Le dragon immobile - Jacques Vialat - E-Book

Le dragon immobile E-Book

Jacques Vialat

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Beschreibung

Dans un univers fantastique gouverné par les femmes, la révolte gronde...

Trois gardiens nous retiennent prisonniers ici : l’absence d’issues aux pièces dans lesquelles nous sommes confinés ; les brigades de Waffen-Cruëlla, athlètes femmes sadiques ne badinant pas avec le désintégrateur cellulaire, qui patrouillent en bas dans leur voiture-mobile ; et un troisième bien plus efficace à mon avis : nous ne sommes pas en mesure de respirer l’air du dehors. Trop pollué.

Entre anticipation et science-fiction, dans un monde où les femmes dominent, les hommes ne sont que des outils... Dans toute société trop aseptisée, la rébellion est une nécessité.

Jacques Vialat et Alain Mathiot associent leurs styles, élégants, oniriques et poétiques. Tout comme eux, laissez-vous entraîner dans ce monde imaginaire !

EXTRAIT

Toutes les portes du couloir s’ouvrent ensemble et j’ai retrouvé tous ceux qui travaillent au même étage que moi. A ma gauche Ignaciuss, le plus ancien. Je le vois depuis... 22 ans maintenant. Et bientôt, je ne le verrai plus. Dans quelques semaines il aura 54 ans, il nous rebat assez les oreilles avec ça, plutôt content. Il y a de quoi : il aura fait son temps et on viendra le chercher pour Eden-Hortus. Nous avons tous droit à Eden-Hortus quand nous atteignons cet âge-là. Le bruit court que c’est fabuleux. Ça doit l’être puisque aucun de ceux que j’ai vu partir, et bien que certains d’entre eux m’aient côtoyé de nombreuses années, n’est revenu pour me le décrire. Ils sont vraiment trop bien là-bas ! Je peux comprendre ça. Pourtant, Pierre m’avait promis... Enfin, dans six ans, je le rejoins.
Bref, nous nous retrouvons toujours avec plaisir dans ce couloir. Gavés de silence et de solitude pendant plus de huit heures, nous voulons tous parler à la fois. Ce soir, il y a corripap à la cinétélé. C’est le spectacle préféré des Femmes. Pas loin d’être le nôtre aussi. Quoiqu’en ce qui me concerne, je préfère les reportages scientifiques. Parfois, mes expériences sont citées. Quand même, je dois à la vérité de le dire : je ne rate jamais une retransmission de corripap. Peut-être parce que c’est la seule émission en direct et que le suspense y est toujours présent. Peut-être. Plus sûrement parce que la caméra se perd de temps en temps dans les tribunes et que je Les vois, Elles. Le silence dans notre salle devient alors angoissant, presque palpable. Heureusement, ces scènes ne durent jamais plus de quelques secondes, et les poitrines peuvent rapidement se remettre à respirer.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Vialat a la passion des livres, et avec elle, celle de l’écriture. Il voyait sa première nouvelle publiée dès l’âge de quinze ans, son premier poème lu à France Inter alors qu’il avait dix-sept ans. De cette passion sont nés cinq romans et une maison d’édition, les éditions ThoT, en hommage au dieu des scribes chez les Égyptiens. Un recueil de nouvelles et un recueil de poèmes ont complété la famille. Ces textes, Jacques Vialat les écrit la nuit, au moment où l’inspiration se mêle à l’obscurité et remplit ses veines d’une encre épaisse.

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Présentation de l'auteur

Jacques Vialat a été écrivain public, puis auteur d’ouvrages professionnels avant de se consacrer au roman. Passionné de livres, il a longuement hésité entre une carrière de libraire ou d’éditeur avant de choisir cette dernière.

Résumé

Trois gardiens nous retiennent prisonniers ici : l’absence d’issues aux pièces dans lesquelles nous sommes confinés ; les brigades de Waffen-Cruëlla, athlètes femmes sadiques ne badinant pas avec le désintégrateur cellulaire, qui patrouillent en bas dans leur voiture-mobile ; et un troisième bien plus efficace à mon avis : nous ne sommes pas en mesure de respirer l’air du dehors. Trop pollué.

Entre anticipation et science-fiction, dans un monde où les femmes dominent, les hommes ne sont que des outils... Dans toute société trop aseptisée, la rébellion est une nécessité.

