Au-delà du temps - Linda Dalles - E-Book

Au-delà du temps E-Book

Linda Dalles

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Beschreibung

Laurine parviendra-t-elle à influencer le destin et à sauver un amour interdit ?

Quand Laurine découvre l'histoire d'amour tragique de son ancêtre en 1944, elle cherche absolument à en savoir plus. C'est alors que l'incroyable s'en mêle et la voici inexplicablement propulsée en pleine France occupée. Là-bas, elle va être immédiatement confrontée à un monde en pleine Seconde Guerre Mondiale qui lui est totalement inconnu. Elle y rencontre ses ancêtres et se retrouve tiraillée entre l'envie de prévenir la série de drames auxquels elle sait qu'ils seront confrontés et la peur de l'impact que cela peut avoir sur le futur.
Parviendra-t-elle à influencer le destin et à sauver un amour interdit ?

Découvrez l'incroyable histoire de Laurine, propulsée en pleine France occupée en 1944 à la rencontre de ses ancêtres et spectatrice d'événements qui seront, elle le sait, à l'origine d'une série de drames.

EXTRAIT

Je m’approche d’elle et dépose un bisou bruyant sur sa joue, ce qui la fait sourire.
– Je vais me coucher !
Je m’apprête à sortir de la cuisine quand mon père demande :
– Et moi ?
Je me retourne et ris en approchant pour lui faire un bisou sur la joue, il sourit satisfait.
– Bah quand même, je pensais que tu allais oublier ton vieux père.
– Jamais !
– Bonne nuit !
– Bonne nuit, ma chérie.
– Bonne nuit, lance ma mère un peu en retard.
Je passe par la salle de bains pour mettre ma chemise de nuit et arrive sur la pointe des pieds dans la chambre. Je me glisse sous les draps quand je vois une masse sombre grimper sur mon lit.
– Qu’est-ce que… ?
– Chut, c’est moi, chuchote Brigitte.
– Ce lit est pris !
– Arrête tes bêtises.
Elle tape gentiment sur mon bras en s’allongeant à côté de moi.
– Alors comme ça, il te plaît bien ce Hans Wagner ?
– Quoi ? Pourquoi tu dis ça ?
– Tu le dévores des yeux.
Je rougis à l’idée que ça ait pu se voir.
– Tu dis n’importe quoi ! dis-je en me retournant pour lui tourner le dos.
– Tu sais qu’il te regarde de la même manière ?
Je me tourne légèrement pour la voir, je devine qu’elle sourit.
– Ah oui ?
– Oui, oui.
– Non, tu mens.
Je repose ma tête sur l’oreiller. Elle rit doucement.
– Si tu veux, je peux aller lui demander, glousse-t-elle.
– Nan ! On n’est plus à l’école.
– De toute façon, je ne me remarierai pas tant que tu n’as pas retrouvé quelqu’un de ton côté.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Linda Dalles a 22 ans et est titulaire d’une licence de lettres modernes. Elle a commencé à écrire des nouvelles au collège puis progressivement des romans. La lecture a toujours été l'une de ses grandes passions. Elle adore les romans, les mangas et les bandes dessinées. Le cinéma et la culture japonaise ont également une grande influence sur ses écrits. Au-delà du temps est son premier roman.

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À ma famille

1

Le soleil commence à descendre sur l’horizon, il était temps d’arriver. Je mets pied à terre et pousse mon vélo jusqu’au portail. Ma mère arrive peu de temps après moi, elle aussi à vélo.

– Et c’est une nouvelle victoire de la jeunesse !

Une habitude prise depuis quelques années, une petite compétition mère-fille en allant chez mon arrière-grand-mère. Ma mère s’arrête et je l’entends grommeler, elle déteste perdre. Je la regarde en souriant.

– Je n’ai que quarante ans, dit ma mère tout en enlevant son casque. Je ne suis pas vieille !

– Je n’ai pas dit le contraire.

Le vent fait voler les mèches de ses cheveux bruns trop courts pour être pris dans sa barrette. Physiquement, je suis son portrait tout craché : de longs cheveux bruns et des yeux marron. La seule différence est notre taille, je la dépasse d’une tête malgré mes dix-sept ans. J’ouvre le vieux portail en bois à côté du muret et j’entre dans la cour, suivie par ma mère.

Mon arrière-grand-mère maternelle vit dans cette maison depuis très longtemps. C’est une jolie habitation d’un étage, dont les volets ont été fraîchement repeints. Je sens encore l’odeur de la peinture. Mamie Annette, comme ma famille l’appelle, est veuve depuis deux ans. J’adosse mon vélo à la porte de la grange, ma mère m’imite. Je m’apprête à me diriger vers la maison quand je me rends compte qu’elle n’est plus à côté de moi. Je me retourne, elle regarde au loin. Suivant son regard, j’aperçois une voiture garée à quelques mètres, celle de son cousin Gilles. Elle me dépasse et se précipite vers la porte de la maison. Sans frapper, elle l’ouvre. Je me précipite à sa suite. En entrant dans la maison, j’entends des voix venant du salon.

– Mais puisque je vous dis que je peux très bien vivre seule, insiste la voix de mamie Annette.

Elle sort du salon, ma mère se retrouve face à elle.

– Ma Léa, te voilà ! Fais entendre à ton imbécile de cousin que je peux vivre seule !

