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Alphonse Allais

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« Monsieur le rédacteur, « La lecture de vos écrits m'a souvent révélé l'étroite intimité qui vous lie à la personne de M. Lépine, le bien connu chef de la police parisienne. « Aussi ne saurais-je m'adresser à meilleur intermédiaire que vous, monsieur le rédacteur, pour projeter sur l'affaire dite de l'« homme coupé en morceaux » la lueur destinée à en dissiper les soi-disant épaisses ténèbres. « Peu de jours après la découverte des funèbres débris que vous savez, et devant l'impuissance policière, certains plaisantins d'esprit facile rééditèrent l'antique facétie : « Ne cherchez pas le ou les assassins. Ce garçon-là s'est suicidé. » « Eh bien, cher monsieur, pour une fois, comme dit Kistmaeckers, les plaisantins d'esprit facile avaient raison : « Ne cherchez pas le ou les assassins. Ce garçon-là s'est suicidé. »

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« Je ne lis pas souvent les journaux, mais quand je les lis, je ne m’embête pas... »

Sommaire

La vérité sur l’homme coupé en morceaux dévoilée par l’assassin lui-même

Pour se donner une contenance

Le mardi à travers les âges

Réputation usurpée

Proposition d’un malin polonais

Madrigal manqué

Erreur

Le Panthéon anthume

Un curieux bio-point de droit

Une petite femme bien moderne

Manchots

Ménageons jusqu’à la susceptibilité des météores

Paris tropical

Suppression des océans, mers, fleuves et, en général, des différentes pièces d’eau qui garnissent la surface du globe

Philologie

Saint Élie, patron des chauffeurs

La question de la Loire

Oui, décidément réformons l’orthographe

Les albatros voyageurs

Gabelle macabre

À monsieur Ousquémont-Hyatt, à Gand

Légitime revendication

La main dans la main, désormais

L’émigration au pôle

L’Érébium

Pour embêter Franc-Nohain

La mort de Coco

L’apulvie par le cartonnage

La question du cartonnage des routes

Le major Heitner ou une concurrence au bon Dieu

Propos d’exil

Appel aux savants de tous les pays

Contrôle de l’État

Skating

Un garçon sensible

Telle mère...

Un moyen comme un autre

Conte à Guy Cros (6 ans)

Un bien brave homme

Début de M. Foc dans la presse quotidienne

Un remède anodin

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Pas pressé

Les sacs imperméables ou supériorité de l’éducation scientifique sur ce qu’on était jadis convenu d’appeler les « humanités »

Résultat inespéré

Un point d’histoire fixé

La vérité sur l’homme coupé en morceaux dévoilée par l’assassin lui-même

En quel trouble me jeta la lettre que voici, de quelle perplexité s’agite, à ces confidences, mon esprit désemparé, les gens de cœur, les gens d’élite qui forment la clientèle du Journal le concevront sans peine.

« À Monsieur Alphonse Allais,

« principal rédacteur du Journal,

« 100, rue Richelieu,

« Paris.

« Monsieur le rédacteur,

« La lecture de vos écrits m’a souvent révélé l’étroite intimité qui vous lie à la personne de M. Lépine, le bien connu chef de la police parisienne.

« Aussi ne saurais-je m’adresser à meilleur intermédiaire que vous, monsieur le rédacteur, pour projeter sur l’affaire dite de l’« homme coupé en morceaux » la lueur destinée à en dissiper les soi-disant épaisses ténèbres.

« Peu de jours après la découverte des funèbres débris que vous savez, et devant l’impuissance policière, certains plaisantins d’esprit facile rééditèrent l’antique facétie : « Ne cherchez pas le ou les assassins. Ce garçon-là s’est suicidé. »

« Eh bien, cher monsieur, pour une fois, comme dit Kistmaeckers, les plaisantins d’esprit facile avaient raison : « Ne cherchez pas le ou les assassins. Ce garçon-là s’est suicidé. »

« Il s’est suicidé, c’est-à-dire – précisons – qu’il est mort, de sa propre volonté, à l’exacte minute qu’il désirait.

