À bientôt para la vida - Jacques Vialat - E-Book

À bientôt para la vida E-Book

Jacques Vialat

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Beschreibung

Au cœur de la guerre civile espagnole, le jeune Paco décide de rejoindre la résistance par amour...

Écrivain public en manque de clientèle, j’avais passé une annonce dans le journal local. J’y proposais mes services pour des autobiographies.
Paco m’avait répondu.
Sans doute pour m’attirer, il avait souligné qu’un épisode de son histoire avait été à l’origine d’un tableau mondialement connu.
À vrai dire, je n’y croyais pas trop.
J’ignorais, en me présentant chambre 320 de cette maison de retraite, que je m’apprêtais à entendre le plus formidable récit de vie qui m’ait jamais été dicté.
La guerre d’Espagne de Paco aurait tenu dans la phrase affichée dans les librairies pour promouvoir le best-seller du moment : « Quand l’amour devient le choix le plus dangereux ».
J’ignorais surtout que cette rencontre allait complètement bouleverser ma vie personnelle.
Si j’en avais eu la moindre idée, la peur m’aurait fait fuir.

Une double intrigue haletante dans l'Espagne franquiste !

EXTRAIT

23 avril 1937
Près de Collioure, France


Le jeune homme s’exprimait en valencien. Une langue que l’on comprenait bien ici, de ce côté des Pyrénées, parce qu’elle était assez proche du français et du patois local. Il parlait au
peintre andalou qui venait souvent dans le village, et qui était un habitué de ce bar.
Au fur et à mesure de la conversation, Dora, la maîtresse du peintre, commandait café-cognac sur café-cognac. Dans l’après-midi qui s’avançait, toute une foule attentive s’était agglutinée
autour de la table ronde. Le jeune homme racontait sa guerre d’Espagne, où l’amour l’avait conduit. L’artiste, à l’instar de tous les clients du bar, écoutait avec un grand intérêt son histoire peu ordinaire. Le crépuscule teintait d’ocres les rues quand ils se séparèrent. Le peintre dormit mal cette nuit-là. De toutes les horreurs qu’il avait entendues, il y en avait une qui le hantait : celle du cheval agonisant, gueule ouverte pour un cri lugubre aux notes échappées de l’enfer.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Véritable plongeon dans l'Espagne Franquiste des années 1930, ce superbe roman nous fait réfléchir sur le couple et l'amour autant que sur la guerre, la violence et la barbarie. Sans oublier la folie... Étonnant pèle-mêle d'émotions, il vaut sans aucun doute le détour! - MandarineBleueNuit, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Vialat a la passion des livres, et avec elle, celle de l’écriture. Il voyait sa première nouvelle publiée dès l’âge de quinze ans, son premier poème lu à France Inter alors qu’il avait dix-sept ans. De cette passion sont nés cinq romans et une maison d’édition, les éditions ThoT, en hommage au dieu des scribes chez les Égyptiens. Un recueil de nouvelles et un recueil de poèmes ont complété la famille. Ces textes, Jacques Vialat les écrit la nuit, au moment où l’inspiration se mêle à l’obscurité et remplit ses veines d’une encre épaisse.

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PRÉSENTATION DE L'AUTEUR

Jacques Vialat a été écrivain public, puis auteur d’ouvrages professionnels avant de se consacrer au roman. Passionné de livres, il a longuement hésité entre une carrière de libraire ou d’éditeur avant de choisir cette dernière. À bientôt para la vida est la 11e de ses œuvres publiées.

RÉSUMÉ

Écrivain public en manque de clientèle, j’avais passé une annonce dans le journal local. J’y proposais mes services pour des autobiographies. Paco m’avait répondu. Sans doute pour m’attirer, il avait souligné qu’un épisode de son histoire avait été à l’origine d’un tableau mondialement connu. À vrai dire, je n’y croyais pas trop. J’ignorais, en me présentant chambre 320 de cette maison de retraite, que je m’apprêtais à entendre le plus formidable récit de vie qui m’ait jamais été dicté. La guerre d’Espagne de Paco aurait tenu dans la phrase affichée dans les librairies pour promouvoir le best-seller du moment : « Quand l’amour devient le choix le plus dangereux ». J’ignorais surtout que cette rencontre allait complètement bouleverser ma vie personnelle. Si j’en avais eu la moindre idée, la peur m’aurait fait fuir.

Propos recueillis parJacques Vialat

À Gérard Vantaggioli,sans qui je n’aurais pu arriverau bout de ce livre.

J’ai vue sur ton ancienne demeure et toi tu demeures à jamais dans mon cœur.Ana

23 avril 1937Près de Collioure, France

Le jeune homme s’exprimait en valencien. Une langue que l’on comprenait bien ici, de ce côté des Pyrénées, parce qu’elle était assez proche du français et du patois local. Il parlait au peintre andalou qui venait souvent dans le village, et qui était un habitué de ce bar.

