Un malenconcontreux concours de circonstances (ou la chance de leur vie) - Laurence Koëss - E-Book

Un malenconcontreux concours de circonstances (ou la chance de leur vie) E-Book

Laurence Koëss

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Beschreibung

Mélanie a grandi auprès d'une mère dénigrante et n'a jamais cru qu'elle était digne d'être aimée. Elle se retrouve en plein burn out et voit, malgré elle, toute sa vie basculer. Entre son épuisement professionnel et son désir de maternité qui reste vain, elle ne sait plus où elle en est. Tristan doit, mettre sa carrière de mannequin international entre parenthèses. Ses rêves s'écroulent. Le jeune new-yorkais doit vivre chez Mélanie à la campagne, dans un petit village Ariégeois au pied des Pyrénées, très loin de sa vie mondaine. Un malheureux concours de circonstances ou la chance de leur vie ?

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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À mon mari Laurent,

qui m’aime malgré mes fêlures antérieures

et qui m’aide chaque jour à cicatriser

certaines blessures persistantes.

À mon papa, Didier,

qui me manque chaque jour davantage.

Il m’a clairement inspiré le personnage du père de

Mélanie.

Alors c’est tout naturellement que j’ai choisi

de lui donner son prénom

car c’est un peu lui quelque part.

À mon frère, Fabrice

aussi présent et attentionné dans ma vie

que l’est le frère de Mel dans cette histoire.

Je l’ai également prêté à mon héroïne

ainsi que sa petite famille.

Aux vrais amis, la famille du cœur.

Pourquoi en inventer dans mes histoires alors qu’ils existent dans ma vie ?

à Mimi, Willy et Micka)

DE LA MEME AUTEURE

À travers les silences, un nouveau souffle sur nos vies / Tome 1 (novembre 2020)

À travers les silences, ensemble on va plus loin / Tome 2(décembre 2020))

À travers les silences, ta présence me donne des ailes / Tome 3 (septembre 2021)

« Ne laissez pas les

personnes toxiques

louer de l’espace dans

votre tête.

Augmentez le loyer

ou foutez-les à la porte ! »

Auteur Inconnu

Sommaire

PROLOGUE

Epigraphe

Mélanie

Tristan

Une vingtaine d’années plus tôt

Tristan

Mélanie

Une quinzaine d’années plus tôt

Tristan

Une vingtaine d’années plus tôt

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Plus d’une vingtaine d’années plus tôt

Tristan

Mélanie

Dix ans plus tôt

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Neuf ans plus tôt

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

Mélanie

Tristan

REMERCIEMENTS

PROLOGUE

Plus d’une vingtaine d’années plus tôt dans le sud de la France.

Verniolle, un petit village ariégeois…

Mélanie

— Ah ! Ne commence pas Mélanie ! Je t’en prie ! Pas de scandale dans la rue !

Perchée sur ses chaussures noires à talons hauts et ses fines brides croisées sur les chevilles, dans sa robe rouge ceinturée soulignant sa taille de guêpe, ma mère essaye de me sortir de force de la voiture. Une main ferme sur mon poignet pour m’extirper de mon siège, elle m’oblige à aller chez le coiffeur pour me faire couper les cheveux. C’est le même supplice tous les deux mois.

Après avoir reçu une première gifle en refusant de sortir et la sachant capable de m’en donner une autre, je finis par me lever, des larmes ruisselantes sur les joues. Je la supplie une dernière fois :

— S’il te plaît maman, laisse-moi avoir les cheveux longs !

— À onze ans, c’est encore ta mère qui décide ! me sermonne-t-elle en me tirant par le bras. Et puis, souillon comme tu es, c’est de l’entretien. Tu n’es pas capable de t’en occuper.

Comment peut-elle le savoir ? À priori tout le monde sait se laver les cheveux !

C’est avec une joue en feu et la marque rouge de ses doigts qu’elle me force à entrer dans le salon de coiffure. Couverte de honte, je franchis le seuil en baissant le regard face aux dames décorées de bigoudis sous leur filet, la tête sous leur casque sèche-cheveux alors que ma mère salue la coiffeuse :

— Bonjour Madame Dedieu. Je reviens la chercher dans combien de temps ?

La coiffeuse jette un œil à sa montre avant de lui répondre :

— D’ici vingt-minutes environ.

— Parfait ! répond ma mère avec son air jouissif et satisfaite de me voir dans le salon.

Elle pivote sur elle-même, faisant tournoyer le volant de sa robe, et juste avant de refermer la porte, elle précise à la coiffeuse :

— Et très court ! Hein ?

Je crois qu’à ces moments de ma vie, je n’ai jamais autant détesté ma mère. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, ma gorge se serre et je tords mes doigts à m’en faire mal. Un sursaut me surprend lorsque la porte se referme. Mon sort est scellé. Une des clientes m’offre un sourire compatissant et j’attends patiemment mon tour, assise dans un coin du salon, dans mon jean coupe droite alors que je suis ronde. Je lâche un soupir de désolation en regardant mes chaussures de sport qui ne m’aident pas à me sentir plus féminine. Sans parler de mon tee-shirt « vive le foot » que ma mère m’a dégoté au club mixte du village dans lequel très peu de filles jouent. Elle m’oblige à jouer en short et en maillot, comme les garçons et avec eux. Déjà que je ne suis pas bien dans ma peau, elle prend un malin plaisir à me déféminiser.

Sur la petite table d’angle à ma gauche, sont empilés des livres de coiffures. J’en saisis un au hasard et rêve longuement devant les crinières sublimes aussi différentes les unes des autres. La majorité des filles que je connais s’habillent « en filles ». Elles ont de longs cheveux comme mes amies Patricia, Isabelle et Sabrina qui ont toutes les trois de sublimes chevelures brunes, Edith une crinière sauvage couleur de blé, sans parler de Mickaële qui les a longs jusqu’aux fesses. Érika, quant à elle, elle a le droit de changer de coupe comme bon lui semble. Elles ne savent pas la chance qu’elles ont d’avoir le droit d’afficher leur image de fille.

Lorsque mon tour arrive, j’avance péniblement vers le fauteuil face au miroir. Je trouve déjà mes cheveux très courts. Ils n’ont pas beaucoup poussé depuis la dernière fois. Je peux à peine glisser une mèche de cheveux derrière une oreille. Les cisaillements résonnent dans mes tympans comme un bruit strident et mes yeux s’embuent. Chaque coup de ciseaux est douloureux. Des mèches de deux centimètres de long tombent en pluie sèche sur mes épaules et sur mes cuisses. Je n’ose plus me regarder dans le miroir. C’est la honte de sortir avec cette coupe de garçon.

Ma mère revient à l’heure prévue. D’un regard affuté, elle scrute ma nouvelle coupe et secoue la tête en signe de désapprobation :

— Plus court derrière. Sur les côtés aussi. Je repasse dans un moment.

Il fait très beau dehors mais la foudre vient de tomber dans le salon, me faisant plisser les paupières et m’anéantir.

