se dirigea vers la sortie, vaguement inquiet à l’idée que la femme à l’étole lui avait peut-être emboîté le pas. Les conseils – des consignes plus exactement – avaient été clairs :

— À l’arrivée, vérifiez fréquemment que vous n’êtes pas suivi.

— Comment ?

— En changeant sans arrêt de direction, c’est l’enfance de l’art. Sans vous retourner surtout.

Au bout de quelques mètres, n’y tenant plus, il fit volte-face. Exactement ce qu’il ne fallait pas faire. Mais cela avait été plus fort que lui. Plus aucune trace de la femme à l’étole. Il traversa le grand hall, se dirigea vers la sortie taxis. Le long du trottoir ensoleillé, les voyageurs faisaient la queue devant le ballet incessant des voitures qui arrivaient, chargeaient les clients, démarraient à toute vitesse. Clignant des yeux dans le soleil, Alexis inspecta la file d’attente qui ne cessait de s’allonger. Puis, nonchalamment, comme si, découragé, il renonçait à attendre, il rentra dans le hall et gagna le quai du RER. Non sans appréhension. Dans toute la région parisienne, le RER B, sur le trajet entre l’aéroport et la gare du Nord est un des tronçons les plus risqués, fréquenté, à certaines heures, par une faune inquiétante. Souvent, des types dangereux, organisés en bande et dont le sport favori consiste à détrousser les voyageurs débarqués à Roissy, les touristes étrangers de préférence.

La rame arrivait. Il monta. Debout, en équilibre instable, une main agrippée au dossier du siège derrière lui, Alexis maintenait son sac, coincé entre ses pieds, tout en surveillant, vers le fond du wagon, un groupe de “jeunes” portant tous des vestes à capuche qui leur dissimulaient en partie le visage. Ils semblaient jouer, s’interpellaient bruyamment, descendaient à chaque arrêt avant de remonter au dernier moment, en bousculant les voyageurs. Ils se rapprochaient. Alexis remonta son sac, le maintint tant bien que mal entre son coude et la barre du siège voisin. Si on le lui arrachait ? Tout au fond, il y avait l’enveloppe contenant déjà le schéma de l’histoire, ébauché sur place. Ce serait ennuyeux, mais pas irrémédiable. L’affaire était compliquée, mais il l’avait bien en tête. D’ailleurs, des voleurs ordinaires regarderaient à peine l’enveloppe, ils se débarrasseraient de son contenu dans la première poubelle venue ; à leurs yeux, ce ne seraient que des papiers sans importance. Il n’y avait presque pas de risques, la plupart des noms étant codés. La plupart, mais pas tous. Dans sa hâte de recueillir le maximum de détails, la veille au soir, lors de la dernière entrevue, Alexis avait noté quelques noms en clair. Il suffisait d’un rien, que l’enveloppe tombe entre les mains de quelqu’un d’averti, de quelqu’un qui s’intéressait aux remous de l’actualité, aux scandales, pour que ces quelques feuilles se transforment en un document explosif. Alexis se reprocha son imprudence et, pour se rassurer, palpa discrètement le côté droit de son manteau. Là, se trouvait le plus précieux. Dans la poche intérieure soigneusement zippée, le portefeuille bourré à bloc, son salaire. Un salaire exceptionnel, mirobolant, tel qu’il n’en avait jamais reçu de sa vie. Le salaire de la peur…

II

Comme un chien qui retrouve sa niche, la voiture glissa et se logea presque d’elle-même à sa place. D’un léger coup de volant, Alexis redressa. Dans le garage de son immeuble, mieux valait se garer bien droit si l’on voulait pouvoir ressortir sans érafler la voiture du voisin. Mais il avait un parking ; c’était rare dans le quartier. Il était arrivé chez lui, à bon port, apparemment. Il coupa le contact et attendit, la gorge un peu nouée. Une fois de plus, la voix lui revenait, cette voix qu’il avait entendue tout au long de ces dernières quarante-huit heures, une voix si particulière, nette, sèche avec, curieusement, parfois, souvent même, des accents chaleureux :