« Si ce n’est pas là du suicide, alors, monsieur le rédacteur, qu’est-ce qu’il vous faut ?

« Comme instrument de son trépas, il ne choisit aucun des stratagèmes personnels jusqu’aujourd’hui d’usage en telle fin : il préféra la main d’un ami.

« Ce mot exige, et au plus tôt, une explication.

« Né de père inconnu, ayant perdu sa mère à l’âge de set ans, le jeune Alcide P... (c’est le nom de la victime) fut élevé dans un orphelinat religieux, duquel il ne sortit plus guère que pour entrer comme novice dans l’ordre des...

« Voilà déjà qui explique comment la brusque disparition du pauvre garçon ne suscita, dans ce que, nous autres religieux, nous appelons le « monde », aucune apparente manifestation.

Alcide P..., dont j’étais l’intime ami, me prit un jour à l’écart, dans le préau du couvent, et me tint ce langage : « Tu n’es pas, frère, sans constater comme je m’abîme de jour en jour dans le gouffre du dépérissement physique et moral. La vie m’est devenue à ce point intolérable, qu’au risque de perdre mon salut éternel, je suis disposé à me tuer, tu entends bien, frère, à me tuer ! »

« Une flamme de résolution brillait au regard d’Alcide P... : son parti était pris, je le sentais, farouchement.

« C’est alors que, afin de sauver l’âme du pauvre garçon, je lui offris la combinaison suivante : je le tuerais, après quoi lui, arrivé au ciel, intercèderait pour moi, cependant que, de mon côté, je n’aurais pas trop de tout le restant de mon existence pour expier un aussi odieux forfait.

« Et, maintenant, je me sens étreint par le remords et surtout – ne le cachons point – par la crainte d’un châtiment terrestre.

« Voulez-vous donc avoir l’obligeance, monsieur le rédacteur, d’implorer de M. Lépine et des autres justiciers de la République l’assurance formelle qu’il ne me sera rien fait.

« Et je dirai tout !

« Si, d’autre part, la direction du Journal était disposée à me payer convenablement le récit, dans tous ses détails, de cette curieuse opération, on pourrait s’arranger (vous auriez, bien entendu, votre petit tant pour cent).

« En l’attente d’une double réponse favorable, veuillez, monsieur le rédacteur, agréer, etc., etc.

« Frère J... »

M. Lépine, à qui j’ai communiqué cette étrange lettre, n’est pas loin de croire à quelque mystification. Ça devient une idée fixe chez lui.

Pour se donner une contenance

Comme tout le monde, j’ai quelques cadavres sur la conscience, pas mal même, et quand j’y pense, un petit frisson me court à fleur de peau et la lividité envahit ma sympathique physionomie.

Des femmes, surtout.

Oh ! que j’en ai vu mourir de ces malheureuses !

Les unes, directement sous mes coups ; les autres, victimes de la passion malheureuse que leur inspirait ma beauté fatale.

L’une d’elles, pourtant, eut de la chance.

La pauvrette s’était précipitée d’une fenêtre du cinquième étage. Elle eut la chance de tomber sur un vitrage, mais de tomber, comment dirai-je ?... par le gros bout.

De telle sorte qu’elle se tira de cette aventure assez heureusement, sauf d’innombrables coupures audit... gros bout.

Je me rappelle même un mot fort drôle du médecin qui la pansait

« Est-ce que ça se verra, docteur ? demandait la jeune victime inquiète.

– Ah ! dame, répondit spirituellement l’habile praticien, cela dépendra de vous, mademoiselle. »

Pour clore cette funèbre série de féminins martyrs, j’ajouterai, avec des larmes dans la plume, que ma dernière bonne amie, une nommée L... N..., est allée, de désespoir, s’offrir en pâture aux sangliers des Ardennes.

Pauvre L... N...

Côté des hommes, je suis également titulaire et responsable d’une demi-douzaine de trépas prématurés, sans compter mes parents, qui sont tous morts de chagrin, au spectacle de mon dévergondage incoercible.

