Abeilles road - Alain Kalt - E-Book

Abeilles road E-Book

Alain Kalt

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Beschreibung

Plusieurs histoires se déroulent indépendamment. Jusqu'à ce que des personnages se rencontrent fortuitement suite à un crime perpétré par un robot. Mais est-ce bien un crime ? Quelle justice pour ce soi-disant meurtre ? Notre enquêteur devra utiliser tout son savoir-faire pour arriver à ses fins, et faire admettre ce qui lui paraît juste.

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Seitenzahl: 450

Veröffentlichungsjahr: 2019

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Du même auteur :

« Bio 36 »

« Gravité »

« Babbage C »

« Kachina »

Romans d’anticipation

Avertissements.

Copyright pour la carte de la Lune :

Christian Legrand et Patrick Chevalley, atlas virtuel de la Lune.

http://www.ap-i.net/avl/fr/start

Puisque ce roman fait appel à de nombreux personnages et sociétés, voici une liste qui permettra aux lectrices et lecteurs qui aiment déguster lentement les récits, de s’y retrouver… Inutile de la lire si vous êtes du genre « je ne lâche les livres qu’une fois terminé ».

-Androïd manufacture, une usine concurrente de Robotique SA, qui fabrique des androïdes.

-Arral Ditte, le conducteur du premier géologue.

-ASE, Agence Spatiale Européenne.

-Belinda, voisine de bureau de Lucille.

-Berryl Keit, l’enquêteur.

-Blablacoptère, le blablacar du futur.

-Claire, astronaute et hôtesse d’accueil sur la Lune.

-Corderie, Adjudant-chef de gendarmerie qui a reçu la plainte de Lucille.

-Cyril, le 1er coordinateur des hotliners de Robotique SA.

-Du Forest, chef de Berryl. Ils se tutoient.

-Ernie Hiatal, celui qui maintient l’ordre sur la Lune, et qui est em ployé par Géolunar.

-EuroYuan, monnaie d’échange internationale. (€¥).

-Géolunar, compagnie franco belge qui est l’employeur principal des mineurs et du premier géologue

-Hermann Kind, le second de Translunar.

-Houtten Donovan, un des mineurs de la Lune.

-Hugo Part, le premier géologue de Géolunar.

-Ingmar Bjarnarsonarsson, le deuxième géologue qui est islandais.

-Jeff Hein, le patron de Julius Tinoff.

-Jérémy Sefit, travaille dans la Sécurité Parisienne Alarmes (SPA).

-Julius Tinoff, qui travaille chez Biotecnic.

-Lénonne, robot personnel de Lucille.

-Lucille Emett, qui travaille chez Robotique SA.

-Oscar Netdbord, l’agriculteur de Monieux.

-Oscar Sauvage, Iznogoud de Géolunar.

-Rufus Scott, le costaud du bar sélène qui discute souvent avec Berryl et Claire.

-Stan, DRH de Géolunar.

-Volocopgares ; stations où se posent et décollent les volocoptères.

-Welle Mani, patron de Robotique SA.

Cartographie

Remerciements

Je tiens ici à remercier mes lectrices et mes lecteurs. Leur intérêt pour ma prose m’encourage à poursuivre la transcription de mon imagination sur mon ordinateur. Qu’ils sachent que le sommeil de mes nuits est parfois consacré à ce travail.

En fait, quand je parle de travail, le mot n’est pas correct. J’espère que mes lectrices et teurs ont autant de plaisir à vivre les aventures de mes héros que j’en ai à les écrire.

Amicalement.

Alain.

Sommaire

Avertissements

Cartographie

Remerciements

Chapitre I – Lucille

Chapitre II – Berryl

Chapitre III – Julius

Chapitre IV – Coïncidence

Chapitre V – Rencontres capitales

Chapitre VI – #Lucille&Julius

Chapitre VII – Chamboulements

Chapitre VIII – Le buzz de Bizz Bis

Chapitre IX – Epilogue

Chapitre I – Lucille.

Les notes de cette vieille chanson des Beatles résonnent dans les écouteurs de Lucille Emett. Elle aurait bien voulu s’appeler Lucy au lieu de Lucille, mais ses parents en ont décidé autrement. Finalement ce n’est pas plus mal, car les jeux de mots avec ce prénom sont légions : Lucy ole, Lucy fer, et elle en passe. En fait, c’est surtout la répétition de ces moqueries qui l’énerveraient. Ceci dit, « Lucy in the sky1 » reste sa chanson fétiche, celle qui la met de bonne humeur le matin dans l’aérobus qui habituellement la conduit à son travail.

Justement, elle arrive à la gare comme tous les jours. Elle scrute les passagers, et cherche à voir quels seront les fauteurs de trouble possible. Lucille n’y peut rien, comme il lui est arrivé une aventure un jour, il lui reste cette phobie, même si aucun homme ne lui a plus jamais causé le moindre problème. Les aérobus transportent en moyenne une centaine de passagers toutes les dix minutes. Il n’y a aucun pilote à bord. Juste des caméras de surveillance, aussi bien pour la cabine passagers, que pour le local technique situé à l’arrière de l’appareil. Ce dernier est, bien entendu, interdit au public. Quand les passagers montent à bord, profitant de la cohue, ceux qui souhaitent se comporter de façon incivique, se débrouillent pour cacher leurs vrais visages. Perruques et accessoires divers, qui ne sont pas trop détectables de prime abord, sont généralement utilisés. Le plastique et le caoutchouc permettant de modifier l’aspect physique a fait de gros progrès, et on s’y trompe facilement.

Une fois en vol sur sa trajectoire, toujours la même, tout peut arriver. L’appareil, totalement isolé, ne fera pas demi-tour alors que le trajet est de quinze minutes maximum. A l’arrivée, si les caméras ont été occultées, ce qui peut arriver, les policiers, s’ils ont la chance de pouvoir être dans les temps, interpellent les délinquants qui en seront quitte pour une bonne admonestation, après avoir quand même été contraints de rendre ce qu’ils ont volé. Les aérobus sont si nombreux en vol, qu’il est impossible de tous les surveiller. C’est en quelque sorte la rançon de ce système de transport en commun ultra rapide, mais pas toujours sûr. Après tout, depuis le métro, rien n’a vraiment changé. Alors, Lucille ne peut totalement oublier ce jour où on lui a volé son ordiphone.

Au-dessus des rues, laissées majoritairement aux piétons et cyclistes, se situent donc les trajectoires de ces aérobus, toujours les mêmes, avec les croisements réglés comme du papier à musique. Un grand bâtiment au centre de Paris contient les ordinateurs et salles de contrôle de tout ce trafic urbain. Le célèbre métro existe toujours, mais reste peu utilisé, car lent par rapport à l’aérobus, le métro du ciel.