La porte se referme dans un claquement strident et la coiffeuse reprend ma coupe sans m’adresser un regard. Elle ne peut pas affronter le mien, suppliant. Le vrombissement de la tondeuse me tord les tripes.

— Je mets le plus gros sabot, me dit-elle compatissante avant de commencer.

Aussi gros soit-il, il sera toujours trop petit à mon goût.

En fin d’après-midi, les larmes ont fini d’inonder continuellement mon visage et ne coulent plus que par intermittence. Je suis résignée. De toute façon, je n’ai pas le choix. C’est ma mère qui décide.

Assise en tailleur devant ma psyché, j’ai enfilé un souspull marron dont j’ai laissé le col en turban autour de mon visage. Le reste du vêtement me retombe sur les épaules et j’imagine avec un goût amer à quoi je ressemblerais si j’avais les cheveux longs.

Mon père rentre de la montagne. Il y a passé sa journée avec un de ses amis. De ma chambre, je l’entends arriver dans la cuisine où il pose le fruit de sa pêche sur la table. Comme à son habitude, ma mère commence déjà à lui faire des reproches en guise d’accueil, sa spécialité :

— Oh la la ! s’écrie-t-elle à travers la maison en lâchant un soupir exaspéré et exagéré. Tu ne vas pas laisser ça là ? C’est une horreur cette odeur !

— C’est bon ! Je viens d’arriver ! Y’a pas le feu au lac !

Papa décapsule la petite bouteille en verre d’une Kronenbourg avant d’en boire quelques gorgées au goulot.

— T’inquiète ! Je les trierai et les ferai cuire. Tu n’auras plus qu’à les manger, comme d’hab’ ! Les enfants sont là ?

— Titi est sorti, Mel est dans sa chambre. Elle est de mauvais poil, comme toujours !

« Y a les choses qu’on peut faire et puis celles qu’on ne doit pas. Y a tout c’qu’on doit taire, Tout ce qui ne se dit pas. Des vies qui nous attirent de brûlures et de clous. Oui, mais ne pas les vivre, c’est encore pire que tout. De sagesse en dérive, de regrets en dégouts, y’a qu’une guitare à la main qu’j’ai peur de rien. »

La voix de Jean-Jacques Goldman ne couvre pas le grincement de la porte du placard de mon père. Papa est en train de troquer ses vieilles baskets et ses chaussettes sales contre ses tongs qui le conduisent jusqu’à ma chambre. Il frappe trois coups avant d’entrer et pousse la porte.

— Salut Mel ! Tu viens voir ce que j’ai ramené ?

D’un coup de tête vers la cuisine, heureux et fier de me faire partager sa pêche, il m’invite à le suivre.

Face à mes yeux rougis, il s’inquiète aussitôt et me demande ce qu’il se passe. Il se passe que ma mère aurait rêvé avoir un garçon à ma place et qu’elle l’a quelque part. N’osant plus regarder ma nouvelle tête avec cette coupe garçonne affreuse dans mon miroir, je supplie mon père entre deux sanglots :

— S’il te plaît Papa, demande à Maman qu’elle arrête de m’obliger à me couper les cheveux.

Sans un mot, il se retourne et s’éloigne sans prendre soin de refermer la porte. Quelques minutes plus tard, je sais qu’il a trouvé ma mère à l’échange virulent qui se déroule dans le salon. Je n’entends pas tout ce qu’ils se disent de ma chambre, mais je sais que Papa a eu le dernier mot. Pourquoi je n’ai pas pensé plus tôt à le faire intervenir dans ma détresse ? Alors que je suis encore bouleversée de devoir aller au collège lundi avec cette tête, j’entends de nouveau le claquement de ses tongs sur le carrelage se rapprocher de ma chambre.

— C’est bon ! C’était la dernière fois, m’annonce-til tout simplement.

À l’entendre, mon cauchemar a l’air terminé. Malheureusement, je vais devoir attendre encore de longs mois, le temps que ça repousse.

— Alors Madame Goldman ? Tu viens voir ce que j’ai ramené ? me redemande-t-il avec un clin d’œil et un sourire auxquels il m’est impossible de résister.

Je lui souris, me lève et le suis jusqu’à la cuisine. Fier de sa journée, mon père me montre les belles truites saumonées alignées sur l’évier dont nous allons nous régaler ce soir. Il fait une petite grimace amusée en retroussant son nez pour me faire savoir qu’il est content de sa prise et nous échangeons un petit rire.

— Tu veux que je t’apprenne à les vider ?

Je lève les yeux au ciel rien qu’à l’idée d’imaginer toucher leurs viscères gluants. Cela dit, je suis ravie d’apprendre. Il m’a déjà appris à vider une volaille et je dois avouer que je ne m’en suis pas trop mal sortie bien que j’ai trouvé cela répugnant.

— À condition que tu retires les arêtes une fois le poisson cuit dans mon assiette.

Je fais semblant de négocier, mais il le fait toujours puisqu’il sait que cela m’énerve. Lui, en deux coups de main, il a retiré tout son squelette.

— Comment feras-tu quand tu seras mariée ? me taquine-t-il.

— Je trouverai un mari qui sait le faire.

— En voilà une idée qu’elle est bonne !

Je souris à Papa et à ses expressions bien à lui.

— Encore faut-il que tu en trouves un ! me crie ma mère du salon.

C’est comme si elle m’avait envoyé une flèche en plein cœur.

*

La même année à Dinard en Ille-et-Vilaine dans la région Bretagne…

Tristan

— Qui plante un jardin…

Ma mère vient de commencer sa phrase et c’est moi qui la termine :

— … plante le bonheur !

Je hoche la tête en lui souriant.

Elle est belle ma maman avec ses yeux bleus. C’est la plus belle femme de la terre. Encore plus belle que les fleurs d’hydrangea bleu qu’on vient de planter ensemble pour continuer d’agrandir l’allée d’hortensias qui remonte jusqu’au grand portail. Maman adore le jardinage. Elle m’enseigne tout ce qu’elle sait faire au potager et j’ai une soif d’apprendre.

D’un geste vif, elle me taquine en me maquillant le bout du nez avec son index encore noir de terre de bruyère. Dans un éclat de rire, je m’essuie sur le revers de ma manche en remontant le long de mon avant-bras.

— Tristan !

J’adore l’entendre râler.

Avec un sourire en coin, elle frotte ses mains terreuses sur son tablier et j’en profite pour essuyer la mienne sur ses joues avant de m’enfuir en courant.

— Sacré sacripant de tourbillon ! Tu vas voir un peu ! Je vais t’attraper !

S’en suit alors un petit jeu de course poursuite à travers le jardin. Mais lors d’une embuscade, je me fais attraper. Encerclé, je me retrouve prisonnier dans ses bras aimants. J’ai droit, comme toujours, à une série de chatouilles et une pluie de baisers. Nos rires résonnent sous le porche de l’entrée. Tout à coup, elle s’arrête.

— Écoute ! C’est l’écho du bonheur ! Allez, viens par-là mon petit tourbillon !