Jacques Vialat et Alain Mathiot associent leurs styles, élégants, oniriques et poétiques. Tout comme eux, laissez-vous entraîner dans ce monde imaginaire.

1

J’étais heureux. Je venais de réussir huit heures consécutives d’accoutumance sans avoir mal à la tête.

Je me sentais prêt.

Et de toutes manières, je ne pouvais consacrer plus de temps à mon entraînement sans me faire repérer car nous ne travaillions que neuf heures par jour. Je suis donc retourné à mon poste. Mon ordinateur fonctionnait seul grâce au programme de recherche autonome que j’avais mis au point, et les listings qu’il avait produits laissaient à penser que je n’avais pas quitté mon siège de la journée.

Seul le fait que je n’avais touché aucun des aliments, tant solides que liquides, qui traversaient la pièce sur le tapis roulant, pouvait leur mettre la puce à l’oreille. Mais ça m’était arrivé plus d’une fois déjà, il y a des années, justement à l’époque où je mettais au point le programme qui me remplace maintenant, et je ne crois pas qu’Elles l’aient jamais remarqué.

D’ailleurs, le tapis roulant fait le tour de tout l’étage et chacun des hommes se sert sans contrôle dans son bureau individuel. Tout ce qui nous est demandé est de remettre les couverts vides et les déchets sur l’autre côté du tapis, derrière la ligne jaune. Quelque part sur la chaîne, quelqu’un doit être chargé de nettoyer tout ça. Quand je vois ce qui passe, je suis content que ce ne soit pas moi.

J’ai vidé d’un trait le premier verre d’eau stérilisée qui passait. Il faudra que je me débrouille pour en faire une provision. Au début, quand je commençais à m’entraîner à respirer l’air extérieur, j’avais la gorge très irritée. Maintenant, j’ai simplement très soif. J’ai donc bu tous les verres qui se présentaient. J’en étais à mon quatrième quand la sonnerie a retenti. J’ai appliqué la procédure d’arrêt de l’ordinateur et me suis tenu debout devant la porte, sur le petit carré.

Alors, trois cloisons sont descendues du plafond et le petit carré, transformé en ascenseur, m’a emporté au sous-sol. J’ai senti l’arrêt dans les jambes et la porte s’est ouverte.

Toutes les portes du couloir s’ouvrent ensemble et j’ai retrouvé tous ceux qui travaillent au même étage que moi. A ma gauche Ignaciuss, le plus ancien. Je le vois depuis... 22 ans maintenant. Et bientôt, je ne le verrai plus. Dans quelques semaines il aura 54 ans, il nous rebat assez les oreilles avec ça, plutôt content. Il y a de quoi : il aura fait son temps et on viendra le chercher pour Eden-Hortus. Nous avons tous droit à Eden-Hortus quand nous atteignons cet âge-là. Le bruit court que c’est fabuleux. Ça doit l’être puisque aucun de ceux que j’ai vu partir, et bien que certains d’entre eux m’aient côtoyé de nombreuses années, n’est revenu pour me le décrire. Ils sont vraiment trop bien là-bas ! Je peux comprendre ça. Pourtant, Pierre m’avait promis... Enfin, dans six ans, je le rejoins.

Bref, nous nous retrouvons toujours avec plaisir dans ce couloir. Gavés de silence et de solitude pendant plus de huit heures, nous voulons tous parler à la fois. Ce soir, il y a corripap à la cinétélé. C’est le spectacle préféré des Femmes. Pas loin d’être le nôtre aussi. Quoiqu’en ce qui me concerne, je préfère les reportages scientifiques. Parfois, mes expériences sont citées. Quand même, je dois à la vérité de le dire : je ne rate jamais une retransmission de corripap. Peut-être parce que c’est la seule émission en direct et que le suspense y est toujours présent. Peut-être. Plus sûrement parce que la caméra se perd de temps en temps dans les tribunes et que je Les vois, Elles. Le silence dans notre salle devient alors angoissant, presque palpable. Heureusement, ces scènes ne durent jamais plus de quelques secondes, et les poitrines peuvent rapidement se remettre à respirer.