Lucille s’engouffre dans l’appareil, les écouteurs sur les oreilles. Elle met le niveau sonore assez bas pour entendre les divers messages de sécurité qu’elle connait cependant par cœur. Elle est ainsi faite ; la discipline et le règlement ne souffrent d’aucune dispense dans sa conduite. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est souvent en colère quand elle constate toutes les incivilités dont elle ou ses compatriotes sont parfois forcés d’accepter les inconvénients sans pour autant qu’il y ait sanctions, voire réparations pour les plus graves. Elle lutte cependant pour rester zen, et pour ne pas se gâcher l’existence avec des pensées par trop négatives. Elle est plutôt enjouée, et adore son boulot. Elle fait partie de ces personnes auxquelles on trouve que tout sourit dans la vie, mais on ne sait pas quels sacrifices elle a consentis à faire pour obtenir ses diplômes en robotique. Les nuits blanches sur son ordinateur, les week-ends dans ses bouquins ou avec ses robots d’instruction, les vacances studieuses, pendant que d’autres s’amusaient, et profitaient de la vie. La seule activité qu’elle n’a jamais voulu sacrifier a été, et est d’ailleurs toujours, le sport. Elle a couru, pédalé, soulevé des poids, le tout sans excès, mais avec régularité, pour se laver la tête, comme elle dit. « Mens sana in corpore sano » a toujours été son leitmotiv.

Elle s’assoit en général au fond de la cabine, ce qui lui permet de voir venir les problèmes le cas échéant. Rien à signaler pour l’instant. Aujourd’hui elle a choisi de prendre une correspondance au Châtelet. Elle change souvent ses trajets. Comme elle traverse entièrement Paris depuis Henri Martin dans le 16ème jusqu’à la porte de Bagnolet dans le 19ème, cela lui prend du temps. En fait, les aérobus suivent globalement les mêmes trajectoires que les lignes souterraines des métros. Certains vols sont directs cependant, et permettent de traverser Paris sans escale, mais ils sont moins sûrs, car plus longs en temps. Lucille aime aussi passer d’une station à l’autre pour prendre les correspondances, ne prend jamais les ascenseurs, et gravit régulièrement les escaliers qui montent aux stations à pied, ce qui lui permet de garder une forme olympique. Chaque station d’aérobus a été bâtie en hauteur, et les plateformes d’embarquement ont été placées soit sur des poutres métalliques plantées dans le sol ou fichées dans les murs des immeubles. Toutes les plateformes sont transparentes vers le bas pour éviter de trop obscurcir les rues en-dessous.

Toujours du Beatles dans les écouteurs avec « A hard day’s night2 », elle regarde la ville défiler sous l’appareil. Le jour commence juste à se lever, et c’est le moment préféré de Lucille. Sa méfiance disparaît ; Le trajet sera calme, et elle se dit qu’elle a beaucoup de chance de pouvoir bénéficier de cette vue magnifique, entre chiens et loups comme on dit. L’horizon commence à rougeoyer doucement, et les lumières de la ville sont encore allumées. Ce mélange de pénombre, d’éclairage et de ciel qui s’éveille à l’Est, est du plus bel effet. Comme elle aimerait savoir reproduire ce qu’elle voit sur un tableau. Elle aurait toujours voulu faire de la peinture artistique, mais peu douée, elle a laissé tomber. Pareil d’ailleurs pour la musique, pas douée, encore moins que pour la peinture, elle a aussi abandonné après avoir peiné plusieurs années sur la « Méthode rose », celle des débutants. Aujourd’hui elle se défoule avec la programmation de ses robots. Elle est d’ailleurs en train de créer quelques logiciels de peinture et de musique pour ses androïdes. Évidemment c’est en dehors de son travail de tous les jours, avec l’aide d’artistes confirmés dans ces disciplines. Chez Robotique SA, elle est au service hotline-dépannage pour le moment. Parfois c’est drôle, parfois pas du tout. Elle tient un fichier dans lequel elle sauvegarde les coups de fil les plus significatifs. Comme toutes les conversations avec la clientèle sont enregistrées, elle n’a pas beaucoup de travail supplémentaire pour les conserver. D’ailleurs, son patron l’a félicitée, il n’y a pas trop longtemps, lui promettant même de l’avancement, car elle a restitué en quelques minutes la conversation qu’elle avait eue avec un client six mois auparavant, lui permettant de se justifier, et d’éviter une remontrance, voire quelques démêlés avec les autorités. Il est vrai que chez Robotique SA, on passe facilement de la louange à la critique. Enfin, quant au résultat de cette affaire, Lucille reste dubitative : a-telle fait montre de qualités la rendant indispensable au service dépannage, ce qui impliquerait un avancement nul, ou bien le patron va-t-il réellement la changer de poste ? Mystère…

L’aérobus arrive à destination. Il descend tranquillement à la verticale pour toucher l’aire d’atterrissage en douceur. Les passagers se lèvent, sans se presser pour certains, et rapidement pour d’autres. Lucille reste un peu en arrière de la cohue. Elle aime prendre son temps, et se demande même si elle ne va pas prendre un café dans le petit bar qui est face à l’immeuble de robotique SA. Elle ne se lasse pas d’admirer cette architecture géniale qui domine la porte de Bagnolet. Les vingt-cinq premiers étages de bureaux se répartissent en deux ensembles symétriques, et forment les jambes d’un robot. Ces dernières sont surmontées d’un tronc, éclairé jour et nuit pour représenter le torse avec les commandes habituelles d’un modèle fabriqué par Robotique SA. Au-delà des 50 étages, l’immeuble est coiffé d’une tête qui tourne à gauche puis à droite toutes les heures. Lu-cille se dit que finalement, elle a de la chance de travailler dans ce lieu où l’on manipule le matériel informatique dernier cri destiné aux robots, célèbres dans le monde entier.

Perdue dans ses pensées, la tête déjà au travail, ne profitant que peu de son café qu’elle avale machinalement, elle sort du petit bar, sans oublier de passer son portefeuille numérique au-dessus de sa tasse vide pour payer l’addition.

Elle arrive dans le hall de l’immeuble. Le pupitre de l’accueil n’est pas du tout démesuré comme on pourrait s’y attendre en entrant dans une société au top niveau telle que Robotique SA. Les éclairages sont indirects, et l’hôtesse d’accueil, une androïde disponible 24 heures sur 24, répond aux questions des visiteurs. Elle a reconnu Lucille, et se dispense donc de la questionner.

Lucille se rend directement aux pulseurs, des ascenseurs qui propulsent (d’où le nom) en quelques secondes jusqu’au 51ème étage, là où se trouve son bureau. Un robot obséquieux lui ouvre cérémonieusement une des dix portes disponibles. Elle s’installe sur le siège unique. Un petit chuintement d’air, prouvant l’étanchéité parfaite de la cabine, donne le signal du départ. Un instant, la peur de la panne du système effleure sa pensée, mais très vite le cerveau gauche de Lu-cille, celui qui raisonne et calcule, lui dit que, jusqu’à ce jour, aucun drame n’est venu confirmer ce qu’elle imagine. C’est ensuite assez décontractée qu’elle subit les 1,5G3 de l’accélération initiale, souriant, ou plutôt grimaçant un sourire que lui renvoie le miroir qui lui fait face. Elle voit ses joues se creuser sous l’accélération, sa poitrine, ses épaules s’avachissent un peu. Elle lève un bras pour tester l’effort qu’elle doit fournir pour ce simple geste. Puis l’accélération s’inverse. Elle ne pèse plus que la moitié de sa masse. Elle esquisse quelques mouvements gracieux. Elle adore cette sensation. Le pulseur décélère. Elle se lève avant même que la porte ne s’ouvre, actionnée par un autre robot, moins cérémonieux celui-ci, mais habillé de la même façon. Nombre de ses collègues de travail ne prennent jamais le pulseur. Ils préfèrent l’ascenseur classique, avec deux changements, l’un à la taille de l’immeuble, l’autre pour le reste du trajet très court dans les étages de la tête.