– Mamie, je t’entends, dit la voix grave de Gilles.

Ma mère entre dans le salon, je la suis. C’est un salon simple avec un énorme buffet composé de nombreux placards, une cheminée, un canapé et une radio. Sur les étagères, des photos de famille pour la plupart en noir et blanc, des papiers sont étalés par terre. Quel bazar ! Je n’avais pas souvent vu Gilles, un homme d’une quarantaine d’années trapu et chauve. Avec sa femme Charlotte, grande et maigre, ils forment un couple assez cliché. Ils regardent attentivement dans les placards sans daigner nous prêter la moindre attention !

– Quel vent pourri t’amène Gilles ? demande ma mère irritée.

– Mamie est trop vieille pour vivre seule ! annonce solennellement Gilles.

– Vieille ? Vieille ? Je n’ai que soixante-dix-sept ans, p’tit con !

Mon arrière-grand-mère est une femme aux cheveux blancs et frisés qui ne supporte pas qu’on lui rappelle son âge avancé. Elle est encore très active : elle adore partir en randonnée et manger du chocolat. Son péché mignon.

– Tu peux arrêter de fouiner pendant que je te parle ?

Il ferme le placard, se retourne vers ma mère et s’appuie sur le buffet. Il la regarde avec un air mauvais, ils ont toujours été en conflit depuis aussi longtemps que je me souvienne.

– Lève ton cul de ce buffet, il est plus vieux que toi ! ordonne mamie Annette.

Gilles, surpris, se redresse d’un coup. La scène aurait pu être comique s’il n’était pas en train de vandaliser le salon de mamie.

– Mamie reste ici.

Il commence à ouvrir la bouche, mais ma mère ne lui en laisse pas le temps.

– Discussion close ! tranche-t-elle.

– Tu es pénible, tu ne sais pas ce qui est bon pour mamie Annette.

– Toi non plus manifestement.

– On n’en restera pas là !

– J’espère bien.

Il sort de la maison rapidement, suivi par sa femme qui dévisage ma mère avant de claquer la porte.

– La prochaine fois, ne leur ouvre pas.

– Il a un double, répond-elle avec une voix de dégoût.

– On peut te faire changer les serrures, mamie, dis-je avec une petite voix.

– Je n’y tiens pas, j’ai mes clés depuis tant d’années.

Elle se met à rire.

– Va nous préparer du café, Léa. Et toi, Laurine, viens m’aider.

Ma mère se dirige vers la cuisine. Mamie et moi ramassons les différents papiers qui sont éparpillés tout le long de la pièce. Je ne sais pas ce qu’ils cherchaient, mais ils ne l’ont pas trouvé. Elle n’a jamais eu d’objets de valeur. Je tends les différents papiers ramassés à mamie qui les range soigneusement dans un tiroir. Je vais m’asseoir sur le canapé lorsque soudain je m’arrête en voyant une vieille photo en noir et blanc d’une jeune femme d’une vingtaine d’années qui avait glissé sous le canapé. Je me penche pour attraper la photo.

– Mamie, j’ai trouvé ça.

Elle se retourne vers moi et voit la photo que je lui tends. Ses traits se radoucissent, elle a un sourire triste en regardant la photo.

– C’est ma tante Sibylle.

Elle passe son doigt sur la photo avec un air nostalgique.

– Cette photo a longtemps disparu, tu sais, ajoute-t-elle avant de rire.

Elle s’assied sur le canapé.

– Quand j’étais enfant, il y avait l’Occupation.

Je m’installe à côté d’elle, l’observant attentivement. La vie n’avait pas été facile pendant la Seconde Guerre mondiale et mamie n’en parlait presque jamais.

– Ma tante était chez nous pour boire le café quand on lui a dit que la photo de son dossier à la mairie avait disparu ! Tu aurais dû voir sa tête ! Elle n’en revenait pas, elle avait dû en faire faire une nouvelle chez le photographe.

– Mais c’est toi qui l’as, mamie.

– Je l’ai récupérée en effet, mais il n’y a pas si longtemps que ça. C’était en 1953, ton grand-père, mon fils, n’était pas encore né.

Ma mère entre dans le salon avec un plateau sur lequel deux tasses de café fumant et un verre de jus d’orange sont en équilibre. Elle pose le plateau sur la table basse.

– Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle.

Mamie tend la photo à ma mère qui la saisit. Elle fronce aussitôt les sourcils en regardant le portrait.

– Tu ne devrais pas remuer le passé. Papa te l’a suffisamment dit.

Elle pose la photo sur le buffet et, pour changer de conversation, elle commence à parler de ses collègues de travail à l’usine. J’arrête d’écouter, je ne peux m’empêcher d’être intriguée par sa réaction. Après tout, ce n’est qu’une simple photo, non ? Je décide de m’attarder sur les photos accrochées au mur. Cette fameuse tante Sibylle n’est sur aucune d’elle. Pourquoi ?

Après un moment, mamie se lève pour allumer la lumière, la soirée a bien commencé. Ma mère l’informe qu’il est temps de rentrer. Nous la saluons avant de sortir dans la cour pour récupérer nos vélos. Je meurs d’envie de savoir qui était la tante de mamie. Ma mère saisit son casque et je décide alors de poser la question qui me brûle tant les lèvres.

