À travers les silences - Tome 3 - Laurence Koëss - E-Book

À travers les silences - Tome 3 E-Book

Laurence Koëss

0,0

Beschreibung

Comprendront-ils que la communication et la confiance sont la clé dans un couple ?

Hissa, enceinte et épanouie après plusieurs années de reconstruction, aimerait se rendre utile et tente de trouver un but dans son existence. Marc, heureux de voir une Hissa qui reprend goût à la vie, commence à douter de plus en plus de leur écart d’âge. Et si elle se rendait compte que sa vie stable et calme ne lui correspondait plus ?
Rayan, quant à lui, sent petit à petit Ana lui échapper. Ayant peur de l’effrayer en se montrant oppressant, il lui laisse la distance qu’il juge nécessaire. Ana est absorbée par son métier de sapeur-pompier, dont les gardes l’éloignent régulièrement de sa vie de couple. Pour le sauver à tout prix, elle fait tout son possible pour dissimuler derrière sa joie de vivre, ce qui se cache derrière ses silences.

De sa belle plume, Laurence Koëss clôture avec brio sa saga À travers les silences en conservant des thèmes forts, abordés de manière douce et sensible.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Le style d'écriture était parfait pour nous immerger avec les personnages, les rendant encore plus drôles, touchants et tristes." - @booksaddicts_, Instagram
"L'auteure Laurence Koëss nous offre une oeuvre bouleversante, et une saga aussi passionnante qu'émouvante." @le.monde.de.mjey, Instagram
"La lecture est fluide et vraiment agréable, j'ai beaucoup aimé ma lecture !" @labookeuse, Instagram

À PROPOS DE L'AUTEURE

Après avoir travaillé comme infographiste et dans la jeunesse, Laurence Koëss se consacre actuellement à sa famille et à sa passion : la lecture. Depuis deux ans, elle se lance dans l’écriture de romances contemporaines et de comédies romantiques feel-good. À travers les silences est sa première trilogie publiée chez les éditions Feel So Good.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 545

Veröffentlichungsjahr: 2021

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Chapitre 1

La confiance en soi,

c’est éliminer du notre chemin de vie

les craintes inutiles.

Jean Castaldi

— Qu’est-ce que c’est ? Un troisième indice à ton jeu des Post-it ? demanda Anastasia, amusée.

Rayan acquiesça avec son petit air espiègle habituel.

Assis par terre devant ses cours posés sur la table basse de leur salon, Rayan révisait en vue de ses derniers partiels qui approchaient à grands pas. Il venait de saisir le paquet de Post-it, avait écrit trois chiffres et une lettre avant de le coller sur le livre ouvert à sa droite.

Concentrée sur ses leçons de terminale, installée en tailleur juste à côté de lui, les doigts entrelacés à ceux de son petit ami, Anastasia fixait le bout de papier jaune qui venait d’atterrir en plein milieu de la page qu’elle était en train d’étudier. Un rire s’échappa de son joli sourire.

— 1 m 83 ? lut-elle avec étonnement.

Joueur, Rayan hocha la tête une nouvelle fois.

— Avec « 1 m 83 », « Enghien-les-Bains », « 3 août 1983 », je suis censée trouver la réponse à ton énigme ?

Anastasia obtint le même hochement de tête.

— Franchement, je ne vois pas ! buta-t-elle.

— Cherche encore, Bébé ! Je te donnerai le prochain indice le jour J.

— Et c’est quand le jour J ? se renseigna-t-elle, de plus en plus intriguée.

— Aaaah ! s’écria-t-il sur un ton énigmatique pour faire durer le suspense.

Après un petit coup d’épaule taquin, elle sourit puis plissa les yeux et réfléchit à cette énigme avant de lâcher un soupir en râlant.

— Rayan ! On avait dit qu’on bossait deux heures et toi tu joues ! Moi, j’ai des points d’avance pour mon bac, mais je te rappelle que tu dois absolument réussir tes derniers partiels ! le réprimanda-t-elle gentiment.

— Tu sais que tu es sexy quand tu me rappelles à l’ordre ? demanda-t-il avec un petit air coquin en se penchant vers elle pour lui manger amoureusement le cou.

Les joues d’Anastasia prirent une teinte rosée en sentant une main baladeuse venir empaumer un de ses seins.

— Rayan, ce n’est pas sérieux ! Il faut qu’on bosse ! le secoua-t-elle en lui donnant une petite tape sur la main sans pouvoir cacher ses joues rougissantes.

Sans tenir compte de ses remontrances bienveillantes, il glissa sa main coquine sous son tee-shirt, et elle se laissa emporter par ses caresses lascives.

— OK, tu as gagné ! céda-t-elle, émoustillée. Un petit câlin et on reprend nos révisions.

— Je savais que tu ne me résisterais pas ! dit-il en intensifiant ses caresses.

— C’est de la triche ! dit-elle en fondant davantage.

— Non. J’ai des atouts dans mon jeu et je sais m’en servir, c’est tout !

Anastasia retint un rire pour ne pas flatter l’ego de Rayan et glissa une mèche rebelle derrière son oreille pour cacher sa gêne. Le jeune homme était très fort à ce jeu-là et il savait qu’il était impossible pour elle de lui résister. À son petit air charmé et encore timide dans ces moments-là, il savait également qu’il avait gagné. Elle tira sur l’élastique de sa queue de cheval pour dénouer ses cheveux qui tombèrent en cascade sur ses épaules. Elle l’embrassa et osa glisser sa main dans son pantalon pour s’amuser un peu. Surprise de trouver son organe déjà aussi raide, ses joues finirent par prendre une teinte écarlate. Le fait qu’Anastasia n’avait aucune conscience de son sex-appeal la rendait encore plus attirante aux yeux de Rayan.

Après quelques aller-retour très sensuels, elle s’arrêta net.

— Tu me donnes un autre indice ? demanda-t-elle toujours d’humeur joueuse.

— Ana ! N’arrête pas ! la supplia-t-il. Ce n’est pas du jeu !

Elle rit, accentua ses caresses et ses baisers langoureux puis s’arrêta à nouveau.

— Alors, mon Gollum ? chuchota-t-elle sensuellement à son oreille.

Rayan retint un rire à son tour pour ne pas lui montrer qu’elle gagnait du terrain. Mais à ses gémissements, Anastasia savait qu’elle maîtrisait la partie.

— Si je te le dis, tu continues ? négociait Rayan.

La belle fit mine de réfléchir :

— Huuum… Peut-être bien que oui, peut-être bien que non !

Rayan s’esclaffa.

— Bébé ! la supplia-t-il encore.

Elle reprit en quémandant à nouveau très sensuellement son quatrième indice. Il essaya de lui enlever son haut, mais elle le retint de sa main libre avec un sourire espiègle tout en clignant des yeux. Insatiable et frustré, il céda en lui balançant un autre :

— OK ! 2006.

— Je savais que tu ne me résisterais pas ! s’écria-t-elle.

— C’est de la triche ! gémit-il, empreint de désir.

— Moi aussi, j’ai des atouts dans mon jeu ! Qu’est-ce que tu crois ? le taquina-t-elle en enlevant son haut.

Il rit en la dévorant des yeux puis la souleva et la posa à califourchon sur ses genoux pour la rapprocher de lui.

— Viens par-là, toi ! quémanda-t-il en vainqueur.

Alors qu’ils se rhabillaient, Rayan s’avança derrière Anastasia en la prenant par la taille pour l’enlacer tendrement.

— En fait, c’est aujourd’hui le jour J ! lui avoua-t-il, le dos contre son torse avec un léger mouvement de balancier.

— Ah bon ? s’étonna-t-elle en se retournant.

Rayan acquiesça et rajouta :

— Il faut qu’on finisse de se préparer parce qu’on a un rendez-vous dans une petite demi-heure.

Interloquée, Anastasia le questionna du regard.

— Un rendez-vous ? Mais où ça ?

— C’est ça, la surprise !

Anastasia sourit et se laissa entraîner en dehors de l’appartement. Le bras de Rayan sur ses épaules, elle le tenait par la taille.