Le hall d’accueil est des plus réduits dans cette partie de l’édifice, principalement réservée au service après vente de Robotique SA, et interdite à toute personne étrangère au service. En fait, la société a voulu son immeuble vraiment calqué sur un robot. La tête contient les programmes et tout ce qui tourne autour, le cou, les mécanismes de rotation et leurs assemblages, e torse tout ce qui est composants et commandes, les jambes, les vérins et autres accessoires mécaniques. Evidemment, chaque partie a son administration propre ; suivi des pièces, livraisons, dialogues avec des sous-traitants et les clients. Toute cette organisation a été étudiée parce que les robots sont multiformes, et créés pour effectuer des tâches spécifiques, souvent sur simple demande. Sont associés à chaque partie de l’immeuble des bureaux d’études.

Le travail de Lucille est d’autant plus complexe qu’elle doit pouvoir dépanner informatiquement toute sorte de modèles. Parfois elle se plonge dans des programmes plusieurs jours durant pour un simple bug informatique à supprimer. C’est d’ailleurs ce qui lui convient le mieux dans son activité : s’isoler, revoir des lignes et des lignes de programmes, qui d’ailleurs, sont pour la plupart générées par des interfaces elles-mêmes robotisées. L’expérience issue d’un programme est exploitée, simplifiée, commentée et réutilisée systématiquement quand c’est utile. Les programmeurs s’ingénient à simplifier leur travail depuis des lustres.

Elle longe le couloir qui mène à son bureau, salue quelques collègues, et entre dans la grande salle dont l’un des côtés donne sur l’extérieur. Le spectacle de Paris vu de si haut est toujours saisissant. Du dehors on ne peut voir l’intérieur des bureaux, car les vitres sont sans tain. Lucille, après avoir serré quelques mains, et embrassé Belinda, son amie et sa plus proche voisine de bureau, s’installe devant ses écrans, et ajuste ses écouteurs. Elle fait un signe au coordinateur qui trône au-dessus de l’open space, signifiant ainsi qu’elle est prête à recevoir son premier appel. En fait, elle trouve plus sympathique cette façon de procéder plutôt que d’appuyer sur le bouton vert de sa console. Elle utilisera le rouge et le vert plus tard pour envoyer là-haut les débuts et fins de communications au coordinateur.

— Bonjour, je suis bien au service dépannage ?

— Bonjour. Oui, tout à fait, vous êtes au service dépannage, et je m’appelle Lucille. Je dois, comme c’est la règle, vous dire que notre conversation sera enregistrée. Ceci permet d’une part de continuer à traiter votre dossier si je n’arrivais pas à le résoudre directement, et pour vous, de faire valoir notre échange en cas de réclamation ultérieure. Maintenant expliquez-moi ce qui vous arrive ?

— Mon robot miaule de temps en temps.

— Miaule ! Que voulez-vous dire ?

— Miaule comme un chat.

— Comme un chat ?

— Oui.

Lucille se retient de rire, et tâche de faire bonne contenance. Pour un premier appel, il vaut la peine.

— Et, avez-vous un chat à la maison ?

— Non, pensez-vous ! J’habite dans un appartement à Paris, au centre ville.

— Bon, nous allons traiter ce problème. Tout d’abord, il me faut votre nom et le modèle de votre robot.

Lucille voit la dame d’un certain âge fouiller dans son ordinateur, et rapidement les informations demandées apparaissent sur son deuxième écran…

— Parfait, j’ai ce qu’il me faut, et ça correspond tout à fait à votre dossier. Vous êtes Madame Chester, et votre robot est un modèle récent, issu de nos établissements il y a un peu moins de deux ans. Il est donc encore sous garantie. Je vois que vous avez pris également une extension de cette garantie à cinq ans. Je pense que cela n’était pas nécessaire, vu la qualité de ce matériel. Normalement, je ne devrais pas vous le dire, mais l’expérience ainsi que la philosophie prônée par notre société m’obligent à vous en informer. Venons-en au fait. Votre robot miaule. Avec quelles fréquences ?

— Seulement de temps en temps. Je n’ai pas souvenir de moments précis. Ça lui prend de temps en temps.

— Bon, je vais regarder son programme, et mettre une interdiction. Il ne devrait plus miauler…

Lucille se retient une fois encore de pouffer de rire. Comme sa cliente la voit aussi sur son ordinateur, c’est difficile de faire en sorte qu’elle ne le remarque pas…

— Veuillez m’excuser, Madame, mais c’est la première fois que suis appelée pour ce genre de problème. Votre robot ne manque pas d’humour, et je pense que notre échange restera dans nos annales. Pour en revenir à notre chat…

Lucille voit la dame sourire, ce qui la rassure. Elle ne va pas mettre une cliente en colère parce qu’elle ne peut pas se retenir de rire…

— Oui, je sais. Mon problème est plutôt marrant. Mais je ne voudrais pas que demain il se mette à aboyer par exemple. Puis pourquoi pas à émettre d’autre bruits plus ou moins incongrus, si vous voyez ce que je veux dire.

— Parfaitement, Madame Chester, parfaitement, répond Lucille n’en pouvant plus et pouffant de rire... Je comprends votre problème. A propos, à quel moment a-t-il commencé à miauler ? Si vous pouviez me le dire avec le plus de précision possible, ça me ferait gagner du temps. Je vais lui mettre une interdiction, et ensuite je vais réfléchir au fond du problème, et vous recontacterai dans tous les cas. Faites donc venir votre robot, et je vais vous donner un code pour que je puisse prendre la main depuis ma console, avec votre autorisation bien sûr.

— C'est-à-dire que vous allez le contrôler depuis votre ordinateur ?

— Absolument. Ça permet de peut-être résoudre votre problème maintenant sans intervention ultérieure.

— C’est super. Puis s’adressant à son robot, Robi, viens ici !

Lucille voit le robot apparaître sur son écran, et l’entend effectivement miauler. C’est un Rob 10 de la meilleure facture. Pas encore un androïde, mais pas loin. Beaucoup de clients préfèrent garder la forme robot de base pour éviter de trop personnaliser leur appareil. La tendance, cependant, arrive doucement, notamment chez les personnes en recherche d’affection qu’elles ont du mal à trouver chez un partenaire de sexe opposé, tant la société moderne est devenue axée sur le virtuel au détriment du réel.