– Tu as connu la tante de mamie ?

– Non, elle a été fusillée, me répond-elle froidement.

Je ne peux m’empêcher de sursauter. Quel crime a-t-elle pu commettre pour mériter un tel sort ?

– Fu-fusillée ?

– Elle a caché des enfants juifs dans son école et les Allemands l’ont su.

– Oh…

– Le plus drôle dans tout ça, c’est que c’est son frère qui a vendu la mèche, dit ma mère ironiquement.

– Qu-quoi ?

– Il n’a pas très bien supporté sa liaison avec un Allemand et il s’est bien vengé.

– C’est un sale con ! Qu’est-ce qu’il est devenu ?

– Il a disparu du jour au lendemain.

Le ton très sec de cette réplique avait une signification dans la voix de ma mère que je ne connaissais que trop bien : le sujet est clos ! Elle monte sur son vélo et me fait un signe du menton vers le mien. Le message est vraiment très clair, elle ne m’en dira pas plus. Mais c’est sans importance, le temps joue en ma faveur. En effet, dans trois jours, je mange avec mamie, comme tous les mercredis. Les horaires de ma mère ne lui permettant pas de s’occuper de moi ce jour-là, elle préfère me savoir chez elle plutôt que seule à la maison. Je n’aurai plus qu’à faire parler mon arrière-grand-mère.

Le mercredi prit son temps pour arriver. Après des cours interminables, je sors de la cour du lycée accompagnée d’Axel, mon meilleur ami. On jouait ensemble à l’école primaire et au collège, nous étions dans la même classe chaque année. Une chance !

– T’en penses quoi ? me demande-t-il.

Penser quoi de quoi ? Je me rends compte qu’il est en train de me parler. Je cache ma gêne, car je n’ai bien sûr rien entendu de ce qu’il m’a raconté.

– C’est compliqué, hasardé-je en espérant qu’il ne remarque pas la gêne sur mon visage.

– Oui, je sais.

Il se frotte l’arrière de la tête.

– Bon, bah j’y vais !

– À demain !

Il s’éloigne vers le parking où son père doit l’attendre. J’espère que ce n’était pas important… Axel est le genre de garçon moulin à paroles, mais gentil. Il adore l’histoire, aussi je lui ai raconté le récit de la photo de Sibylle. Il a tout de suite été aussi intéressé que moi. Je détache mon vélo quand je reçois un violent coup dans le dos. Je me retourne, Gladys, une fille de ma classe, m’a gentiment donné un coup de sac.

– Ramène-moi, ma mère va être en retard, m’ordonne-t-elle.

Je la regarde, surprise. Je l’avais déjà raccompagnée une fois sur mon porte-bagages, car nos mères sont des collègues de travail, mais ensuite j’ai découvert sa vraie nature de garce hystérique ; depuis elle ne m’adresse plus la parole que pour me demander de la ramener.

– Pas le temps !

Le ton abrupt de ma voix ne laisse aucun doute sur mon mépris à son égard à cet instant. Elle tape du pied en faisant une moue boudeuse qui aurait sûrement marché si elle avait eu dix ans de moins.

– J’habite près de chez toi, tu dois me ramener.

– Non !

J’enfourche mon vélo et, après l’avoir gratifiée de mon plus beau, mais également plus glacial sourire, je me mets à pédaler le plus vite possible en l’entendant pester derrière moi.

J’arrive chez mon arrière-grand-mère, pose mon vélo dans la cour avant de marcher tranquillement vers la porte. Pour un mois de novembre, il fait encore relativement chaud et la fenêtre de la cuisine est ouverte. Mamie y passe la tête en souriant.

– C’est ouvert !

J’entre dans la maison et me dirige vers la cuisine. Mamie épluche des pommes de terre.

– Des patates pour midi.

– Miam !

Il n’y a pas à dire, elle connaît les mots qui me font toujours plaisir. Je pose mon sac à dos dans un coin et prends l’initiative d’aller essuyer les assiettes et les couverts dans l’égouttoir.

– Ça a été l’école ? m’interroge-t-elle.

– Ouais comme d’hab’ !

Elle sait que je trouve les cours interminables, mais je fais de mon mieux pour avoir des bonnes notes. Elle esquisse un sourire. Je la regarde et décide d’assouvir ma curiosité.

– Dis, mamie, est-ce que tu pourrais me parler de ta tante ?

– J’avais neuf ans quand elle a été tuée.

Elle continue d’éplucher ses pommes de terre.

– Maman m’a dit qu’elle avait été fusillée.

– Oui. Je n’aurais pas dû être sur place, mais je ne comprenais pas ce qu’il se passait à l’époque. Je voulais savoir où ils emmenaient ma tante.

2

Je me souviens encore très bien de ce jour de mai 1944. Une journée qui a commencé comme toutes les autres. Ma tante Sibylle est venue nous chercher, mon petit frère et moi, ainsi que mes cousins pour aller à l’école. Elle était institutrice là-bas, elle y travaillait avec Mme Florence, Mme Violette et Mme Hortensia, qui était absente ce jour-là. Après l’heure du déjeuner, nous étions en classe quand nous avons entendu du bruit et des voix d’hommes, suivis des pleurs d’enfants. Mme Florence nous a ordonné de ne pas nous lever. Elle s’apprêtait à sortir quand Mme Violette est arrivée en courant dans notre salle de classe, elle avait l’air apeurée.

