Amour et confusions… - Nathalie Cougny - E-Book

Amour et confusions… E-Book

Nathalie Cougny

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Beschreibung

Après un événement qui a bouleversé sa vie, Aurore nous propose, telle une confidence, le récit de ses relations amoureuses et érotiques.

Mais quel est le véritable enjeu de ce parcours où l’âme et le corps se cherchent au-delà des émotions ? Elle nous entraine, à travers des rencontres exceptionnelles et passionnantes, dans une liberté d’aimer singulière. Une expérience où la réalité est constamment modifiée et adaptée, d’abord à son insu, mais dans quel but ? Elle garde ce secret pendant vingt-huit ans, jusqu’au jour où...

Un roman confidences où se mêlent sensualité et introspection

EXTRAIT

Cette nuit-là a bouleversé toute ma vie. Je suis sortie par la porte-fenêtre de ma chambre qui donnait sur la terrasse, sans faire de bruit, j’ai escaladé la haie, comme une ado, l’envie m’emportait comme un papillon, il m’attendait un peu plus haut dans sa voiture, une vieille Jaguar verte. Mon futur ex-mari dormait sur la mezzanine, nous allions divorcer, j’enfilais mon manteau de liberté pour vivre, insouciante et légère. Il devait être deux heures du matin, nous avions échangé toute la journée sur nos portables, des mots nouveaux, des envies folles de demain sans lendemain, qu’importe, la vie s’offrait comme un jardin suspendu aux mille couleurs. Plus rien n’existait que cette liberté dévorante. Mon cœur battait au rythme d’une salsa enivrante, mes yeux retenaient l’attente, emplis de lumière, ma bouche happait l’air sans relâche, c’était bon. Je m’étais sentie prisonnière d’un autre pendant tant d’années quand j’ai su. Désormais que tout s’ouvrait à moi, j’allais tout prendre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

- « Nathalie Cougny livre un premier roman passionnant, au ton très personnel et à l’inspiration très sensuelle. Une invitation à se libérer des tabous, à assumer les appétits de l’âme et du corps, pour redonner à l’amour tout son sens et sa valeur : une ouverture fondamentale à l’autre, pour mieux se reconquérir soi-même… « Donne-toi, que tes mains s’ouvrent comme des yeux », écrivait le poète amoureux Paul Eluard. Le livre de Nathalie Cougny aussi se lit avec les mains, les yeux, le cœur.» - Estelle Gapp, France Inter

- « Une mise à nu où la sensualité se partage avec une analyse lucide des relations entre les hommes et les femmes. Comme l'écrivait Henry Miller : « De temps en temps un individu rompt les amarres, change de vie, mais il n'est que l'exception qui confirme la règle. La personnalité puissante est celle qui secoue les chaines de tous les mondes formulés d'existence, et invente le sien propre». Une fois que vous aurez découvert le monde d'Aurore, tous les autres mondes vous paraitront incomplets. Et c'est une véritable personnalité puissante, Nathalie Cougny, qui signe là ce premier roman particulièrement troublant. » - Denis Benedetti, écrivain, libraire

À PROPOS DE L'AUTEUR

Nathalie Cougny est publiée depuis 2011 et artiste peintre autodidacte depuis 1996. Née en 1967, elle vit actuellement en région parisienne avec ses 4 enfants.
En 1998, elle quitte son activité professionnelle au sein de la direction d’un grand groupe pour se consacrer au bénévolat dans le monde artistique durant 10 années. Elle codirige dès lors une école d'Art de 200 élèves, organise de nombreuses expositions d'artistes et des événements au profit d’un établissement philanthropique.