Car (quelqu’un de vous le croirait-il ?) je n’ai pas toujours été le petit bourgeois replet, actif et rangé que vous connaissez.

Un temps fut où – mauvais souvenir – celui qui écrit ces lignes n’était qu’un étudiant gouapeur, flemmard et plaisantin, préférant aux savantes leçons de M. Jungfleish les terrasses ensoleillées de la rue de Médicis, et pas autrement occupé qu’à mystifier ses contemporains.

Regrettables époques !

Bien souvent, ces mystifications tournaient mal pour leurs auteurs et compromettaient parfois leur carrière.

J’avais pris en grippe un vieux petit monsieur grincheux qui occupait un appartement au premier étage de la maison dont le toit m’abritait.

Ce vieux petit monsieur me le rendait bien, mais son âge et sa situation sociale lui interdisaient de riposter aux mille galipettes journalières dont je m’évertuais à entourer son existence.

Un jour, j’arrive à l’école – rara avis – pour passer un examen.

Parmi les examinateurs, j’aperçois qui ?

Vous avez deviné : le vieux petit monsieur grincheux, chargé de sonder mes connaissances botaniques.

Oh ! combien rudimentaires, mes notions.

Le vieux petit monsieur grincheux m’offrit une plante médicinale, me demandant sur un ton d’où était bannie toute urbanité :

« Qu’est-ce que c’est que ça ?

– C’est du chou-fleur, monsieur.

– Le nom latin ?

– Je ne me rappelle pas, monsieur, mais je puis vous dire le nom anglais : cauliflower.

– Gardez votre anglais pour vous... Et à quels caractères avez-vous reconnu cette plante ?

– Mais, monsieur, je n’ai pas besoin de caractères pour reconnaître du chou-fleur.

– Ça suffit... merci, monsieur. »

Le vieux petit monsieur grincheux se vengea spirituellement de mes plaisanteries en me priant de repasser à une autre session.

Une autre farce eut une issue plus tragique.

À cette époque, le Quartier latin possédait encore des coins pittoresques, disparus depuis sous la pioche du démolisseur. Ainsi, il n’était pas rare de voir des maisons en contrebas, tellement placées que le niveau d’une rue voisine correspondait à leur troisième étage.

C’était le cas d’un étudiant en droit, garçon effroyablement timide, dont la fenêtre était placée juste à la hauteur d’une rue voisine et parallèle.

De cette rue, on plongeait dans la chambre du jeune homme, aussi aisément que si on l’eût habitée soi-même.

Un jour, je passais dans cette étrange rue.

L’étudiant travaillait près de sa fenêtre.

Je m’accoudai à la balustrade et me mis à le contempler comme une bête curieuse.

Un passant, intrigué de mon attention, s’arrêta, puis deux, puis quatre, puis vingt.

Au bout de quelques minutes, notre groupe s’appelait légion, sans que le travailleur eût songé à se distraire de ses bouquins.

À la fin, pourtant, il leva les yeux, aperçut la foule, et se submergea de confusion, quand il fut assuré que c’était bien lui l’objet de cette curiosité collective.

Le pauvre garçon, incapable de supporter ces mille regards, perdit la tête.

Il ne trouva rien de mieux que de se pendre, pour se donner une contenance.

Le mardi à travers les âges

Mercredi, 4 octobre.

Hier matin, quand ma petite bonne eut cargué les jalousies de mes fenêtres, je demandai :

« Dites-moi, Lucie, quel jour est-ce aujourd’hui ?

– C’est aujourd’hui mardi », me répondit-elle de son petit air effronté qui commence à me déplaire singulièrement.

Mardi ! C’était aujourd’hui Mardi ! Et tout en m’habillant, je ne savais me défaire d’un trouble étrange, d’une mystérieuse mardipathie qui me faisait dire et mille fois répéter : C’est aujourd’hui Mardi !

Mardi ! Quel monde de souvenirs, quel océan d’espoirs n’évoque-t-il pas, ce simple mot : MARDI.