Au fur et à mesure de la conversation, Dora, la maîtresse du peintre, commandait café-cognac sur café-cognac. Dans l’après-midi qui s’avançait, toute une foule attentive s’était agglutinée autour de la table ronde.

Le jeune homme racontait sa guerre d’Espagne, où l’amour l’avait conduit. L’artiste, à l’instar de tous les clients du bar, écoutait avec un grand intérêt son histoire peu ordinaire.

Le crépuscule teintait d’ocres les rues quand ils se séparèrent.

Le peintre dormit mal cette nuit-là. De toutes les horreurs qu’il avait entendues, il y en avait une qui le hantait : celle du cheval agonisant, gueule ouverte pour un cri lugubre aux notes échappées de l’enfer.

Étrangement, ce n’était pas la plus terrible de toutes, mais c’est celle qui s’imposait à lui.

Comme une image centrale.

Cette image l’obsédait, se mêlant et se démêlant dans son cerveau, et l’empêchait de trouver le sommeil. Trop de cafés, peut-être aussi, le tenaient éveillé. Et trop de cognacs, des détails s’étaient évadés de sa mémoire altérée par l’alcool.

Il passa la journée suivante à rechercher le jeune homme et finit par le retrouver en début de soirée. Ils convinrent de se revoir le lendemain, dans le calme de l’appartement du peintre, pour qu’il lui répète toute son histoire, et qu’il lui reparle de ce cheval. Dora serait là, qui prendrait des notes. Le jeune homme acquiesça.

L’artiste savait l’engagement que lui-même venait de prendre.

Dora, présente pour les entretiens, le serait aussi lorsqu’il exécuterait le tableau. Et probablement avec son appareil photo à portée de main. Pour la première fois, quelqu’un allait le voir peindre, ce dont il s’était soigneusement gardé jusqu’à présent.

Tout ça à cause d’un cheval imaginé ! Il dormit mal à nouveau la nuit suivante. Il était étonné, et quelque part heureux, que l’image d’un équidé puisse encore accrocher sa vision d’artiste à cinquante-six ans. Sa carrière n’était pas finie ! La gueule ouverte de l’animal tournait autour d’un début d’idée de tableau. Elle déchirait des brumes dans son cerveau, lentement, et puis soudain le voile se refermait sur elle. Des portes de couleur s’entrouvraient et se refermaient. Se superposaient. Se mélangeaient. Trop longtemps englouti au tréfonds de son âme, le processus de création remontait du plus profond de son être ; d’ici peu, il aurait des fourmis au bout des doigts. Il le savait. Dans sa tête, le cri muet du cheval surgissait d’un coup, comme soudainement issu de flots noirs pour prendre une immense respiration. Les couleurs se délavaient. Le gris s’imposait.

Les entretiens avec le jeune homme avaient duré plus longtemps que le peintre ne l’avait prévu. Trop de questions, et trop d’émotions aussi, hachaient la conversation. Et le temps avait perdu sa valeur, ou en avait gagné une autre…

Et encore, l’arrivée excitée d’un garçon d’une dizaine d’années avait-elle hâté la conclusion d’une interview au demeurant quasiment achevée.

Lorsqu’il put remonter à Paris pour retrouver son atelier, au 7, rue des Augustins, il avait prolongé son séjour de trois journées complètes, et nous étions déjà le 28 avril. Il disposait d’un peu plus d’un mois pour achever le tableau avant l’Exposition internationale, où il devait figurer au pavillon de l’Espagne.

Et puis, sa crainte s’était justifiée : Dora Maar avait exigé d’être à ses côtés lors de la réalisation de l’œuvre. Avec son appareil photo. Exigence qu’il lui était impossible de lui refuser, compte tenu de sa présence lors du récit du jeune homme dont il allait s’inspirer. Pour la première fois, on allait le voir peindre. Il y aurait un témoin. Quelqu’un d’important pour lui, et dont il reconnaissait le sens artistique. Il allait être influencé. Il le savait.

Ce serait un tableau à quatre mains.

12 juillet 1937, Exposition universelleParis, France

Otto Abetz, ambassadeur du IIIe Reich nommé à Paris, était en visite officielle à l’Exposition internationale. Il paradait dans son uniforme clinquant d’officier supérieur, s’arrêtant à chaque stand en s’efforçant de trouver quelque chose d’intéressant à dire afin qu’on le remarque.

Il visitait méthodiquement les pavillons de tous les pays représentés, avec une grande rigueur, et dans le sens prévu sur son plan pour n’en omettre aucun. Il atteignit celui de l’Espagne vers le milieu de la journée. L’air était chaud ; il ôta sa casquette un moment pour s’éponger le front. Il transpirait sous la visière qui protégeait ses yeux du soleil, lui permettant d’éviter des lunettes noires peu seyantes.