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« Une vie sans amour est une vie abandonnée,bien plus abandonnée qu’un mort. »

Christian Bobin

Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

Prologue

Tu le sais bien, toi, cher lecteur, combien de fois l’amour t’a habillé de son plus bel effet. Combien de fois tu as cru que ta fin approchait ? Car c’est cela l’amour, le début d’une fin. Un espace-temps où plus rien ne t’appartient, où cet état te prend, corps et âme, impudique et sans détour, où tout se déchire. Un merveilleux piège qui se referme sur toi en un quart de seconde. Alors tout ton corps tremble de ce qui arrive, comme une bourrasque endiablée qui t’emporte, sublime bouleversement de tout ce que tu croyais maîtrisable et qui va t’échouer sur cette autre rive, inconnue, largué au large d’émotions nouvelles. Et là, dans ce laps de temps incontrôlable, c’est tout ce que tu cachais pour ne plus souffrir qui s’éveille. La moiteur de ce divin parfum qui t’enrobe jusqu’à l’infime parcelle de peau pour t’étouffer lentement, transporté comme dans un écrin fragile, un trésor prêt à se briser à chaque instant dérobé, à chaque regard de trop, à chaque mot mal interprété. Comme si l’amour n’acceptait pas ta différence, ni ton histoire. On le voudrait parfait alors que ce sont ses propres failles qui nous anéantissent de bonheur et on ne s’en rend pas compte, parce qu’on cherche un idéal sans cesse trahi.

Tu le sais toi, car dans ton plus lointain souvenir c’est comme ça que tu le vois, intense et brillant, léger et divin, pur, intarissable. Mais combien le détruisent d’un verbe, ou même d’un simple qualificatif qui ne répond pas à cette attente ? Tout dépend du contexte, mais quelle est la part de probabilité que tu lui donnes, pour que tu l’acceptes pleinement au moment où il vient ? Combien de fois es-tu prêt à faire table rase de tout ce qui t’entoure pour t’offrir à lui ? Pourtant toutes les portes vont s’ouvrir, même les plus verrouillées, parce que ce sentiment d’impuissance face à lui te prendra comme un coup de vent, un courant d’air qui ferme la porte du réel pour te faire vivre l’inouï. Tu as cru tous les vivre, un par un, offerts comme des cadeaux de tendresse parsemés d’empreintes fatales sur ton corps ; des empreintes de vie comme de mort, mort d’un amour.

Quel amour cherchons-nous ? Certains se contentent de peu, par habitude, d’autres iront quérir un absolu, l’infime des sentiments, ou du sexe, mais sommes-nous toujours sûrs de ce que nous aimons ? De ce que nous vivons ? L’amour est pluriel et multiple. Nous sommes d’abord conditionnés, à nous reproduire, à manger tel ou tel aliment, à adhérer à tel dogme, telle pratique, parce que le cahier des charges a été établi il y a fort longtemps, sans nous demander notre avis. Personne ne peut prétendre être totalement lui-même, sans dépendre d’une éducation, d’une génétique, d’un patrimoine psychologique, d’une idéologie, d’un autre. Tout se transmet de génération en génération et pourtant c’est souvent un combat permanent : être soi-même ! L’amour nous conditionne, d’abord celui qui conditionne notre naissance. Il est le moteur de notre vie et se calque sur chaque rencontre, comme pour vouloir retrouver cet attachement unique des premières heures de la vie. Cela semble si simple de s’aimer, pourtant le monde se déchire, parce qu’aimer est devenu une quête insatiable. Nous ne savons plus aimer sans y mettre un profit, du pouvoir, sans que cela ressemble à un pansement sur une plaie qui ne cesse de saigner. Mais que sommes-nous sans conjuguer le verbe aimer au présent, au passé ? Un futur incertain. Aimer nous possède et nous dépossède de tout, sans préavis, comme la foudre qui s’abat pour éclairer la vie de son souffle divin. L’amour nous met à nu, hors de nous et nous dépouille de tout notre vécu pour nous envahir à chaque fois de sa force et nous n’y pouvons rien.

Mais si l’on dévie volontairement ton libre arbitre, comment vas-tu percevoir la vie ? Lorsqu’on opère aujourd’hui d’une tumeur au cerveau, on peut choisir quelle partie ne va pas être endommagée au détriment d’une autre, c’est formidable, et en même temps, qui nous dit, en dehors de l’éthique, qu’on ne réalise pas des expériences pour transformer l’espèce humaine ? Créer des êtres parfaits, capables de faire face à n’importe quelle émotion. Qui serait assez fou pour aller perturber les cent milliards de neurones qui nous mettent en connexion avec tout ce qui nous entoure, au nom de l’amour ?