En sortant sur le palier, ils tombèrent sur leur voisine qui les salua poliment avant de s’adresser à Anastasia :

— Merci, Ana, pour ton bouquet de coriandre ! la remercia-t-elle.

— Avec plaisir. J’ai planté du persil et de la ciboulette. N’hésitez pas à m’en demander !

Depuis son emménagement chez Rayan, la jeune femme avait réaménagé la grande terrasse. Une rangée de chèvrefeuilles et de jasmins étoilés cachait le vis-à-vis dérangeant et embaumait le nouveau coin détente avec ses deux nouveaux transats et sa table basse en teck. Des photophores et des coussins apportaient une touche cocooning à l’ensemble. Et un recoin accueillait à présent trois tables potagères en bois garnies de plantes aromatiques pour agrémenter les plats cuisinés qu’elle leur préparait.

Rayan était ravi qu’elle prenne déjà ses marques dans leur nouveau chez eux. Et en descendant les marches, il fut surpris de voir un petit garçon de quatre ans lui sauter dans les bras.

— Ana ! s’écria-t-il en sortant des jambes de sa mère qui souriait à Anastasia.

— Ça va mieux ton bobo ? demanda-t-elle.

Le petit garçon releva son pantalon pour dévoiler une croûte bien sèche.

— Waouh ! Ça cicatrise super bien ! s’écria-t-elle en lui ébouriffant les cheveux.

La maman remercia encore Anastasia pour son intervention lors de sa chute à vélo dans la petite cour et surtout de les avoir accompagnés visiter sa caserne de pompier. La jeune pompière volontaire était ravie de lui avoir fait plaisir et lui proposa d’y retourner dès qu’ils le souhaitaient. Le petit garçon ne cacha pas sa joie.

Rayan regardait sa petite amie discuter avec ses nouveaux voisins comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. En quatre ans, c’est tout juste si Crystal leur avait adressé un bonjour. Anastasia avait l’air de se sentir déjà chez elle et il s’en réjouissait.

En sortant de leur immeuble, il la serra contre lui avec un sourire mystérieux et l’embrassa fougueusement.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’étonna-t-elle de le voir si joyeux.

— Rien ! Allez, on y va ! Ta surprise t’attend.

Ils prirent le métro jusqu’à la gare Matabiau et Rayan la conduisit au rez-de-chaussée de l’Arche Marengo.

— Pourquoi m’amènes-tu ici ? s’étonna-t-elle face aux studios de TLT, la chaîne locale toulousaine.

— « 1 m 83 », « Enghien-les-Bains », « 3 août 1983 », « 2006 ». Ça ne te dit rien ?

— Pas plus que ça ! avoua-t-elle. Une personne de 1 m 83 qui serait né le 3 août 1983 ? réfléchissait-elle à haute voix dubitative pas vraiment convaincue. Mais « Enghien-les-Bains » et « 2006 » ne m’évoquent rien du tout. Je ne connais personne dans cette ville ayant un quelconque rapport avec cette année-là. Je n’ai jamais entendu parler de cet endroit avant que tu m’en parles. Comment veux-tu que je trouve ? Tu ne veux pas me donner un dernier indice ? Parce que là, je sèche.

Ravi que sa surprise en soit une jusqu’au bout, Rayan sourit, secoua la tête et s’avança vers le comptoir d’accueil. Il salua poliment l’hôtesse et se présenta. Étonnée, Anastasia regarda la dame lire sur le planning sous ses yeux et les invita à suivre le couloir de droite pour trouver la loge 2. Rayan la remercia et conduisit sa belle à travers le bâtiment.

— Qu’est-ce qu’il y a dans cette loge ? commença-t-elle à s’inquiéter.

— Ta surprise ! chantonna-t-il.

Toujours bras dessus, bras dessous, ils arpentèrent le couloir en scrutant chaque porte et s’arrêtèrent devant la Loge 2.

— Ça y est ! On y est ! s’écria Rayan.

Anastasia commençait à stresser et il le sentait.

— Allez ! Frappe ! l’invita-t-il d’un geste vers la porte.

— Qu’est-ce qu’il y a derrière ? s’inquiéta-t-elle.

Rayan répondit juste par un sourire et un mouvement d’encouragement à frapper. Le regard d’Anastasia oscilla entre son petit ami et la porte de la loge puis se décida à cogner trois petits coups. C’est à ce moment-là que Rayan lui précisa :

— Il est né à Enghien-les-Bains et tu as entendu parler de lui pour la première fois en 2006.

Anastasia tourna la tête vers Rayan en plissant les lèvres sur le côté. En la voyant sécher, il articula à voix basse avec un petit air malin :

— Jacques a dit la Nouvelle Star.

— Nooon ! Ce n’est pas possible ! Je ne te crois pas !

Rayan opina du chef. Abasourdie, Anastasia écarquilla les yeux, resta bouche bée quelques secondes avant de se retourner face à la porte qui s’ouvrit sur Christophe Willem. Rayan se pencha à l’oreille de sa petite amie pour lui chuchoter en toute discrétion :

— Tombe pas plus amoureuse de lui en le voyant en live ou je t’étripe ! la menaça-t-il.

Anastasia se retint de rire à cette boutade et c’est le cœur battant la chamade qu’elle sourit à son idole.

— Anastasia, c’est bien ça ? demanda le chanteur. Enchanté ! dit-il en les invitant à entrer dans sa loge.

Un peu sonnée, elle ne savait pas quoi lui dire. L’artiste s’avança pour leur faire la bise.

— Mon petit ami m’a fait la surprise. Je suis désolée, je ne sais pas quoi dire, balbutia la jeune fan impressionnée.

Christophe lui expliqua qu’il était au courant et que ce n’était pas grave.

— À part te dire des banalités comme « j’adore tes chansons et ta voix », mais je le pense sincèrement, assura-t-elle toute tremblante.

Le chanteur la remercia et la prit dans ses bras dans une étreinte amicale pour la déstresser un peu. Puis il lui offrit deux places dans le carré VIP pour son concert au zénith de Toulouse.

— La tournée débutera à l’automne et je serai à Toulouse le 4 janvier, lui annonça-t-il.

Anastasia le remercia chaleureusement et lui confirma qu’elle y serait allée quand même. Quelqu’un frappa à la porte et passa la tête dans l’entrebâillement.

— Dans trois minutes ! lança la personne avec un casque audio relié à un micro contre la joue avant de disparaître aussitôt.

— Je suis désolé, mais je n’ai pas trop de temps, en fait, regrettait Christophe, embarrassé.

Rayan le remercia encore d’avoir bien voulu leur accorder cette petite entrevue. Le chanteur leur proposa de faire une photo et Rayan immortalisa ce moment avec son smartphone. L’idole et la fan échangèrent une dernière étreinte amicale et Anastasia sortit des locaux de la TLT le sourire aux lèvres en marchant sur un petit nuage.

— Waouh ! Merci, Rayan ! lui dit-elle en le serrant contre elle, ravie de cette belle surprise.

Un bras possessif sur ses petites épaules, il l’embrassa sur la tête, heureux de lui avoir fait plaisir, et ils repartirent vers le centre-ville.

— Super tes indices à la noix ! râlait-elle en y repensant. Je suis une grande fan, pas une groupie folasse ! lui rappela-t-elle. J’aime son travail. Sa vie privée, je m’en contrefiche !

Rayan le savait pertinemment.

— C’est bien pour ça que je ne t’ai pas donné de titres de chanson, d’albums ou le nom de l’émission qui l’a découvert avant, sinon tu aurais deviné qu’il y avait un rapport avec ton idole.

— Je ne risquais pas de trouver et de gagner à ton petit jeu ! râlait-elle encore.

— C’est bien pour ça que je t’ai filé ces indices-là ! Je jouais un « double je », répondit-il en chantant les derniers mots.

Anastasia rit de son jeu de mots et lui mit une série de petites tapes sur le bras pour se défendre.

— Merci, Rayan, lui redit-elle sincèrement. Mais comment as-tu fait ?

Elle n’en revenait pas.

— Tu sais le truc que tu trouves inutile et futile ? Ce réseau informatique mondial qui a pour nom « internet » sur lequel on a accès à d’autres réseaux qu’on appelle « sociaux » ?