— De deux choses l’une. Ou bien vous avez correctement suivi mes instructions et, la chance aidant, vous êtes passé entre les mailles du filet. Ou bien on vous a repéré. Dans ce cas, je vous ai prévenu, je ne donne pas cher de votre peau, on vous éliminera avant même que vous ayez ouvert votre porte. Méfiez-vous des parkings en sous-sol et des ascenseurs. Ce sont des endroits dangereux.

Alexis resta immobile, droit, en alerte, les mains posées sur le volant. Les lumières du garage s’éteignirent. Il ne bougeait toujours pas. Dans la voiture, la veilleuse faiblissait. Ce fut le noir. Il attendit encore quelques instants. Tout était tranquille, silencieux. Il entrouvrit la portière et, à la lueur de la veilleuse de la voiture, il appuya sur le bouton de la minuterie, saisit son sac, manœuvra la télécommande, revint sur ses pas, une habitude ridicule dont il n’arrivait pas à se défaire, pour s’assurer que la voiture était bien fermée. Le parking desservait deux immeubles. Il lui fallait encore traverser le garage dans toute sa longueur. Au fur et à mesure qu’il avançait, l’œil aux aguets, il surveillait les voitures rangées dans l’ombre de part et d’autre de l’allée centrale, sans rien remarquer d’inquiétant. Enfin, il parvint à l’ascenseur, s’y engouffra. Une minute plus tard, il mettait sa clé dans la serrure.

Un seul tour de clé : pour Alexis, qui fermait toujours à double tour, c’était le signe que, pendant son absence, il avait eu de la visite. Un instant, il espéra que c’était Christine. Elle avait toujours la clé de l’appartement. Elle passait de temps en temps. Quand elle était partie, il y avait longtemps, elle avait dit que c’était pour quelques semaines, qu’elle avait besoin d’être un peu seule, besoin de faire le point. Il y avait six ans qu’elle faisait le point. Ce n’était pas Christine. Dès qu’Alexis entra dans la pièce qui servait de salon-salle à manger, il renifla l’odeur qu’il ne connaissait que trop, entêtante, douceâtre.

— Elle est encore venue fumer son joint ici. Son joint… plusieurs sans doute.

Émilie était venue et, une fois de plus, elle ne devait pas être dans son état normal. Mais, est-ce qu’il arrivait encore à Émilie d’être dans son état normal ? De tous les ratés de leur vie conjugale à Christine et à lui, Émilie, leur fille unique, était l’échec le plus grave.

Un miaulement aigu le fit se retourner :

— Félix, tu ne dors pas ! Qu’est-ce que tu fais ? Est-ce qu’elle t’a donné à manger au moins ?

Félix s’approcha, tendit le dos en ronronnant sous la caresse et miaula encore, signe qu’il fallait sans tarder passer aux choses sérieuses. Alexis sortit le portefeuille de la poche de son manteau, passa dans la salle de bains-WC, posa son sac, ouvrit le placard. Il glissa le portefeuille sous une pile de serviettes-éponges. Pour ce soir, cela ferait l’affaire en attendant que, demain, il trouve une meilleure planque. Puis, il vaqua au plus pressé : vider la caisse, la garnir de sciure propre, remplir le bol d’eau à laquelle il ajouta un glaçon – Félix aimait boire frais – ouvrir une boîte de pâté “Excelsior supérieur”, le meilleur, une marque haut de gamme : Félix avait des goûts de luxe. Autant de besognes familières qui le rassuraient, lui donnaient l’impression de n’être pas tout à fait seul. Il hésitait à prendre une douche et, finalement, renonça. Il inspecta l’étagère à provisions, choisit une boîte de cassoulet. Avant de partir, il avait garni le réfrigérateur. Pendant que le cassoulet réchauffait, il débarrassa la table, trouva une nappe propre sur laquelle il disposa du pain, un morceau de fromage de Brie et un gâteau industriel.