J’ai pris une douche à la vapeur javellisée rafraîchie et je suis allé rejoindre les autres dans la salle de cinétélé. J’ai pris ma place habituelle, près de la porte. À côté d’Ignaciuss et derrière Donelli, qui est un peu grand et me cache le coin gauche de l’écran, en bas. Mais chaque fois que j’ai pu choisir une place quelque part, j’ai toujours pris la plus proche de la porte.

Atavisme de la fuite, peut-être...

Le torréapap est Alpha-Sanchez. Un jeune d’une vingtaine d’années que je vois pour la première fois. Ceux qui lisent les revues spécialisées le connaissent.

Grand. Bien bâti. Belle gueule. Il a dû servir à plusieurs reprises pour la reproduction. Et peut-être récemment, car je lui trouve des cernes anormalement marqués sous les yeux. Comme tous les torréapaps avant la joute, il respire beaucoup de vanité. Plus quelque chose, comme de la lassitude, et la peur en filigrane.

Les torréapaps sont souvent choisis pour la reproduction. C’est vrai qu’ils sont toujours athlétiquement formés et généralement beaux, alors...

Nous, nous les jalousons un peu, et à dire vrai, entre le taureau, le papillon ou l’homme, je ne suis pas certain de pouvoir affirmer duquel nous préférons la mort.

Sauf Aquilar. Aquilar, c’était notre idole. Sympathique, simple, souriant, il remplaçait la peur par la malice et a toujours gagné. Il a combattu très tard, jusqu’à 40, 42 ans peut-être. Ça fait deux ou trois ans qu’on n’en entend plus parler. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Peut-être a-t-il eu droit à l’Eden-Hortus en avance ? Ce serait justice.

En tout cas, je suis sûr que Donelli, devant moi, est son fils. Il lui ressemble vraiment. Dommage pour lui qu’il ait cette lenteur de mouvement, il aurait pu faire un torréapap convenable. Quoique, même en tant qu’informaticien, il ne s’occupe que des tâches de maintenance. Il n’est pas à notre étage, celui des chercheurs.

Enfin, j’avais espéré que notre quotient intellectuel pouvait être un élément favorable, mais ce n’est pas le cas.

En ce qui me concerne, je n’ai été choisi qu’une fois. J’avais 25 ans. Elle m’a dit : « Je t’ai demandé parce que tu as une lignée formidable. Sais-tu que tous tes ancêtres ont été soit des chefs guerriers redoutés, soit des anarchistes avides de liberté, impossibles à emprisonner tant l’évasion était dans leur nature ? Tu peux me faire une fille au caractère d’exception ! »

Comment voulait-elle que je le sache ? Aucun homme jamais n’avait eu accès au Musée des Archives.

C’est son robot qui l’avait préparée et notre étreinte avait été brève. J’avais cependant, toujours ancrée dans la mémoire, comme marquée au fer rouge, cette fabuleuse sensation de chaleur, d’humide et de tendre qui avait entouré mon sexe quand je l’avais pénétrée. Et son goût dans ma bouche. Il me semblait que les pointes de ses seins avaient à jamais creusé des lignes supplémentaires dans les paumes de mes mains, orphelines de son corps.

Je ne l’ai plus revue par la suite. Je ne sais même pas si l’enfant que j’ai mis dans son ventre, adulte aujourd’hui, est mâle ou femelle.

Mais je le saurai bientôt. Car moi, je vais l’atteindre, le Musée des Archives.

La présentation du torréapap achevée, les caméras se tournent vers le taureau : un de la manade Pedro, des plus terribles et des mieux entraînés, féroce, extrêmement vif, une tonne de muscles ponctuée par deux énormes cornes aiguisées comme des rasoirs.

Puis le papillon, de la race lex-fluminis. Rapides, légers, mais peu maniables à cause de leur énorme envergure : deux mètres trente pour celui-là. Ils doivent leur nom à la très belle couleur rouge vif qui les pare. Elle a pour fonction d’exciter leurs proies et de les attirer. D’ailleurs, avec le bleu de l’arène, le noir du taureau, l’habit jaune d’Alpha-Sanchez et ce rouge-là, on peut s’attendre à voir un spectacle haut en couleurs.

En fait, ce type de combat n’est pas récent. Mais il n’a été introduit dans sa forme actuelle que l’année des grandes crues, lors de l’accession des Femmes au pouvoir.

Il consiste à capturer un de ces papillons-vampires géants, à lui coudre sur le dos des ailes deux poignées en cuir que le torréapap tiendra dans chacune de ses mains.