— Je vous demanderais de bien vouloir taper le code que je vais vous dire pour que je puisse en avoir le contrôle temporaire.

— D’accord, je suis prête…

— Tapez « rob10chester745 » tout en minuscules et sans espaces.

Lucille voit la dame taper le code sans hésiter. Sur son écran apparaissent les données de Robi. Sans attendre elle commence à faire tourner la tête de Robi de gauche à droite pour bien vérifier qu’il est sous son contrôle, puis elle fait défiler les lignes principales de ses programmes.

— Vous pouvez me dire quand cela a commencé ?

— Je ne me souviens plus de la date exacte, mais on va dire il y a une dizaine de jours.

— Ce qui m’intéresse, ce sont les fois où vous avez inséré votre code confidentiel pour que Robi exécute par imitation une tâche que vous lui montrez. C’est la première chose que je dois vérifier. A propos, sans indiscrétion, êtes-vous seule à donner des ordres à votre robot ?

— En principe, oui. Mais toute la famille peut aussi le faire. Mon mari, mes enfants.

Lucille croit avoir compris. Elle trouve l’endroit où le code a été entré avec le miaulement du chat.

— Madame Chester ! Votre Robi ne miaulera plus pour le moment. J’ai annulé la ligne de programme. Quelqu’un connaissant votre code confidentiel a demandé à Robi d’imiter un chat. C’est très facile de trouver ce son sur les réseaux du net, de l’enregistrer, de le faire entendre à votre robot pour qu’il l’imite. Je pense que chaque fois que vous lui dites « Robi viens ici », c’est ce que je lis dans le programme que j’ai sous les yeux, il vous répond par un miaulement, n’est ce pas ?

— Ah ben ça alors, oui. Je n’y avais pas prêté attention, mais c’est exact. Mais qui…

— Demandez à vos enfants, ou à votre mari, voire à quelque autre personne facétieuse de votre entourage. Qui cela peut être, je ne peux pas le dire à votre place.

— Je sens qu’il va y avoir du rififi dans la chaumière ce soir. En tous cas, vous êtes diablement efficace. Je vous ferais de la publicité, croyez-moi.

— Madame, ce n’est pas trop mon rôle, mais je vais vous faire une offre commerciale.

— Pourquoi pas. De quoi s’agit-il ? Je vous dis tout de suite que je n’ai aucune envie de changer mon Robi.

— Non, rassurez-vous. Il ne s’agit pas de ça. Vous avez pris une extension de garantie, et Robotique SA vous en propose le remboursement. En effet, nous avons constaté qu’il n’était pas utile de souscrire cette option vu la qualité de notre matériel. Mais je peux également vous proposer l’option multicode. Il s’agit d’avoir un code personnel pour chaque utilisateur de Robi. Ainsi vous aurez le contrôle de qui fait quoi avec lui. Cette option coûte 3 €¥4 par mois.

— Suite à cette aventure, j’accepte. Envoyez-moi la clause dès maintenant. Je n’en parle même pas à mon conjoint. Je sais qu’il sera d’accord, car il était lui aussi, exaspéré d’entendre mon Robi miauler. Quant aux enfants…

— Ne soyez pas trop sévère avec eux. Je vous fais parvenir la clause sur le champ. J’annule mon code, et vous pouvez reprendre le contrôle de Robi. Bonne continuation, Madame, et beaucoup de satisfaction avec nos services. Au revoir Robi.

— Au revoir Madame, lui répond le robot, bien poliment.

— Merci pour votre compétence. Au revoir Madame.

— Au revoir.

Cyril, le coordinateur lui fait un signe pouce levé, lorsqu’il reçoit le signal de fin de communication. Lucille lui répond par une mimique signifiant « facile ». Elle a en effet parfaitement solutionné le problème de Robi avec en prime cette remise pour une extension de garantie, dont l’annulation est systématiquement proposée par Robotique SA, et qu’elle a su placer au bon moment. Cela fait une publicité monstre pour la société qui a vu son chiffre d’affaire doubler en une seule année.

Elle attend maintenant le dépannage suivant en savourant un café apporté, bien entendu, par le robotcafé qui circule en permanence entre les consoles. Elle contemple Paris du haut des 52 étages, ayant la chance d’avoir son bureau côté fenêtre. Le mouvement de rotation de la tête de l’immeuble, lui permet de voir successivement tous les monuments de la capitale dans l’heure. Elle attend le client suivant. Elle met ses écouteurs tout en gardant un œil sur Cyril et sur les lampes-contact de son ordinateur. Robotique SA se vante d’être l’entreprise la plus cool et la plus moderne, socialement parlant. Les employés sont chouchoutés, et peuvent profiter de nombreux loisirs organisés au sein même de l’immeuble. Cela va de la bibliothèque numérique, à la salle de jeux électroniques, en passant par la piscine et les salles de sports individuels et collectifs. Lucille profite beaucoup des activités sportives, mais évite toutes les autres possibilités. En fait elle n’est amie qu’avec quelques personnes qui, en général, travaillent dans d’autres services, Belinda mise à part. Cela lui évite la sempiternelle question ; « t’as pas un mec qui partage ta vie ? », question qui l’horripile particulièrement, comme si c’était indécent de vivre seule. Par le passé, elle a eu une aventure malheureuse, suite à laquelle, elle a même dû quitter son précédent emploi. Elle s’est jurée de ne plus jamais s’amouracher d’un collègue de travail. Ne pas mélanger boulot et dodo est devenu son leitmotiv, et elle tient le coup. L’un des rares qui pourrait la faire changer d’avis est Cyril, mais hélas, il est pacsé avec une jeune stagiaire. Il reste cependant très sympa avec elle.

C’est justement en pensant à tout ceci, qu’elle écoute la fameuse chanson « All you need is love 5» toujours des Beatles. Quelle coïncidence ? D’ailleurs c’est aussi à ce moment précis que la lampe verte s’allume, et que Cyril lui fait signe. Un nouveau client ou une nouvelle cliente…

— Oui, bonjour…

— Ah, bonjour Madame. C’est super je n’ai pas eu à attendre longtemps. Félicitations. D’habitude quand j’appelle des sociétés, on me passe de la musique, on me balade avec des numéros à énoncer. Bref j’attends et j’attends. Heureusement, vous, vous êtes au top.

Lucille a envie de lui dire d’en arriver au fait, car ce bavardage est souvent ce qui met les services après-vente en retard. Elle aimerait bien qu’on en arrive au motif de cet appel. La dame qui lui fait face a les cheveux courts, et son menton volontaire lui fait penser que sa cliente va être exigeante.

— Vous comprenez, un robot en panne, c’est la catastrophe ! Je reçois du monde demain, et il faut qu’il me concocte mes menus, et qu’il cuisine. Je ne peux pas m’en passer.

Elle profite de l’instant où son interlocutrice reprend son souffle pour l’interrompre…

— J’ai bien compris Madame.

