Vive la vie ! - Alphonse Allais - E-Book

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Alphonse Allais

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Beschreibung

Je n'écris pas pour eux. Qu'ils se le tiennent pour dit,une fois pour toutes. Imaginez-vous 4500 haricots dont les plus semblables hurlaient encore - pour l'oeil d'un amateur - de disparatisme. Il y en avait des blancs, des noirs, des bleus, des rouges, des violets. Il y en avait des rayés, des chinés. Il y en avait même des jaune et violet, des bleu et orange,des rouge et vert.Ce n'étaient plus des haricots, c'était une polychromie à damner Antonin Proust. Cette collection, que Bois-Lamothe savait par coeur,à un spécimen près, et qu'il aimait comme une seconde famille, était contenue tout entière dans un vaste saladier, tout prêt à déborder. Et chaque matin, le marquis se disait, dans la langue du grand siècle : « Faudra pourtant que je la classe ! Faudra pourtant que je la classe ! » Mais chaque soir tombait sur la plaine sans qu'elle fût classée, la précieuse collection.

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Vive la vie !

Alphonse AllaisAvis au lecteurLa fin d’une collectionChigneuxToussaint LatoquadeShockingAmours d’escaleHistoriaGioventuLes mouflonsRoyal-cambouisL’arroseurL’autographe homicideColydorPharesCrime russeFaits diversL’école des tamboursTomDans la peau d’un autreConsolatrixLoufoqueriePostes et télégraphesPète-SecUn mécontent 1Le post-scriptumA new boatingLe langage des fleursBébertMiousicL’absence profitableTablePage de copyright

Alphonse Allais

Vive la vie !

(Oeuvres anthumes)

Édition de référence :

Paris, Librairie Marpon & Flammarion, [1892].

Avis au lecteur

En dehors du plaisir que j’éprouve à embêter les mânes de Schopenhauer, je publie ce volume dans le but exclusif de me procurer quelques ressources.

Je serai donc reconnaissant aux gens, non seulement d’acheter Vive la vie! mais encore d’en conseiller l’acquisition à leurs amis et connaissances.

L’auteur.

À Montjoyeux.

La fin d’une collection

On se rappelle la fâcheuse aventure de ce collectionneur d’objets macabres, funèbres et criminalistes dont la plus belle pièce – le faux col d’une victime célèbre – fut lavée, empesée, repassée par une chambrière zélée, mais peu documentaire.

Pareille aventure arriva, voilà tantôt quelques années et même un peu plus, à un vieux gentilhomme que je connaissais, et qui s’appelait le marquis de Bois-Lamothe.

Un rude homme dans son temps que le marquis !

Riche, solide, beau gars, inlassable trousseur de jupes, craignant pas Dieu et camarade du diable, Bois-Lamothe était la terreur de tous les maris des voisinages.

Je dis des voisinages, au pluriel, car le marquis, alors grand propriétaire foncier en même temps que nature frivole et baladeuse, changeait de voisinage comme de chemise.

Hélas ! on ne peut pas être et avoir été, comme l’a si bien observé Francisque Sarcey, notre oncle à tous.

Le marquis de Bois-Lamothe avait vieilli, ses anciennes bonnes amies aussi.

D’hypothèques en licitations ( ?), les biens domaniaux du marquis s’étaient envolés aux quatre vents des enchères publiques.

Ses écus avaient tellement sonné qu’une aphonie cruelle s’en était suivie, et tant trébuché que l’œil le plus exercé n’en trouvait plus trace, hormis pourtant dans la bourse des autres.

Seul, un vieux petit bien patrimonial s’était conservé intact, trop intact même, car depuis vingt ans nul jardinier n’en avait foui le sol et nul bûcheron attenté à la hautaine poussée des châtaigniers héraldiques.

Revenu de tout, solitaire, le marquis s’était un beau jour découvert, en son vieux cœur parcheminé, une fibre fraîche, une fibre toute neuve qui vibrait maintenant comme toute une florissante manufacture de harpes.

Bois-Lamothe avait été pris de la manie, de la rage, du délire de la collection.

Et la drôle de collection !

Le marquis collectionnait les haricots écossés.

Ceux de mes lecteurs qui ont été à la campagne savent ce que c’est que des haricots (quant aux autres, je n’écris pas pour eux. Qu’ils se le tiennent pour dit, une fois pour toutes).