En entendant sa petite moquerie, Anastasia pouffa et leva les yeux au ciel. Rayan reprit ses explications :

— Sur ses pages Facebook et Insta, ton cher Christophe Willem a annoncé à ses fans toulousains qu’il serait dans les studios de TLT pour l’enregistrement d’une émission. Après, j’ai contacté un pote qui travaille à la chaîne comme ingénieur du son et, en lui assurant que tu n’étais pas une de ces fans hystériques, il a bien voulu arranger une entrevue.

— Je n’en reviens pas que tu aies fait ça pour moi ! s’écria-t-elle encore estomaquée.

— Tu n’es pas tombée amoureuse de lui au moins après l’avoir vu en vrai ? s’inquiéta-t-il un peu jaloux.

Anastasia éclata de rire et s’arrêta de marcher. Elle regarda Rayan en secouant la tête et monta sur la pointe des pieds pour aller chercher un baiser qu’il lui rendit.

— Allez, viens, mon Gollum, au lieu de dire des bêtises ! lui dit-elle en le reprenant par la taille. Je t’invite au resto pour te remercier ! Italien ?

— Mi piace l’idea, Bambina ! s’écria-t-il pour reprendre l’expression « j’adore l’idée » qu’Anastasia disait souvent en français ces derniers temps.

Alors qu’ils finissaient de savourer leur dessert, assis face à face à une table pour deux, les mains reliées par leurs doigts entrelacés et posés sur la nappe, les siamois se dévoraient des yeux.

— Ta soirée avec ta classe a été annulée ? l’interrogea-t-il avec étonnement.

Anastasia secoua la tête et récupéra une main, visiblement embarrassée. Rayan releva aussitôt son malaise et lui demanda sans attendre :

— Pourquoi tu n’y es pas alors ?

— Parce que je passe une soirée connectée rien qu’avec toi ? demanda-t-elle pour éviter de répondre à sa question, mais avec un ton qu’elle aurait voulu bien plus amusé et beaucoup plus convaincant.

— Je n’ai pas envie de jouer aux devinettes, Ana ! dit-il en prenant un air sérieux. Ça fait un bon mois qu’on vit ensemble. Tu ne sors que pour aller à tes week-ends d’éclaireuses, pour tes gardes à la caserne ou avec ma bande qui est devenue la tienne depuis les vacances de Noël. Pourquoi tu ne sors plus avec tes copains de classe depuis qu’on est ensemble ? essayait-il de comprendre.

En gardant le silence, Anastasia se tordit les doigts nerveusement sous la nappe. Ryan devina à travers son silence que quelque chose d’important à ses yeux la tracassait.

— Qu’est-ce qu’il y a, Ana ? s’inquiéta-t-il.

— Je vais régler l’addition, annonça-t-elle en quittant la table avec son petit sac à dos noir Lancaster sans le regarder.

Malgré son sourire de comédienne, Rayan comprit qu’il venait de toucher un point sensible. Il se leva, saisit sa veste ainsi que celle d’Ana sur leurs dossiers respectifs et la retrouva au bar. Pendant qu’elle rangeait son chéquier, Rayan la remercia pour le repas.

— Non. Merci à toi pour ta belle surprise. C’était magique ! lui redit-elle encore enchantée en le reprenant par la taille pour quitter le restaurant.

Une fois dans la rue, après avoir fait quelques pas, Rayan relança la conversation inachevée. Il attendait une réponse et espérait l’avoir d’une façon ou d’une autre.

— C’est parce ce que ça te gêne de sortir avec un mec plus vieux que toi devant tes amis ? essayait-il de comprendre.

— Bien sûr que non ! lui assura-t-elle.

— Alors, pour quelle raison tu ne veux pas aller à ces soirées ?

— On peut parler d’autres choses ? s’agaça-t-elle en lui lâchant la taille.

Rayan récupéra le bras qu’il avait par habitude posé sur ses petites épaules et s’arrêta de marcher. Anastasia avança de quelques mètres et ne sentant plus la présence de Rayan à ses côtés, stoppa ses pas et se retourna.

— Tu as un ex avec eux auquel tu tiens encore ? s’inquiéta-t-il.

— Mais non ! lui assura-t-elle tendrement.

Ils s’observèrent un moment, mais comme Rayan tenait absolument savoir, il insista :

— Alors, dis-moi ce qu’il y a !

Anastasia baissa la tête, regarda ses pieds et soupira lourdement. En relevant le menton, elle se lança :

— Je ne veux plus aller à ces soirées sans toi. Je reconnais que c’est vieux jeu, mais ce n’est pas ma façon de voir le couple. C’est mon droit, non ? répondit-elle fatiguée par cet interrogatoire.

Rayan était ravi qu’elle voie les choses de la même manière que lui, contrairement à son ex qui sortait souvent sans lui, mais il ne comprenait pas pourquoi ils n’y allaient pas ensemble dans ce cas.

— Moi non plus, ce n’est pas ma façon de voir le couple. Quand tu es de garde ou avec tes scouts, je n’aime pas sortir sans toi, moi non plus ; je comprends ce que tu ressens.

— Non, tu ne comprends pas ! affirma-t-elle.

— Qu’est-ce que je ne comprends pas, alors ?

Même dans la pénombre de la nuit, Rayan remarqua sa respiration irrégulière et ses yeux qui brillaient. Il détestait ces moments où il sentait qu’Anastasia lui échappait. Une boule s’était formée dans le creux de son estomac depuis le dessert et elle augmentait au fur et à mesure dans cette conversation inconfortable.

— Ana ! Parle-moi ! Explique-moi ce que je ne comprends pas, la supplia-t-il gentiment.

Le connaissant par cœur, elle savait qu’il ne lâcherait rien. Elle soupira et finit par lui répondre :

— Qu’est-ce qu’il se passera pour moi si tu t’ennuies avec mes copains beaucoup plus jeunes que toi et que tu te demanderas ce que tu fais avec une minette comme moi ? s’inquiétait-elle, les yeux embués.

D’un battement de paupières, des larmes s’échappèrent et glissèrent sur ses joues qu’elle essuya aussitôt d’un revers de main.

— Bébé ! dit-il avec beaucoup de tendresse en comprenant enfin son mal-être.

Il s’avança vers elle pour la prendre dans ses bras et la rassurer à ce sujet, mais elle recula d’un pas. Ils s’observèrent un moment et Anastasia finit par rompre ce silence étourdissant.

— Je veux profiter de nous le plus longtemps possible, avoua-t-elle en le fixant sans arriver à lui dire qu’elle l’aimait et qu’elle avait peur de le perdre.

— Je veux la même chose, affirma-t-il. Je t’ai laissée entrer dans ma vie, alors laisse-moi entrer dans la tienne. Je t’aime, Ana. Je t’aime toi. On est très bien ensemble et ça ne va pas changer si je trouve tes amis moins intéressants que les miens.

Anastasia le fixa quelques secondes sans rien dire avant de faire deux pas en avant pour venir poser sa tête contre son torse en espérant une étreinte. Ce qu’il lui donna immédiatement en la sentant si fébrile contre lui.

Durant le dîner, à la surprise de Rayan, Anastasia s’était levée brusquement pour aller secourir à la table derrière eux une personne en train de s’étouffer. Sûre d’elle et avec un sang-froid admirable, elle était intervenue rapidement et avait attendu de bien rassurer la victime avant de revenir s’asseoir.

— C’est la méthode d’Heimlich, lui avait-elle expliqué en reprenant sa place en face de lui aussi normalement que si elle revenait des toilettes. Ce geste de premiers secours permet la libération des voies aériennes. Il est hyper facile, je t’apprendrai à le faire si tu veux, lui avait-elle dit avant de manger une bouchée de sa pizza comme si de rien n’était.

À la fin de leur repas, ces personnes s’étaient approchées pour remercier Anastasia une dernière fois pour son geste salvateur. Rayan éprouvait de la fierté à sortir avec une fille comme elle, avec autant d’assurance. Mais, pour Anastasia, c’était un acte tout à fait naturel et elle n’en ressentait aucune fierté déplacée. Rayan était toujours étonné de voir ce petit bout de femme si fort par moment se montrer si vulnérable et peu sûre d’elle quand il s’agissait de ses sentiments. Il accentua son étreinte et elle se blottit contre lui.