Elle m’ouvre ses bras et je plonge dedans. Rien n’est plus merveilleux que les câlins de Maman. En plus, elle sent bon le jasmin. Je crois que je n’ai jamais été aussi heureux que lorsque je suis avec elle.

Maman passe tout son temps libre avec moi. Je n’ai pas de Papa, mais j’ai la meilleure maman du monde ! Son chuchotement chaud dans le creux de mon oreille me provoque de doux frissons :

— Qui c’est qui t’aime le plus ?

Je lui réponds avec un large sourire et le cœur battant :

— Maman !

Et moi je l’aime encore plus ! Je la serre plus fort.

— Ne l’oublie jamais ! me demande-t-elle.

En fin d’après-midi, la sonnette retentit.

— Mon cœur, j’ai quelqu’un à te présenter.

Très souriante, Maman me prend par la main et nous nous dirigeons vers l’entrée. La double porte en bois aux vitraux multicolores s’ouvre sur un homme grand dans un costume clair. Elle monte sur la pointe des pieds et ils échangent un baiser.

— Tristan, je te présente Richard mon amoureux. On est ensemble depuis quelques temps déjà et je pense que le moment est venu de vous rencontrer.

Ma mère a l’air tellement heureuse ! Je souris à cet homme en lui tendant une main amicale, ravi d’avoir enfin peut-être un papa.

Nous nous installons dans le jardin d’hiver et Maman nous sert le gâteau au chocolat que nous avons préparé ensemble dans la matinée. Ma Maman sait tout faire et m’apprend aussi à cuisiner.

Richard m’explique qu’il est professeur. Comme Maman. Mais je n’ai pas très bien compris ce qu’il enseigne. Ma mère regarde son amoureux en lui tenant la main. Débordante de bonheur, elle m’annonce que dans quelques jours, Richard va venir habiter avec nous.

Alors que nous finissons de goûter, elle se lève.

— Bon ! s’écrie-t-elle. J’ai une petite course à faire. En attendant, je vous laisse faire plus ample connaissance.

Ma mère dépose un baiser sur les lèvres de Richard avant de me prendre dans ses bras. Je la regarde sortir de la maison en prenant son sac à main et ses clés de voiture. La porte se referme derrière elle et nous entendons le moteur démarrer. Richard recule alors sa chaise en restant assis faisant ainsi crisser les pieds sur le carrelage. Cela me fait grincer les dents et j’esquisse une grimace en me bouchant les oreilles.

De l’index, il m’invite à m’avancer vers lui. Je me lève et contourne la table. Il tapote sa cuisse pour que je m’assoie sur ses genoux. Si c’est mon futur Papa, je préfère lui obéir et lui montrer que je suis un bon garçon.

— Alors Tristan ? Tu es en CE2, tu as neuf ans depuis une semaine et tu aimes le jardinage et la cuisine. C’est bien ça ?

Je hoche la tête, content qu’il connaisse tout ça sur moi. Il a l’air gentil Richard, l’amoureux de Maman. Il me caresse la joue en souriant. Ravi d’imaginer que ce gentil monsieur puisse devenir mon Papa, je lui souris à mon tour. Je le regarde glisser sa main à sa taille pour défaire sa ceinture de cuir puis le bouton de son pantalon.

— Comme ta maman le souhaite, nous allons faire un peu plus connaissance. Tu es d’accord ?

« Imagine rencontrer

quelqu’un

qui veut connaître ton passé,

non pas pour te punir,

mais pour comprendre

comment tu as besoin d’être aimé. »

Auteur Inconnu

Mélanie

Et voilà !

À présent, mon genou se prend pour un marteau piqueur faisant trembler tout mon corps. J’expire profondément et j’étire mes jambes. Je gigote et tente de trouver une position plus confortable. C’est moi ou ces chaises sont rembourrées en béton armé dans cette salle d’attente ? J’essaie d’avoir une respiration normale mais je n’y arrive pas. Après une profonde inspiration, j’expire tout cet air accumulé dans mes poumons. Si mon stress pouvait sortir avec, cela m’arrangerait. Ah ! Ben non ! Après expulsion, il est toujours là celui-là ! Mes mains sont moites. Mes doigts glissent, s’entremêlent et font des nœuds entre eux. Je soupire en regardant de nouveau ma montre. Cela fait bientôt quarante-cinq minutes que j’attends qu’on m’appelle. Sur ma cuisse, la main apaisante de ma meilleure amie Hissa vient se poser. Elle la serre un peu et lorsque je me retourne pour la regarder, elle me sourit.

— Ça va bien se passer !

J’admire son assurance.

Comment peut-on dire ce genre de phrases avant un examen médical ? Elle n’en sait rien. Je n’en sais rien. Personne n’en sait rien. Je voudrais que le temps s’accélère d’une heure juste pour être fixée et savoir une fois pour toutes.

L’immense tableau sur le mur d’en face commence sérieusement à m’agacer.

— C’est sensé nous détendre ces dessins enfantins ridicules ? Ils auraient pu choisir un paysage bucolique apaisant ou mettre une fontaine d’intérieur zen dans un coin, je ne sais pas… À la longue, ces cercles concentriques multicolores m’hypnotisent comme les yeux de Kaa dans Le livre de la jungle, alors que le clapotis de l’eau serait bien plus relaxant.

— Ce ne sont pas des dessins d’enfants ! C’est une copie d’un Kandinsky et c’est de l’art abstrait.

Hissa, ma meilleure amie métisse, s’est toujours plus intéressée à l’art que moi. Par ses origines antillaises du côté de sa mère, elle est attirée par tout ce qui est coloré. Je lui réponds, pas plus impressionnée que ça :

— C’est ce que je dis ! C’est de l’art enfantin ! Maxence est capable d’en faire autant !

Hissa a la chance d’avoir deux enfants. Maxence, l’aîné, mon filleul, et le second qui a trois ans s’appelle Théo. Je n’oublierai jamais l’âge de Maxence. Sept ans. J’ai fait ma troisième fausse couche l’année de sa naissance. Mon cœur se serre et je me rappelle pourquoi je suis là dans cette salle d’attente alors qu’Hissa, exaspérée, hausse les épaules face à mon hermétisme artistique. Elle cherche à me faire penser à autre chose en attendant. Je connais cette méthode de diversion, je l’utilise avec mes patients les plus stressés à l’hôpital où je suis infirmière urgentiste.

— On croirait entendre Rayan ! s’exaspère-t-elle.

Rayan, c’est son petit frère. Je dis « petit » mais c’est uniquement par rapport à nous deux, proches de la quarantaine. Il a tout juste trente ans mais contrairement à sa sœur, il n’a pas du tout la peau métissée. D’ailleurs, ils ne se ressemblent pas et il est difficile d’imaginer qu’ils ont les mêmes parents. Rayan est marié à Anastasia, la fille de Marc, le mari d’Hissa. Elle a cinq ans de moins que Rayan. Ces deux amis au départ se sont mis en couple peu de temps après la rencontre d’Hissa et Marc. Ce qui fait qu’Anastasia est à la fois la belle-sœur d’Hissa et sa belle-fille. Ça a l’air compliqué comme ça, pourtant c’est simple. Mais ça, c’est une autre histoire*1…

Depuis quelques mois, quand je pense à Rayan et Anastasia, cela me rappelle qu’ils ont des jumeaux adorables. Un garçon et une fille. Luke et Océane. Un seul essai et deux bébés d’un coup ! Quelle chance ils ont !