Lucille ne lui laisse pas reprendre la parole, et poursuit avec les phrases obligatoires avant chaque traitement de panne…

— Je m’appelle Lucille. Je dois, comme c’est la règle, vous dire que notre conversation sera enregistrée. Ceci permet d’une part de continuer à traiter votre dossier si je n’arrivais pas à le résoudre directement, et pour vous, de faire valoir notre échange en cas de réclamation ultérieure. Il me faudrait votre nom et celui de votre robot.

— Je m’appelle Madame Kinder. Heu, où puis-je trouver les renseignements concernant mon robot ?

— Je vais les trouver pour vous, ne vous inquiétez pas. Notre base de données est parfaitement à jour. Vous êtes bien Marianne Kinder, et vous habitez bien à Lançon de Provence ?

— Oui, c’est exact, et…

— Il me faudrait aussi votre date de naissance pour être sûre de ne pas me tromper de cliente…

— 13/9/2002.

— Bon, tout est clair. Vous avez un robot qui date de 10 ans, un de nos premiers modèles sachant imiter ce qu’on lui montre, un Rob 09. Voyons maintenant quels sont ses dysfonctionnements ?

— Je vous l’ai dit, il ne veut plus cuisiner, et il est là, allongé par terre en train de gigoter bizarrement.

— Gigoter au sol ! Vous pouvez me le montrer ?

— Oui, bien sûr…

La caméra additionnelle s’allume, et Lucille bascule la petite fenêtre sur son deuxième écran…

— Voilà le misérable. Vous voyez comment il se comporte. Plus de réponse, il ne se lève plus. Et qu’est ce que je fais moi, avec les invités de demain ?

— Je vois. Ne vous inquiétez pas, nous allons trouver une solution. Laissez moi prendre le contrôle de… comment vous l’appelez ?

— Karil, il s’appelle Karil.

— Tapez le code suivant : « rob09kinder0991 », tout en minuscules.

Lucille voit son interlocutrice se pencher vers le robot, évitant ses mouvements erratiques avec difficulté, pour essayer de taper le code…

— Allez plutôt côté tête, vous serrez moins gênée.

La dame obtempère, et arrive enfin à manipuler les touches du clavier.

— Vous n’avez pas de télécommande, demande Lucille ?

— Je ne sais pas trop où les enfants l’ont mise. Ils s’amusent souvent avec Karil. C’est, en dehors des jeux vidéos, leur passe-temps favori. Mais je ne leur permets pas toujours de l’utiliser.

Lucille se dit que si elle avait des enfants, il y aurait beaucoup plus de discipline, et que loin d’être ludique, un robot pourrait faire un excellent enseignant, ce qui ne semble pas être le cas chez cette cliente. Elle a l’air plutôt dépassée. En attendant, il faut comprendre la panne. Lucille tente de prendre le contrôle du robot pour lui faire cesser ses gesticulations.

Après quelques minutes elle abandonne, et essaie d’entrer dans les programmes de la machine.

— Il fait ça depuis combien de temps ?

— Depuis ce matin au lever, je l’ai trouvé comme ça dans la cuisine.

— Où sont vos enfants ?

— Sans doute en train de se préparer pour aller à l’école.

— Je pourrais leur parler avant qu’ils s’en aillent ? Ce sera très court, mais nécessaire pour comprendre la panne. J’ai une petite idée.

— Je vais les appeler.

— Bon, je tente encore de pénétrer le programme en patientant.

Au bout de quelques minutes, Lucille voit deux gamins apparaître sur son écran.

— Bonjour Madame, fait le plus petit des deux.

Quant au plus âgé, il a une mine renfrognée, et sera dur à interroger. Lucille décide de l’ignorer…

— Bonjour petit, comment tu t’appelles ?

— Bisou.

— Ah, c’est ton prénom ?

— Non, mais c’est comme ça qu’elle m’appelle, Maman.

— Bon, tu permets que je t’appelle ainsi ?

— Oui.

— Bon, alors Bisou, ce qui est d’ailleurs un très gentil prénom, tu vois Karil, qui est sans doute un bon copain de jeu…

— Ah oui, on s’amuse bien avec lui.

— Eh bien ton copain est malade, et moi je suis la doctoresse des robots. Il faut que je sache ce qui s’est passé ce matin, et à quel jeu vous avez joué avec lui. Je pense qu’il y a un jeu qui ne lui a pas plu. Il faut donc que tu m’aides pour que je puisse le soigner.

Sans être outre mesure surprise, Lucille voit le petit qui regarde sa mère, et qui s’apprête à pleurer…

— Maman, je te jure, c’est pas moi qu’ai eu l’idée…

Lucille voit le grand regarder avec sévérité le petit, ayant sans doute une furieuse envie de le frapper. Il se retient en présence de sa mère, mais sinon elle est sûre qu’il passerait à l’acte. Elle décide de dédramatiser la situation…

— Tu dois voir des copains ou des copines demain avec les invités de ta Maman ?

— Ouais, dis le gamin, avec un reniflement qui en dit long sur son anxiété !

— Tu sais petit, tout le monde peut faire une erreur ou une bêtise. Ce qui compte, c’est de la réparer. Sans ton robot, ta Maman ne peut plus recevoir ses invités, et toi tu ne verras sans doute pas les copains et les copines qui doivent partager votre repas demain. C’est une fête particulière ?

— Ouais, c’est l’anniversaire de mon frère.

— Eh bien voilà : je suis la personne que ta Maman a appelée pour que ça se passe bien, et je suis là pour dépanner Karil. C’est ton frère et toi qui pouvez m’aider en me disant ce qui s’est passé. Ce n’est sans doute pas très grave.

— Mais Madame, intervient la Maman, prenant la défense de ses enfants, ils ne peuvent pas être responsables de cette panne ?

— Ce sont eux, si j’ai bien compris, qui étaient avec Karil quand il a commencé à avoir sa crise. J’ai besoin de savoir ce qui s’est passé. Mais je vous en prie, ne vous inquiétez pas. Je suis obligée dans tous les cas de vous envoyer un technicien, puisque je ne peux pas prendre le contrôle de votre robot. En même temps, je vous proposerai un robot de courtoisie. Il faudra juste que nous élaborions ensemble le menu de demain, pour que je puisse choisir le modèle qui va vous convenir. Nous avons à notre disposition une base de données « cuisine standard » qui devrait vous sortir d’affaire.

— Ah, c’est super ! Vous me sauvez.

— Par contre, en sachant avec précision ce qui s’est passé, je vais pouvoir orienter l’action de mon technicien, voire, il pourrait peut-être arranger l’affaire sur place, et ça diminuerait votre facture en conséquence.

Lucille sent qu’elle a touché juste en parlant argent, car la dame se tourne vers ses enfants…

— Bon, Edward ! Viens ici, et explique à la dame ce qui s’est passé. Tu as 3 secondes pour t’exécuter, sinon tu es privé toute la semaine de jeux vidéos ! Trois secondes, et pas une de plus !