Il fut impressionné par l’immense toile cubiste, intitulée Guernica. Il s’approcha de l’homme qu’il crut reconnaître comme l’auteur du tableau, et lui demanda s’il en était bien le peintre.

— C’est vous qui avez fait ça ?

— Non… vous.

1

1936, guerre civile,Dans les collines de Belmonte, Espagne

L’avion a soudain déchiré le ciel, ombre menaçante qui fondait sur nous.

Au début, je n’avais pas compris les sifflements. Comme des milliers de guêpes. Et puis, j’ai vu les camarades courir. Tomber. Les auréoles rouges sur les chemises claires. Les jambes se dérober sous certains. Alors, moi aussi, j’ai couru. Dans cette garrigue basse où je devais être un géant pour le pilote qui actionnait la mitrailleuse.

J’ai couru dans tous les sens. En zigzag. En cercle. Droit dans les pentes. J’ai croisé ceux qui, de colère, s’étaient agenouillés, fusil pointé vers le ciel. Plomb dérisoire pour des ailes d’acier. J’ai sauté les sacs de sable qui devaient nous servir de rempart. J’avais l’impression que mes oreilles allaient éclater. Pas à cause du bruit, non. Mais en raison de mon cœur qui battait à me rompre les tympans. Une bombe a explosé à proximité. Son souffle m’a projeté à terre. Je n’ai pas voulu me relever. Je me suis mis à sangloter.

Soudain, une main dans mes cheveux. C’est Vicente. Il est là, debout, à côté de moi, avec ses yeux couleur de ciel calme. De ciel sans avion. Il sourit et me dit :

— Paco, la colline est grande, et toi tu es petit. Que risques-tu ?

Vicente se permet même de saluer l’aviateur fasciste au passage, alors que celui-ci se lance dans un dernier survol. Tout mon corps est secoué des spasmes de la peur, et je pleure. Je pleure. J’attrape la jambe de Vicente, colle ma tête contre son mollet et pleure mon baptême du feu, du fer contre les corps, des hurlements de bombes, des stridences de balles traçantes, en longs sanglots qui me secouent tout entier.

Le vrombissement des moteurs se fait plus lointain. Aux bruits de la terreur succèdent les cris de souffrance des hommes, espacés de silences glacés. De loin en loin, l’un des mourants appelle sa mère.

Je me relève. Chancelant. Vicente-la-tendresse enlace mes épaules d’un bras d’amitié.

2

Juin 2010Paris, France

— Pepe ?

— Vous m’aviez promis que vous ne m’interrompriez pas pendant ma relecture !

— Je sais, Pepe, je sais. C’est la dernière fois. La première et la dernière : les livres, ça ne commence pas comme ça ?

— Si, Paco. C’est comme les films américains. On entre tout de suite dans l’action pour tenir le lecteur en haleine, après on fait des flash-back.

— Ah, tu parles américain maintenant ! Bon, le livre, tu le mets dans l’ordre que tu veux, et même les pages à l’envers si ça te chante ! Mais pour elle, tu sais, ses deux exemplaires à elle, ceux que tu dois rapporter en Espagne, pour Ana : tu les laisses dans le bon sens. J’ai déjà tellement de choses à lui dire. Et puis il y a tellement longtemps. Il faut bien lui présenter tout, en commençant par le début, tu vois Pepe. Et puis, ne rien oublier, sinon c’est pas la peine. Déjà que tu inventes. Je t’ai jamais dit que Vicente souriait ce jour-là.

— C’est pour camper le personnage, Paco.

— On campait rien du tout ! On était à la guerre, et moi j’avais les chocottes comme jamais. Une peur bien plus forte que la peur de la mort. La peur à l’état pur. C’est tout.

— Paco, j’ai écrit un manuscrit qui suit très rigoureusement l’ordre chronologique. C’est celui que vous avez voulu, pour elle. Je vous ai laissé un exemplaire supplémentaire là, dans le tiroir de la table de chevet ; vous l’avez relu, et j’ai donné les instructions qu’il fallait aux infirmières.

— Ah oui, m’enterrer avec… Enfin, surtout, je veux pouvoir le relire de temps en temps, avant que la mémoire ne m’échappe.

La mémoire, pensais-je, c’est pour cela qu’il m’avait dicté ce témoignage. Et la conscience que ses facultés intellectuelles déclinaient. Avec déjà des difficultés à lire, alors qu’il avait reçu l’instruction d’un instituteur. Je l’avais surpris un matin, ânonnant devant les pages que je lui avais laissées. Il avait rapidement fermé le manuscrit pour m’accueillir, comme pris en flagrant délit. C’était ce qui m’avait convaincu de lui faire cette lecture, même si je n’avais pas encore complètement achevé mon travail d’écriture.