Déjà, la chose est difficile en soi. Tenir l’un de ces papillons-vampires est délicat. Ils sont très forts et cherchent à se retourner. S’ils y arrivent, ils collent leur abdomen sur votre visage et emprisonnent vos bras de leurs ailes. Vous ne pouvez les décoller sans vous arracher la peau. Ils piquent la carotide de leur dard et aspirent votre sang.

Leurs proies préférées sont l’homme, le taureau et le pacifique cheval-sirène. Ils évitent le cheval-ailé, peut-être parce qu’ils partagent les airs avec lui et le considèrent comme un vague cousin.

En ce qui concerne le taureau, la difficulté est d’éviter les cornes qui lui déchireraient les ailes ; alors, le papillon-vampire est obligé d’appliquer une autre technique : il se pose sur le dos de l’animal et le dard cherche directement à atteindre l’aorte, entre les pattes.

Dans ce genre de match, les règles sont simples : le papillon cherche soit à échapper à l’homme pour le tuer, soit à tuer directement le taureau, tout en évitant, avec l’aide de l’homme, les cornes acérées.

Le taureau a le choix entre déchirer les ailes du papillon, encorner l’homme, ou mourir.

Quant à l’homme, il doit maintenir fermement les ailes du papillon ouvertes, dos du papillon vers lui pour l’empêcher de l’attaquer (de dos, le papillon est très beau et inoffensif), en ouvrant le plus grand possible les ailes, il va les empêcher de battre et attirer le taureau de telle sorte que celui-ci fonce dessus, il les enlève au dernier moment pour poser l’abdomen ventouse sur le dos du taureau. Cela demande force et vitesse. Aquilar y ajoutait l’ingéniosité.

Les premières passes sont très rapides. Les caméras-micros greffées sous l’épiderme de chaque combattant montrent la sueur, le souffle court... L’homme pousse de petits cris involontaires, à peine audibles, chaque fois que le taureau fonce vers lui. Il soulève cependant le papillon au bon moment, avec un pas de côté juste quand les cornes arrivent à sa hauteur. C’est d’ailleurs souvent le moment le plus dangereux : quand le taureau est passé, l’homme lui tourne le dos, si l’animal arrive à faire très rapidement volte-face, il l’empale par derrière.

Mais Alpha-Sanchez ne risque rien avec cette bête-là, qui a peur du papillon et n’est pas encore assez excité par le rouge vif des ailes. Il passe très rapidement, pas trop près, pour éviter le papillon et va terminer sa course trop loin.

Il s’essouffle plus vite aussi. Ce taureau n’a pas assez de caractère pour l’arène. Il va mourir.

L’homme aussi a peur. Il est fatigué. Sa respiration est courte. Elles ont dû l’utiliser dans l’après-midi et il n’a pas eu le temps de récupérer. Le papillon, lui, est enragé. Il se débat dans les bras puissants de l’homme qui le maintient aussi fermement que possible. Ce papillon est pétri de haine. Il excite le taureau avec l’ondoiement du rouge ; il l’excite à le rendre fou. Le taureau renâcle de la patte et fait voler le sable bleu sous son ventre. Il a peur mais l’autre l’excite avec son rouge et une mousse de bave sort de sa bouche. Il a peur mais soudain l’excitation est la plus forte. Il fonce.

Avec cette peur qui lui tenaille le ventre, il a infléchi sa course avant le but et, comme par réflexe, donné un coup de tête sur la gauche.

La corne s’est à peine enfoncée dans l’aile du papillon. Un petit trou. Un tout petit trou.

Alpha-Sanchez n’a pas eu de chance. La corne lui a transpercé la main et il a lâché l’aile. Aussitôt le papillon s’est retourné sur lui. Un grand cri vite étouffé quand l’abdomen s’est plaqué sur son visage. Quelques battements de jambes désordonnés, une tentative de course aveugle et inutile, et puis plus rien. Alpha-Sanchez s’est affaissé tout doucement, vide de son sang, tandis que le papillon repu s’envolait dans le gris du ciel.

À l’autre bout de l’arène, le taureau regardait, immobile. La cinétélé s’est refermée.

Nous avons regretté que le spectacle finisse si vite.