C’est à travers la rencontre que je t’emporte cher lecteur. Parce que la rencontre crée un bouleversement intérieur, comme un rapt, dépendant de notre histoire, qui, ici, prend toute sa dimension dans la perception de l’autre et de sa réalité, celle qu’il nous montre, sa vérité, qui n’est finalement pas totalement la sienne. Mais celle d’un héritage involontaire et tout ce qui va construire cet autre.

Je t’emmène avec moi dans cette expérience des âmes et des corps qui, peut-être, te fera voir ta vie autrement, enlacé par ces minutes où seul l’amour te fait avancer vers cette unique question : qui suis-je ?

1

Cette nuit-là a bouleversé toute ma vie. Je suis sortie par la porte-fenêtre de ma chambre qui donnait sur la terrasse, sans faire de bruit, j’ai escaladé la haie, comme une ado, l’envie m’emportait comme un papillon, il m’attendait un peu plus haut dans sa voiture, une vieille Jaguar verte. Mon futur ex-mari dormait sur la mezzanine, nous allions divorcer, j’enfilais mon manteau de liberté pour vivre, insouciante et légère. Il devait être deux heures du matin, nous avions échangé toute la journée sur nos portables, des mots nouveaux, des envies folles de demain sans lendemain, qu’importe, la vie s’offrait comme un jardin suspendu aux mille couleurs. Plus rien n’existait que cette liberté dévorante. Mon cœur battait au rythme d’une salsa enivrante, mes yeux retenaient l’attente, emplis de lumière, ma bouche happait l’air sans relâche, c’était bon. Je m’étais sentie prisonnière d’un autre pendant tant d’années quand j’ai su. Désormais que tout s’ouvrait à moi, j’allais tout prendre.

Il était là. Il a ouvert la portière doucement, il m’a regardée et je me suis tout de suite noyée dans ses yeux couleur noisette qui m’ont scellée à lui, dans l’instant. J’ai ressenti ce petit trouble inattendu, j’étais saisie, capturée par ce regard et tout ce que je voyais déjà en lui. Nos sourires se sont unis et nous avons discuté de tout et de rien. Il revenait de Marseille et s’était trompé d’adresse car je venais de déménager il y a peu. Il avait cherché mes coordonnées en conduisant et s’était engouffré dans mon ancienne impasse. Je ne savais pas qu’il allait venir directement, j’ai trouvé l’idée géniale, je lui ai donc indiqué ma nouvelle adresse et nous nous sommes retrouvés Place des Poètes.

Nous nous étions connus via un site de rencontres et son annonce était claire : « Je ne suis l’homme de la vie de personne, déjà pas de la mienne, mais une épaule en cas de coup de blues. » Il a su tout de suite, dès nos premiers échanges, qu’il n’était pas l’homme qu’il me fallait et il me l’a dit. Mais que savait-il de ce que je voulais à ce moment-là ? Moi, je voulais la vie !

Alors, il m’a lancé : « Ok, mais je vous aurais prévenue ! ». Me prévenir de quoi, que la vie est un point de non-retour, un chaos sans nom, une tempête dans le désert ? Ça, je le savais déjà. Il m’aura fallu trois ans pour me le sortir de la tête, mais je l’aime toujours, quelque part dans ce souvenir unique, le nôtre, un amour impossible. Pourtant, nous ne nous sommes vus que deux fois quelques semaines au cours de ces trois ans.

La nuit était claire, l’air un peu frais. Nous sommes restés dans sa voiture plusieurs heures à nous découvrir, entre des sourires indiscrets et des mots innocents, jusqu’au moment où il m’a dit :

- Tout va bien Aurore ?

- Oui, pourquoi ? ai-je répondu.

- Parce que je vais vous embrasser !