Vous ne trouvez pas ? Moi, si !

L’institution du Mardi remonte aux temps les plus reculés.

Quand le Bon Dieu, qui ne se contente pas d’être le Grand Architecte de l’Univers que l’on sait, mais qui est encore un remarquable chimiste, un physicien qui connaît son affaire et un astronome de réel mérite ; quand le Bon Dieu, dis-je, eut enfin mis un peu d’ordre dans cette anarchie du chaos et que, par des procédés tenus secrets jusqu’à présent, Il eut séparé les matières solides de l’élément liquide (électrolyse, sans doute), Il adopta le système qui consiste à alterner, sept fois par semaine, la lumière et les ténèbres.

De cet instant datent les jours et les nuits, préalablement confondus en une sorte de magma gris sale assez difficile à reconstituer.

Le Mardi fut l’un de ces jours. À cette époque, il ne s’appelait pas encore Mardi. Peut.être même ne s’appelait-il pas du tout. Peu importe, le Mardi existait ; il serait puéril et fallacieux de chercher à le nier.

(L’enfant n’existe-t-il pas avant d’être baptisé ? Eh bien, alors ?)

C’est dans la Genèse – un ouvrage assez curieux du regretté Moïse – que nous trouvons la trace du premier Mardi connu :

« Le deuxième jour, lis-je dans ma traduction, Dieu créa le firmament

qu’il appela ciel (sic). »

Ce deuxième jour, c’était le Mardi.

Reconnaissons que ce fut une journée consciencieusement remplie et qu’il faudrait étrangement fouiller l’Histoire des Journées avant d’en rencontrer une aussi bien occupée.

Le nom de Mardi que nous avons octroyé à ce jour, signifie en latin jour de Mars.

(Mars, un des meilleurs élèves du joyeux Priape, détenait à l’Empyrée le portefeuille de la Guerre.)

Le Mardi est considéré par les Espagnols comme jour néfaste (tel chez nous le vendredi).

Il ne convient pas de prêter la moindre créance à cette ridicule superstition, car – de même que leurs voisins les Portugais sont toujours gais – les Espagnols sont toujours gnols.

Une des marques les plus appréciées du Mardi est le Mardi-Gras (Le même Gras a également attaché son nom à un fusil. Drôle d’idée, entre nous, d’attacher son nom à un fusil !)

Mais les temps marchent, et, si nous sommes bien informé, le Mardi-Gras, si fêté jusqu’à ce jour, ne serait pas loin de piquer une tête dans les abîmes de l’oubli.

L’Observatoire de Paris, en effet, d’accord avec le bureau des longitudes, va proposer au gouvernement de remplacer le Mardi-Gras par le MardiLebel (12 coups à la minute). Peste, mon cher !

Voilà un Mardi durant lequel on ne s’embêtera pas.

Réputation usurpée

« Et le Bon Dieu, mon cher monsieur Bénévol Mansuet, qu’en pensez-vous, du Bon Dieu ? »

La question n’était pas achevée, que nous assistions au plus inattendu des spectacles inoubliables.

Une lueur de haine venait de fulgurer l’atmosphère, si calme d’habitude, des yeux amènes de M. Bénévol Mansuet.

Un affreux rictus tordait la bouche, la bonne bouche avenante de notre ami, cependant qu’un tremblement nerveux agitait ses mains, ses mains blanches de prélat doux.

« Le Bon Dieu ! rugit-il, le Bon Dieu ! Ah ! il est joli votre Bon Dieu !... Le Bon Dieu, mais c’est un... »

Ici un mot que, désirant ne point, même indirectement, froisser les convictions religieuses, peut-être, d’une partie de notre clientèle, nous nous empressons de n’insérer point.

Animé, lui-même, de ce sentiment, M. Bénévol Mansuet s’était vite ressaisi, et, tout honteux de son emportement :

« Mais, pardon, s’excusait-il, je serais au désespoir... »

Et toute sa physionomie reflétait les remords d’avoir pu causer une peine, même légère, à l’un des membres de l’assistance.