– Les Allemands ! Ils ont trouvé les enfants, hurla-t-elle.

Mon institutrice prit une grande inspiration avant de se tourner vers nous.

– Restez ici et surtout ne sortez pas !

Elles se faufilèrent en dehors de la salle de classe. Nous sommes restés un moment silencieux avant de nous précipiter dans le couloir, pour nous approcher des fenêtres. Nous n’étions pas les seuls, la plupart des écoliers nous avaient imités. Devant l’école, je vis quatre Allemands en uniforme. Le lieutenant Wagner, qui logeait chez notre voisine, était là en uniforme de la Wehrmacht. Je ne connaissais pas les trois autres hommes qui portaient un uniforme noir. De là où j’étais, je pouvais tout de même identifier deux soldats et un gradé. Mme Violette, Mme Florence et Sibylle étaient face aux quatre hommes. Entre les deux camps, cinq enfants pleuraient, je me souvenais vaguement d’eux, ils avaient disparu début 40. Personne ne comprenait ce qui se passait, je regardais à gauche puis à droite, tout le monde était inquiet, mais que pouvions-nous faire ? Ils étaient si proches de l’école que nous entendions tout, la tension était palpable. Le silence régnait à l’intérieur du couloir.

Le gradé qui, je l’appris plus tard, était un lieutenant SS, regardait de haut les institutrices.

– Qui est responsable de ça ? vociféra-t-il.

– Ce sont nos élèves, répliqua Florence.

– Je te demande, femme, qui a caché ces enfants ici !

Sibylle fit un pas en avant.

– C’est moi ! répondit ma tante.

Florence et Violette tournèrent la tête vers elle et la regardèrent, surprises.

– Bien, tu ne seras pas séparée des enfants bien longtemps, annonça le lieutenant SS.

Il se mit à rire et s’apprêtait à sortir de la cour.

– Attrapez ces saletés de Juifs. Lieutenant Wagner, aidez-les, ordonna-t-il avant de continuer vers le portail.

Le lieutenant Wagner, qui s’était contenté d’observer silencieusement, se dirigea vers les cinq enfants. Violette et Florence s’interposèrent et essayèrent d’empêcher les deux hommes de passer pour atteindre les enfants, mais ils les poussèrent violemment. Mon regard s’arrêta sur ma tante qui faisait face à Wagner.

– Vous ne pouvez pas faire ça, ce ne sont que des enfants ! lança-t-elle.

Sans se soucier de sa remarque, il saisit un des enfants juifs. Elle attrapa le bras du lieutenant et le força à lâcher prise.

– Ce ne sont que des enfants, répéta-t-elle désespérée.

– J’avais entendu la première fois.

Il se tourna vers Sibylle et lui donna une violente gifle. Je sursautai, le gentil lieutenant Wagner avait giflé ma tante. Le lieutenant SS s’était arrêté, amusé, il regardait la scène. Je vis ma tante poser sa main sur sa joue rougie, puis dévisager celui qui l’avait frappée. Contre toute attente, elle se jeta sur lui pour le frapper. Les enfants se mirent à hurler, car quatre d’entre eux avaient été attrapés par les deux Allemands. Les deux institutrices essayaient de libérer les enfants en donnant des coups aux soldats.

Le lieutenant SS fit demi-tour et arriva derrière Wagner. Sibylle attrapa les avant-bras de Wagner qui essayait de la repousser gentiment. C’était une scène étrange, je ne sais comment l’expliquer, mais je savais qu’il ne pouvait pas lui faire du mal. Il se contentait de la mettre à distance sans toutefois la lâcher.

– Ah, les femmes, elles font toujours perdre du temps que nous n’avons pas, déclara le lieutenant SS.

Il sortit un pistolet et tira sur les deux plus jeunes enfants, qui s’effondrèrent, lâchés par les soldats. Les deux autres institutrices se mirent à hurler. J’entendis des cris près de moi, plusieurs de mes camarades allèrent se cacher dans les classes. Moi, je ne pouvais pas, j’étais paralysée par la peur. J’avais du mal à respirer. Qu’est-ce qui se passait ?! Je vis ma tante se figer tandis que Wagner fermait les yeux. Mme Violette se mit à pleurer bruyamment.

– Oh voyons, femme, ils étaient trop petits pour travailler. Une plaie de moins, déclara le lieutenant SS avant de rire à nouveau.

Sibylle voulut se décaler pour regarder, mais Wagner l’empêcha de bouger. Elle se retenait de pleurer, ses lèvres tremblaient. Elle ne pouvait pas décrocher son regard de l’homme qui lui faisait face. Elle tomba à genoux, Wagner la retenant pour qu’elle ne s’effondre pas d’un coup.

– Lieutenant, attrapez cette femme, ordonna le lieutenant SS.

Il partit avec les deux soldats qui tenaient les trois enfants sous leurs bras. Mme Violette pleurait en touchant le corps inerte des enfants. Seule Mme Florence essayait de sécher ses larmes.

– Vous ne pouvez pas l’emmener, lieutenant !

– Je dois obéir aux ordres, répliqua-t-il.

Elle cracha par terre. Ce geste me choqua sur le moment, elle était si féminine et pleine de grâce.