— Et on va ouvrir une bonne bouteille, lança-t-il en direction de Félix. On l’a bien méritée, tu ne trouves pas ?

Félix était déjà à sa place, sur le coin de la table, face à sa gamelle à laquelle il avait à peine touché. Il attendait de dîner en tête-à-tête avec son maître. Comme d’habitude.

Alexis en était au fromage lorsqu’il entendit la clé tourner dans la serrure. Il se leva d’un bond. Ce n’était qu’Émilie. Elle poussa la porte et entra avec sa figure des mauvais jours.

— Tu es déjà rentré ?

— Comme tu vois, fit Alexis.

— Il a fait vite le taxi.

— J’ai pris le RER et après, ma voiture ; je l’avais laissée au parking de la Bourse. Tu veux manger quelque chose ?

— Non, merci. Je n’ai pas faim.

— Tu dors ici ? demanda Alexis.

— Non, j’avais oublié mon portable, je viens juste le récupérer.

Alexis regarda sa fille avec un mélange de tendresse et d’inquiétude : une tête de déterrée, des cernes bleuâtres sous les yeux aux pupilles dilatées, des cheveux sales.

— Reste un peu, fit-il timidement. Tu n’es pas si pressée… Il y a du cassoulet, du gâteau au chocolat.

Il alla chercher une assiette, un verre. De mauvaise grâce, Émilie prit une chaise et se versa une grande rasade de vin qu’elle but d’un trait.

Elle se mit à manger n’importe comment, picorant au hasard des miettes de gâteau, des haricots dans la sauce du cassoulet. Mais elle mangeait ; c’était déjà cela.

— Tout s’est bien passé à Hambourg ? demanda-t-elle.

— Très bien.

— Tu as une nouvelle commande ? Qu’est-ce que c’est ? Des discours ? des articles ?

— Non, dit Alexis, une espèce de roman.

— Encore ! On se demande vraiment pourquoi tous ces types qui veulent écrire un roman ne le font pas eux-mêmes. Ils signent et c’est quelqu’un d’autre qui se tape tout le boulot. C’est dégueulasse !

Elle saisit la bouteille de vin. Alexis intervint :

— Arrête, tu as assez bu.

— Je fais ce que je veux. C’est bien payé au moins, ton espèce de roman ?

— Assez, dit Alexis prudemment.

— Ça tombe bien, dit Émilie, parce que, en ce moment, je suis à sec. Si tu peux me passer…

— Combien ?

— Trois mille, ça irait ?

— Trois mille ! s’écria Alexis. Émilie, que se passe-t-il ?

Il saisit sa fille aux épaules, l’obligea à lever la tête. Et il vit ce qu’il aurait aimé ne pas voir, ce qu’il redoutait depuis des semaines : les narines encore barbouillées de poudre blanche. Émilie se dégagea brutalement.

— Et alors ? Un peu de coco, de temps en temps, ça n’a jamais tué personne !

Quand elle fut partie, après avoir empoché les billets, Alexis s’attarda un moment devant la photo posée sur le bahut : Émilie, le jour de ses douze ans, ses cheveux blonds tirés en chignon, comme les petits rats de l’Opéra qu’elle admirait tant. Elle souriait, en tutu et chaussons de danse. Où était la petite fille qui rêvait devenir danseuse étoile ?

Félix sauta de la table et vint s’enrouler autour des jambes de son maître.

— Tu as raison, dit Alexis, on va se coucher et essayer de faire de beaux rêves. Les rêves, vois-tu, Félix, c’est peut-être ce qu’il y a de mieux dans la vie.