— Tu ne me perdras pas, Ana, lui assura-t-il en toute sincérité.

En entendant ses mots réconfortants, Anastasia resserra ses bras autour du buste de Rayan. Il sourit. Ce côté de sa personnalité le rassurait quelque part. Anastasia tenait vraiment à lui, il en était certain. Ils restèrent enlacés un moment au beau milieu de cette rue piétonne du centre-ville toulousain comme si le temps s’était arrêté. Ce furent les cris d’un groupe de jeunes qui s’amusaient qui les sortirent de leur bulle. Rayan reposa son bras sur les épaules de sa petite amie et reprit leur promenade nocturne dans les rues toulousaines.

— Alors ? Où est-elle cette fête ? demanda-t-il après quelques pas.

Anastasia le fit pivoter pour changer de direction.

— Dans un café, place Saint-Georges.

Rayan sourit en voyant qu’elle l’entraînait vers ce quartier. Il l’embrassa sur le dessus de la tête, heureux qu’elle fasse confiance à leur couple.

Chapitre 2

Personne ne croise votre chemin par hasard

et vous n’entrez pas

dans la vie de quelqu’un sans raison.

Chaque rencontre que l’on fait a sa raison d’être.

Auteur inconnu

— Amazing ! s’extasiait Tristan en trempant une autre frite dans sa sauce, les papilles en émoi. Ça m’avait manqué !

De passage à Toulouse pour le week-end, le célèbre mannequin international mangeait aves ses cousins Hissa et Rayan au restaurant L’Entrecôte dans le centre-ville de la ville rose près des allées Jean Jaurès. Depuis 1963, l’enseigne noire et jaune était réputée pour son plat unique et sa fameuse sauce divine gardée secrète. C’était devenu une tradition familiale pour eux de se retrouver dans cet établissement à la décoration atypique où les murs et les plafonds étaient recouverts de boiseries noires avec de grands miroirs et des tapisseries écossaises.

Cette cousinade bisannuelle était incontournable et leurs retrouvailles étaient à chaque fois très chaleureuses et émouvantes.

Tout à coup, Hissa reçut un texto de Marc qui lui annonçait qu’il aurait plus de retard que prévu et s’excusait auprès de Tristan qu’il n’avait pas encore rencontré.

— Marc rend visite à ses patients internés en hôpital psychiatrique et j’avoue que je stresse, avoua la future maman à qui cela rappelait de mauvais souvenirs. Marc y est allé plusieurs fois depuis son agression, mais je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter. En plus, l’orage arrive et quand Marc entrera sur la rocade, il sera juste en dessous.

— Ça va aller, tentait de la rassurer son frère d’une main réconfortante dans le dos en la sachant anormalement émotive depuis qu’elle était enceinte.

Hissa sourit à son frère assis sur sa gauche.

— Oui. Je sais. D’ailleurs, il a fini ses visites, mais il a une bonne heure de route pour rentrer.

Elle jura, soupira et commença à se relever.

— Excusez-moi, je reviens, annonça-t-elle en quittant la table pour retourner aux toilettes pour la seconde fois depuis le début du repas.

Elle enfourna une bouchée de frites dans sa bouche et Tristan s’apprêta à se lever pour l’aider à s’extirper de la banquette avec son ventre proéminent lorsqu’il vit Rayan se redresser pour le faire. Les deux garçons échangèrent un sourire enchanté de voir leur famille bientôt s’agrandir.

Hissa réussit tant bien que mal à se mettre debout. Dans ce restaurant toulousain bondé toute l’année, les tables étaient proches les unes des autres et elle dut se mettre de profil entre les tables pour pouvoir passer. Elle échangea un sourire poli avec sa voisine qui la regardait avec des yeux envieux avant de s’éclipser vers les toilettes.

Les deux cousins se retrouvèrent en tête à tête.

— Bon, alors ? Félicitations pour tes partiels ! lui lança Tristan, ravi que Rayan ait finalement eu son année.

Rayan hocha la tête. C’était passé juste.

— Et ton petit bonbon au miel ? Tu me la présentes quand ?

Un éclair plongea la salle dans l’obscurité une seconde.

— La prochaine fois, lui promit Rayan. Ana passe le week-end aux étangs de Fortargente dans les Pyrénées Ariégeoises. Rando et bivouac avec sa troupe d’éclaireuses à plus de deux mille mètres d’altitude ! Elle rentre demain soir.

— Wahou ! s’écria le jeune mannequin impressionné. Il me tarde de rencontrer ta super scoute !

Mais il ne cacha pas sa déception lorsqu’il comprit qu’il ne la rencontrerait pas cette fois-ci.

— Ana est géniale ! avoua Rayan avec des étoiles plein les yeux pendant que son cousin faisait les yeux doux à une fille sur sa droite.

Hissa revint à sa place et s’affala sur la banquette en lâchant un soupir las.

— J’en ai marre de faire pipi toutes les cinq minutes ! Et je ne vous raconte pas la nuit ! râlait-elle. Quand je pense que j’en ai encore pour six semaines ! se désespérait-elle. En plus, elle merdouille leur porte, j’ai failli rester coincée dans le sas des toilettes. Que c’est long neuf mois ! se plaignait-elle encore.

La jolie Métisse tomba sur les regards pétillants de son cousin et de son frère.

— Oh, vous ! s’exaspérait-elle. Du moment que j’agrandis la famille, c’est tout ce qui compte !

En voyant les deux garçons hocher la tête, le sourire béat, elle leva les yeux au ciel en riant avant de lever le bras pour interpeller une serveuse.

Une grande blonde et une jolie rousse, dans leurs jupes noires et leurs polos rouges et jaunes estampillés du logo du restaurant, se disputèrent la commande. Celle qui réussit à s’approcher de la table la première souriait à Tristan sans le quitter des yeux. Habitué aux nouvelles groupies de son cousin, Rayan fit un signe à la serveuse et désigna sa sœur.

— La même chose, s’il vous plaît, demanda Hissa.

Sachant qu’elle avait mangé deux fois de la salade aux noix et qu’elle venait d’engouffrer la moitié de la part de son frère en plus de la sienne, les deux garçons lui jetèrent un regard stupéfait.

— Ben quoi ? J’ai faim ! rétorqua-t-elle.

Les deux cousins secouèrent la tête en levant les mains en signe de reddition. La serveuse récupéra le plat vide pour faire de la place sans quitter des yeux le beau mannequin qui la mangeait du regard.

— Je crois que je ne dormirai pas chez vous ce soir ! dit-il en s’adressant à Hissa alors qu’il reluquait ouvertement les jambes de la jolie serveuse qui s’éloignait.

Emballé par ses touches toulousaines, le jeune Don Juan souleva les sourcils plusieurs fois en regardant son cousin.

— Tu ne changeras jamais ! regrettait Rayan en le voyant toujours aussi papillonneur.

— Pour quoi faire ? s’étonnait Tristan, ravi et satisfait de son statut de célibataire.

— Pour te poser, te caser et faire des enfants par exemple.

Tristan saisit son verre de vin rouge et but quelques gorgées.

— Incompatible avec ma vie actuelle ! lança-t-il en souriant au groupe de filles qui mangeaient un peu plus loin. Excellent, ce Gaillac ! ajouta-t-il en se léchant les lèvres tout en remuant la robe du nectar dans le verre transparent pour admirer sa couleur sombre.

La serveuse arriva avec un nouveau plat qu’elle posa devant Hissa. Sans attendre plus longtemps, la future maman se resservit une pleine assiette.

— Mais, comme j’adore les enfants, reprit le mannequin, Tonton Tristan profitera de ses petits cousins ! conclut-il en regardant émerveillé le ventre rond de sa cousine qui dévorait son plat.

— Pour les miens, il faudra être patient, lui annonça Rayan avec une pointe de regret dans la voix.

Connaissant ses envies de fonder une famille, Tristan lui jeta un regard étonné.

— Ana est plus jeune que moi, lui expliqua-t-il en haussant les épaules. Et elle n’a pas fini ses études.