– Laissez-la s’enfuir, pitié, supplia-t-elle.

– Dans ce cas, il y aura des répercussions.

– Nous prenons le risque !

Sibylle se releva en secouant la tête.

– Non ! dit-elle à peine relevée.

– Sibylle !

– Il faut que vous restiez pour les enfants, commença ma tante.

Elle se tourna vers Wagner.

– Si on ne fait pas leur éducation, ils n’auront aucune chance de s’en sortir dans la vie.

Il baissa les yeux, touché par ses mots. Elle pivota vers nous qui guettions à la fenêtre et nous fit un signe de la main pour nous dire au revoir. Mes camarades l’imitèrent et moi je me précipitai vers la porte.

– Sibylle, ne fais pas ça, supplia Florence.

– Dites à la directrice que j’ai été ravie de travailler dans cette école.

– On ne t’oubliera jamais.

Les larmes coulèrent des yeux de mon institutrice. Wagner et Sibylle se dirigèrent vers le portail de l’école. Je courais vers eux, mais ils ne me voyaient pas. J’avais les larmes aux yeux.

– Tata !

Elle se retourna, je me jetai dans ses bras pour l’empêcher de s’en aller. Alors qu’elle me serrait contre elle, je voyais que Wagner nous regardait avec un air triste.

– Va trouver grand-père et dis-lui ce qui se passe. Cours ! m’intima-t-elle.

J’essuyai mes larmes et partis en courant vers un chemin derrière l’école. Je devais me rendre le plus vite possible jusque chez le barbier où mon grand-père travaillait. En arrivant, je tombai devant la porte en essayant de l’ouvrir. Grand-père vint tout de suite me ramasser, laissant le visage de son client plein de mousse. Je voulais lui expliquer, mais les mots s’étranglaient dans ma gorge. En reprenant ma respiration, je lui expliquai, il fila à la mairie après m’avoir demandé d’aller me réfugier auprès de ma mère.

Le soir était arrivé, ma tante Lucienne, ma mère, ma grand-mère et moi étions dans le salon. Ma mère pleurait en me tenant dans ses bras. Lucienne avait le visage froid qu’elle ne quittait pas, mais je voyais ses yeux pleins de larmes. Quant à ma grand-mère, elle était sous le choc, elle ne disait rien, mais je voyais son air triste. Mon frère et mes cousins dormaient paisiblement dans leur chambre sans se douter réellement de tout ce qui se passait. Mon grand-père rentra enfin, ma grand-mère se leva d’un bond tandis que Lucienne se contenta de tourner la tête pleine d’espoir. Ma mère cessa de pleurer. Le temps s’arrêta l’espace d’un instant. Mon grand-père enleva sa casquette, la mine déconfite, il avait les yeux rouges. Il secoua la tête avant de frapper le mur du poing. Ma mère se remit à pleurer. Ma grand-mère se rassit et Lucienne se précipita pour voir le poing de grand-père qui secouait sa main de douleur. Je pensais à ce moment-là que ma tante ferait un séjour en prison et pas qu’elle serait exécutée le lendemain.

Je regarde mamie Annette, les larmes aux yeux. Comment ce genre de choses ont-elles pu arriver ?

– Ils n’ont rien fait pour ma tante. Ça n’a vraiment pas plu dans la ville ! Après ça, les gens ont commencé à se rebeller davantage !

– Et son copain, il n’est pas intervenu ?

– Son copain ? répète-t-elle surprise par ma question.

Elle semble réfléchir avant de répondre.

– Oh ! Tu veux dire Hans !

– C’était qui cet Hans ?

– On l’appelait aussi le lieutenant Wagner, dit-elle sur un ton presque détaché.

J’ouvre grand les yeux. L’amoureux de Sibylle est aussi celui qui l’a menée à la mort ?! Quelle histoire ! Il l’avait trahie.

Il faut que tu saches que le lendemain, je voulus savoir pour quelles raisons ma tante ne revenait pas. Ma famille n’était pas partie travailler. Je sortis discrètement par la fenêtre de la cuisine pendant que tous les adultes étaient regroupés dans le salon en silence. J’arrivai rapidement à la place publique, mais il y avait du monde au niveau de la mairie, là où les Allemands avaient établi leur quartier général. Je me cachai entre deux maisons, je ne voulais pas être vue. Alors que je cherchais un moyen pour entrer discrètement dans la mairie, un soldat avec l’uniforme inconnu amena Sibylle les mains ligotées en la traînant par le bras. Elle avait le visage blasé, elle ne pleurait pas, elle se tenait fièrement. Le lieutenant nazi la fixait avec un grand sourire. Hans Wagner était là, à côté d’une rangée de soldats de la Wehrmacht.

Il regardait droit devant lui, il ne tourna pas la tête quand le soldat força ma tante à s’asseoir sur la chaise au milieu de la grande place. Hans cria quelque chose en allemand, les soldats visèrent ma tante. J’ouvris grand la bouche, non, il ne fallait pas que… Il cria autre chose toujours en allemand. Je le vis fermer les yeux, puis les coups de feu retentirent. Je mis ma main sur ma bouche pour ne pas hurler, je sentis les larmes couler de mes yeux. J’essayais de respirer calmement, mais je ne pouvais pas, mon pouls s’emballa, je ne pouvais pas y croire. Ce n’était pas possible ! Je vis le médecin de la ville s’approcher de ma tante.