« Ne regrettez rien, mon cher Bénévol, ne regrettez rien du tout. Pas un de nous qui ne professe, sur le terrain religieux, le plus intégral peaudeballisme.

– Et même, renforça Jules, notre peaudeballisme se panache de la plus âpre frénésie. Si, je ne dis pas un catholique, je ne dis pas un chrétien, je ne dis pas un être professant une religion quelconque, si le plus pâle spiritualiste se permettait de pénétrer ici, apprenez qu’il serait reçu à coups de barres d’anspect sur la figure. »

Ainsi rassuré sur notre faible cultisme :

« Le Bon Dieu, mes amis, poursuivit M. Bénévol Mansuet, est le seul être actuellement vivant pour lequel j’éprouve quelque aversion.

– Qu’a-t-il fait, pour cela, le Bon Dieu ?

– Ce qu’il a fait ?... Ce qu’il a fait ?... Mais quand ce ne serait que

l’Univers, que la Nature !

– La Nature ?... Que dites-vous, Bénévol ?... Mais c’est beau, la Nature !

– C’est beau, mais c’est triste.

– Étrange pessimisme !

– Combien légitime, ce pessimisme !... Citez-moi quelque chose d’aussi effroyablement désolant, d’aussi impitoyable, d’aussi féroce que cette charmante petite organisation qui s’appelle la Nature, l’autophage Nature...

– Comment ! la Nature boulotte des voitures automobiles ?

– D’abord, oui, elle en boulotte comme elle boulotte tout, mais ce que je veux dire par autophage, c’est que la Vie des Êtres ne se propage et s’éternise qu’avec le concours de la substance des autres.

Et comment ?

– Ah ! oui, on peut le dire, et comment ! car cette substance, sauf de rares exceptions, sert à repaître les autres, alors qu’elle est encore à l’état vivant, pantelant, sensible.

– Pourtant vrai !

– Tenez, moi qui vous parle, il y a une chose que je ne pardonnerai jamais au Bon Dieu : c’est l’impossibilité où je me trouve de manger un malheureux œuf à la coque sans éprouver les plus atroces remords.

– Ah ! par exemple, voilà qui est particulier !

– Pour obtenir des œufs à la coque, il faut faire bouillir de l’eau. Or, en faisant bouillir de l’eau, songez-vous à la torture de ces millions de pauvres petits microbes brusquement élevés à la température de cent degrés centigrades, calorique auquel nul entraînement préalable ne les a disposés ?

– Depuis le temps que l’humanité fait bouillir de l’eau, ils doivent avoir l’habitude.

– Ah ! mes bons amis, veuillez ne pas sourire... Que diriez-vous au spectacle de plusieurs millions de chevaux plongés dans une spacieuse marmite remplie d’une eau maintenue pendant quelques minutes à l’état d’ébullition ? Oui, que diriez-vous ?

– Un cri d’horreur s’échapperait sans doute de nos poitrines.

– Et vous auriez raison... Eh ! bien, qui vous dit qu’un simple bacille ne jouit pas de la même sensibilité que le cheval, ou même l’homme ?

– En effet.

– Oh ! oui, pourquoi le Créateur a-t-il imaginé cette regrettable organisation, où la souffrance coule à pleins bords, alors que les instants de plaisir y sont si rares ?

– Et si courts...

– En conséquence, vous voudrez bien, mes bons amis, m’excuser si, tout à l’heure, je me suis laissé aller à quelques propos un peu vifs à l’endroit du Bon Dieu.

– Nous partageons votre réprobation, monsieur Bénévol Mansuet.

– D’ailleurs, il serait malséant de tenir trop ardente rancune au Bon Dieu. Accordons-lui les circonstances atténuantes. Songez, messieurs, qu’il n’a mis que six jours pour créer l’Univers, et dame ! six jours pour venir à bout d’une tâche de cette importance, c’est un tantinet court. Ne vous semble-t-il pas, en effet, bien difficile d’accomplir, en un laps aussi limité, quelque chose d’un peu réussi comme Univers ? »