Je le rassurai :

— De ce côté-ci, tout est paré, Paco, et c’est moi-même qui irai remettre les manuscrits d’Ana aux deux endroits convenus. Vous m’avez déjà payé le voyage. Mais ce que je vous lis, en ce moment, c’est la version livre. Celle que mon éditeur a accepté de publier. Je ne l’ai pas encore terminée, et elle ne respecte pas l’ordre chronologique ; mais vous aviez dit que j’étais libre pour cette version-là.

— C’est vrai, Pepe, excuse-moi. Et tu vas signer de ton nom ?

— Non, je vais mettre le vôtre et écrire en sus : « Propos recueillis par Jacques Vialat ». C’est l’usage, Paco. On en a déjà parlé.

— Il ne faudra pas mettre mon nom… Tu permets que je continue de t’appeler Pepe ?

— Vous le faites depuis le début… On avait convenu que vous ne m’interrompriez pas.

— C’est l’émotion Pepe. C’est l’émotion. Tu lis bien. Continue.

J’ai repris les feuillets, assis sous la copie de l’immense tableau de Picasso que Paco avait accrochée au mur de sa chambre dans la résidence de personnes âgées, en face de son lit : Guernica.

Les magnifiques yeux bleus de Paco me fixaient tandis que je reprenais ma lecture, soulignant son attention.

3

Les infirmiers se sont précipités sur les blessés. J’ai aidé mes compagnons d’infortune à reconstruire les remparts de sacs de sable, pour parer à une éventuelle attaque de l’infanterie, devenue possible maintenant que nous étions repérés.

Une équipe a installé une des mitrailleuses en la calant vers le ciel, pour l’utiliser comme une défense antiaérienne, probablement avec une efficacité plus psychologique que réelle, pour le cas où un avion revienne.

De temps en temps, le bruit d’une détonation nous parvenait. Le coup de grâce pour un blessé trop grièvement atteint. J’admirais le courage du capitaine qui s’était lui-même chargé de cette tâche. On racontait qu’il avait dû achever son propre frère au début de la guerre.

Du sommet, d’étranges grésillements crachés par la radio, qui tentait d’entrer en contact avec les autres groupes de combattants, nous parvenaient par intermittence. Nous étions sur les hauteurs de Belmonte.

C’était l’été.

4

Paco avait vu le jour dans la boulangerie d’un village au sud de Valence, le 21 juin 1918. Son père était boulanger, son grand-père était boulanger, le père de son grand-père avait été boulanger, et il en était ainsi aussi loin qu’on pouvait s’en souvenir. Ses parents étaient originaires du Pays Basque. Le manque de travail les avait poussés à changer de région.

Le vœu le plus cher de sa mère était « qu’il travaille le jour, comme tous les honnêtes gens », et donc pas la nuit, comme les boulangers, au demeurant pas malhonnêtes pour autant. Son rêve, plus précisément énoncé, était que « son fils travaille dans les bureaux ».

Pour cela, elle avait mis les moyens : l’obligeant à faire ses devoirs en rentrant de l’école, l’empêchant d’aller pétrir ou enfourner la nuit comme l’aurait peut-être apprécié son père, surveillant ses cahiers. Elle, qui ne savait pas lire, lui faisait même réciter ses leçons ! Et Paco, qui n’osait pas la trahir, se sentait obligé de les apprendre réellement, plutôt que d’inventer. Supercherie qu’elle aurait au demeurant vite éventée. Elle avait réussi à faire pression auprès du père pour qu’il accepte que le petit continue ses études, au détriment peut-être de l’éducation de ses deux sœurs aînées, vite placées comme domestiques chez les riches de la ville. Paco avait aussi une sœur plus jeune que lui, pour laquelle il représentait un modèle assez proche des héros des livres qu’elle lisait.

Que Paco eût ou non des facilités à apprendre, la pression familiale l’obligeait à de meilleurs résultats. Il avait réussi à s’entendre avec sa mère sur un objectif commun : il deviendrait instituteur. Et c’est ainsi que Paco, fils d’un boulanger de village, s’en fut à la ville de Valence, pour passer les diplômes qui lui permettraient de mettre son savoir à la destination des jeunes têtes pensantes d’Espagne.

5

Le radio et le capitaine avaient longuement discuté, avant de redescendre du môle. Visiblement, ils avaient eu un contact. Le crépuscule allongeait l’ombre des deux hommes qui se rapprochaient du groupe que nous formions.