III

Alexis s’installa à son ordinateur et resta un moment perplexe devant l’écran vide. Un début de roman, c’est toujours difficile mais, cette fois, il séchait. Par où commencer ? Par quel bout prendre cette histoire ?

— Débrouillez-vous pour que cela n’ait pas l’air d’une enquête, encore moins d’une confession arrangée pour magazine à sensation. Au début, le lecteur doit avoir l’impression qu’il lit un roman. Et petit à petit, il s’aperçoit que ce qu’on lui raconte n’est pas un roman, que c’est tout simplement la face cachée d’une énorme imposture.

Comme s’il était encore en face de lui, Alexis entendait cet homme qu’il ne connaissait pas, une semaine auparavant, qui venait de faire irruption dans sa vie et qui transformait sa banale existence en une dangereuse aventure. Il le revoyait, alors qu’ils se séparaient, en train de lui donner les derniers conseils avec une vigoureuse poignée de main, comme pour l’encourager, et avec un sourire, le premier de ce long tête-à-tête de quarante-huit heures :

— Vous avez de l’expérience, c’est pourquoi je vous ai choisi. Je suis sûr que vous allez très bien vous en tirer.

— Facile à dire, pensa Alexis.

Il se leva pour aller fermer la fenêtre par où s’engouffraient le charivari du marché tout proche et, même, en bruit de fond, la rumeur de la circulation du boulevard Saint-Antoine. C’est sympathique d’habiter le Marais, même si on ne loge pas dans un de ces hôtels chargés d’histoire que décrivent les guides touristiques. Christine et lui avaient sauté sur l’occasion lorsque, une dizaine d’années plus tôt, ils avaient pu acheter, Rue du Prévost, dans un “immeuble de caractère”, un deux-trois pièces “à rénover”. Ils n’avaient jamais rénové. Mais, même maintenant qu’il y vivait seul, Alexis adorait son quartier.

Il revint à son poste de travail où l’attendait l’écran toujours vide.

La question demeurait : par où commencer ? Par le commencement ? Surtout pas ! Il passa en revue ce dont il ne devait pas parler. Et d’abord, le coup de téléphone anonyme, un soir :

— Monsieur Chabillaud ?

— C’est moi.

— On m’a communiqué vos coordonnées…

— Qui ?

— C’est sans importance, pour le moment. Je crois savoir que vous vous chargez volontiers d’arranger ou même de rédiger certaines publications paraissant sous des signatures diverses…

Alexis se souvenait d’avoir répondu avec circonspection, désireux de ne pas froisser un client éventuel :

— Il m’arrive, en effet, d’apporter mon concours à des gens qui manquent de temps pour rédiger eux-mêmes…

— Et je sais que vous le faites avec talent. Est-ce qu’en ce moment, vous seriez disponible pour une commande ?

Le premier contact n’avait pas duré deux minutes.

— Je vous rappellerai.

L’inconnu avait tenu parole, le lendemain, puis deux jours plus tard, toujours sans se nommer ni donner le moindre numéro où on pût le joindre. La nature de la commande se précisait : il s’agissait de mettre en récit des faits… contemporains.

— Récents ?

— Très récents. Pour ainsi dire, de l’actualité, une actualité brûlante. À ce stade, je ne peux pas vous en dire plus. Au cas où vous seriez intéressé, nous pourrions nous rencontrer bientôt…

— Où ?

— Hors de l’Hexagone. Une chose encore : si nous faisons affaire, vous serez très bien payé.

En effet, la somme annoncée, le soir suivant, était impressionnante. Mais Alexis savait que la vie vous

fait rarement des cadeaux. Le lendemain, il s’était hasardé à demander :

— Il y a des risques ?

— Oui.

Le même soir, l’inconnu avait rappelé :

— Vous avez réfléchi ?

— Oui. J’accepte.