Je me sentais toute petite, comme si je découvrais à nouveau ce qu’était un homme et tout ce qui le composait. Alors je me suis laissé faire, il a pris mon cou et nos bouches ont figé le temps.

Je l’aimais dans ses failles, dans ses blessures, dans son insouciance qui rongeait son âme. Il avait surmonté une mère absente, violoniste reconnue, morte d’un cancer quand il avait neuf ans, et un père violent. Parti de chez lui à seize ans en laissant derrière lui cette vie qui l’avait mis de côté. La vie nous met toujours de côté à un moment ou à un autre, alors on tente la survie, avec cette frêle pensée : tout ça, pourquoi ?

C’était un homme attentionné comme rarement j’en avais connu, enfin, avec ce besoin d’être utile, ce besoin de se racheter de ce que les autres, les siens, n’avaient pas su lui donner. Il fallait qu’on ait besoin de lui, je l’ai compris trop tard.

Étienne avait cinquante ans quand nous nous sommes rencontrés, moi quarante-deux. Il aimait les femmes jeunes. J’étais déjà à la limite du supportable pour lui dans ce domaine car quand je dis jeune, c’était beaucoup plus jeune. Sans doute que je ne faisais pas mon âge, mais il m’aimait aussi, à sa façon. Nous nous sommes quittés plusieurs fois, moi dans des larmes d’amour, lui dans la lucidité de cet impossible amour.

Ce matin-là ne fut pas un matin comme les autres ; les matins ne seraient plus jamais comme avant, c’était le matin d’une nouvelle vie qui m’appelait. Même si tout s’était effondré autour de moi, c’était une question de survie qui, pourtant, allait me plonger aussi dans un enfer, celui des corps, des vices, du toujours plus loin et encore plus fort pour retrouver un soupçon de femme dans mon corps, dans mon âme. Je me suis enfermée dans ma chambre dès que j’ai vu son numéro s’afficher. Je me suis allongée sur mon lit, le regard heureux vers la terrasse qui donnait devant ma chambre.

J’appuyais sur mon téléphone, c’était lui :

- Bonjour Aurore, je me réveille. Comment allez-vous depuis cette nuit ?

- Ça va, un peu fatiguée tout de même.

- Pas mieux. Mais je faisais allusion à votre état intérieur plus qu’au sommeil en retard.

- Je ne sais pas, je ne veux pas me poser de questions, et vous ?

- À l’intérieur de moi ? C’est un foutoir, très chère, dont vous n’avez pas idée. Mon arrivée un rien tardive, voire matinale, ne vous a pas posé de soucis familiaux ?

- Non aucun. Je n’ai plus de comptes à rendre, d’ailleurs je n’aime pas trop en rendre en général.

- Certes mais usuellement, on imagine plus les adolescents que les parents faire le mur !

- Mais je suis restée très jeune.

- Doux euphémisme, je ne plaisantais pas en vous disant que vous faites penser à une adolescente.

- Pourquoi ce foutoir ? lui dis-je.

Il réfléchit quelques instants :

- C’est une fort longue histoire.

- Vous en avez des histoires… que pensez-vous de la nôtre ?

- Étrange, plaisamment étrange. Un rien inquiétante.

- Ah ! Vous êtes inquiet, c’est un bon début alors ?

- Je ne suis pas inquiet non, sourire, mais vous devriez l’être, c’est ça qui m’inquiète.

- Pourquoi devrais-je être inquiète ? Je fais confiance à la vie, je me laisse porter j’avoue, ai-je tort ?

- Je voulais dire que je suis la caricature du type que vous devriez fuir.

- Pourquoi ? Vous voulez me voir fuir ?

- Je suis un fou furieux socialement présentable, inconstant, extrêmement torturé, solitaire, morcelé, je dois bien en oublier un peu.

Je souris :

- Je n’ai pas encore eu l’occasion de me rendre compte de tout ça, excepté cette nuit. C’est un bon début… mais vous pouvez aussi me montrer le meilleur, je suis preneuse.