L’officier nous rassembla tous avant de prendre la parole :

— Maintenant que l’aviation nous a repérés, nous ne pouvons pas rester ici. Nous avons réussi à joindre les nôtres par radio. Il y a un grand rassemblement de nos forces au Nord. Nous allons les retrouver. Nous avancerons la nuit. Les anarchistes sont en train de se faire massacrer à l’est, près de Barcelone. Il est possible que quelques-uns d’entre eux nous rejoignent en groupes dispersés. Même si nous ne partageons pas les mêmes idées, souvenez-vous que ce sont nos alliés. Et nous n’en comptons pas beaucoup dans cette guerre ! Le clergé vient de bénir les troupes des jeunes fascistes allemands qui ont rejoint Franco. Ils ne sont pas nombreux, mais nos voisins de France ne viennent toujours pas nous aider. Pourtant… vive la république ! ajouta-t-il dans un souffle, et en français.

Puis, se reprenant :

— Les blessés transportables sur des civières, les autres ici, sous la garde des deux brancardiers. On laisse les sacs de sable. On ne prend que les vivres et les munitions. Départ dans une demi-heure.

Tandis que nous nous affairions, je me suis demandé ce qu’allaient devenir ceux que nous abandonnions. J’ai posé la question à Vicente. Il a simplement haussé les épaules en me répondant un : « C’est la guerre. » Qui voulait tout dire. Et qui ne disait rien du tout.

J’ai toujours connu Vicente comme ça : tu lui poses une question, il te répond par une généralité. Tu ne sais jamais ce qu’il pense. Ni s’il pense. Je sais juste qu’il m’aime. Et ça me suffit. Moi aussi, je crois que je l’aime. Je le lui confierais bien un jour, mais je n’en suis pas sûr. En fait, si se sentir vraiment bien en la présence de quelqu’un, c’est l’aimer, alors, je peux le lui dire.

6

Nous étions toute une bande de première année de l’Institut de formation des maîtres de Valence à nous retrouver dans ce bar pour boire un café-cognac lors de conversations où nous refaisions le monde. Âgé de dix-huit ans à peine, je bénéficiais de la compagnie de mes aînés majeurs pour éviter le café solo.

Nous avions choisi cet établissement, bien qu’il fût éloigné de notre quartier, parce qu’il jouxtait l’école d’infirmières et qu’elles venaient souvent là siroter une menthe à l’eau ou d’autres boissons un peu moins féminines.

J’avais le béguin pour l’une d’entre elles, et je crois qu’elle m’appréciait aussi. Mais j’étais trop timide pour l’aborder. Je m’en étais ouvert à Vicente qui, ni une ni deux, était allé à sa table lui demander si on pouvait lui offrir un verre. Elle avait acquiescé, et son sourire avait tracé dans ma tête les lettres de braise du mot « espérance ».

Nous avions commencé à discuter tous les cinq : Vicente, elle, moi et deux de ses amies dont ma mémoire a égaré les visages et les prénoms ; puis les autres nous avaient laissés seuls, devant le constat des œillades insistantes d’Ana, et de mon sourire béat.

Je l’avais raccompagnée à l’internat de son école avec tellement de ferveur que je suis incapable de savoir ce dont nous avions parlé, si ce n’est de notre rendez-vous du lendemain sur le parvis de la cathédrale. J’avais prié toute la nuit pour que ce fût vrai. Pour que mon premier rendez-vous se réalise. Mon premier rendez-vous !

7

Avec Vicente, nous avons récupéré les ânes qui s’étaient enfuis lors du bombardement et commencé à les bâter, puis à les attacher ensemble pour former un train. Il me revenait de marcher devant eux, tirant le premier au licol, en surveillant que les autres suivaient. Les ânes portaient les caissons de munitions ; on y attachait aussi les mitrailleuses.

Nous avons pris la route à la nuit tombante, avec des volontaires du secteur qui connaissaient bien les sentiers de la montagne. Parfois, mon pied butait sur une pierre qui dépassait, ou s’enfonçait dans un trou, et j’étais content de pouvoir me retenir à la corde de l’âne de tête, que je tenais serré. Je m’étais plutôt bien remis de mon baptême du feu, à l’inverse de José, qui avait le même degré d’expérience que moi : il s’arrêtait tous les cent mètres pour déféquer dans un fourré. Il était le plus jeune ; nous l’appelions « Bouboule » parce qu’il était joufflu et enrobé. Caractéristiques physiques qui, ajoutées à ses taches de rousseur, son air juvénile et son absence de barbe, ne le rendaient pas facilement bienvenu dans ce groupe d’hommes expérimentés dont nous étions ; il s’était donc rapproché de Vicente et de moi-même, plus jeunes et moins moqueurs à son égard, et nous ne l’avions pas rejeté.

Nous avions avancé toute une partie de la nuit avant d’atteindre une bergerie où nous décidâmes de nous cacher pour la journée.

Quand je me réveillai en fin de matinée, je fus surpris par l’air attentif de Vicente, à côté de moi. Il glissa un doigt sur ses lèvres avant que j’aie pu ouvrir la bouche. J’écoutais à mon tour. Au loin, on entendait des coups de feu. Cela semblait venir de l’endroit où nous étions la veille. Au bout d’un moment, ce fut le silence. Vicente me chuchota :

— J’espère que les brancardiers ont pu se sauver.