– Morte, annonça-t-il avec regret.

Hans parla en allemand, les soldats mirent leur fusil à l’épaule et se dispersèrent. Je m’adossai au mur, mes jambes ne me portaient plus. De l’air, il me fallait de l’air. Quelques minutes plus tard, je trouvai le courage de me relever et d’entrer dans la mairie. Personne ne surveillait l’entrée. J’entendis des hommes parler en allemand dans une pièce et me dirigeai silencieusement mais rapidement vers les escaliers. J’avais emprunté plusieurs fois ces marches, le bureau de Hans se trouvait en haut. À chaque fois que je venais, Friedrich et lui me donnaient du chocolat. À vrai dire, c’était souvent l’initiative de Friedrich, il était lieutenant aussi. Je l’aimais beaucoup, il était drôle. Je continuais à monter les marches quand j’entendis un terrible fracas. J’arrivai devant la porte entrouverte du bureau de Hans d’où venait le bruit. Je poussai doucement la porte et vis que la pièce était sens dessus dessous. Hans était debout, il respirait fort, les bras appuyés sur le bureau, la tête rentrée vers son torse. Il tourna la tête comme s’il avait senti ma présence, ses yeux rougis se posèrent sur moi. Il se redressa et en un pas, il se retrouva à mes côtés. Il me saisit le bras.

– Qu’est-ce que tu fais ici, Annette ?

Mon regard se balada dans le bureau.

– Friedrich ! appela Hans.

Friedrich arriva derrière moi, il portait son uniforme de la Wehrmacht également. Il jeta un rapide coup d’œil dans le bureau et posa ses yeux bleu-gris sur moi.

– Oh, mais c’est ma damoiselle Annette, dit-il d’un ton enjoué.

Il s’approcha de moi, me souleva dans les airs avant de me prendre dans ses bras. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire. J’adorais quand il faisait ça !

– Tu es venue chercher du chocolat ? m’interrogea-t-il en souriant.

Je secouai la tête légèrement. J’adorais le chocolat, mais ce n’était pas vraiment l’objet de ma visite.

– Ça tombe bien, Hans a tout mangé !

Je vis Hans esquisser un léger rictus. Cette phrase avait dû l’amuser.

– Bon, peut-être que c’était moi en réalité, déclara Friedrich. Je te ramène chez ta maman.

Il me reposa doucement et m’invita à sortir. Il prononça quelques mots en allemand à Hans avant de fermer la porte. Je me souviens que, pendant que nous descendions les marches, les larmes glissaient de mes yeux. Friedrich tentait de me rassurer en me faisant rire...

– Ah, Friedrich, il était beau comme un prince, dit mamie avec une voix pleine de nostalgie.

– Alors, mamie, on avait le béguin ? lui demandé-je amusée.

– S’il m’avait demandée en mariage, je n’aurais pas dit non ! Mais je doute que sa femme ait été d’accord.

Elle se met à rire.

– Que sont-ils devenus après la guerre, mamie ?

– En 1953, je suis allée en Allemagne et j’ai réussi à les retrouver, mais ça n’a pas été évident ! Friedrich était là avec sa femme et ses enfants, toujours aussi beau évidemment.

Je ris à mon tour.

– Le cousin de Hans, Gaspard, m’a raconté que Hans s’était tué dans un accident de moto, peu après la fin de la guerre.

– Oh...

– Friedrich m’a donné la photo disparue.

Elle me fait un clin d’œil avant d’ajouter :

– Hans l’avait toujours sur lui.

Elle a un sourire triste sur le visage.

– C’est de l’histoire passée tout ça.

– Pourquoi maman ne voulait-elle pas que tu m’en parles ?

Elle me sert des pommes de terre chaudes avec des saucisses.

– Elle t’a dit pour Pierre ?

– Pierre ?

Elle se sert à son tour avant de s’asseoir.

– Oncle Pierre.

– Oui, maman m’a dit que c’était lui qui avait dénoncé ta tante.

Elle hoche la tête.

– Quand oncle Alphonse est revenu et qu’il a appris que sa sœur cadette avait été tuée par les Allemands, il est entré dans une colère folle ! Je m’en souviens, nous étions en 1946, plusieurs des prisonniers de guerre commençaient à regagner leur foyer. Grand-mère était si contente de le retrouver ! Quand j’y repense, c’est incroyable, car il a tout de suite su qu’il y avait un problème. Il faut que tu saches que Sibylle était sa sœur préférée.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Je regarde attentivement mamie, ses traits se sont crispés sur son visage.

– Alphonse a cherché à savoir qui avait dénoncé sa sœur et, en cherchant, il a fini par trouver.

– Son frère…

– Pierre rentrait de l’usine quand Alphonse l’a accueilli avec son poing.

J’ai un mouvement de recul sur ma chaise, étonnée par tant de violence. En voyant ma réaction, elle se met à rire et ses traits se radoucissent.

– Ma mère, l’aînée de la famille, a essayé de séparer ses deux frères en vain. Je me souviens encore nettement de la scène, j’étais dans le couloir menant à la cuisine. Ma grand-mère, alertée par les cris, arriva, suivie par tante Lucienne. C’est à cause de ce coup que ma famille s’est divisée.