Imaginez-vous 4500 haricots dont les plus semblables hurlaient encore – pour l’œil d’un amateur – de disparatisme.

Il y en avait des blancs, des noirs, des bleus, des rouges, des violets. Il y en avait des rayés, des chinés. Il y en avait même des jaune et violet, des bleu et orange, des rouge et vert.

Ce n’étaient plus des haricots, c’était une polychromie à damner Antonin Proust.

Cette collection, que Bois-Lamothe savait par cœur, à un spécimen près, et qu’il aimait comme une seconde famille, était contenue tout entière dans un vaste saladier, tout prêt à déborder.

Et chaque matin, le marquis se disait, dans la langue du grand siècle : « Faudra pourtant que je la classe ! Faudra pourtant que je la classe ! »

Mais chaque soir tombait sur la plaine sans qu’elle fût classée, la précieuse collection.

* * *

C’était par une radieuse matinée de printemps.

Bois-Lamothe venait de sortir avec son vieux chien et son vieux fusil pour tuer de jeunes lapins.

Peu après, la cloche rouillée du château rendit des sons, des sons voilés, déjà pas trop agréables en eux-mêmes, mais rendus plus inhospitaliers encore par le grincement discourtois de la tringle oxydée.

Une manière de vieille servante, vilaine, mais extraordinairement malpropre, et parlant le français comme si elle avait été élevée dans un pensionnat de vaches espagnoles, vint ouvrir :

– Qui qu’c’est que vous voulez ?

– Monsieur le marquis de Bois-Lamothe.

– Il est pas là.

– Va-t-il rentrer bientôt ?

– Je sais-t-y, moi ! Je sais-t-y !

Devant cet accueil contestable, les visiteurs prirent le parti de pénétrer :

– Je suis le neveu de M. de Bois-Lamothe, dit le monsieur, et voici ma femme. Nous attendrons mon oncle au château.

La marche, le grand air avaient sans doute donné de l’appétit aux visiteurs, car la jeune femme s’écria :

– Si on préparait le déjeuner, en attendant ?

Consultée, la vieille petite servante leva au ciel ses vieux petits bras, marmottant son éternel : Je sais-t-y, moi ! Je sais-t-y !

La nièce du marquis prit alors un ton d’autorité :

– Allez me chercher des œufs ! Tordez le cou à un canard ! Et plus vite que ça !

Puis, furetant dans les appartements, elle découvrit le fameux saladier aux haricots.

Alors se passa un fait, probablement unique dans l’histoire des collections.

La jeune femme fit cuire la collection. Quand la collection fut cuite, la jeune femme la fit égoutter soigneusement.

Ensuite la jeune femme mit la collection dans une poêle avec du beurre et de l’oignon coupé en tranches minces.

Tout de suite, l’antique castel des Bois-Lamothe sentit bon.

Le feu clair léchait la poêle qui chantait la vie, qui chantait l’amour, qui chantait la gloire.

Justement le marquis rentrait.

Je laisse à deviner les bonjour mon oncle qui accueillirent le vieux gentilhomme.

Le couvert était dressé.

On servit une bonne omelette au lard, et puis un bon canard, et puis...

Et puis...

Et puis... les haricots !

Bois-Lamothe ne s’y trompa pas une seconde.

Il reconnut ses haricots blancs, ses noirs, ses bleus, ses rouges, ses violets. Il reconnut ses haricots jaune et violet, bleu et orange, rouge et vert.

Le marquis se leva tout droit, battit l’air de ses grands bras secs et s’effondra en arrière sur une vieille pendule Louis XIII, qui n’avait sûrement pas marqué vingt minutes depuis Henri IV.

Il était mort.

Moralité : Blaguez les collectionneurs tant que vous voudrez, mais ne leur faites jamais manger leur collection, même à l’oignon.

Chigneux

Quand on découvrit un beau matin – beau ? – monsieur le baron Coudeuil de Travers, assassiné dans son petit bois des Bistoquettes, la rumeur publique fut unanime à désigner comme coupable le nommé Chigneux (Jules-César).

Ce Chigneux était un paysan, ni propriétaire, ni fermier, ni journalier, ni commerçant, ni industriel, ni rien du tout. On l’accusait d’équilibrer son maigre budget grâce à des virements portant de préférence sur les légumes d’autrui et les lièvres circonvoisins, le tout mijoté sur du bois mort – ou vif – rarement facturé.