Le dénommé Edward ne change pas d’attitude, et le petit se met à pleurer, pensant sans doute que lui aussi sera privé de jeux vidéos. La mère tient bon, et réitère sa menace, puis file, sans doute vers la chambre des petits en enjambant Karil. Le petit pleure de plus belle alors que le grand commence à craquer. Ils doivent passer beaucoup de temps sur leurs consoles…

— Attends Maman ! Je n’ai pas fait exprès, et je ne savais pas…

— Tu ne savais pas quoi ?

— Je l’ai fait jouer avec la prise de courant de la cuisine ce matin en prenant le petit-déjeuner.

— Tu as fait ça ?

Le garçon a maintenant perdu son air renfrogné, et se retrouve tout penaud. Sa mère semble soulagée. Lucille ne comprend pas. Une telle stupidité de la part d’un gamin de cet âge lui paraît incongrue. Elle comprend ce qui s’est passé, et une déficience du matériel n’est pas en cause. Par contre, les dégâts peuvent être importants, et le robot doit certainement aller dans un atelier.

— Bon, il va donc falloir faire venir un technicien. L’atelier le plus proche est à Marseille ou à Aix en Provence. Je fais le nécessaire, et vous fais parvenir un robot de courtoisie dans les plus brefs délais. Je voudrais savoir auparavant si vous souhaitez un repas gastronomique, un repas normal ou bien fast food du style pizzas, crêpes, fondue, viande au barbecue, etc..

— Plutôt fast food. Je pense que la facture sera moins élevée.

— Certes. Il pourra aussi cuisiner dans les deux autres registres, mais aura juste des recettes moins élaborées, et les menus seront un peu plus conformes au stock de provisions que recommande le guide Elmer, guide omniprésent dans les ménages. En outre, le robot de courtoisie que nous vous enverrons est un Rob10 de la meilleure facture. Vous pourrez ainsi voir la différence avec votre modèle actuel, et peut être profiter de cette panne pour changer votre Rob09 qui, par ailleurs, ne peut plus être mis à jour informatiquement, car trop ancien.

— C'est-à-dire que…

— Oui, je sais. Cela a un coût. Mais nous avons des Rob10 d’occasion qui sont tout à fait abordables. Ne prenez de toute façon aucune décision avant d’avoir notre devis. Il faut attendre le diagnostique de notre technicien, car on ne sait pas encore quels composants sont à remplacer. Un commercial vous contactera dans les plus brefs délais, et en ce qui me concerne, j’alerte dès maintenant l’atelier le plus proche et surtout le plus disponible. Pouvez-vous rester encore une petite heure ou deux chez vous ?

— Oui, je vais m’arranger avec mon employeur. J’ai des horaires plutôt flexibles.

— Parfait. Si vous avez un quelconque autre problème, appelez au même numéro. Ce n’est pas forcément moi qui vous répondrais, mais mes collègues sont tout aussi compétents. Au revoir Madame.

— Au revoir, et merci beaucoup. Vous me sauvez.

— Je fais juste mon travail.

Lucille voit Cyril lui faire un signe de satisfaction du haut de son bureau. Cela veut dire qu’elle a bien fait son travail cette fois encore, et cerise sur le gâteau, a parfaitement respecté la déontologie de Robotique SA en proposant un nouveau modèle à la cliente désespérée. Le Rob10 de courtoisie est spécialement programmé pour étonner les utilisateurs, et souvent ces derniers craquent, et profitent de l’occasion pour changer de machine. En sus, un crédit bancaire avantageux est lui aussi proposé par Robotique SA.

En attendant le client suivant, Lucille réinstalle ses écouteurs personnels sur les oreilles et lance « Dear Prudence 6», toujours des Beatles. Elle est chaque fois vraiment étonnée par l’orchestration qui accompagne les chansons de ces quatre musiciens. Elle se lève, et avance vers la fenêtre qui donne sur la ville. Lucille attend tranquillement, et laisse libre cours à l’émotion que suscitent en elle les accords de cette chanson. Quelqu’un a dit que : « quand on part dans l’au-delà, on n’emporte que l’amour et la musique ». En parlant de musique, il voulait dire : « l’émotion que procure la musique ». Lucille en est vraiment persuadée.

On est vendredi, et bientôt le week-end. Elle ne sera pas de permanence cette fois, et va pouvoir s’adonner à sa deuxième passion. Quand elle y pense, si c’était possible, elle ferait de ce deuxième hobby son vrai métier au lieu de répondre à des clients. Encore que ce matin tout s’est bien passé, alors que parfois elle a affaire à des gens impolis, mécontents, se fâchant contre elle alors même qu’ils sont responsables du mauvais entretien ou du mauvais usage de leurs machines.

1« Lucy in the Sky with Diamonds » est une chanson du groupe britannique « The Beatles » écrite par John Lennon, mais créditée Lennon/McCartney1. Elle apparaît sur l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band sorti en 1967. Elle est restée célèbre, d'une part à cause de ses initiales (LSD, bien que son auteur ait expliqué qu'il était parti d'un dessin de son fils Julian), et d'autre part pour avoir donné son nom à Lucy, une Australopithecus afarensis vieille de 3,2 millions d'années, découverte en 1974 en Éthiopie.

2« A hard day’s night2 ». Le titre de l'album, de la chanson qui l'ouvre et du film, provient d'un accident de langage de Ringo Starr (« Ce fut une dure journée… de nuit », ou « Ce fut la nuit d'une dure journée »), que John Lennon avait déjà utilisé dans son livre In His Own Write. Ce troisième 33 tours du groupe, créé en l'espace de dix-huit mois, se distingue notamment par le son de la guitare électrique à douze cordes employée ici pour la première fois par George Harrison.

3 Lucille a la sensation de peser une fois et demie sa masse.

4 La monnaie internationale pour les transactions intercontinentale est devenue l’EuroYuan, un mélange équilibré entre la monnaie européenne et le Yuan chinois. Exit le Dollar, trop dominant et injuste pendant des décennies.

5« All You Need Is Love » est une chanson des Beatles, écrite par John Lennon, mais créditée à Lennon/McCartney. La chanson est jouée et enregistrée dans le cadre de la participation du groupe à Our World, la première émission en mondovision — c'est-à-dire diffusée en direct par satellite dans le monde entier — de l'histoire, le 25 juin 1967, pour un auditoire dont l'estimation varie de 400 à 700 millions de téléspectateurs. Les Beatles, choisis pour représenter la Grande-Bretagne lors de cet événement télévisé organisé par la BBC, interprètent All You Need Is Love en direct du studio no 1 d'Abbey Road, et sortent dans la foulée un single, publié le 7 juillet 1967 au Royaume-Uni et dix jours plus tard aux États-Unis, qui se classe numéro un dans de nombreux pays.

6 John Lennon compose « Dear Prudence » en mars 1968 à Rishikesh, en Inde, dans l'ashram du Maharishi Mahesh Yogi. Les Beatles y sont venus pour approfondir leur expérience de la Méditation transcendantale, accompagnés entre autres par le chanteur folk Donovan et le Beach Boy Mike Love. L'actrice américaine Mia Farrow est également présente, accompagnée de sa sœur cadette, Prudence, qui passe ses journées à Rishikesh, cloîtrée dans son Bungalow, inspirant cette chanson à Lennon.