Étant proche de cette famille, je les vois souvent. Je suis très heureuse pour eux et de leur bonheur. Mais par moment, il est difficile de voir autant d’enfants autour de moi.

— Rayan et Agathe appellent ça de l’« art comptant pour rien » ! continue de me raconter Hissa pour me changer les idées car elle voit bien que je pâlis de minute en minute.

Agathe est la meilleure amie gay de Rayan et d’Anastasia. Je la vois souvent aussi puisqu’elle est marraine d’un de leur jumeau. Comme moi, elle fait partie de cette famille par adoption. Famille de cœur en quelque sorte.

— Quand ils ont un coup de blues, Rayan et Agathe vont faire un tour au musée des Abattoirs2 où certaines œuvres sont assez terribles ! Ils y retrouvent leur bonne humeur et parfois même l’occasion de bien rire.

Elle me raconte qu’une fois, ils ont cru que le vernissage de l’exposition temporaire venait de se terminer. Il restait sur un comptoir de bar fabriqué en palettes, des verres en plastique sales, froissés dont certains n’étaient même pas finis. Un fond de Chardonnay blanc, un Penfolds Yattarna à plus de deux cents euros la bouteille trainait encore sur cette table. Ils trouvèrent des gobelets propres pour se servir un reste de vin lorsqu’un vigile leur demanda de ne rien toucher. Il s’agissait de l’œuvre de l’artiste. Apparemment, ce mouvement artistique s’appelle « Arte Povera ».

— Je te jure que c’est vrai ! m’assure-t-elle en riant. Ils m’ont montré les photos ! « Du foutage de gueule » comme ils disent !

Tu m’étonnes ! Ça a au moins le mérite de me faire sourire quelques secondes.

— Mais pour moi, Kandinsky est un génie ! rêve Hissa face à l’œuvre exposée devant nous. C’est l’un des fondateurs de l’art abstrait.

— Avec Maxence ! On rit un peu.

— Tu es bête, hein ? me secoue-t-elle. Si tu étais plus ouverte à cet art, tu serais plus étonnée que tu ne le penses. En fonction de la lumière de la journée, ces cercles concentriques n’ont pas les mêmes nuances. Ils ont changé plus d’une fois depuis notre arrivée. Je pourrais passer des heures à regarder cette œuvre. Elle est presque en mouvement.

Je ne comprends pas son admiration pour cet art et je me moque gentiment d’elle :

— Ma meilleure amie aurait-elle fumé une substance illicite avant de venir ? Mais comme elle ne touche pas à cette saloperie, je penserais plutôt à un pétage de plomb ! Un scanner dans la salle d’à côté pourrait certainement nous confirmer qu’un tout petit vaisseau sanguin a éclaté... Mais sans gravité !

On éclate de rire. Hissa abandonne et change de stratégie. Penchée vers l’avant, elle fouille parmi les magazines posés devant nous sur la table basse. Je sais ce qu’elle cherche. Un véritable chef d’œuvre ! Une photo dans un article qui parle de son cousin Tristan Jacks, célèbre mannequin dont je suis une fan absolue. Je rêve de le rencontrer depuis des années mais je n’en ai jamais eu l’occasion. À chaque fois, un malencontreux concours de circonstances fait qu’on ne se croise pas.

Ce fichu malencontreux concours de circonstances, c’est le résumé de ma vie…

— Tiens ! Mate un peu la bête ! Ça te changera les idées cinq minutes.

— Ça au moins, c’est une œuvre d’art en mouvement ! En fonction de la lumière, son regard profond change d’intensité !

Exaspérée et amusée à la fois, Hissa roule des yeux au ciel et rit pour se moquer de moi.

— Je vais finir par croire que tu me le caches ou que je te fais honte !

Avec mon manque de confiance légendaire, je doute toujours de moi.

— On ne cache pas une personne à une autre en lui parlant d’elle.

— Ah bon ? Tu lui as déjà parlé de moi ?

Elle hoche la tête avec un air taquin. Là, c’est la panique totale.

— Mais qu’est-ce que tu lui as dit ?

— Que tu pues affreusement des pieds dès que tu enlèves tes chaussures ! Sans parler de ta transpiration excessive des aisselles !

Je lui donne une tape sur le bras.

— Pff ! Tu es bête !

Elle me tend un magazine et là, je fonds littéralement sur ma chaise inconfortable. Un portrait de Tristan est en couverture de GQ. Son regard est profond et je m’y noie comme une ado que je ne suis plus depuis bien longtemps. Moi, j’ai une théorie qui consiste à penser qu’une part de l’adolescence nous suit. Le côté insouciant ne nous quitte pas pour nous aider à affronter avec plus de légèreté certaines épreuves d’adultes, comme en ce moment par exemple. Le côté ingrat avec les complexes et le manque de confiance en soi s’accrochent à nous sournoisement comme une sangsue dont on n’arrive pas à se défaire. Mais laissons tomber les sujets philosophiques aujourd’hui et revenons à l’œuvre d’art que j’ai sous le nez : Tristan Jacks.

Comme souvent sur ses clichés, je retrouve son regard tourmenté. C’est juste une impression étrange. Le photographe qui a dû lui demander de jouer « l’homme mystérieux » pour accentuer son côté séducteur. Son front est plissé et son sourire inexistant. J’ai remarqué qu’il ne sourit jamais sur les photos ou rarement. D’après ce que je lis, il est habillé par Louis Vuitton de la tête aux pieds dans « un ensemble glamour et sexy. »

— Ça me fait bien rigoler ! j’ironise, pantoise. Dans le milieu de la mode, ils sont complètement bigleux ! C’est Tristan qui est glamour et hyper sexy. C’est lui qui met en valeur la tenue du styliste, pas l’inverse.

Hissa roule encore des yeux au ciel et pouffe de rire.

— Toi évidemment, c’est ton cousin, tu ne le vois pas comme nous. Mais toute femme normalement constituée pense la même chose que moi. Tiens, regarde !

Je cherche du regard une dame dans la salle d’attente. Sur ma droite, c’est un homme. J’oublie ! Alors je me penche au-dessus de ma meilleure amie pour interpeler la personne assise à côté d’elle et qui doit avoir à peine quelques années de plus que nous. Couverte de honte, Hissa plaque la main sur son visage pour cacher ses yeux. Ma meilleure amie a une force intérieure incroyable qui lui fait soulever des montagnes quand il le faut, mais elle reste réservée et discrète. Je m’adresse poliment à la personne en lui montrant la photo :

— Excusez-moi Madame ! C’est juste pour savoir. Vous le trouvez comment cet homme ?