Devant les graves imputations de la rumeur publique, Chigneux prit des airs innocents qui changèrent les doutes en certitudes, car, ainsi que l’a fait si judicieusement observer l’éminent jurisconsulte Bérard des Glajeux, dès qu’un prévenu prend des airs innocents, tenez pour certain qu’il est coupable.

Le brigadier de gendarmerie procéda à une enquête qui ne prouva pas grand-chose et à une perquisition qui ne découvrit rien du tout.

Après avoir mis sens dessus dessous les modestes meubles et l’inconfortable literie de Chigneux, les gendarmes allaient se retirer quand ce dernier eut la malencontreuse idée de leur décocher la facétie du Parthe. Désignant son pauvre intérieur dévasté comme par un tremblement de terre :

– Et l’on prétend, ricana-t-il, que vous êtes les représentants de l’ordre.

Chigneux avait raté là une belle occasion de se taire. Estimant qu’une blague en vaut une autre, le brigadier se retourna et frappant de la main une superbe peau de lapin accrochée à une solive extérieure et séchant au soleil :

– Combien que tu l’as payé au marché, celui-là ?

Cette simple allusion à un léger délit de chasse perdit Chigneux, dont la physionomie revêtit à l’instant une teinte terreuse – ce qui, chez les campagnards mal tenus est la façon de devenir pâle.

Subitement illuminé par la lividité de Chigneux, le brigadier introduisit dans la peau de lapin une main fureteuse. Il en sortit successivement un bouchon de paille, un portefeuille contenant quelques papiers de M. Coudeuil de Travers, un porte-monnaie muni d’une centaine de francs, et enfin une montre aux armoiries et initiales du feu baron.

Si vous vous imaginez que Chigneux fut le moins du monde interloqué par cette extraction, je vous engage à rayer cela de vos tablettes. Chigneux fut indigné tout simplement.

– Ah ! nom de Dieu de bon Dieu de tonnerre de Dieu ! s’écria-t-il, si je connaissais le bougre de galvaudeux qui est venu me foutre tout ça dans ma peau de lapin !...

En beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, et sans qu’on prêtât la moindre attention à sa colère, Chigneux fut menotté et incarcéré à la prison de Caen.

* * *

À l’instruction, Chigneux changea ses batteries.

Il avouait, maintenant, sans avouer.

Eh bien ! oui, c’était lui qui avait tué le baron, mais pas pour le voler, grand Dieu ! Chigneux était braconnier, et tout, mais pas voleur.

– Pourtant, objectait le juge d’instruction, et le porte-monnaie ? Et la montre ?

– Eh ben, justement ! ripostait Chigneux avec un à-propos génial, c’était pour écarter les soupçons.

– ? ? ? s’étonnait le magistrat.

– Eh ben, justement ! C’était pour faire croire à un vol.

Et Chigneux détaillait avec mille détails une obscure et touchante histoire d’amour. Une jeune fille l’aimait qu’il aimait aussi. Il allait l’épouser quand le baron Coudeuil arriva et, à coup d’or, séduisit la petite. Alors, n’écoutant que sa passion, Chigneux, une nuit, guetta l’infâme. Un coup de fusil, pan, ça y est ! Quant à dire le nom de la jeune fille, jamais de la vie ! Chigneux était braconnier, et tout, mais pas médisant.

La version du crime passionnel s’accrédita vite dans le public. Toutes les dames du Calvados dignes de ce nom s’apitoyèrent sur Chigneux.

Ce fut un beau procès.

Me Tocquard, une des gloires du barreau de Caen, réalisa ce tour de force inouï de se surpasser lui-même :

– Messieurs de la Cour, messieurs les jurés, l’homme que vous avez devant les yeux est la personnalité la plus intéressante que j’ai jamais eu à défendre au cours déjà long de ma noble carrière...

Et il raconta, en la poétisant, la fable de Chigneux, délicieuse idylle forestière.

Chigneux aimait, il était aimé. Bientôt, il allait conduire à l’autel, toute rose sous sa rose blanche, l’exquise créature. L’amour aurait refait à ce braconnier une véritable virginité de garde-chasse. Ils seraient si heureux. Et voilà qu’un hobereau vil et débauché versait à torrents, sur tout ce bonheur, le désespoir et la honte... Ah ! messieurs les jurés !