- Logiquement vous devriez déjà être en train de tourner les talons…

- Ok, je n’insiste pas. On ne se reverra pas alors ?

- Ça, c’est fourbe !

- Non, mais si vous n’arrêtez pas de me dire que je devrais fuir, ça va finir par arriver !

- Mais si, parce que dans le même temps, je trouverais tout à fait contrariant que vous disparaissiez.

- Alors retenez-moi !

- Je vous trouvais une allure délicieusement adolescente, je vais finir par trouver que vous ressemblez à une jolie plante carnivore.

- Pourquoi ? Je pense que je suis les deux, tout dépend du moment. Vous préférez quoi ?

- Justement, je n’en sais rien.

- Est-ce que ça vous dit une balade cet après-midi ou dimanche ?

- J’ai un rendez-vous à 11 h 30, je devrais être rentré vers 14 h, disons au pire 15 h.

- Vous venez me chercher ?

- Très bien. Je vous téléphone, puis je saute dans mon auto et j’arrive.

Un rien me faisait sursauter de joie, il le savait déjà.

À ce deuxième rendez-vous il m’attendait derrière la pharmacie. J’avais prétexté un départ chez une amie, je guettais ma montre avec légèreté et une certaine angoisse. Je sortis de la maison, échappant à cette vie truquée pour la vraie vie, peu importe ce qui allait se passer, peu importe où j’allais, il fallait que je parte, que je vive, que je pleure d’amour, que je sache ce qu’était l’amour. Je suis montée dans sa voiture, nous nous sommes regardés dans un sourire, le même, et il a démarré. Étienne m’avait demandé où je voulais aller et c’est au Jardin des Plantes à Paris que nous nous sommes enlacés. J’adore cet endroit ; des allées fleuries, des parterres colorés, tout comme était ce jour. Étienne s’en moquait, il voulait juste être avec moi, n’importe où, pour lui le temps comme l’espace n’avaient aucune importance. Ses premiers mots étaient toujours les mêmes :

- Tout va bien Aurore ?

Et je répondais :

- Oui, je suis fatiguée, mais tout va bien.

En fait rien n’allait que cet instant avec lui, tout entier offert à l’oubli. Oui je voulais tout oublier de cette vie déchirée en lambeaux. Nous marchions dans les allées sans but précis, main dans la main, emportés par un nuage bleu ciel. Il était grand, les cheveux noirs ondulés. Sa peau mate faisait ressortir ses dents blanches et légèrement écartées devant, enfermées par une bouche généreuse d’envie, toujours souriante. Il était beau. Nous riions, il avait un humour élégant et subtil, d’ailleurs il était très élégant, très courtois, un peu vieille France, faisant le baisemain aux femmes, ouvrant les portières de voiture pour monter et pour descendre, j’aimais ça. Nous nous sommes assis sur un banc, je me suis posée sur ses genoux, nous nous sommes enlacés de nouveau et nous nous sommes longuement regardés avant de nous embrasser. J’étais là et ailleurs, bien et pas bien, hésitante, il le sentait et ça l’énervait un peu, peut-être pensait-il que je me forçais à être bien. Alors il s’est levé brusquement, m’a prise par la main et nous nous sommes dirigés vers la sortie. Je lui demandai ce qu’il faisait et il ne répondit pas. Il avait même l’air sérieux d’un seul coup, ça m’a surprise, je ne le connaissais pas comme ça. Mais en fait, je ne le connaissais pas du tout.

Nous fîmes le voyage en voiture en échangeant peu de mots, nous allions chez lui, c’est tout ce que je savais. J’avais un peu peur, je ne savais pas ce qui allait se passer, mais je ne lui ai pas demandé de me ramener chez moi. Le paysage défilait comme un film dans lequel je ne me sentais pas actrice, mais spectatrice, j’analysais constamment mon état, mes émotions.

Un rien me faisait passer de la joie à l’angoisse. Puis nous sommes arrivés devant son immeuble une demi-heure plus tard, une demi-heure de questions qui fusaient dans ma tête : qu’allait-il faire ? Allait-il me faire l’amour la porte tout juste franchie ? Il m’avait seulement décrit l’état désert de son appartement.