— Mon mari m’a quittée l’année dernière pour une minette de vingt ans de moins que moi ! Par dépit, j’ai couché avec sa meilleure amie et depuis je vis le grand amour avec elle. Les hommes m’écœurent et je ne les regarde plus, me répond-elle avant de replonger son nez dans ses mots croisés.

Hissa se retient de rire puis n’en pouvant plus, elle lâche ses éclats alors que je me défends, contrariée :

— C’est bon ! Je suis mal tombée ! C’est tout ! Mais j’ai raison !

À ma droite, l’homme d’une dizaine d’année de plus que nous, me donne un léger coup de coude pour se mêler de notre conversation :

— Ma fille a seize ans. Et sa chambre est remplie de posters de ce Tristan du sol au plafond. Il y a des photos de lui partout dans la maison, en fond d’écran sur son ordi et son smartphone, dans les pages de son agenda. Partout ! C’est l’overdose ! Cinquante fois par jour, elle est sur Instagram pour suivre ce qu’il fait. Il ne faut surtout rien louper ! Avec ma femme, on en a plein les yeux de ce type ! Heureusement qu’il ne chante pas, on en aurait aussi plein les oreilles !

Nous sentons bien son exaspération dans le ton de sa voix. Hissa et moi partons dans un fou rire. Ça me fait du bien de rire dans ces circonstances. J’en oublie une paire de minutes le but de ma présence dans ces locaux.

Je feuillette les pages, et sur le cliché que j’admire à présent, on voit le bout de son tatouage sur son bras gauche. Sa coiffure coiffée-décoiffée avec ses cheveux mi-longs lui donne un charme fou et c’est une invitation irrésistible à y glisser les doigts. Je rêve secrètement de le faire. Sa main droite repliée est rapprochée de son visage. Sa manche est retroussée et on voit nettement les dessins tribaux de ses tatouages. La bague à son index et sa chevalière carrée avec son onyx à l’annulaire lui donnent un côté bad boy. Il porte tout le temps les mêmes bijoux sur toutes les photos, pendant les défilés, dans les clips publicitaires du parfum dont il est l’égérie et sur les photos de famille que me montre Hissa. Apparemment, il ne les quitte jamais. Sauf sa montre qu’il change selon le sponsor. En revanche, il a toujours la même le reste du temps. La sienne, je suppose. Sa bouche entrouverte sublime et sa barbe de trois jours achèvent de me faire succomber. Je ne peux pas m’empêcher de lâcher :

— Purée ! Qu’il est beau ce mec !

Ma meilleure amie s’exaspère. Je la supplie impatiente :

— Sans déc’ Hissa ! Quand me le présentes-tu ?

— C’est difficile avec son emploi du temps. Il était à Tokyo la semaine dernière et il doit être à Milan dans quelques jours. Toi, quand il est là, ou tu es de garde à l’hôpital ou tu manges chez tes beaux-parents ou vous êtes en week-end en amoureux en Ariège dans ta vieille maison ou je ne sais plus quoi ! Comment je fais, moi, pour te le présenter ? À chaque fois, il y a toujours un malencontreux concours de circonstances.

Encore lui ! Je lâche un soupir.

— Il n’est pas trop jaloux Hicham ? me questionnet-elle.

Hicham et moi sommes en couple depuis neuf ans. Presque une décennie ! Ça ne rajeunit pas !

— De qui serait-il jaloux ?

Face à mon étonnement, elle pointe du doigt la photo de son cousin.

— Pour toi c’est ton cousin, pour nous c’est une icône ! Un mec qu’on voit dans les pubs, dans les magazines ou à la télé ! Il est jaloux de ton Tomer Sisley, Marc ?

— C’est vrai que vu comme ça…

— Tu la connais cette nana qui pose avec Tristan sur presque toutes les photos ?

Je cherche son nom dans l’article et je le lis son nom avec mon anglais bien franchouillard.

— « Embeurre Tailleor ». On dirait une pub pour de la margarine !

Non ! Je ne suis pas jalouse !

— Amber Taylor ! me corrige-t-elle. Comme Kelly Taylor dans Beverly Hills.

Je m’en fiche complètement de la prononciation de son nom de famille ! C’est le genre d’Américaine parfaite et pour moi qui suis ronde, c’est une torture de la regarder ! Magnifique bien qu’un peu maigre à mon goût. Une véritable planche à pain ! Traduction en langue de vipère jalouse : très peu de poitrine. Mais extrêmement belle, je suis obligée de l’admettre. Pas de culotte de cheval, pas de bras de camionneur, pas de bouées superposées sur la taille, ni de double menton puisque forcément, elle n’a que la peau et les os.

Hissa me sort de ma jalousie :

— Il m’en a parlé un peu. Ils travaillent dans la même agence.

— Ils couchent ensemble, je suppose.

— Connaissant mon cousin Don Juan, c’est fort probable !

Alors que je dévisage cette fille à qui je rêve de ressembler, Hissa me donne un coup de coude en direction de l’accueil. Hicham fait son entrée dans la salle d’attente du centre de radiologie. Finalement, il a changé d’avis et il est venu pour être avec moi, pour nous. Je suis contente. C’est génial !

— Je passe en coup de vent ! m’annonce-t-il simplement en s’approchant de nous.

Loupé ! Déçue mais pas étonnée. Il fait la bise à Hissa et dépose un baiser sur mes lèvres.

— Tu n’es pas encore passée ou tu attends tes résultats ? me demande-t-il en prenant ma main tremblante.

Il le cache mais je sais qu’il est quand même inquiet. Je secoue la tête.

— Bon… Tu m’appelles quand c’est fini ?

Mais oui ! Comme ça c’est plus simple ! Je fulmine mais ne dis rien. On ne va pas se disputer devant tout le monde. Il dépose un second baiser sur mes lèvres, on échange un « je t’aime » avant de saluer Hissa.

— Tu ne restes pas ? s’étonne ma meilleure amie.

Hicham est en civil et elle se doute bien qu’il ne travaille pas aujourd’hui.

— Je ne peux pas. J’interviens comme bénévole cet après-midi auprès de mes petits jeunes des quartiers défavorisés en décrochage scolaire. Il faut que je file !

Hicham les connaît bien « ces petits jeunes ». Avant de rentrer dans la police, il a grandi dans ces quartiers défavorisés. Ses parents y vivent encore. Son nom de famille, Rabah, est d’origine algérienne. Avec son teint basané, son regard ténébreux et son uniforme de policier, il m’a séduite au premier regard. Altruiste, dévoué, bienveillant, toujours prêt à aider son prochain. J’admire cet homme. Ces adolescents déracinés l’écoutent, évoluent tous bien la plupart du temps, cependant Hicham n’en retire aucune fierté. Paumé, remonté contre l’injustice de notre société, Hicham leur ressemblait avant de devenir flic. Il dit toujours qu’il a eu de la chance de tomber sur un super éducateur qui l’a aidé à bien grandir et à trouver sa voie. Je suis fière de son dévouement auprès de ces enfants. C’est celui qu’il n’a plus envers moi qui m’attriste. Je le regarde s’éloigner et passer les portes vitrées sans se retourner. Si on ne se soutient plus dans les moments difficiles, cela ne va pas nous aider à aller mieux dans notre couple qui traverse sa première grosse crise depuis toutes ces années. Il m’arrive parfois de ne pas le reconnaître.