Pas très fixés, messieurs les jurés répondirent oui sur certaines questions, non sur certaines autres, et le tribunal appliqua vingt ans de travaux forcés à notre ami Chigneux.

Sur l’insistance indignée de Me Tocquard, le jugement fut cassé. Un juré, en effet, au cours des débats, avait souhaité à un de ses collègues qui éternuait, que Dieu le bénît !

* * *

Six mois sont passés.

Pendant cet intervalle, de l’eau a coulé sous le pont, M. Grévy a remplacé le maréchal de Mac-Mahon à la présidence de la République et Me Tocquard, du barreau de Caen, un républicain de la veille, a été nommé procureur à la Cour de Rouen.

C’est précisément devant la Cour de Rouen que l’affaire Chigneux va se dérouler à nouveau.

En apprenant le nom de l’avocat bécheur, Chigneux poussa un cri de joie.

– Celui qui était mon avocat à Caen ?

– Le même.

– Ah ! ben, me v’là tranquille à c’te heure. C’est un camarade, ç’ui-là !

Me Tocquard se leva pour prononcer son réquisitoire.

– Messieurs de la cour, messieurs les jurés, l’homme que vous avez devant les yeux...

Chigneux était radieux. Évidemment, Tocquard allait répéter à ceux de Rouen ce qu’il avait dit à ceux de Caen.

– L’homme que vous avez devant les yeux, reprit gravement le procureur, est la personnalité la plus dangereuse, la brute la plus redoutable qu’il m’ait été donné de contempler au cours de ma longue carrière de criminaliste.

Pour le coup, Chigneux perdit de son assurance dans les proportions de 75 à 80 pour cent.

Le réquisitoire continua sur ce ton, plutôt malveillant.

Quand on demanda à Chigneux s’il avait quelque chose à ajouter pour sa défense, il se leva et désignant, du doigt, le procureur :

– J’ai qu’une parole à dire, messieurs, prononça-t-il, c’est que, pour du toupet, cet homme-là a du toupet.

Et il se rassit tranquillement.

La réponse du jury fut affirmative sur tous les points, muette sur les circonstances atténuantes. Le tribunal, etc., etc., condamna Chigneux (Jules-César) à la peine de mort.

* * *

Heureusement, nous vivions sous un prince ennemi de la peine de mort.

Jules Grévy gracia Jules Chigneux, lequel fut, à bref délai, embarqué sur un paquebot en partance pour la Nouvelle-Calédonie.

Là, Chigneux se conduisit bien. Il fut l’objet de diverses faveurs successives et obtint une concession.

Plus tard, il épousa une charmante jeune fille condamnée à vingt ans pour avoir précipité dans les water-closets un enfant fraîchement né – avec cette circonstance atténuante qu’elle avait immédiatement remis le couvercle en place pour éviter un courant d’air au bébé.

Bref, Chigneux serait actuellement le plus heureux des hommes sans la cruelle nécessité où il gémit d’avoir à mépriser la magistrature et le barreau de sa belle patrie.

Toussaint Latoquade

La semaine dernière, j’ai reçu un billet de faire-part ainsi conçu :

Monsieur et Madame Latoquade, rentiers à Port-au-Prince (Haïti), ont l’honneur de vous faire part du mariage de Monsieur Toussaint Latoquade, leur fils, avec Madame Cornélie Huss, née Pausse,

Et vous prient, etc.

* * *

Madame veuve Cornélie Huss, née Pausse, a l’honneur de vous faire part de son mariage avec Monsieur Toussaint Latoquade, étudiant en médecine,

Et vous prie, etc.

Le premier sentiment qui me saisit à la lecture de cette prose conviante fut l’affliction : comment, ce pauvre Huss était mort !

À vrai dire, le billet ne faisait aucune mention de ce trépas ; mais mon flair de détective ne s’y trompa point une seconde, l’état de veuvage chez la femme étant presque toujours déterminé par le décès du conjoint.

Quand j’eus versé un pleur suffisant sur la disparition de feu Huss, je livrai mon âme tout entière à la joie de la future union de sa veuve avec mon ami Toussaint.

Brave et bon Toussaint !