Sa femme l’avait quitté quelques mois auparavant et il lui avait dit : « Prends ce que tu veux. » Elle avait tout pris. Nous avons monté les cinq étages sans ascenseur, assez vite, il a ouvert la porte et a posé ses clés dans un petit pot noir. En effet, c’était très spartiate : un canapé en vieux cuir marron, une table ovale blanche et deux chaises, une guitare posée dans la pièce voisine ouverte sur le salon, une télé et un vélo. J’étais un peu tétanisée, mais je ne sais pas pourquoi, j’avais confiance. De toute façon je n’avais pas le choix, je n’avais aucune force pour résister à quoi que ce soit, je me serais laissé emporter dans n’importe quelle histoire, si possible un conte de fée. Il s’est approché de moi sans rien dire, il m’a entièrement déshabillée dans un demi-sourire qui ne voulait pas dire grand-chose, en tout cas que je ne pouvais pas décrypter, et m’a entraînée dans la chambre à reculons, les yeux dans les yeux. Il y avait juste un matelas par terre. Il m’allongea dessus, tira la couette sur moi et me dit :

- Dors maintenant, personne ne sait que tu es là, dors tranquillement, tu es épuisée.

C’était Étienne et son surprenant savoir vivre. Je l’ai regardé quitter la pièce et mes yeux se sont fermés. Oui j’étais épuisée, mais de quoi ? D’avoir vécu seize ans dans une fausse vie ou bien de vouloir vivre un amour absolu dans lequel chaque détail compte comme un souffle qui vous ramène à la vie ?

Je me suis réveillée quelques rêves plus loin et nous avons fait des photos sur son canapé. Il m’avait prêté une chemise blanche, trop grande, qui laissait entrevoir mes seins. Étienne avait été photographe et journaliste pendant vingt-cinq ans, avant de prendre ce poste de directeur de la communication pour une grande marque de téléphonie. Il se déplaçait beaucoup, pour participer à des conférences de presse notamment.

C’était un passionné de photos, il en faisait tout le temps, il enregistrait sa vie sur un appareil numérique ; toute sa vie, du plus banal au plus extraordinaire, comme s’il lui fallait absolument enfermer chaque émotion, chaque instant pour se prouver qu’il vivait. Je m’en étais aperçue le jour où je m’étais retrouvée à l’hôpital pour un excès de fatigue : il me photographiait à chaque étape de ce passage aux urgences. Je lui avais demandé ce qu’il faisait et il m’avait répondu : « Je garde une trace de tout ce que je vis, pour plus tard. » J’espérais quand même qu’il n’allait pas conserver ces photos-là. Il faut dire qu’il avait failli mourir. Il avait été un grand sportif et aussi le premier patient à porter une valve au cœur. Il était donc bien en sursis. Il s’était fait poser cette valve environ vingt-cinq ans plus tôt. J’entendais le cliquetis quand je posais ma tête sur lui, comme un réveil qui ne sonne jamais. Les médecins l’avaient prévenu, mais ça aussi c’était Étienne, il avait fait tout le contraire de ce qu’on lui avait préconisé. Il avait repris le sport, le vélo, la course à pied, et avait même fait la Une de certains journaux en héros.

Il n’avait pas arrêté de fumer, il ne faisait pas attention à lui, sous anticoagulants aux mêmes doses depuis des années après une phlébite, pas de suivi, jamais de prise de sang. La vie ou rien !

Il m’avait expliqué longuement. On l’avait ouvert de haut en bas, on avait écarté le thorax pour atteindre le cœur, un an d’hôpital à l’époque et un an de souffrances sans nom. Il était hors de question qu’il se fasse ouvrir le thorax une seconde fois et, quoi qu’il arrive, il m’avait prévenue quelques mois plus loin dans notre histoire, que nous nous serions quittés s’il avait dû y repasser, il n’était pas question que je le voie dans cet état.

Il l’était, extraordinaire, ne serait-ce que par cette arrogance face à la vie.

