Au nom de la vérité - K.C. Wells - E-Book

Au nom de la vérité E-Book

K.C. Wells

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Beschreibung

Jonathon de Mountford a décidé de se rendre au village de Merrychurch pour passer un peu de temps avec son oncle Dominic, mais son séjour commence mal quand celui-ci oublie de venir le récupérer à la gare. Quand Jonathon retrouve le corps de son oncle sans vie dans son bureau, à la suite de ce qui semble être une chute, son monde se retrouve bouleversé. D'une part, il est l'héritier du manoir. D'autre part, il n'est pas si sûr que ce soit un simple accident. Il se met en tête de prouver sa théorie avec l'aide de Mike Tattersall, propriétaire du pub local – si tant est qu'il puisse se concentrer assez longtemps sans être distrait par la beauté de cet homme. Ensemble, ils établissent une liste – de plus en plus longue – rassemblant les personnes qui avaient une raison d'en vouloir à Dominic. Quand la situation prend un tournant inattendu, les détectives amateurs restent perplexes. Pour compliquer les choses, l'inspecteur de police qui est envoyé pour résoudre cette affaire est la dernière personne que Mike a envie de voir, surtout quand il leur demande de ne pas fourrer leur nez dans cette enquête. Autant dresser un drap rouge devant un taureau…

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Table des matières

Résumé

Dédicace

Remerciements

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

Épilogue

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Biographie

Par K.C. Wells

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Droits d'auteur

Au nom de la vérité

 

Par K.C. Wells

 

Jonathon de Mountford a décidé de se rendre au village de Merrychurch pour passer un peu de temps avec son oncle Dominic, mais son séjour commence mal quand celui-ci oublie de venir le récupérer à la gare. Quand Jonathon retrouve le corps de son oncle sans vie dans son bureau, à la suite de ce qui semble être une chute, son monde se retrouve bouleversé. D’une part, il est l’héritier du manoir. D’autre part, il n’est pas si sûr que ce soit un simple accident. Il se met en tête de prouver sa théorie avec l’aide de Mike Tattersall, propriétaire du pub local – si tant est qu’il puisse se concentrer assez longtemps sans être distrait par la beauté de cet homme.

Ensemble, ils établissent une liste – de plus en plus longue – rassemblant les personnes qui avaient une raison d’en vouloir à Dominic. Quand la situation prend un tournant inattendu, les détectives amateurs restent perplexes. Pour compliquer les choses, l’inspecteur de police qui est envoyé pour résoudre cette affaire est la dernière personne que Mike a envie de voir, surtout quand il leur demande de ne pas fourrer leur nez dans cette enquête.

Autant dresser un drap rouge devant un taureau…

À mon mari, afin de le remercier pour tout le temps qu’il a passé sur ce livre à discuter de l’intrigue et à trouver tant d’idées ingénieuses que j’en ai perdu le compte.

Remerciements

 

 

MERCI À mon équipe exceptionnelle de bêta-lecteurs – Jason, Helena, Daniel, Mardee, Sharon et Will.

Je tiens à remercier tout particulièrement Daniel, pour une rencontre autour d’un café qui s’est révélée être une séance d’écriture pour la mise en place de l’intrigue.

I

 

 

JONATHON DE Mountford avait oublié combien la gare de Merrychurch était charmante. Depuis son extérieur pittoresque en faux clayonnage noir et blanc jusqu’à sa guirlande colorée qui habillait l’arche au-dessus de la porte, sans oublier ses abreuvoirs, ses pots et ses paniers suspendus remplis de fleurs, qui se trouvaient partout où il regardait. La ligne jaune indiquant la distance de sécurité à respecter par rapport au bord du quai était claire, comme si on venait de la repeindre, et le panneau de la station, avec ses lettres blanches sur un fond bleu marine, n’arborait pas les graffiti que Jonathon avait remarqués en nombre à Winchester.

Une seule chose manquait : il n’y avait aucun signe de son oncle, Dominic.

Jonathon vérifia l’heure sur son téléphone portable. Dix minutes étaient passées depuis qu’il était descendu de son train et le quai était vide. L’agent de la station avait disparu dans son bureau, mais Jonathon l’entendait siffler gaiement. Puis son esprit se recentra sur Dominic. D’accord, son train était arrivé à l’aube, mais son oncle lui avait assuré qu’il avait l’habitude de se lever tôt et que ça ne le dérangeait pas de venir le récupérer à la gare.

Il m’attend peut-être à l’extérieur.

Jonathon remonta la sangle de son sac à dos sur son épaule, attrapa la poignée de sa valise et passa lentement la porte qui menait dans la gare, avec son guichet et ses affiches colorées. La seule étrangeté était le distributeur automatique de billets de train. Merrychurch avait aussi dû succomber à quelques exigences du XXIe siècle.