— Il pourrait quand même rester ! s’offusque Hissa. Ça le concerne aussi !

Je pense comme elle, malgré cela je lui trouve toujours une excuse, ou plutôt une raison de ne pas provoquer un conflit de plus entre nous.

— Ses petits jeunes l’adorent ! Ils ont besoin de lui. Cela lui tient à cœur d’intervenir comme médiateur. C’est un peu logique que je passe en second plan.

J’ai besoin de lui plus que jamais.

— Arrête de le défendre ! C’est vrai que c’est génial ce qu’il fait. Il en parle souvent avec Marc à qui il demande conseil. Étant psy, il lui file pas mal de tuyaux. Mais des réunions, il y en a toutes les semaines. Il aurait pu rester quand même !

Je sais qu’elle a raison. La recherche d’une éventuelle stérilité est une épreuve qu’on est censé traverser en couple.

— Moi j’ai bien pris mon après-midi sans hésiter pour t’accompagner !

— Merci d’être là.

Mais c’est la main de mon petit ami que je devrais serrer, pas celle de ma meilleure amie.

— C’est mon rôle. Ne me remercie pas.

Entre meilleures amies c’est « normal », entre conjoints ce n’est pas si évident ces derniers temps avec Hicham comme compagnon. Alors que nous échangeons un long regard qui parle pour notre amitié de longue date, j’entends qu’on m’appelle :

— Madame Mélanie Dubois !

Grrrr ! Je « roumègue3 » en me levant.

— Mademoiselle !

Ce qui fait sourire Hissa dont je cherche le regard une dernière fois pour me donner du courage.

— Ça va bien se passer ! me redit-elle en croisant les doigts devant elle.

Pourvu qu’elle ait raison !

Une infirmière m’accompagne jusqu’à une cabine dépourvue de décoration. Elle doit mesurer un mètre carré sachant qu’il y a une chaise pour poser mes affaires et deux portes qu’il est impossible d’ouvrir en même temps. Quand on est ronde, cette « pièce » parait minuscule. Dans ce petit espace, je dois me déshabiller et enfiler la blouse suspendue sur la patère. Comme la dame me l’a précisé, je l’enfile par l’avant et la noue dans le dos. La seconde porte donne sur des toilettes dont la pièce est aussi peu spacieuse que la cabine. Je dois avoir la vessie vide pour pratiquer l’examen alors je fais ce que je suis censée y faire et je reviens dans ma cabine de luxe où j’attends qu’on vienne me chercher.

Avec mon mètre soixante-six et mes kilos de trop qui m’obligent à entrer dans un quarante-deux/quarante-quatre, je suis loin d’être une bimbo et je ne sors jamais sans sousvêtement. Déjà parce que je n’ai jamais été à l’aise avec mon corps et ensuite parce qu’avec mon 110 D, mes seins tomberaient sur mes chevilles. Je n’ai jamais compris comment certaines filles sortent sans culotte. Même habillée, sans culotte j’aurais l’impression d’être toute nue. Et là, en entrant dans la salle de l’examen, entièrement dévêtue sous cette blouse, je me sens pas du tout à l’aise. Avec tout ça, il faut rajouter le stress du résultat de l’examen qui augmente avec les secondes interminables qui s’écoulent.

Je sais que l'hystérosalpingographie est un examen pratiquement indolore. Il m’a fallu lire ce nom dix fois avant de savoir le dire sans le lire. Je stresse donc plus pour le résultat que pour l’examen en lui-même.

Je remarque qu’il n’y a que des femmes dans la salle d’examen. C’est rassurant. Le médecin m’accueille et tient dans ses mains mon dossier médical. Mon taux de Beta HCG est négatif. Ce qui veut dire que je ne suis pas enceinte. Je me suis effondrée en le lisant. Ces dernières années, je suis tombée enceinte quatre fois et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand j’ai compris que je ne serai pas maman ces quatre fois-là. C’est comme si on m’avait arraché le cœur et les tripes, quatre fois. Je suis abonnée aux grossesses intra-utérines non évolutives. Pour traduire, c’est un malencontreux concours de circonstances qui a fait que mes quatre petits embryons tant espérés se sont implantés en dehors de mon utérus. Et je suis donc ici pour vérifier l’état de mon col et de mes trompes de Fallope. Même leur nom ne me rassure pas !

Le médecin m’invite à m’asseoir sur la table d’auscultation et me demande de placer les pieds dans les étriers. Le contact du métal me glace. La main sur l’estomac, j’ai un haut le cœur. Toutes les femmes connaissent cette position désagréable et embarrassante. J’essaie de me concentrer sur ce que le médecin est en train de m’expliquer. J’ai droit à tous les détails du processus de l'examen. Elle tente de me rassurer, mais je crois qu’elle peut oublier d’autant plus qu’elle m’réinforme des dangers éventuels. J’ai même dû joindre une autorisation d’effectuer cette hystérosalpingographie en toute conscience et tout autre baratin. Qu’on en finisse une fois pour toutes ! D’une main tremblante, je signe en me rendant compte que ma signature ressemble à un vulgaire gribouillis ou à de « l’art comptant pour rien ». On dirait un dessin de Maxence.

Je tente de dompter ma respiration avant que ça commence alors qu’une infirmière me prend gentiment la main. Je la remercie d’un sourire alors que le médecin me détaille étape par étape de ce qui m’attend. Je ne capte que quelques mots qui m’impressionnent beaucoup plus que les étriers glacés finalement, tels que spéculum, sonde, injection, gonflement du ballonnet, produit de contraste iodé opaque aux rayons X. Fabuleux !

L’examen en lui-même n’a duré que cinq minutes, mais on me demande de ne pas bouger parce qu’il faut refaire des clichés dans vingt minutes. En même temps, nue sous une blouse qui ne met pas spécialement mes rondeurs en valeur, je ne risque pas de faire un défilé de haute couture dans le couloir !

Je veux un bébé. J’ai besoin d’être maman. C’est viscéral plus qu’obsessionnel. Si on m’annonce qu’il y a un problème avec mon utérus ou que mes trompes sont bouchées, je ne sais pas si je pourrais m’en remettre. Néanmoins, je suis certaine que mon couple lui, ne s’en remettra pas. Cette épreuve nous éloigne au lieu de nous rapprocher. Depuis notre dernière déception, on se déchire un peu plus. Ne diton pas que c’est dans l’adversité qu’un couple se construit ? Je me souviens encore des vœux de mariage de Rayan et Anastasia, l’année dernière. Contrairement à la coutume, ils sont arrivés à la cérémonie avec leurs deux alliances tatouées à leurs annulaires respectifs et ils n’ont pas échangé leurs vœux l’un après l’autre, mais ils ont récité leurs promesses à l’unisson en se tenant par les auriculaires : « Avec cette alliance indélébile, preuve de notre engagement sincère et de notre fidélité éternelle, nous nous appartenons pour toujours. Elle est le témoin de l’amour que l’on se porte. Nous marcherons ensemble dans cette vie et nous resterons unis pour traverser les épreuves. » C’était très émouvant.