Tristan comprit alors qu’il devait beaucoup tenir à cette fille pour reporter ses rêves de paternité.

En face de lui, Hissa qui finissait d’engloutir son assiette, sourit honteusement à la jeune femme assise à la table voisine qui la regardait. Cette dernière lui rendit un sourire amical puis son regard descendit sur le ventre d’Hissa.

— C’est pour bientôt ? demanda la jeune femme à un mètre d’elle.

— Dans un mois et demi, répondit Hissa d’une caresse maternelle sur sa rondeur.

Hissa ne put s’empêcher de voir à nouveau ses yeux envieux. Et en la regardant plus longuement, elle devina qu’elles devaient avoir à peu près le même âge et supposa que son envie de maternité devait se faire ressentir.

— Au fait, Hissa ! l’interpella Tristan. Tu ne devais pas me présenter ta meilleure amie Mélanie ? Depuis le temps que tu me parles d’elle !

La bouche pleine, elle lui répondit que c’était L’Aïd et qu’elle passait le week-end dans la famille d’Hicham.

— Je ne me doutais pas qu’elle pratiquait la religion musulmane, avoua-t-il.

— Pas du tout. Mais elle aime beaucoup sa belle-famille même si, avec Hicham, ils ne sont pas mariés et elle est toujours invitée pour leurs repas de fêtes.

— Hissa ne t’a pas raconté sa dernière aventure ? demanda Rayan à son cousin qui secoua la tête.

Hissa et Rayan partirent dans un fou rire, et le sourire aux lèvres, Tristan attendait la petite anecdote croustillante à laquelle la meilleure amie de sa cousine était abonnée. Le temps qu’Hissa finisse d’avaler, une seconde coupure d’électricité plongea cette fois-ci le restaurant dans le noir pendant trois secondes. Au retour de la lumière, le soulagement des gens se fit entendre et les garçons fixèrent Hissa qu’ils savaient inquiète pour son mari encore sur la route. Le visage fermé, cette dernière regardait par la vitre le rideau de pluie opaque qui empêchait de voir l’autre côté de la rue. Les orages d’été pouvaient être parfois violents localement et cette pensée la renvoya fatalement à l’accident de voiture de ses parents même si les circonstances étaient différentes. L’inquiétude laissa la place à l’angoisse.

Sentant l’anxiété de sa sœur, Rayan posa sa main sur la sienne pour l’apaiser et Tristan l’encouragea à reprendre son récit pour lui changer les idées. Mais une tension dans le bas ventre lui provoqua une douleur lancinante. Heureusement, la climatisation apportait un air frais permanent en cette soirée de fin d’été étouffante. Elle ferma les yeux, posa sa main libre sur son ventre et respira profondément. Son geste passa pour du tourment aux yeux des garçons.

C’est ça une contraction ? Oh non ! Pas maintenant. C’est trop tôt ! s’inquiétait-elle.

Elle attendit que la contraction passe pour reprendre sa petite histoire et ne pas alarmer les garçons pour une fausse alerte :

— Le week-end dernier, Mel rentrait exténuée de sa journée aux urgences. Elle s’est douchée et mise en pyjama. Ce soir-là, ils gardaient son petit neveu et Hicham lui avait promis que Mel lui ferait ses fameux hamburgers maison. Le souci, c’est qu’elle n’avait rien pour les préparer, et en plus, Hicham a été appelé en renfort au commissariat. Comme elle ne voulait pas décevoir le petit Ouissem, Mel a décidé d’aller chercher un menu chez MacDo même si elle est contre la malbouffe.

— C’est sympa ! reconnut Tristan.

— Oui, sauf que… lessivée, elle avait la flemme de se rhabiller et, après hésitation, elle est sortie de chez elle comme ça, pensant qu’au drive personne ne verrait sa petite tenue sexy. Sachant que Mel ne porte que des nuisettes en satin et en dentelle, précisa-t-elle. Elle avait quand même croisé sa sortie de lit assortie et elle est partie comme ça avec le neveu d’Hicham.

Connaissant la chute de l’histoire, Rayan éclata de rire et Tristan attendait la suite avec impatience alors qu’Hissa finissait d’avaler une bouchée d’entrecôte imbibée de cette fameuse sauce.

— Arrivée sur place, reprit-elle après une gorgée d’eau, Mel fait la queue au drive. Le parking est plein, il y a du monde partout et le resto est bondé. Quand son tour arrive, au moment de passer la commande, des projecteurs de couleurs éclairent la voiture, une pluie de confettis tombe sur la voiture et le refrain de Queen We are the champion retentit, racontait-elle sans pouvoir se retenir de rire. Sur ce, Ronald McDonald accompagné d’un groupe de personnes qui applaudissait arrive et ils entourent la voiture. Et dans le micro, Ronald lui annonce que par un « malencontreux concours de circonstances » comme elle appelle ces moments-là, c’est la deux centièmes cliente, qu’elle gagne sa commande et qu’elle doit sortir du véhicule pour faire la photo avec lui pour la poster sur leur site internet et tous leurs réseaux sociaux.

L’éclat de rire de Tristan se mêla à ceux de ses cousins pendant que Hissa lui montrait la photo de son amie avec sa mine déconfite et le bras de Ronald posé sur ses épaules.

Ayant entendu son histoire avec la promiscuité des tables, sa voisine riait discrètement. Hissa lui sourit lorsqu’elle aperçut un geste qui ne lui échappa pas. Ce même réflexe qu’elle avait eu pendant des années dans une autre vie. La jeune femme tira en même temps sur sa manche et son col pour cacher ses ecchymoses en jetant un regard furtif à la personne assise en face d’elle. Le sang d’Hissa ne fit qu’un tour. Un brouhaha sourd envahit ses oreilles. Elle n’entendait plus la suite de sa conversation avec les garçons et ne se souvenait même plus pour quelle raison ils riaient autant. Elle tourna la tête vers la personne qui dînait à sa droite, en face de la jeune femme et elle tomba sur le profil d’un homme avec une barbe courte entretenue d’une trentaine d’années.

C’est lui qui lui fait ça ?

Hissa observait ses voisins de table. Elle n’entendait plus que son cœur qui tambourinait dans ses oreilles. Cet homme avait pourtant l’air d’être attentif et doux avec elle. Il lui tenait la main avec beaucoup de précautions. De sa main libre, il la resservit de vin et elle but sans le quitter des yeux comme de jeunes amoureux.

C’est le bip de son téléphone lui annonçant qu’elle avait un message qui sortit Hissa de son brouillard et de son questionnement. Les mains tremblantes, elle le saisit et lut le message de Marc. Son mari lui annonçait qu’il était bien arrivé chez eux et qu’il les rejoignait en prenant le métro. Ce qui la rassura. Puis elle jeta un nouveau coup d’œil à la table voisine. Le jeune homme resservait son amie qui lui tendait son assiette. Hissa remarqua alors qu’ils portaient les mêmes alliances. À la façon dont ils se regardaient, ils avaient l’air très amoureux. Hissa n’avait aucun doute sur leurs sentiments réciproques. Ce qui la rassura un peu plus sur cette relation.

— Tu as de la place pour le dessert ? lui demanda son frère.

Rayan lui secoua légèrement la main pour la ramener vers lui. La serveuse était là et attendait sa commande. En lisant les listes des desserts sur la carte bristol jaune plastifiée, l’appétit lui revint aussitôt.

— Une dame blanche et un chocolat liégeois s’il vous plaît.

— Après tout ce que tu viens de manger, tu auras la place pour les deux ? s’étonna Rayan.

— Laisse-la tranquille si elle a encore faim ! la défendit Tristan en lançant un clin d’œil complice à sa cousine. Elle est enceinte, elle a tous les droits. L’année dernière, tu étais maigre comme un clou ! se souvenait-il. Ça m’inquiétait et je te l’ai même dit plusieurs fois. Je suis ravie de voir que tu as repris des formes. Tu es beaucoup moins pâle et chétive depuis que tu vis avec Marc, releva-t-il. Et je suis ravi de te retrouver avec des habits colorés et ta coiffure naturellement frisée. Tu es magnifique ! s’écria-t-il en lui adressant un sourire empli de tendresse. Et puis, de toute façon, c’est moi qui invite. Comme d’hab’, leur rappela-t-il ravi de faire plaisir à sa cousine.