Dire qu’il était nègre serait demeurer au-dessous de la vérité. On l’aurait reconnu dans des ténèbres à couper au couteau : Il était plus noir que la plus épaisse des nuits.

Les chromographes affirmant que le noir absolu n’existe pas dans la nature sont de pitoyables brutes. Quand on ne connaît pas Toussaint Latoquade, on se tait. Voilà mon opinion.

En arrivant à Paris, il était venu demeurer dans une maison meublée de la place de la Sorbonne, où je gîtais moi-même.

Cette maison était alors gérée par le ménage Huss : madame Cornélie Huss, née Pausse, une aimable femme qui frisait coquettement la trentaine, et M. Huss, personnage sans tempérament, mais pâlissant volontiers, durant de longues nuits, sur les œuvres techniques de Jules Verne et de Louis Figuier.

Il aurait pu, sans pose, mettre à la porte de son immeuble cet écriteau : Le concierge est encyclopédiste.

Nous nous rencontrions souvent, Toussaint et moi, dans l’escalier. Lui m’ébauchait un petit sourire, moi un petit salut ; mais, comme nous n’avions jamais eu l’occasion de nous parler, les choses en restaient là.

Un matin, un tout petit matin, j’entendis frapper à ma porte.

– Entrez, grondai-je sous mes couvertures.

(Je laissais toujours la clef sur ma porte, dans l’espoir qu’une dame d’une grande beauté et entièrement nue entrerait chez moi, se trompant d’appartement.)

C’était Toussaint.

– Excusez-moi, cher monsieur, fit-il, avec le doux accent chanteur de son pays ; j’ai un petit serin hollandais qui vient de s’échapper de chez moi, et je crois bien qu’il est sur votre fenêtre.

– Voyez.

Ma fenêtre se trouvait veuve de tout serin hollandais ou autre.

La glace était rompue ; nous nous connaissions. La première fois que je le revis :

– Et votre serin hollandais ?

– Je vous remercie, je l’ai retrouvé.

Toussaint Latoquade gagna vite mon estime. Il devint mon ami et me conta son histoire.

Ses parents l’avaient envoyé à Paris pour étudier la médecine ; mais la médecine l’embêtait, oh ! oui, elle l’embêtait !

Il ratait d’ailleurs ses examens avec une régularité touchante et jamais démentie.

– C’est ce cochon de botanique, disait-il furieux, que je ne peux pas me mettre dans la tête !

D’autres fois, c’était ce cochon d’anatomie, ou ce cochon de pathologie.

Je crois qu’il se figurait les sciences à l’image d’un troupeau de cochons hargneux, rébarbatifs et malveillants.

Du reste, il était paresseux comme un loir, et bon, telle la lune. L’expression travailler comme un nègre trouvait en lui un absolu démenti.

Il était si bon, le pauvre Toussaint, et si naïf, que tout le quartier Latin en avait fait son joujou. Et non pas seulement les faces pâles, mais encore les plus ébénoïdes de ses camarades. Tout le monde s’en amusait.

Toussaint prit la jeunesse des Écoles en grippe, et, peu à peu, s’abstint de fréquenter les brasseries et les tables d’hôte de la rive gauche.

Il s’arrangea avec les concierges pour prendre sa nourriture avec eux. Dès lors, ce fut fini : la loge des Huss devint son quartier général et il ne s’en écarta jamais de plus de trente ou quarante mètres.

À midi, il descendait en pantoufles (d’inoubliables pantoufles représentant un jeu de cartes), foulard, veston de flanelle, le tout surmonté d’une casquette en toile blanche, trop petite pour sa bonne grosse tête crépue.

Il déjeunait longuement, sirotait des mokas sans fin, des liqueurs provenant de toutes les îles, et fumait des cigarettes, des cigarettes, des cigarettes.

(Avez-vous vu des doigts de nègre culottés par la cigarette ? Très curieux.)

L’estomac lourd, il mettait le nez à la porte, faisait la causette avec les cochers de la station, qui, tous le connaissaient :

– Tiens, v’là monsieur Toussaint ! Comment ça va, monsieur Toussaint ? Une belle journée ! Vous payez pas un verre ?

Toussaint répondait qu’il allait bien, qu’effectivement c’était une belle journée, et, très volontiers, il payait un verre.

Les verres succédaient aux verres, l’heure du vermouth arrivait tout doucement, et puis celle du dîner.