Chapitre II – Berryl.

Berryl Keit en a marre, mais vraiment ras le bol d’être appelé Chuck ou Cran. Il ne se prénomme pas Berry, mais Berryl. Il a beau demander à ses collègues de travail de rectifier le tir, ce qui une est phrase très compréhensible pour tous les policiers qui l’entourent, c’est impossible, et ils continuent. Il a bien essayé de goûter au cranberry par curiosité, et a même été jusqu’à écouter du Chuck Berry ; tout cela ne l’a vraiment pas inspiré. Le cranberry ne lui a pas paru gustativement mériter son prénom, et la musique de Chuck Berry, un type qui vivait au 20ème siècle, il l’a trouvée particulièrement kitch. Cependant aujourd’hui il est de bonne humeur, car convoqué par son patron pour une nouvelle enquête, il pourra ainsi s’échapper de son bureau.

— Bonjour Berryl…

Au moins le patron l’appelle correctement…

— Bonjour patron. Tu vas bien ?

— Pas mal et toi ?

Berryl connait Du Forest depuis si longtemps que ce dernier s’est mis à le tutoyer, ce qui finalement est devenu réciproque.

— Bien pour le moment. Tout dépend du boulot que tu vas me donner !

— De la routine, mais il faut le faire. Il s’agit d’un mort sur la Lune, et il se pourrait que ce soit un meurtre, mais je n’y crois pas trop.

— Sur la Lune ! Mais tu sais que je ne supporte pas les voyages dans l’espace.

— Oui, je le sais. Mais tu es le seul sans job en ce moment, et je suis comptable des deniers publics. Encore hier le Ministère m’a demandé des comptes, et je peux te garantir qu’ils fouillent un max dans nos affaires. « Des résultats Du Forest, des résultats. Vos enquêtes n’avancent guère. » J’ai beau leur rétorquer que je n’ai pas assez de moyens, ils s’en foutent royalement. On nage en plein délire. Moins on a de moyens, plus on nous demande des résultats. Je leur en foutrai moi, des résultats. Ils n’ont qu’à venir sur le terrain, ces empafés du ministère !

Berryl attend tranquillement que son chef commence à rougir légèrement, ce qui veut dire qu’il va reprendre son souffle, et qu’il va pouvoir l’interrompre…

— Chef, j’ai tout compris, viens-en au fait. C’est quoi cette mission pourrie où il n’y aurait même pas de meurtre ?

— Oui, c’est vrai je m’égare, et je m’emporte, mais c’est normal, tu ne crois pas que j’ai raison ?

— Oui, pour sûr. Mais j’aimerais connaître les détails de ma mission.

Par expérience, Berryl sait qu’il ne peut pas refuser ce voyage. Du Forest fait partie de ces gens qui vont jusqu’au bout de ce qu’ils décident. Il pourrait même être capable de le mettre à pied s’il refusait une mission. Et puis il est vrai qu’il est le seul à avoir été invité un dimanche chez lui, ce qui prouve qu’il est particulièrement apprécié, sans doute, parce qu’il ne lâche jamais une affaire. Il lui est même arrivé de continuer une enquête classée, en parallèle avec une autre, et d’arriver dans le bureau de Du Forest avec les conclusions de deux affaires différentes. Il se souvient encore de la tête de son chef ce jour là. C’est vrai qu’il a eu les plus grandes difficultés pour rouvrir le dossier classé auprès des instances supérieures, d’autant plus qu’un personnage très haut placé était en cause. Il a eu le cran, sans jeu de mot avec Berryl, de menacer le ministère en prévenant que les médias avaient déjà été mis au courant. Il est vrai que la fusillade qui a conclu l’affaire avait fait du bruit...

— Ouais, tu as raison. En fait, il s’agit juste d’aller vérifier que le type est bien mort accidentellement suite à la chute d’une météorite qui l’a traversé. De la routine quoi. Je te laisse un jour de récupération à ton arrivée là-haut, normalement le séjour est d’une semaine sur la Lune, ce qui correspond à une rotation de la navette, puis un jour de récupération après ton retour sur Terre, voire plus, si jamais tu devais rester plus longtemps là-haut.

— Bon, c’est généreux de ta part. J’ai les billets pour quand ?

— Je te laisse un jour pour faire ta valise.

— Trop bon. Merci patron.

— A plus, Berryl. Je sais que tu vas faire du bon boulot.

— Au fait, y a pas de médecin légiste là-haut pour me donner un coup de main ?

— C’est aussi pour ça que je fais appel à toi. Je sais que tu as de solides connaissances en la matière. Mais de toute façon, un scaphandre qui fuit ne permet pas un bon diagnostique de ce côté-là ; ce qui reste du corps n’est pas vraiment exploitable.

— Certes, mais si j’ai besoin de faire quelques analyses ?

— Y a un labo sur la Lune, tu le sais bien ?

— Bon, d’accord. Mais tu comprends, je ne suis pas en harmonie avec le responsable depuis l’affaire Harpon.

— Ah oui, je me souviens. Mais pas de problème, il n’est plus sur la Lune, ce nul. On lui a trouvé une bonne voie de garage sur Terre.

— J’étais pas au courant. Je ne m’intéresse plus aux affaires élucidées en principe.

— Bon, je crois que tu en sais assez. Comme d’habitude, ligne directe quand tu as du nouveau.

— Ok chef. Mais quand même aller sur la Lune !

— C’est juste quelques heures désagréables. Je t’ai pris des billets short travel. Ce sont eux qui font les voyages les plus chers certes, mais tu ne passeras presque pas de temps en apesanteur. Ils accélèreront, puis tu n’auras que quelques minutes en apesanteur que déjà la décélération commencera. Tu vois que j’ai pensé à ton allergie.

— Ah merci chef. Tu es sûr que le ministère…

— Je les enm… Salut Berryl.

— Au revoir chef, et encore merci. A propos, j’aimerais que ceux qui gravitaient autour du géologue restent là-haut, ça m’évitera d’attendre trop longtemps sur la Lune, voire de devoir continuer l’enquête sur la Terre, ce qui nous ferait perdre encore plus de fric.

— Bien vu. Je fais immédiatement le nécessaire.

Somme toute, se dit Berryl en sortant du bâtiment pour rentrer chez lui, la journée ne s’annonce pas trop mal. Il va voyager dans le confort alors qu’habituellement, dans la police, on occupe toujours les places les plus nulles dans les vols les plus longs. Du Forest doit le tenir en haute estime pour avoir ainsi mis le paquet, à moins que cette enquête soit plus pourrie qu’il a bien voulu le laisser entendre.

Berryl repasse rapidement dans son bureau pour y prendre quelques affaires, et rentre chez lui. Il va immédiatement interroger son ordinateur pour avoir les caractéristiques de son voyage ainsi que les détails de sa mission. Il entre ses identifiants et mots de passe dans la machine, montre bien son visage à la caméra pour avoir accès à son compte, et commence à chercher ses informations.