Elle serre le poing, il trahit les traits détendus de son visage.

– Oncle Alphonse était hors de lui, Lucienne encourageait Pierre au lieu de les arrêter. Ma grand-mère en est tombée à genoux. Elle avait déjà perdu une fille et elle pensait qu’on devrait lui imposer la perte d’un autre enfant. Voyant sa mère à genoux, Alphonse se calma, mais Pierre en profita pour essayer de l’étrangler.

Ma bouche s’ouvre malgré moi, surprise par les mots de mamie.

– Heureusement, grand-père entra et sépara mes deux oncles. Ma mère s’approcha de Pierre et le gifla violemment. Ce fut la seule fois où je la vis frapper quelqu’un, elle était si douce que même mon frère et moi n’avions jamais eu de fessée ! J’étais jeune, mais j’avais bien compris que deux camps s’étaient formés ; d’un côté ma mère, mon oncle Alphonse et mon grand-père, de l’autre, tante Lucienne, oncle Pierre et grand-mère. C’est pour ça que ton grand-père refuse qu’on aborde le sujet, il a été pris entre les deux feux pendant toute son enfance.

Elle tousse pour s’éclaircir la gorge.

– Et toi, tu étais de quel côté ?

– À ton avis ? me demande-t-elle en souriant.

Je souris en regardant mamie.

– Allez, mange avant que ça ne soit froid.

Je salue mamie avant d’enfourcher mon vélo et partir. Elle avait vécu dans la ville voisine pendant toute son enfance, ma curiosité m’encourage à y aller. Est-ce que c’était de la curiosité malsaine ? C’est décidé, j’irai voir la fameuse école ! Mamie m’a informée que le bâtiment était devenu un musée dont un de ses amis en est le propriétaire. Ce que je ne m’explique pas, c’est comment mamie s’est retrouvée en possession de la clé. Je m’arrête au feu rouge, je pose un pied au sol et touche la clé au fond de ma poche par-dessus mon pantalon.

Une fois rentrée à la maison, j’ouvre le garage pour y ranger mon vélo. La voiture de maman n’est pas encore là. Arrivée dans le salon, je jette mon sac dans un coin et m’affale dans le canapé. Je sors mon portable et envoie un SMS à Axel pour savoir s’il veut m’accompagner à l’ancienne école. Il me répond instantanément, je crois que cette histoire le fascine énormément. Il me demande si on peut y aller maintenant. Pourquoi maintenant ? Je regarde l’heure de mon portable, 15 heures, il est encore tôt. J’accepte, c’est soit ça, soit réviser pour le devoir de maths ! Je me lève, sors de la maison et remonte sur mon vélo. Ses parents vivent à deux rues d’ici, il ne tardera pas. Je décide de me diriger vers chez lui, je passe devant la maison de Gladys, la plus grande du quartier bien sûr et quelque peu, hmm quel serait le mot... « flashy » peut-être ? Ses parents ont toujours eu des goûts de luxe, avec les retards de paiement qui vont avec. Je vois Gladys à sa fenêtre et flippant un peu, je décide de pédaler plus vite pour m’éloigner. Arrivée devant chez Axel, je le trouve en train de gonfler le pneu de son vélo.

– Ne te moque pas si je tombe, me lance-t-il.

– Ce n’est pas mon genre ! dis-je en riant.

La dernière fois que nous avons fait une sortie à vélo, à savoir quelques mois auparavant, j’ai dû l’aider à sortir du fossé où il était tombé. J’ai été alors prise d’un énorme fou rire que je ne pouvais pas réprimer. Son orgueil avait été piqué à vif, il avait boudé quelques semaines avant de revenir vers moi. Il range la pompe dans le garage avant de monter sur son vélo pour me suivre.

– Tu as l’adresse exacte ?

– Légèrement à l’extérieur de la ville !

– C’est bien ce que je pensais, tu l’ignores !

– Non, pas vraiment !

– Tu as de la chance de m’avoir, j’ai regardé, me dit-il avec un sourire triomphant.

Je soupire. Il est vrai que j’étais plus spontanée que lui, qui devait toujours tout planifier. La peur du lâcher-prise peut-être ?

Je pédale plus vite rien que pour l’embêter tout en jetant de rapides coups d’œil derrière moi, ce qui fait tanguer légèrement mon vélo. J’adore le taquiner, mais je m’en voudrais s’il se faisait vraiment mal. Derrière moi, il pédale prudemment sans se presser, je ne sais pas pourquoi ça me fait rire.

Il le remarque et je vois le rouge couvrir ses joues.

– Arrête de te moquer de moi, Laurine !

– Je ne me moque pas, dis-je en riant plus fort.

Trois quarts d’heure plus tard, nous arrivons enfin à l’école. Je m’arrête et me retourne pour voir Axel quelques mètres plus loin, rouge pivoine et respirant comme s’il venait de terminer un marathon. Je scrute le bâtiment, il est ancien, mais encore en bon état.

– Ça va ? dis-je à Axel qui était enfin arrivé à ma hauteur.

– Oui ! répond-il entre deux respirations saccadées.