Sa phrase fut ponctuée par le bruit sourd d’une détonation lointaine. Isolée. Un coup de grâce, pensai-je.

8

Ana était née à Valence, qu’elle connaissait bien. Avec sa chevelure blonde et ses yeux verts, elle n’avait pas du tout le type espagnol malgré un nom qui ne laissait aucun doute : Ana del Castillo. Fille unique d’un père ouvrier et d’une mère couturière, Ana était une communiste convaincue, et m’expliquait ses opinions politiques tout en me faisant visiter la ville. Je buvais sa voix sans entendre ses paroles. Je buvais sa voix et j’étais saoul d’espérances inavouées.

Soudain un chat traversa la ruelle devant nous et Ana, sursautant, se jeta sur moi :

— J’ai peur des chats, me confia-t-elle, tandis que mes bras n’arrivaient plus à desserrer leur étreinte.

— Celui-là va maigrir, lui répondis-je, pour dire quelque chose.

Elle me repoussa légèrement, mais garda sa main dans la mienne, tandis que nous reprenions notre marche.

— Pourquoi dis-tu qu’il va maigrir ? interrogea-t-elle, étonnée.

— Tu as vu, il avait un lézard dans la bouche. Ça fait maigrir les animaux de manger des lézards !

— Tu ne connais rien en politique, mais tu sais quand même des choses…

J’ignorais quel sens donner à sa remarque, alors je lui déclarai :

— Plus tard, je créerai une entreprise de fabrication de confiture de lézards. Je la vendrai aux femmes qui veulent perdre du poids.

Pour la première fois, j’eus le plaisir immense d’entendre son rire égrener sa gaieté dans les airs.

— Sale capitaliste, me souffla-t-elle avec un baiser sur la joue.

La chaleur de ma paume dans la sienne se consumait déjà aux braises d’un amour fou.

Merci la Vie, me dis-je, parce que merci mon Dieu, ce n’était pas assez communiste pour elle.

9

Le capitaine, le radio et les sous-officiers avaient tenu réunion. Nous nous ennuyions. Et je m’ouvrais à Vicente de cet étrange paradoxe : être un soldat en campagne et trouver le temps long.

— Tu préfères être un soldat en campagne et te faire bombarder ?

Puis Vicente s’était éloigné pour une partie de manille au cours de laquelle il plumait un Bouboule livide, encore mal remis de ses émotions guerrières.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai pensé que le premier tué de notre groupe serait José, et puis sans transition j’ai continué la lettre pour Ana, qui comptait dix-huit pages maintenant, auxquelles j’en rajouterais, tant que je n’aurais pas de solution pour la poster. Au total, il y avait cent huit « je t’aime », six par page, ce qui en réalité n’était pas beaucoup eu égard à la profondeur de mon amour.

Le capitaine nous a annoncé que nous allions rejoindre d’autres groupes le surlendemain et prendre une ville où la Guardia Civil n’était pas en nombre ni en armes conséquents. Cette nouvelle d’un assaut et d’une offensive de notre part excita beaucoup les autres. Quant à moi, je me demandais si Ana ferait partie de ces combattants communistes que nous allions retrouver.

10

Le reste de la semaine était jours sans Ana, car elle savait ne pouvoir se libérer ; notre deuxième rendez-vous fut donc fixé au dimanche suivant.

J’aurais voulu brûler le temps, pour être déjà ce jour-là, mais je n’ai réussi qu’à me faire rappeler à l’ordre par mes professeurs :

— À quoi songez-vous ?

Tant il était visible que mon esprit était ailleurs. Ana occupait en permanence mes pensées. Une obsession. Ainsi, c’était ça l’amour ? Avoir sans cesse l’autre présent dans la tête ? et le manque de l’autre en permanence ?

Une lettre de sa part, reçue le samedi, montra sans équivoque que mes sentiments étaient partagés, et me fit prendre conscience que j’aurais pu me débrouiller pour lui écrire, moi aussi, tant le plaisir était grand de lire et relire ces mots qu’elle avait tracés exprès pour moi.

Ce dimanche fut le jour de notre premier baiser.

De mes mains sur ses seins, aussi.

De l’amour-volcan qui transformait mon sang en lave en fusion que charriaient mes veines dans mon corps surchauffé.

De la déchirure quand il a fallu se quitter le soir venu.

Ne plus pouvoir serrer mon corps contre le sien, couler mes mains dans ses cheveux, caresser ses sourcils pour mieux plonger dans son regard. Coller ma bouche à sa bouche.

Et un papier glissé dans ma poche :

« Si tu veux m’écrire, avant dimanche prochain, à cette adresse… »

À cette adresse.