D’abord il sauvegarde ses billets sur sa carte d’identité. Il n’aura qu’à la présenter au portique enregistreur avant de monter à bord de la navette qui mène à la fusée, et il sera en règle. Evidemment il sera en scaphandre, et sa carte sera apparente sur son bras, pour ne pas l’obliger à des manipulations sans fin. Il évite aussi de faire valoir sa qualité de policier enquêteur pour pouvoir commencer ses investigations dans la discrétion.

Le lendemain, Berryl s’installe confortablement dans la navette. Une vingtaine de passagers en font autant de part et d’autre d’un couloir un peu étroit pour les scaphandres encombrants. On entend quelques bruits sourds qui correspondent sans doute aux manipulations des palettes de bagages et de marchandises que l’on installe, et fixe solidement avec précision dans les soutes de la navette. Tout l’ensemble est acheminé vers le pas de tir où il se décroche du tracteur au sol pour être fixé sur la fusée. Le décollage se fait à l’horizontale, et non plus à la verticale, pour gagner un peu de carburant grâce à l’aérodynamique des fusées actuelles.

Le compte à rebours est maintenant entamé, et Berryl essaie de se décontracter au maximum, se disant qu’il y a bien longtemps qu’il n’y a pas eu d’accident. Puis une petite voix lui dit que, « statistiquement il y a plus de risques qu’il y en ait un, puisque cela fait longtemps que… » Il se raisonne, et reprend son calme. Au moins maintenant qu’il a pu vraiment bien régler son siège, il est installé confortablement. Il ne manque plus qu’un petit rafraichissement, et le voyage démarrerait dans des conditions presque idéales. Hélas, le haut-parleur demandant à tous les passagers de baisser leurs visières, et de brancher leurs prises d’oxygène vient encore une fois le troubler, et générer en lui des pensées dramatiques.

Puis c’est l’envol. L’isolation acoustique rudimentaire, gain de masse oblige, n’évite pas totalement le bruit terrible des réacteurs. Heureusement que les casques tamisent les hurlements des moteurs qui arrachent l’ensemble à l’attraction terrestre.

Un choc. Le premier étage vient de se décrocher après avoir vidé son carburant, et il redescend pour se poser en douceur afin d’être reconditionné. Pendant la pause de quelques secondes sans accélération pour laisser le temps au second étage de s’allumer, et de prendre le relais, Berryl a un haut le cœur. Puis l’accélération reprend. Il préfère cette sensation d’écrasement à plus de trois fois son poids, à celle de flotter. C’est autour du deuxième étage de prendre la poudre d’escampette. Le troisième prend le relais de façon beaucoup plus douce. Effectivement le voyage devient confortable, car l’accélération ne se ressent quasiment plus. Berryl est du bon côté de la cabine, et voit la Terre encore toute proche qui défile doucement sous l’appareil. Il a l’impression que la fusée prend son élan autour de la planète pour s’élancer vers sa destination, la Lune.

Plus tard, un silence soudain le surprend dans une semi-somnolence. Le troisième étage vient de s’arrêter. Il lui semble que la fusée tourne sur elle-même, ce qui lui est confirmé par le mouvement des étoiles qui défilent devant son hublot. Puis l’accélération, ou plutôt la décélération s’installe en douceur. Ce voyage est absolument super. Il ne correspond en aucune manière à celui qu’il avait vécu quelques années auparavant.

Cette fois, il ne voit que les étoiles par son hublot. Une bonne position au départ devient une mauvaise position pour voir la Lune à l’arrivée. Il arrive quand même à capter quelques vagues morceaux du satellite, en s’échinant à regarder par le hublot de son voisin, de l’autre côté du couloir. Ce dernier s’en aperçoit…

— Tu veux ma place pour l’arrivée ?

— Pourquoi pas, mais je ne veux pas te priver du spectacle.

— Holà, pour moi c’est au moins la vingtième fois que je fais ce voyage, alors, pour ce qui est de me priver, sois sans crainte. Allez, on échange nos places.

Les deux s’extraient péniblement de leurs sièges, et échangent leurs places…

— Tu viens faire quoi sur cette planète de m…

— Je suis géologue, et je viens faire quelques relevés, et chercher quelques nouveaux sites d’extraction, ment Berryl ; qui tient à conserver pour l’instant le secret des vraies raisons de sa venue sur notre satellite.

— Moi, je viens régulièrement pour la maintenance des dômes. Il y a toujours quelques microparticules qui traversent, et occasionnent des fuites d’oxygène. Alors on fait appel à moi pour tester et réparer. Mais rassure-toi, il ne s’agit que de micro-fuites… Enfin jusqu’à présent.

Devant la mine inquiète de Berryl, il poursuit…

— Et oui, c’est la vie sur la Lune, et l’épée de la damoclebs est sans cesse suspendue au-dessus de nos têtes.

Et devant la mine encore plus inquiète de Berryl, il éclate d’un rire tonitruant, réveillant quelques passagers…

Berryl ne sait pas trop quelle contenance adopter, puis se décide à rire lui aussi. Après tout, ce gars lui a cédé sa place pour qu’il puisse jouir du spectacle de la Lune qui se rapproche par l’arrière du vaisseau.

Petit à petit la décélération faiblit, si bien que Berryl relance la conversation avec son généreux voisin…

— Pourquoi on diminue la décélération maintenant ?

— Ah mon vieux, tu es dans une fusée de luxe. Ce voyage est le plus court que je connaisse, et je peux t’assurer que c’est uniquement celui-ci que j’exige de ma boite quand elle m’envoie bosser sur la Lune. Non seulement il est le plus court, mais cerise sur le gâteau, ils diminuent la décélération pour arriver progressivement à la pesanteur qui règne sur la Lune.

Berryl n’en revient pas. Il se jure que la prochaine fois qu’il aura une mission sur la Lune, c’est ce type de vol qu’il demandera. Cela a dû coûter un maximum au service.

Le reste de son voyage se passe tranquillement, et les heures s’écoulent sans qu’il éprouve de l’ennui. Son voisin lui décrit avec luxe de détails la vie sur la Lune, lui dépeint son futur terrain de jeu que d’ailleurs, toute la cabine peut admirer sur l’écran central qui s’est allumé. Berryl mémorise sans peine un maximum d’informations. Il a toujours eu une excellente mémoire, et n’a pas forcément besoin de mettre en route discrètement l’enregistreur de son phone, ce qu’il fait cependant régulièrement quand il interroge quelqu’un. Il a également sur cet appareil, une appli spécifique qui permet de savoir quelle est l’état émotionnel de la personne qui parle. Evidemment cette appli n’est pas précise à 100%, et ne sert jamais de preuve officielle. Elle lui permet juste de se faire une idée, et de réorienter ses questions lors d’un autre interrogatoire, ou lors d’une rencontre ultérieure avec les mêmes protagonistes.