Hissa lui rendit son sourire, mais elle se garda bien de lui donner la vraie raison pour le protéger et le tenir à l’écart de cette affaire sordide désormais derrière elle. Le soir où, soutenue par Marc, elle avait eu le courage d’aller porter plainte, ses analyses médicales avaient révélé qu’elle était anémiée et en insuffisance pondérale. En vivant avec Marc et sa fille, elle avait retrouvé peu à peu l’appétit. Et depuis le début de sa grossesse et de son mariage avec Marc, Hissa était heureuse et épanouie. Elle avait laissé derrière elle ses vieux démons. Elle n’avait plus de troubles psychotiques partagés que Marc nommait « rituels » et ses peurs nocturnes avaient totalement disparu.

Lorsque la serveuse déposa ses deux coupes de glace sur la nappe en papier jaune, elle les dévora aussi vite que le reste du repas. Elle descendit un grand verre d’eau puis elle s’adossa contre la banquette en cuir noir dans un soupir, visiblement rassasiée et repue.

— Ça y est ? Tu as fini de manger ou tu veux autre chose ? la taquina son frère encore à la moitié de ses profiteroles.

— Tu veux un thé ou une infusion ? proposa Tristan plus attentionné.

En bon français expatrié, le mannequin avait choisi le plateau de fromages et se régalait avec son Bleu de Séverac, son Fébus et son Chevrion1.

— Non, merci, répondit-elle.

Une nouvelle fois, le restaurant fut plongé dans le noir. Dehors, la pluie redoublait d’intensité et le tonnerre gronda au-dessus de la ville. Hissa jeta un œil à sa montre et s’inquiéta de ne pas voir arriver son mari.

— Il faut que j’y retourne ! leur annonça-t-elle sans grande motivation.

Elle s’appuya à la table pour se relever et son frère l’aida une nouvelle fois en la soutenant.

— Pfff ! râlait la future Maman.

Elle passa à nouveau de côté entre les deux tables et remarqua que la jeune femme avait disparu. Son sac à main était suspendu à sa chaise et l’homme lui adressa un petit sourire de politesse qu’elle oublia de lui rendre.

C’est toi qui la cognes ? se demandait-elle en sondant son regard.

Puis elle contourna le bar et regarda machinalement sur sa gauche la fresque murale d’une ferme avec des vaches. Mais pour ouvrir la porte du sas des toilettes, elle dut s’y reprendre à plusieurs fois. Par chance, un homme en sortait et la lui ouvrit avec un peu plus de force et de facilité.

Elle entra dans le sas, aperçu son reflet dans le grand miroir en face d’elle sans s’attarder et appuya sur la poignée de la porte de droite qu’elle trouva fermée, déjà occupée. Par chance aussi, à la vue de son envie pressante, la seconde toilette était libre.

En ressortant, elle s’avança vers le lavabo non occupé et reconnut, juste à côté d’elle, sa voisine de table. Les deux femmes échangèrent un sourire à travers le miroir. Hissa profita de la lumière plongeante pour tenter de voir ce qu’elle avait aperçu dans la salle. Sous le col de son chemisier, un hématome dépassait. En voyant ce regard froncé sur elle, la jeune femme le cacha aussitôt, ce qui glaça le sang d’Hissa qui se souvenait avoir eu les mêmes réflexes de peur que quelqu’un s’en aperçoive, mais surtout par crainte des représailles si justement quelqu’un le remarquait.

Ayant terminé de se laver les mains, la jeune femme se retourna vers le distributeur de papier. Quelques secondes plus tard, Hissa entendit des coups sourds. Lorsqu’elle se retourna, elle vit la jeune femme se masser l’épaule.

— J’ai essayé de forcer avec un coup d’épaule, mais la porte reste coincée, se justifia-t-elle. Elle s’ouvre bien vers l’extérieur ?

Hissa réfléchit aux gestes qu’elle avait fait machinalement et en se revoyant la tirer pour ouvrir et voir le monsieur la lui tenir ouverte, elle confirma d’un signe de tête. La jeune femme réessaya plusieurs fois puis lui proposa d’essayer à son tour mais sans succès. Ensemble, elles cognèrent contre la porte en appelant à l’aide, mais avec le rush et le brouhaha de la soirée, personne ne les entendait. Ni l’une ni l’autre n’avait de téléphone sur elle, elles se retrouvaient donc prisonnières dans cette petite pièce exiguë.

— Quand Thomas va se rendre compte que je ne reviens pas, il viendra tout de suite voir ce qu’il se passe. Thomas, c’est mon mari, précisa-t-elle.

— Il est jaloux ? se renseigna Hissa un brin curieuse.

— Pas du coup. Il a confiance. Moi aussi, d’ailleurs. Mais il est hyper protecteur avec moi depuis toujours. Et votre mari ? demanda-t-elle en lui montrant son annulaire gauche où brillait un solitaire en forme de soleil au côté d’une alliance en or et argent. Il est surprotecteur aussi ?

— Oui, reconnut-elle avec un sourire radieux.

— Donc, nous avons deux chevaliers servants juste là dehors pour venir nous sauver.

— Mon mari n’est pas encore arrivé. Il est censé nous rejoindre. Je suis avec mon frère et mon cousin, lui expliqua Hissa lorsque l’électricité disparut pendant plusieurs secondes.

Son sang se glaça lorsqu’elle eut un flashback. En une fraction de seconde, elle se retrouva enfermée par Antoine dans le cellier de son ancien appartement. Depuis ces épisodes traumatisants, Hissa était devenue claustrophobe. Elle évitait de prendre les ascenseurs et de rester trop longtemps dans des endroits exigus ou des pièces sans fenêtres. Malheureusement pour elle, le sas des toilettes du restaurant devait faire six mètres carrés et ne comportait aucune ouverture. Idem pour les toilettes. Hissa respira profondément comme le lui avait appris Marc lorsqu’elle était prise d’attaque de panique. Son psychiatre de mari lui avait appris cette technique au cours de l’une de ses séances avant qu’ils ne tombent amoureux l’un de l’autre. Et d’habitude, sa technique était infaillible. Mais ici, il n’y avait pas de canapé ou de lit pour s’allonger. Encore moins de chaises pour s’asseoir. Et elle n’avait aucun moyen de diffuser une musique relaxante.

— Vous vous sentez bien ? s’enquit la jeune femme, inquiète.

Hissa n’arrivait plus à parler tellement sa gorge la serrait. Ses yeux s’embuèrent et elle secoua la tête pour lui répondre.

— Vous devriez vous passer un peu d’eau sur le visage.

Joignant le geste à la parole, elle posa une main sur l’avant-bras d’Hissa et une autre dans son dos pour la guider vers le lavabo derrière elle. La main couleur daim pâle de la jeune femme contrasta avec la peau cuivrée de la jolie Métisse.

Hissa se rafraîchit le visage et la remercia.

— Je m’appelle Clémence, se présenta-t-elle pour essayer d’accaparer son esprit et lui éviter de penser à leur situation inconfortable, et visiblement anxiogène pour la future maman. Clémence Lasserre. Et vous ?

— Hissa Maillard. Heu… Hissa Morel, se reprit-elle aussitôt. On s’est marié fin mai dernier, se justifia-t-elle pour sa petite erreur.

— Félicitations ! Si ça peut te rassurer, ajouta-t-elle en passant au tutoiement naturellement, par habitude j’ai donné mon nom de jeune fille toute la première année. Nous sommes mariés depuis cinq ans.

À leur attitude très amoureuse, Hissa imaginait leur relation plus récente. Elle esquissa un demi-sourire et se détendit un peu. Elle prit le temps de regarder Clémence. Les reflets lumineux dans ses cheveux noirs lissés adoucissaient les traits fins de son visage à la peau laiteuse. Ce carré long et plongeant lui allait à ravir. Avec ses grands yeux noirs en amande surlignés d’un œil de biche et son sourire éclatant, elle la trouvait très jolie. Hissa lui trouvait un petit air de ressemblance avec l’actrice, Victoria Justice.