Unis pour traverser les épreuves…

Je sais que nous ne nous sommes rien promis avec Hicham. Nous n’avons même jamais parlé de mariage. Mais neuf ans de vie commune ce n’est pas rien et pour moi, quand on s’aime, on doit être unis et présents l’un pour l’autre dans les moments difficiles. Tout à coup, je me sens seule dans cette pièce froide. De mes paumes de main, j’essuie les larmes qui chatouillent mes tempes et inondent mes oreilles.

Quand la doctoresse revient après le second cliché, elle me demande de m’asseoir. Le moment du verdict est arrivé. Prête ou pas, je vais enfin savoir. Avec une extrême bienveillance et une voix très calme, posée, elle m’annonce qu’après analyses, l’examen s’est très bien passé et qu’il n’y aucune anomalie.

— S’il vous plait Docteur, pouvez-vous me dire si mes trompes sont bouchées et si mon utérus est normal ?

Je suis tellement bouleversée, perdue, esseulée et en panique quant au résultat, que je n’ai pas compris ce qu’elle vient de me dire. Patiemment, elle reformule différemment le diagnostic sur le même ton :

— Je viens de vous dire que tout va bien. Votre appareil génital est parfait. Il n’y a aucune raison médicale pour que vous n’arriviez pas à concevoir un bébé.

Je pleure de soulagement. Elle me tend une boîte de mouchoirs en papier alors que je suffoque et que j’évacue la pression accumulée de ces derniers instants. J’inspire profondément et j’ose demander honteusement :

— Pensez-vous que mon poids soit un frein pour une grossesse ?

— Vous êtes en surpoids, pas en obésité. Alors ma réponse est clairement « non ». Votre compagnon a-t-il fait ou va-t-il faire un spermogramme de son côté ?

— Oui. Il l’a fait la semaine dernière. Et d’après ce qu’il m’a dit, il n’y avait rien d’anormal non plus. Alors pourquoi ça ne marche pas ?

— À l’heure actuelle, un cas de stérilité sur quatre reste inexpliqué. Et le côté psychologique est primordial. Rentrez chez vous, retrouvez votre compagnon, passez une soirée tranquille et faites l’amour pour vous et pas pour faire un bébé. Je suis sûre qu’il va arriver d’ici quelques mois.

Elle me demande de prendre mon temps et de me lever quand je suis prête. Mon nez coule et je me mouche disgracieusement. Je n’ai jamais su faire autrement. Ça résonne dans toute la salle d’examen et on doit m’entendre dans les couloirs. Le comble de la féminité !

Rhabillée en tenue décente avec mes clichés à la main, je retrouve Hissa dans la salle d’attente. Inquiète de voir que j’ai pleuré, elle se lève et pose ses mains sur mes épaules. Je lui réponds rapidement pour la rassurer :

— R.A.S. Après vérification du contrôle technique, la machine est en parfait état de fonctionnement. Mais quand fonctionnera-t-elle ? Telle est la question !

Comme à mon habitude, j’ironise pour dédramatiser maintenant que je sais que tout va bien. Hissa éclate de rire. Je la sens presque aussi soulagée que moi. Elle glisse un bras sur mes épaules, me tire vers elle, embrasse affectueusement ma joue encore humide puis nous sortons du centre de radiologie, bras dessus, bras dessous.

— Je t’invite à prendre un thé à la maison. Marc récupère les garçons dans deux heures à la sortie de l’école. Nous avons besoin d’un tête-à-tête entre filles et j’ai une surprise pour toi ! chantonne-t-elle.

C’est elle qui conduit. Nous avons pris sa voiture parce que j’étais trop stressée pour prendre la mienne. J’en profite pour envoyer la bonne nouvelle par texto à Hicham qui me répond juste avec un smiley souriant et un pouce levé. Bon… Je m’en contente.

Arrivées dans son appartement, Hissa m’oblige à m’asseoir sur le fauteuil et à me reposer. J’ai froid alors je garde ma veste en fausse fourrure rose. Elle est douce et réconfortante. Je croise mes bras et caresse mes épaules. J’ai besoin de me sentir cocoonée à défaut de me blottir dans les bras d’Hicham et d’attendre des mots du style « ça va aller maintenant ».

Eh oui, je porte du rose pastel foncé sur mon jean bleu clair. Qui l’aurait cru lorsque j’étais ado, moi qui m’habillais en noir de la tête aux pieds et en tenue large pour cacher toutes ces rondeurs disgracieuses. C’est Hissa qui m’a fait prendre conscience, dès le début de notre amitié, que certaines de mes rondeurs pouvaient être mises en valeur. Elle dit toujours que les rondeurs c’est très féminin. On ne doit pas se cacher derrière mais les montrer ! Je ne sais pas si c’est vrai mais en tout cas avec l’âge, je les assume un peu plus. Une orange pulpeuse est plus appétissante qu’un bâton de cannelle ! C’est son expression favorite mais Hissa est toute menue dont, je ne sais pas si c’est vraiment objectif quand elle me le dit, toutefois j’essaie de la croire.

— Ta surprise ne devrait pas tarder à arriver ! m’annonce-t-elle en me sortant de mes pensées « positives ».

Je me demande bien ce que cela peut bien être. Je ne vois pas ce qu’elle fait. Mon fauteuil tourne le dos à la cuisine et au couloir qui mène aux chambres. Mon téléphone sonne et j’espère que c’est Hicham. Mais ma joie retombe vite. Ce n’est pas lui mais mon père. Toujours le premier. Je décroche et je lui fais part de la bonne nouvelle. Il est heureux pour moi. Je l’entends à sa voix qui tremble d’émotion puis il raccroche rapidement. Il fait toujours ça. Il est là, jamais très loin, toujours présent, mais ne s’éternise pas de peur de déranger. Il m’exaspère ! Je profiterais bien de petits moments en aparté avec lui. Peut-être que si j’étais un garçon, ce serait plus facile pour lui... Je lâche un soupir mais souris au texto entrant. Mon frère veut savoir comment ça s’est passé. Je savais qu’il y penserait aussi ! Ce n’est pas ma mère qui m’appellerait pour savoir comment je vais ! Contrairement à Papa, quand elle arrive, elle s’installe ! Une vraie sangsue.

La mélodie du téléphone retentit une nouvelle fois dans le séjour. C’est Anastasia qui veut savoir comment ça s’est passé. Je ne lui raconte pas les détails et lui donne directement le résultat.

— Excellente nouvelle ! s’exclame-t-elle dans le combiné.