Je dépose mon vélo contre le mur et ne peux m’empêcher de ressentir un léger malaise. Cette grande cour a été le théâtre de l’arrestation de Sibylle et de l’assassinat d’enfants. Je regarde autour de moi, rien ne le laisse paraître. Si mamie ne m’avait pas raconté tout ça, je ne l’aurais pas deviné. Il ne reste rien du passage des Allemands dans cette école. Je me précipite vers la porte tandis qu’Axel pose son vélo près du mien. Je ne sais pas pourquoi je suis comme attirée par l’intérieur de l’école. Je mets la clé dans la serrure et ouvre la porte. Il me suit et ferme derrière lui.

Nous avançons dans le bâtiment, la première porte donne sur une salle de classe avec un poêle à bois, quelques pupitres dont les emplacements des encriers sont encore visibles, des meubles de rangement, un tableau à craie et le bureau de l’enseignant. Je sens l’odeur typique des vieux meubles arriver jusqu’à moi, quelle sensation étrange d’être ici. La porte suivante est une deuxième salle de classe. J’avance ensuite jusqu’à la dernière porte, une troisième salle de classe. Je me mets à imaginer les cours donnés par les institutrices de l’époque, aux enfants attentifs qui redoutent la règle sur les doigts. Soudain, la pluie se met à frapper les vitres. Je m’approche de la fenêtre qui donne sur l’arrière de l’école.

– Fascinant, lâche soudain Axel, depuis l’autre bout de la pièce.

– Oui, fascinant effectivement.

Je m’approche du bureau de l’enseignant, je sens comme une sensation étrange, indescriptible. J’ai l’impression que nous ne sommes pas tout seuls. Consciente que je m’effraie bêtement, je secoue la tête. Nous ne sommes que deux ici, il n’y a personne d’autre.

– Bon, c’était intéressant, on devrait rentrer, non ? propose Axel d’une voix inquiète.

Je le regarde, surprise. Est-ce qu’il partage la même impression que moi ? Quelque chose ne va pas dans cette pièce, mais quoi ? Il se met à toucher sa mèche brune qui lui barre le front, signe de stress chez lui. Il a toujours fait ça, malgré son mètre soixante-dix, c’est un grand trouillard. Il baisse ses yeux marron comme s’il avait honte et arrête de toucher ses cheveux. Je hoche la tête en signe de consentement quand un éclair déchire le ciel suivi d’un grondement. Nous sursautons, nos regards se dirigent vers la fenêtre.

– Ça va aller ?

Il me regarde d’un air perplexe.

– La route risque d’être boueuse jusqu’à ce qu’on quitte la ville, ajouté-je.

Il se laisse tomber sur les fesses et croise les jambes en tailleur.

– Bon, bah on n’a qu’à attendre que ça se calme un peu…

Le temps n’est pas du tout clément, l’orage devient de plus en plus violent, le vent souffle contre la bâtisse. Rassurant. Très rassurant. Je m’assieds à côté d’Axel qui ne cesse de regarder vers la fenêtre. Je m’adosse à lui en soupirant. Combien de temps allons-nous rester ici ?

– Merde, les vélos ! lance soudain Axel.

Et le voici qui se lève d’un bond, se précipite dans la cour et rentre nos deux vélos, juste avant que le vent ne les fasse tomber. Je le vois alors plonger les mains dans les sacoches accrochées de part et d’autre du porte-bagages et en ressortir bouteilles d’eau, paquets de gâteaux et sachets d’oursons en gelée. Je le reconnais bien là !

– Faut être prévoyant dans la vie !

Je réponds par un sourire, d’autant que j’ai un petit faible pour les oursons en gelée. Axel retourne s’asseoir, je me place près de lui et nous nous partageons les bonbons. Au bout d’un moment, mes yeux commencent à se fermer doucement. Je me laisse tomber dans les bras de Morphée alors que l’orage gronde encore.

3

Quelque chose me chatouille le visage et j’ai la vague sensation qu’on me secoue. Je me réveille en sursaut face à Gladys, ses longs cheveux roux sur mon visage et ses yeux marron grand ouverts. Je pousse un cri de surprise, elle me relâche. Je me redresse comme je peux et essaie de m’éloigner. Ma tête se cogne à une chaise. Je pose ma main sur ma tête à l’endroit de l’impact.

– Que… qu’est-ce que tu fais !

– Chut ! m’intime Gladys en mettant un doigt sur sa bouche.

Axel est assis, il se frotte les yeux. Je regarde autour de moi, perdue. Où suis-je ? Peu à peu, mon esprit redevient clair. L’école de mamie. Plus aucun signe de nuage. Le ciel est clair, le soleil a dû se coucher, mais il y a un problème. La luminosité est celle du matin et non d’un début de soirée.

– Quelle heure il est ?

Je saisis mon portable dans ma poche. 8 heures ? Comment ça 8 heures ? Mon portable m’échappe des mains, je le rattrape juste à temps.

– On a passé la nuit ici visiblement.

– C’est pas le pire ! articule Gladys.

Je l’interroge du regard.

– Pas de réseau, finit-elle par dire avec un air dramatique.

Je baisse les yeux vers mon portable, pas de réseau.

– On ne capte peut-être pas ici, commente Axel.

– Pourquoi je captais hier, mais plus maintenant ? demande Gladys sur un ton acerbe.

Axel la regarde, étonné.

– C’est sûrement à cause de l’orage.