À partir de ce moment, les choses s’étaient accélérées. Il avait reçu un courrier contenant un billet en première classe dans le Thalis pour Bruxelles accompagné de quelques mots, imprimés : « Vous serez attendu… » À Bruxelles, Alexis avait repéré tout de suite le chauffeur de taxi portant une pancarte à son nom. Il avait embarqué.

— Où allons-nous ?

— À l’aéroport. Et j’ai une enveloppe à vous remettre.

L’enveloppe contenait un billet aller-retour pour Hambourg, accompagné d’une indication, lapidaire : « Un taxi vous attendra à l’aéroport. ». La suite, c’était la traversée d’un faubourg résidentiel de Hambourg, l’arrivée dans un appartement dont il n’avait jamais pu se faire préciser l’adresse. Durant ces quarante-huit heures passées, toutes persiennes fermées, en tête-à-tête avec lui, Alexis avait apprécié la courtoisie de son interlocuteur qui, à aucun moment, ne l’avait traité avec la désinvolture que l’on réserve souvent aux “nègres”.

Ce n’était qu’au moment où il allait commencer le récit de ce qu’il appelait “les événements” que son mystérieux commanditaire s’était enfin nommé :

— Je suis Alain Le Tort.

Sidéré, Alexis l’avait dévisagé : le regard clair derrière les grosses lunettes, la crinière de cheveux blancs en désordre, la grosse moustache à la gauloise. C’était bien lui.

— Alain Le Tort !

— Vous me reconnaissez ?

— Il me semble… oui, je crois. Il y a eu tellement de photos dans la presse… Alain Le Tort… L’affaire Techno-Littoral… Vous avez été accusé de…

— Délit d’initié, complicité d’abus de biens sociaux. En prime, harcèlement psychologique en vue de pousser au suicide. Non-assistance à personne en danger. Accusé. Et n’ayons pas peur des mots, quand mon procès s’ouvrira, je serai condamné.

Une grosse affaire. Sur le coup, Alexis s’était demandé s’il avait bien fait d’accepter le contrat. Comme s’il lisait dans ses pensées, son interlocuteur l’avait ramené à la réalité :

— Il est trop tard pour hésiter. Vous en savez trop maintenant. D’ailleurs, vous verrez, vous n’aurez rien à regretter.

Cette scène, Alexis la revoyait comme s’il était en train de la revivre. Il soupira et revint à son ordinateur. Entre-temps, l’écran avait viré au noir. Il appuya sur

la touche de rappel. À présent, il tenait son commencement.

— Il a raison, Alain Le Tort. N’ayons pas peur des mots. Dès le début, il faut du réalisme, du sang. Cela fait toujours de l’effet.

Il se mit à taper :

« L’obscurité enveloppait les jardins du ministère. Dans une pièce aux fenêtres ouvertes sur la nuit, le corps reposait à moitié affalé sur le bureau en marqueterie. Au sol, un revolver au milieu d’une tache de sang qui allait s’élargissant sur l’épaisse moquette. »

IV

La liasse était posée sur la table. Alexis repoussa sa tasse de café pour la compulser une fois de plus. Inutile de compter les feuillets, il l’avait déjà fait, il y en avait vingt-quatre, couverts d’une écriture serrée, de rajouts, de ratures, parfois avec des blancs pour les lieux qu’il ne fallait pas préciser, des guillemets pour les noms d’emprunt. Dans la nuit, pendant sa longue insomnie, il avait cru que ce serait facile, que toutes ces notes dont il était censé faire un pseudo-roman, un roman-réalité, couleraient de source.

— Je n’ai qu’à suivre la chronologie, le cours des événements, tout simplement.

Maintenant qu’il entrait dans le vif du sujet, il touchait du doigt les difficultés. Et, d’abord, comment faire pour ne pas embrouiller le lecteur avec autant de personnages ? Distinguer ceux qui appartenaient au milieu des affaires et les autres, les politiques ?