Tout à coup, la lumière disparut à nouveau mais plus longtemps que les fois précédentes. Hissa poussa un cri de terreur, et lorsque la lumière revint, c’est le visage de Clémence qu’elle vit en premier. Soudain, une violente douleur lui comprima le bas ventre. Et elle étouffa un cri.

— Ça va ? s’inquiéta Clémence.

Sa voix douce et chaude la ramena à la réalité. Elles se retournèrent en même temps vers la porte que des personnes tentaient d’ouvrir.

— Ouvrez-nous ! Nous sommes coincées ! cria Clémence.

La porte oscilla violemment, vibra, mais resta dans ses charnières.

Devant la porte, un attroupement s’était formé et un homme se faufila parmi eux en bousculant les premiers badauds.

— Clémence ? appela-t-il à travers la porte. Tout va bien, Zinnia ?

Hissa se demanda ce que signifiait ce surnom affectueux.

— Oui, ça va. Mais ne t’inquiète pas pour moi, mon amour. Je suis avec une femme enceinte. Il faudrait vraiment que tu arrives à nous faire sortir de là.

De l’autre côté de la porte, Clémence souriait à Hissa.

— C’est Thomas. Mon chevalier servant. Je t’avais dit qu’il viendrait nous sauver.

Soulagée, Hissa esquissa un petit sourire.

Dans la salle, Thomas étudiait la serrure. Employé dans le bâtiment, il connaissait le mécanisme des portes. Tout à coup, il fut interpellé par deux hommes qu’il reconnut pour avoir mangé à côté de leur table.

— La femme enceinte, c’est ma sœur, s’affola Rayan.

— Et ma cousine, ajouta Tristan tout aussi paniqué.

— Le pêne demi-tour est bloqué, leur expliqua-t-il.

Thomas essaya de défoncer la porte, mais celle-ci résista. Rayan et Tristan essayèrent à leur tour sans succès. Un des vigiles arriva à ce moment-là. Il avait une carrure imposante, mais c’est un mètre cube de graisse. Comme les garçons s’en doutaient, il donna un pitoyable coup d’épaule et se plaignit aussitôt de douleur.

Les ténèbres s’abattirent à nouveau. Un nœud se forma dans les poitrines respectives de Rayan et Tristan lorsqu’ils reconnurent la voix d’Hissa. Elle hurlait. Mais ils n’arrivaient pas à entendre ce qu’elle disait. Seul Rayan, qui connaissait les détails de son ancien calvaire puisqu’il avait assisté à l’audience du procès d’Antoine, se douta de ce que sa sœur pouvait ressentir enfermée dans le noir. Surtout en ce moment où son état la rendait vulnérable.

Lorsque la lumière réapparut, Hissa souleva sa robe rouge orangé pour regarder ses jambes. Elles étaient trempées et ses tropéziennes rouges baignaient dans une flaque d’eau.

— Mais je viens de faire pipi ! balbutia-t-elle sans cacher son étonnement.

— Ce n’est pas du pipi cette fois.

Hissa releva la tête et les deux jeunes femmes se fixèrent. La future maman commença à paniquer.

— Hissa ? On est là ! On essaie d’ouvrir la porte, OK ? tenta de la rassurer Rayan.

— OK ! répondit-elle d’une voix enrouée.

— Bon, ce n’est pas le top ici, mais tu devrais t’asseoir, suggéra Clémence.

Comme ses jambes menaçaient de lâcher, Hissa s’accroupit, soutenue par Clémence puis s’assit sur les tomettes en terre cuite rouge qui recouvraient tout le sol du restaurant.

— C’est ton premier ?

Hissa hocha la tête.

— Fille ou garçon ?

— On veut la surprise.

— Génial ! s’écria Clémence. Tu as des contractions ? se renseigna-t-elle pour évaluer la situation.

— Je crois que j’en ai eu deux ou trois ce soir. Je ne sais plus, dit-elle déboussolée et morte d’inquiétude.

— Et maintenant ?

Hissa attendit quelques minutes avant de répondre. Seuls des bruits de ferraille et des coups sourds témoignaient de l’acharnement des garçons sur la porte.

— J’en ai une autre qui arrive, annonça Hissa avant de se crisper de douleur.

Une fois la crampe passée, Clémence respira profondément avec elle et cria à travers la porte d’appeler une ambulance.

— Tout à l’heure, tu m’as dit que c’était pour dans un mois et demi, non ? se souvenait Clémence.

Hissa hocha la tête.

— Alors… accoucher dans le huitième mois, ce n’est pas dangereux pour le bébé, tenta-t-elle de la rassurer.

Enfin, je crois ! se garda-t-elle de dire.

— Tu crois ? s’enquit la future maman.

— Mais oui ! mentit Clémence pour ne pas l’affoler davantage.

— Dans les toilettes de L’Entrecôte, il y a mieux comme endroit pour mettre au monde son bébé, reconnut Hissa.

— Avec un peu de chance, il ou elle aura un menu gratos à vie dans ce super resto !

Clémence réussit à la faire rire.

— C’est mon cousin qui va être jaloux. Il tient absolument à venir manger ici quand il reste plus de deux jours.

— Tristan Jacks, c’est ton cousin ? Je l’ai reconnu, avoua Clémence.

— Tout le monde le reconnaît maintenant. Ça fait bizarre ! Mais c’était son rêve de môme.

— Et toi, tu fais quoi dans la vie ?

— Secrétaire médicale. Et toi ?

— Je suis vendeuse dans une petite boutique de fringues rue Croix-Baragnon. Ma patronne est styliste, elle crée tous les vêtements. Nous vendons une collection originale.

Clémence désigna le tailleur-pantalon fluide à rayures très colorées chic et décontracté qu’elle portait en lui expliquant que c’était l’une des créations.

— C’est sympa ! Je perds vingt kilos et je passe te voir.

Elles rirent en chœur puis, de plus en plus inquiète, Clémence regarda passer une autre contraction. Tout à coup, en prenant conscience d’une chose importante, Hissa inspira en posant la main devant sa bouche.

— Ma belle-fille va me tuer si j’accouche alors qu’elle n’est pas là.

— Mince ! lâcha Clémence en comprenant que ce serait probablement le cas vu que le travail avait déjà commencé.

Clémence regarda sa montre et compta les minutes entre les contractions. Elles étaient encore irrégulières et espacées. Ce qui la rassura.

— C’est ton mari, Antoine ? demanda-t-elle pour combler le silence.

Intriguée, Hissa releva la tête vers elle et la dévisagea.

Comment peut-elle le connaître ?

— Tu as crié son nom quand on s’est retrouvées dans le noir. Tu le suppliais de t’ouvrir.

Une autre contraction la fit hurler et lui dispensa de répondre. Elle broya la main de Clémence et s’excusa dès qu’elle s’en aperçut.

— Faites vite ! S’il vous plaît ! cria Clémence à travers la porte.

— On fait ce qu’on peut, ma Zinnia ! lui assura Thomas en trifouillant la serrure avec un outil de fortune.

Hissa reprit sa respiration et consentit à répondre à Clémence.

— Antoine était mon ex-compagnon. Il lui arrivait de me frapper, de me violer et de me séquestrer dans notre cellier, avoua-t-elle. D’où ma peur chronique des endroits clos.

Après un lourd silence provoqué par ses aveux poignants, elle ajouta :

— Il est en prison depuis février dernier. Il a pris huit ans ferme.

Nerveusement, Clémence resserra le col de son chemisier. Hissa observa son geste et remarqua un frisson sur sa peau avant de la regarder dans les yeux et d’oser lui demander :

— C’est Thomas qui t’a fait ça ?

Avec délicatesse, Hissa lui ouvrit le col et dévoila un bleu de la taille de la paume d’une main.

— Il ne l’a pas fait exprès, lui assura-t-elle en le cachant à nouveau.

Clémence laissa Hissa retrousser la manche de son chemisier étrangement longue pour une chaude soirée de fin d’été et découvrit des traces de doigts bleutés en forme de pince.

— Ça non plus, il ne l’a pas fait exprès ? demanda-t-elle, le visage fermé, en essayant de ne pas la brusquer.