J’ai refait la lettre tant de fois et tant de fois que le vendredi je n’avais rien envoyé du tout, alors que moi-même, j’avais reçu quatre merveilleuses enveloppes.

Je crois me souvenir des premières lignes du poème, calligraphié en désespoir de cause, faute d’inspiration :

Me poser sur ta boucheMe perdre dans tes cheveuxMe noyer dans tes yeuxEt renaîtreRenaître contre tes seins…

Accompagné d’une page complète de « je t’aime ».

Enfin, je ne me souviens plus que du début de cet essai de poésie, et du terrible constat : n’est pas poète qui veut… Je l’ai quand même envoyé, avec plus de crainte que d’espérance.

Plus de crainte que d’espérance…

11

Plus d’espérance que de crainte.

C’est ce qui me pousse aujourd’hui à avancer plus rapidement vers les autres groupes communistes, bandes armées en prévision d’une attaque – ma première – à laquelle je participerai pour prendre une ville, mais surtout pour l’espérance d’obtenir des nouvelles d’Ana, voire de la retrouver. J’avance plus vite qu’à l’accoutumée et mes camarades me croient pressé d’en découdre et de dégommer en vrac du capitaliste, du fasciste ou du curé. Vicente seul connaît ma vraie motivation.

Après quarante-huit heures de marche, nous faisons jonction. Je vais de l’un à l’autre, demandant si quelqu’un l’a vue, sait où elle est, si elle est là, si l’on a de ses nouvelles… Je donne son nom, sa description, je montre sa photo. Un officier me dit qu’elle est probablement plus au nord, qu’on la retrouvera à Madrid, où toutes les infirmières sont affectées aux hôpitaux. Il rajoute de ne pas trop y penser, car en attendant, on a une ville à prendre. Et il me montre le piton rocheux où la bourgade attend la bataille.

La poussière en amont trahit la fuite de certains citadins, probablement les notables et les dévots, effrayés par notre approche. Nous attendons encore une journée que d’autres nous rejoignent. À voir ce nuage continuel issu du sentier de montagne à l’opposé d’où nous sommes, je me dis que nous allons entrer dans une ville vide. Ce ne fut pas du tout le cas.

Et c’est ce qui me surprendra tout au long de cette guerre : cette capacité qu’ont les villes à se vider de leurs habitants tout en restant pleines de monde. Je ne me l’explique pas. On a distribué les fusils ; Vicente me fait encore une fois toutes les recommandations. Il m’intime l’ordre, alors qu’il n’est pas plus gradé que moi, de ne pas s’éloigner de lui. Bouboule se joint à notre équipe d’intervention. Lui non plus ne tient pas à être séparé de Vicente. Je le regarde comme si c’était la dernière fois. Ça le met mal à l’aise. Un sous-officier vient nous expliquer notre mission, nous montre sur le plan les rues que nous allons prendre. Et nous dit de nous arrêter absolument à l’église. De ne pas aller plus loin car nous risquons de nous tirer dessus entre nous. C’est déjà arrivé.

Nous mettons la baïonnette au canon, et ce qui m’impressionne le plus est de penser que je pourrais transpercer quelqu’un avec ça, ou l’inverse. Bouboule, qui a été équipé d’une arme russe ancienne, est trop fébrile. Je ne sais pas comment il s’est débrouillé, mais il a fixé sa baïonnette à l’envers. Elle est au-dessus du fusil au lieu d’être au-dessous : il ne pourra pas viser. Vu son habileté au tir, ça n’aura pas des conséquences énormes sur l’issue de la bataille.

Nous sommes le second groupe d’intervention et d’autres nous précèdent dans la ville. La garde civile se défend âprement ; je ne vois aucun ennemi sur lequel tirer, quand soudain des morceaux du mur de la maison à côté de laquelle j’avance, derrière Vicente, volent en éclats. Bouboule fait un bond de côté. Un gravier du crépi l’a atteint sur les sourcils ; il saigne légèrement. Je lui conseille de ne pas rester au milieu de la rue, cible trop facile ; il n’écoute pas et se met à trembler de tous ses membres. Nous continuons à avancer.

Place de l’église. Je n’ai pas tiré une seule cartouche. Ça claque encore de l’autre côté de la ville. La garde civile reflue et se retrouve encerclée. Elle dépose les armes. Finalement, le plan a bien fonctionné. La population sort des maisons. Les habitants ont désigné les notables. Les exécutions commencent. Je préfère m’éclipser. Je n’ai pas revu Bouboule. Cette guerre ne me plaît pas. Et j’ai envie qu’on reparte vite. En direction de Madrid. Vers Ana.