Elle m’embrasse avant de raccrocher parce qu’elle part pour une urgence.

Ana est sapeur-pompier professionnelle. Après son congé maternité, elle a repris à mi-temps. On se croise souvent aux urgences. Hissa revient avec nos thés qui infusent et s’installe en face de moi, dos à la baie vitrée.

— Bon, alors ? C’est quoi ma surprise ?

Je suis impatiente et curieuse à la fois.

— Patieeeence, patieeeence ! chantonne-t-elle encore. Je ne t’en ai pas parlé avant parce que j’attendais de savoir si on pouvait fêter ça dignement ou pas. Et-on-peut ! Alors raconte-moi la suite des événements. Les examens, c’est fini maintenant ou non ?

— Avant une éventuelle PMA4, oui. Mais on en n’est pas encore là. Il faut encore essayer naturellement puisque tous les examens sont bons. Faire l’amour sans penser à faire un bébé. Juste pour le plaisir. C’est la prescription médicale.

— Il y a des positions plus conseillées que d’autres ? Le revoilà ce petit air coquin que je lui connais bien !

— Après deux enfants, tu as le mode d’emploi, non ?

Hissa éclate de rire. Il ne faut pas la taquiner longtemps pour qu’elle entre dans le vif du sujet :

— Depuis qu’on est parents, c’est plus compliqué. On est obligé d’attendre que les garçons dorment et on s’enferme à clé dans notre chambre pour être tranquilles.

En entendant les détails de ses parties de « jambes en l’air » avec son mari, je lève les yeux au ciel. Ça y est ! Elle est lancée. Je savais qu’il ne lui en faudrait pas beaucoup ! Nos soirées entre filles à trois avec Anastasia finissent, ou plutôt commencent, toujours par le sujet à quatre lettres : « SEXE ».

Tout en parlant, Hissa sort de sous la table basse, les derniers magazines où apparait son cousin. Elle les collectionne fièrement depuis le début de sa carrière. Elle les étale sur la table comme un éventail et me fait signe de me servir. Je ne me fais pas prier. Je saisis un journal au hasard et fond littéralement sur la première photo de Tristan tout en continuant de l’écouter parler de ses fantasmes.

Le temps qu’elle boive une gorgée de son thé, je prends le relais :

— Pour nous, pas encore de problèmes de moment, de lieu ni d’endroit dans la maison… on en profite !

Je feuillette mon magazine, mate sans scrupule mon beau mannequin et je remarque à peine les signes bizarres que me fait Hissa. Elle doit me parler de la photo dénudée de Tristan que je contemple. Je continue sur ma lancée, bien trop captivée par le torse tatoué de son célèbre cousin. J’avoue que je ne sais plus très bien si je parle d’Hicham ou de Tristan Jacks, mon fantasme :

— En guise de bouquet final, lui dans mon dos, ses mains bien fermes sur mes hanches avec de bons coups de reins endiablés. Ef-fré-nés !

— C’est quand même un peu bestial cette position !

Mon amie me fait encore des petits signes discrets que je ne comprends toujours pas.

— Pas du tout ! Quand c’est fait avec respect, on dirait deux petits lapins qui copulent. Dans ces moments-là, j’ai besoin de m’accrocher aux draps tellement c’est bon et j’étouffe mes cris d’extase dans un oreiller parce que dans cette position, j’atteins très vite le nirvana !

— Mel ! s’esclaffe-t-elle un peu gênée.

D’un coup de menton, elle m’indique qu’il y a quelque chose derrière moi puis sourit par-dessus mon visage. Je percute que ce « quelque chose », c’est probablement « quelqu’un ». On ne sourit pas aux choses, non ?

Une main se pose sur le dossier de mon fauteuil près de mon épaule.

Oh-non !

Je reconnaitrais cette main masculine virile, cette bague tribale et cette chevalière carrée avec cet onyx que je n’ai vues qu’en photo parmi des milliers. Je rêve de rencontrer Tristan Jacks, alias Tristan Maillard, depuis des années et le jour de notre rencontre, par un malencontreux concours de circonstances, je suis en train de parler de ma position sexuelle préférée. Avec ardeur et conviction en plus ! Sans trop savoir si je parlais de mon mec ou de mon fantasme. C’est-à-dire lui, Tristan Jacks, que je reluquais ouvertement, une photo de lui à moitié nu sur mes genoux. Je referme aussitôt le magazine, mais c’est lui en couverture. La poisse ! C’est la honte internationale ! Je ferme les yeux. Si c’est un cauchemar : quand je les ouvrirai, je n’aurais jamais dit ça devant lui et cette main sur le dossier à côté de mon épaule aura disparu. Je soulève une paupière pour contrôler. Ben, non ! Elle est encore là et Tristan Jacks est juste derrière moi. Et Zut !

— Surprise ! clame Hissa, amusée de la situation. Je dois être rouge écarlate. J’ai chaud tout à coup !

— Tristan, je te présente Mélanie. Mel, je te présente Tristan.

Si ça l’amuse, moi je ne sais plus où me mettre !

— Enchanté Bunny ! Très joli prénom pour une lapine ! se moque-t-il en riant.

Comme je le craignais, il a tout entendu. Il me fait la bise. Tristan Jacks me fait la bise ! J’ai du mal à réaliser. Il est encore plus beau en vrai. Il s’assoit sur l’accoudoir de mon fauteuil et caresse ma veste.

— C’est super doux. C’est en poils de lapin teintés ?

J’ai du mal à me retenir de rire. Il va me chambrer longtemps avec ça ?

Hissa m’explique qu’avec le décalage horaire, Tristan faisait un petit somme dans le lit de Maxence.

1 À travers les silences, trilogie précédente.

2 Musée d’Art Contemporain de Toulouse

3 expression du sud-ouest qui exprime son mécontentement ; bougonner.

4 PMA : Procréation Médicale Assistée.

Tristan

— Il y a sept heures de décalage horaire entre Paris et Tokyo dont treize heures de vol. Je suis arrivé à Paris ce matin et j’ai pris le premier vol pour Toulouse. Je remonte sur Paris demain en fin de matinée avant de repartir pour Milan.

Depuis le temps qu’Hissa me parle de sa meilleure amie, je suis ravi de la rencontrer. Ronde mais aussi jolie que sur les photos qu’Hissa m’a montrées. Mon regard est directement attiré par le petit retroussement central de sa lèvre supérieure. Mon péché mignon. Ma gourmandise. Ma friandise. Hissa m’a dit que Mélanie rêvait de me rencontrer. Et après ce qu’elle vient de confier à ma cousine sans savoir que j’étais derrière elle, je sais qu’elle m’aime plutôt bien surtout quand elle s’imagine à quatre pattes devant moi. Je ris, ça m’amuse ! Il faut bien reconnaître que c’était très ambigu quand même ! Difficile de savoir si elle parlait de son mec ou de moi qu’elle avait en photo à moitié nu sous son nez. C’était trop drôle d’assister à cette scène en catimini !