À travers son silence, Hissa en déduit beaucoup de choses.

— Je l’aime.

— Je n’en doute pas.

— Il m’aime aussi, s’empressa-t-elle d’ajouter.

Hissa ne pouvait pas la contredire. Elle ne connaissait pas son mari.

À l’entrée de L’Entrecôte, abrité sous sa parka et un parapluie à la main pour Hissa, Marc s’étonna de voir une ambulance garée devant le restaurant. Il pénétra dans l’établissement et lorsqu’il vit un attroupement devant la porte des toilettes près du bar, il s’affola.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Où est Hissa ? demanda-t-il en posant une main sur l’épaule de son beau-frère pour le tourner vers lui.

— Ah, Marc ! s’écria Rayan, soulagé de le voir. Tu en as mis du temps.

— Le métro est fermé. Il est inondé aux Carmes apparemment. Où est Hissa ?

Rayan lui expliqua la situation.

— Pourquoi y a-t-il une ambulance devant le resto ? s’affola-t-il.

— Hissa a perdu les eaux et ses contractions sont de plus en plus rapprochées.

Le psychiatre jura. Il comprit tout de suite qu’une crise d’angoisse provoquée par l’enfermement avait dû déclencher le travail. Sans compter son appréhension quand il rend visite à ses patients internés et le fait qu’il était en voiture sous l’orage. Il cogna à la porte.

— Hissa ! C’est moi. Je vais enfoncer la porte. Reculez-vous !

Clémence aida Hissa à se relever et elles se réfugièrent dans l’une des toilettes. En deux coups d’épaules, le quadragénaire super musclé dégonda la porte, la tira vers lui et entra dans le sas des toilettes. Deux brancardiers le suivirent.

Rayan retint Thomas par le bras pour qu’il laisse passer les secours.

— Hissa ! cria Marc.

— Maaarc ! s’écria Hissa, soulagée en l’apercevant.

Lorsqu’il la vit en pleurs, les joues humides, il enveloppa son visage à deux mains et évalua si elle allait bien.

— J’ai peur.

Aussi terrifié qu’elle, il prit sur lui :

— Ça va aller maintenant.

Il laissa alors la place aux secouristes qui s’occupèrent de l’allonger sur le brancard. Avant qu’ils n’aient eu le temps de sortir, Thomas se fraya un passage pour retrouver Clémence. Allongée sur le sol, apeurée, Hissa regardait le couple se retrouver. Thomas enlaçait Clémence en tremblant. Même ses jambes, à hauteur de son visage, vacillaient et trahissaient sa peur et son inquiétude. Pendant que les ambulanciers prenaient ses constantes et installaient un monitoring, inquiète pour son bébé, elle entendait malgré elle les mots qu’ils échangeaient. Hissa n’avait aucun doute. Thomas n’était pas un pervers narcissique comme Antoine. Depuis qu’elle l’avait quitté, elle flairait les ordures de son espèce à des kilomètres. Thomas aimait vraiment Clémence. C’était une certitude. Alors pour quelle raison était-il violent envers elle ? Hissa n’arrivait pas à songer à leur situation plus longtemps, elle était trop bouleversée par l’arrivée imminente et prématurée de son bébé. Pendant ce temps, Marc répondait aux questions du médecin.

— Son nom, prénom, âge, demandait-il prêt à noter.

— Hissa Morel née Maillard. Vingt-neuf ans.

— Nombre de semaines de grossesse ?

— Trente-quatre, dit-il la gorge nouée.

— Quelle maternité l’attend ?

— Ambroise Paré.

En pleurs, Hissa n’entendit pas la suite. Ses angoisses se focalisaient sur son bébé et elle souffla profondément à l’arrivée d’une nouvelle contraction. Une main vint saisir la sienne et le visage souriant de Clémence apparut au-dessus de sa tête.

— Ils viennent de nous dire que tes constantes étaient stables. Tout va bien se passer maintenant.

— Merci, Clémence.

— De rien. Super musclé et efficace ton chevalier servant !

Hissa lâcha un petit rire.

— Allez ! On y va ! lança l’un des secouristes.

Hissa sentit le brancard se soulever et quitter le sol. Elle comprit qu’elle sortait des toilettes en voyant le joli plafond de la salle s’avancer sous ses yeux. Les visages de Rayan et de Tristan lui apparurent sur sa droite et elle tendit la main vers eux.

— Le sac à langer est prêt dans…

— On s’en occupe, l’interrompt son frère. Je sais où il est. T’inquiète ! On se retrouve à la clinique.

— Ça tombe bien que tu sois là, dit-elle en s’adressant à Tristan. Mais Ana va me tuer, dit-elle à son frère qui marchait aussi le long du brancard. Marc ? le rappela-t-elle.

— T’inquiète pas pour Ana. Elle sera dégoûtée, mais elle sait que tu n’y es pour rien.

— Maaarc ? l’appela-t-elle encore.

Ne le reconnaissant pas parmi les gens autour d’elle, elle recommença à pleurer. Depuis qu’elle s’était réfugiée chez lui cette affreuse nuit, Marc était son refuge, sa bouée de sauvetage, son mur porteur. Elle avait besoin de lui, surtout en ce moment. À l’extérieur, elle fut éblouie par les lumières du gyrophare. La nuit était tombée et le ciel enfin dégagé. On la monta dans l’ambulance.

— Maaarc ? l’appela-t-elle encore.

Elle entendit le bruit assourdissant des sirènes et les portes se refermèrent à ses pieds.

— Maaarc !

Quelqu’un lui prit la main. Les yeux brouillés de larmes, elle ne vit pas qui c’était.

— Je suis là, mon amour.

En reconnaissant la voix chaleureuse et rassurante de Marc, elle s’essuya les yeux et puisa de l’apaisement dans ce regard gris clair.

1. Fromages AOP d’Occitanie.

Chapitre 3

Le bonheur

est la seule chose qui se double

si on le partage.

Sénèque

— Ça fait des heures que tu regardes Maxence, tu devrais dormir un peu, suggéra Marc.

— Dit celui qui a pris une chambre avec lit d’appoint et qui reste assis dans le fauteuil collé à mon lit pour nous veiller.

Depuis l’examen médical de routine qui avait confirmé que tout allait bien, leur bébé faisait tout de même du peau à peau avec ses parents à tour de rôle. Marc saisit la main d’Hissa et l’amena à sa bouche pour l’embrasser.

— Tu vas bien. Notre fils est en bonne santé. Et il fait la taille et le poids d’un bébé de neuf mois, lui rappela-t-il pour qu’elle arrête de s’inquiéter.

— Je sais…

À travers leurs silences, ils pouvaient lire la frayeur qu’ils avaient eue.

— Mais la césarienne n’était pas prévue. J’ai eu tellement peur quand il m’a dit que le cordon ombilical était coincé autour du cou du bébé. Après que le médecin m’a dit que mon col était souple et dilaté à quatre, je ne me souviens de rien.

— N’y pense plus. C’est fini maintenant.

Après un échange de « je t’aime », Hissa regardait Marc débordante d’amour.

— Merci de m’avoir recueillie chez toi. Merci pour ton amitié. Merci de m’avoir aimée. Merci de m’avoir épousée. Merci d’être resté avec moi en salle d’accouchement. Merci pour Maxence.

Marc secoua la tête. Il lui devait tellement ! Depuis quelques heures, il était papa pour la seconde fois. Il y a encore un mois, il pensait sa vie derrière lui et depuis l’arrivée de cette femme dans la sienne, elle prenait à nouveau sens et un bel avenir se profilait en perspective. Après cette nuit cauchemardesque qu’il préférait garder pour lui, il souhaitait profiter à présent des nouveaux instants de bonheur.

— Merci à toi, mon amour.

Hissa sourit à Marc et admira à nouveau leur nourrisson.

— Essaye de dormir ! Tu as eu une nuit éprouvante. Tu vas avoir de la visite dans l’après-midi. Et puis, je suis là s’il y a quoi que ce soit.

Les paupières lourdes, la jeune maman s’endormit, le petit visage de Maxence calé sur ses seins, sous le regard vigilant et attentif du nouveau papa.