— Mais, puisque, dans cette histoire, les uns et les autres se tiennent tous comme les doigts de la main…

Une bonne façon de mettre un peu d’ordre dans cet imbroglio serait de faire une liste. Quand on veut mettre ses idées au clair, il n’y a rien de mieux qu’un papier et un crayon. Il détacha une feuille de son bloc, prit un stylo-feutre et écrivit en majuscules : « Protagonistes. »

D’abord, les politiques.

André Baronnet, le ministre. Alexis relut ses notes : « Un arriviste féroce. Il voit loin. Son obsession : décrocher Matignon et plus, si possibilité. Un homme intelligent mais sous influence. Se laisse mener par le bout du nez par son chef de cabinet. »

Jean-Noël Cochard, le tout-puissant chef de cabinet.

Pour celui-là, point n’était besoin de consulter les notes. Les propos d’Alain Le Tort résonnaient encore aux oreilles d’Alexis :

— Cochard ? Un animal qui fait partie des espèces nuisibles, dans tous les domaines ; mais surtout en politique. Du genre qui salit tout ce qu’il touche. C’est un requin. Son seul credo, c’est le fric. C’est lui le grand ordonnateur des campagnes de Baronnet. Il récolte les fonds.

Alexis se souvenait d’avoir objecté :

— Mais, le financement des campagnes électorales est très encadré, il existe une réglementation…

— Qu’il respecte en apparence ; tout en magouillant en sous-main. Car il n’y a pas que les campagnes électorales. Ne perdez pas de vue qu’un homme politique a toujours besoin d’argent. Et Cochard n’a pas son pareil pour en trouver. Au passage, il se sert. Vous voyez ce que je veux dire…

Et puis il y avait le tandem des conseillers.

Moi, avait dit Alain Le Tort, je n’étais que conseiller technique.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire pas grand-chose. Dans un ministère comme celui-là, on travaille en partenariat avec des entreprises de haute technologie. Moi, je n’ai pas de compétences techniques bien précises. J’organisais les réunions.

— Et Guillaume de Chexbres ?

— Guillaume, c’est tout différent. Cela n’a l’air de rien, un conseiller en communication. En réalité, c’est un poste stratégique. Avec une communication intelligente, on peut tout vendre, tout faire accepter à l’opinion publique et même à la presse. Donc tout ministre qu’il est, Baronnet avait besoin de Guillaume. Et Guillaume était un vrai professionnel. Tout allait bien jusqu’au jour où ce salaud de Cochard a fait entrer un nouveau venu dans le jeu, Bruno Chartier.

Là, on entrait dans un autre monde, celui des affaires. Alexis commença une autre colonne :

Bruno Chartier, président-directeur général de Techno-Littoral. Il y avait aussi, et surtout, Pascal Giaccobini, le directeur commercial, omniprésent, dont on avait du mal à définir les fonctions.

Et entre ceux-là, il fallait nouer les liens, de l’intérêt, du copinage.

Alexis soupira : ce ne serait pas facile. Il commença une autre liste :

« Comparses… »

Là, il y avait foule : intermédiaires en tout genre, délégués à n’importe quoi. Et quand l’affaire avait éclaté, des parlementaires au bord de la crise de nerfs, sans compter la meute des journalistes qui déterraient chaque semaine un secret réel ou fabriqué. Un vrai nid de guêpes.

Alexis lâcha ses notes. Il lui fallait, dès le début du récit, choisir un détail significatif, propre à mettre le lecteur en alerte. Lequel ?

Il fut interrompu dans ses hésitations par la sonnerie du téléphone. Émilie s’annonçait : il commençait à faire frais, elle voulait prendre quelques vêtements, un pull, sa doudoune.

— À quelle heure ?

— Je ne sais pas, deux heures, deux heures et demie…

Elle avait une bonne voix. Alexis s’enhardit :

— Tu ne peux pas venir plus tôt ? On pourrait déjeuner…

— Si tu veux ; vers treize heures, ça irait ?