2

Nous sommes quatre par chambrée. Avec moi, il y a Ignaciuss, Donelli et Critias, un grand blond aux yeux verts qui a été choisi à maintes reprises pour la procréation. Chaque fois, nous lui demandons de nous dire et sa description occupe nos soirées. On le lui redemande le lendemain et le jour suivant et ainsi de suite pendant plus d’un mois. Comme ses récits, bien qu’ils se rapportent aux mêmes faits, évoluent de soir en soir, je le soupçonne d’en rajouter un peu.

Donelli, lui, ne raconte jamais rien. Las de nos demandes incessantes qui le laissent bouche close, nous avons décidé ensemble de lui faire la gueule, il y a deux ans, et depuis nous ne lui avons plus adressé la parole. Je n’ai pas l’impression qu’il s’en porte plus mal.

Ce soir nous commentons la corripap. C’est Ignaciuss le spécialiste. Il nous explique qu’Alpha-Sanchez aurait pu s’en sortir facilement en étant plus rapide. Le taureau avait peur et dès la première passe il aurait dû tenter de lui coller le papillon sur le dos.

J’aime bien écouter Ignaciuss. Quand il commente le combat, j’ai l’impression d’en voir un autre. Il sent, il comprend, tout ce que je ne perçois même pas. Ses explications sur les stratégies des protagonistes sont limpides. Je regretterai son départ.

Quant à moi, je passe pour un grand joueur d’échecs. Ce qui est vrai car je joue contre les trois à la fois et je les bats pratiquement à tous les coups. Ne pas adresser la parole à Donelli n’empêche pas de jouer aux échecs contre lui.

Ce soir, je me couche tôt car demain est pour moi un grand jour. Je suis content ; malgré mes huit heures d’entraînement, je ne tousse même pas. Mon accoutumance est achevée. J’envisage sereinement la deuxième partie de mon plan.

3

Les trois cloisons sont montées s’incruster dans le plafond et je me suis retrouvé dans ma salle de travail. J’ai mis en route le programme de recherche autonome et l’ordinateur s’est connecté tout seul à l’imprimante comme au reste du réseau.

J’avais réussi à cacher mon excitation jusque-là, mais maintenant, c’était devenu impossible. Une immense bouffée de bonheur m’avait envahi. Je n’étais plus que cette bouffée tandis que je regardais par la fenêtre le grand immeuble en bas : le Musée des Archives mêlait tranquillement le gris de sa pierre à celui de l’air ambiant. Il m’attendait.

Trois gardiens nous retiennent prisonniers ici : l’absence d’issues aux pièces dans lesquelles nous sommes confinés ; les brigades de Waffen-Cruëlla, athlètes femmes sadiques ne badinant pas avec le désintégrateur cellulaire, qui patrouillent en bas dans leur voiture-mobile ; et un troisième bien plus efficace à mon avis : nous ne sommes pas en mesure de respirer l’air du dehors. Trop pollué. Hormis les torréapaps et les éleveurs de yacks-à-lait-caillé, nous sommes tous maintenus dans une ambiance ultra stérile de laquelle toute particule agressive, ou simplement source de nuisance potentielle, est bannie. Quiconque serait exposé à l’air extérieur verrait l’asphyxie le guetter.

Voilà pourquoi depuis sept ans je m’entraîne. J’ai d’abord pratiqué un petit trou dans l’énorme tuyau de rejet de l’air usé. Comme nos pièces sont en surpression pour éviter qu’un incident de ce type ne permette la diffusion de l’air mauvais, le système d’alerte n’a rien détecté. Quant à moi, j’ai utilisé une paille pour aspirer cet air et y habituer mes poumons. Au début, et malgré une consommation vertigineuse d’antibiotiques et d’antihistaminiques, l’accoutumance a été très difficile. Ma gorge s’écorchait, les yeux me grattaient à vouloir sortir de leur orbite, la poitrine me brûlait, j’avais un continuel mal de tête accompagné de nausées.

Maintes fois, j’ai failli abandonner.

Mais j’avais trop envie de savoir.

Alors, j’ai agrandi le trou peu à peu. Aujourd’hui, la fente est assez large pour me livrer passage. C’est par ici que je vais sortir.

Trop envie de savoir.

En février de l’année des aciers mats, il y a 22 ans, j’ai été convoqué chez C. Capon, avec la mission de procréer.