Il m’a raccompagnée devant la pharmacie et je suis rentrée chez moi.

Chez moi c’était le chaos. Nous avions acheté cette maison un an auparavant et venions tout juste de terminer d’énormes travaux quand j’avais découvert, par hasard, que Frédéric, mon ex-mari, avait des liaisons extraconjugales depuis fort longtemps, avec des hommes. Alors j’avais demandé le divorce et la procédure était en cours. Lui aussi avait mis notre vie de côté et en même temps il avait flingué la mienne. C’est cela parfois la vie, jouer un rôle qui n’est pas le sien pour tenter d’exister. Mais la vie est plus forte que tout et un jour tout explose. Je venais d’en faire les frais, tout ce temps perdu sans être aimée, en tout cas pas comme je l’attendais. Pourtant j’avais accepté cette sorte d’emprise, sans m’en rendre compte, parce qu’une belle complicité nous avait unis par un lien qui, pourtant, se hachurait au fil du temps. J’étais devenue sèche d’amour, un corps vide qui ne reçoit plus rien, ni les gestes, ni les mots, ni même l’effleurement d’un amour que je croyais existant, mais qui en fait avait les reflets d’une eau trouble au milieu d’un océan. On s’habitue à tout, il faut parfois un électrochoc pour s’enfuir… Je l’avais eu, en lisant cette longue lettre dans laquelle Frédéric m’avouait sa réalité, des mots qui sonnaient l’anéantissement d’une partie de ma vie remplie d’illusions. Alors j’allais vivre, librement, sans peur, coûte que coûte, l’infime de la vie et la magie des instants ; jamais prémédités, comme une enfant qui redécouvre des émotions, comme une femme qui redécouvre l’amour. Étienne tombait au bon moment, il prenait soin de moi. Je ne savais pas ce que signifiait être aimée en fait, Frédéric m’avait aimée à sa façon, par devoir, face à une société encore globalement homophobe. Une société façonnée qui n’accepte pas la différence, quelle qu’elle soit, tant elle est ancrée dans des idées préconçues, des peurs, des incompréhensions qui font reculer le monde. Aimer n’est pourtant pas lié à une histoire de genre. Avec Étienne je redécouvrais chaque geste, chaque silence, chaque mot, chaque plaisir.

Nous échangions beaucoup avec Étienne. C’était un homme indépendant mais qui ne pouvait pas se passer des femmes. Non pas pour les accumuler, il détestait les hommes sans doute à cause de son histoire personnelle, mais parce qu’il avait besoin de se prouver des choses à lui-même, de se savoir aimé, de se savoir utile, peu importe comment, et c’était auprès des femmes qu’il fallait tenter d’exister. Il excellait dans l’art de la séduction…

Je me suis connectée à mon ordinateur, histoire d’échapper à cette atmosphère pesante qui régnait depuis quelques semaines dans cette grande maison glaciale. J’ouvris la messagerie et envoyai un message à Étienne, sans même savoir s’il était là :

- J’aimerais m’allonger dans l’herbe et regarder passer les nuages avec toi.

Quelques instants plus tard, les premiers mots apparaissaient :

- Pour les nuages, ça me paraît jouable, l’herbe aussi, reste le soleil qui me semble jouer les précieuses, là, tout de suite.

- Pas grave !

- Cela dit tu vas finir par me rendre romantique, ce qui serait un exploit !

- J’y compte…

- Aurore, je ne suis pas un saint homme, c’est ce que j’essaie de te dire.

Je regardai dehors. La conversation tournait encore autour de ce sujet, je me demandais bien pourquoi il tentait toujours de me mettre en garde : contre quoi ? Alors je pensais au pire :

- Pourquoi, tu as tué quelqu’un ?

- Ah non, je n’ai jamais tué personne ! Mais je mène une vie dissolue. Et tu m’inquiètes un brin car tu sembles être quelqu’un de délicat et de bien par ailleurs.

- Bon, alors, tu vas me jeter dans quelques jours, sauvagement ?