12

Nous n’arrivions plus à passer une journée sans nous voir et Ana, bien plus débrouillarde et organisée que moi, dépensait des trésors d’imagination pour que nous puissions partager ne serait-ce qu’une heure ensemble. Quant à moi, il m’arrivait de faire sauter des cours, prétextant quelque mal imaginaire. Mon amour pour Ana absorbait toute la mauvaise conscience que cette attitude m’aurait value en temps normal.

Cette après-midi-là, nous disposions de plus de temps que d’habitude. Ana avait réussi à obtenir une chambre de bonne que lui avait prêtée pour l’occasion une camarade. Elle a poussé un grand cri quand je l’ai pénétrée ; et son orgasme est venu soudain, mêlant nos souffles courts, rougissant ses joues, gonflant ses lèvres, me laissant abasourdi.

À partir de ce moment-là, nous sommes devenus drogués l’un de l’autre, dans une dépendance totale.

Aux besoins de nos cœurs s’ajoutaient ceux de nos corps, fous d’envie, rendant les séparations intolérables.

Et quelque peu ceux de l’esprit, aussi, nous avions tous deux choisi d’apprendre le français comme langue étrangère dans nos institutions, et nous nous glissions parfois des mots doux dans ce langage empreint de romantisme.

13

Bouboule nous avait rejoints pour la soirée. Il n’y avait eu aucune perte dans notre groupe. Nous étions beaucoup mieux organisés que les autres, parce que le capitaine était un militaire de carrière et qu’il avait déjà participé à plusieurs campagnes. Il était républicain. Notre équipe était composée d’une vingtaine de communistes, de cinq anarchistes, du capitaine et de moi-même, républicains, et de Bouboule, dont personne ne savait ce qu’il était. Nous venions de la province ; si Bouboule avait été à Madrid, il aurait été considéré comme membre de la cinquième colonne et fusillé. Surtout parce qu’un des siens s’était engagé dans l’armée franquiste. C’est ce qu’il y a de terrible avec les guerres civiles : une même famille peut se déchirer, s’entre-tuer. Le capitaine avait assisté à une bataille où deux frères s’étaient retrouvés face à face. L’aîné, garde civil, avait embroché le plus jeune avec sa baïonnette. La mère avait assisté au procès populaire qui avait suivi en hurlant de douleur. Son grand fils avait été fusillé ; elle s’était suicidée en s’immolant par le feu pour que cesse cette guerre fratricide. Son geste n’avait pas eu plus d’écho qu’un filet dans le journal local. Aux yeux embués du capitaine, je me demandais s’il ne connaissait pas mieux cette mère qu’il ne nous l’avouait.

Bien que les communistes tiennent à s’appeler camarades entre eux, le capitaine avait organisé notre troupe avec une hiérarchie et des officiers : un lieutenant et un sergent pour les communistes, un lieutenant pour les anarchistes, et depuis qu’il avait observé l’autonomie de Vicente lors de la prise de la ville, il l’avait nommé caporal, avec Bouboule et moi-même à sa charge.

L’objectif de cette hiérarchisation était une discipline visant au maintien de la vie sauve de ses hommes. Comme notre capitaine avait grandement fait ses preuves, les communistes l’acceptaient et lui obéissaient. Les anarchistes aussi, montrant un sens pratique inhabituel.

Nous étions en route pour Tolède, où l’Alcázar et son entêté de commandant résistaient toujours aux troupes républicaines.

En plus de mes fonctions de « maître des ânes », j’avais pour tâche d’écrire des lettres aux familles pour tous ceux d’entre nous qui n’avaient pas eu la chance d’aller à l’école et, bien sûr, il m’est arrivé d’occuper la fonction de boulanger quand nous disposions de farine. D’après les camarades, j’avais eu une bonne idée de changer de profession, et l’on me supplanta rapidement par un cuisinier venu d’une autre section et qui était bien plus doué que moi dans la fabrication du pain.

C’est avec ce groupe que je suis parti pour Tolède, attendant chaque jour qu’un vaguemestre de rencontre me dise à quelle adresse envoyer mon courrier.

Le problème de la poste me paraissait vital, et comme il touchait les deux parties en guerre, j’aurais bien proposé que fût instauré un service du courrier neutre et protégé pour tous. Mais les réformes que nous mettions en place ne pouvaient s’appliquer qu’aux villages que nous traversions et dont nous chassions les fascistes. Avec l’accord de la population. Certains villages votaient même la collectivisation ; je me demandais comment ça évoluerait lorsqu’il en serait de même dans toute l’Espagne. En tout cas, la distribution de lettres n’était jamais à l’ordre du jour des réunions.

14

Ana était partagée entre le temps qu’elle passait avec moi, ses études d’infirmière et ses réunions au parti.

Elle tenta quelquefois de me convertir à la justice sociale prônée par le communisme. Notre conversation roulait de temps en temps sur l’état de l’Espagne, et bien sûr, devenait politique : elle cherchait à me convaincre du bien-fondé d’une société collectiviste.