Une fois passée la grande porte en bois pour se rendre sur la chaussée, Jonathon se retrouva seul, avec une aire de stationnement sur sa gauche, délimitée par une clôture. Il n’y avait rien d’autre à voir qu’une route de campagne bordée de grands arbres. Pas de circulation. Pas de bruit, mis à part les oiseaux qui gazouillaient.

Et toujours aucun signe de Dominic.

Jonathon vérifia ses messages, mais il n’en avait pas reçu. Il soupira, puis chercha le numéro de son oncle. Quand il tomba sur sa messagerie, les premiers signes d’inquiétude commencèrent à lui nouer l’estomac. Cela ne ressemblait vraiment pas à Dominic.

Il jeta un œil vers la route de campagne déserte et prit sa décision. Il ne servait à rien d’attendre plus longtemps. La meilleure chose à faire était de se rendre par ses propres moyens au village, puis jusqu’au manoir. Il savait que Merrychurch se trouvait à moins de deux kilomètres de la gare et d’après son expérience, attendre le bus ne valait pas la peine, car il ne passait qu’une fois par heure. Il prit la direction du village, accompagné par les gazouillis joyeux des oiseaux dans les arbres, traînant sa valise derrière lui.

C’était une belle journée de fin juillet et il faisait juste assez chaud pour qu’il n’ait pas besoin de porter une veste. En marchant, il se remémora les derniers e-mails qu’ils avaient échangés et les conversations récentes qu’il avait eues avec Dominic. Sans savoir quel était vraiment le problème, Jonathon avait eu le sentiment que tout ne se passait pas bien du côté de son oncle. La vitesse à laquelle Dominic avait accepté qu’il vienne passer du temps chez lui avait été assez révélatrice.

Alors pourquoi n’est-il pas venu me récupérer, comme convenu ?

Jonathon se rappela leur dernière conversation, une semaine plus tôt. Ils avaient parlé de la fête du village, qui allait se dérouler sur la propriété familiale au début du mois d’août. Dominic adorait sa routine de propriétaire du manoir et d’après les souvenirs que Jonathon avait gardés de ses précédentes visites, cette fête était plutôt plaisante. Ils avaient aussi discuté du dernier ouvrage de Jonathon, une collection de photographies prises lors d’un séjour récent en Inde. Dominic avait exprimé plus d’une fois la fierté qu’il ressentait en voyant le travail de son neveu.

Nous aurions peut-être dû parler de ce qui le tracassait. Jonathon avait senti que son oncle avait l’esprit ailleurs.

Il entendit le bruit d’une voiture derrière lui et se poussa contre la haie, tirant sa valise vers lui pour la caler contre sa jambe. Il fut surpris de voir la voiture s’arrêter près de lui.

— Puis-je vous déposer quelque part ?

La voix était masculine, profonde et joviale.

Jonathon tourna les yeux vers le conducteur du 4x4. L’homme approchait certainement de la quarantaine, ou bien l’avait récemment passée, et ses cheveux brun foncé étaient coupés court. Des yeux marron et doux l’observaient derrière une paire de lunettes sans monture.

— Si vous allez à Merrychurch, oui.

Le conducteur sourit.

— L’idée que vous vous rendiez autre part ne m’a même pas traversé l’esprit. Le prochain village après Merrychurch est Lower Pinton et il se trouve à six kilomètres. Montez, dit-il en indiquant le siège passager. Il y a de la place à l’arrière pour votre valise.

— Merci.

Jonathon se rendit du côté passager, rangea sa valise, puis se hissa sur le siège avant.

— C’est gentil de vous être arrêté.

Il serra son sac à dos contre lui, son appareil photo bien en sécurité à l’intérieur.

— Je me suis dit que vous aviez dû manquer le bus. Ce qui arrive souvent maintenant qu’ils ont réduit le nombre de passages.

Il attendit que Jonathon boucle sa ceinture avant de démarrer.

— Où comptez-vous dormir une fois au village ?

— Pardon ? demanda Jonathon en levant les sourcils.

Le conducteur se mit à rire.

— Je vous l’accorde, c’était présomptueux de ma part, mais votre valise vous a trahi. Et je vous pose la question parce que si vous ne savez pas où dormir, je suis le propriétaire du pub et nous avons des chambres à disposition.

— Ah, fit-il en gardant le regard fixé sur le paysage qui défilait. Je vais dormir chez mon oncle, mais je vous remercie pour votre proposition.

La route qui menait au village n’avait pas changé au fil des années où il était venu rendre visite à son oncle : les arbres formaient une arche de feuilles au-dessus de la route et de drôles de maisons apparaissaient ici et là…

— Êtes-vous déjà venu à Merrychurch ?

Jonathon esquissa un sourire.

— Quelques fois, oui. Et nous pouvons nous tutoyer.

— Bien. Dans ce cas, tu connais certainement mieux ce village que moi. Je ne vis ici que depuis onze mois.

Soudain, un lapin surgit de la haie et son conducteur fit une grande embardée pour l’éviter. Jonathon retint son souffle, mais heureusement, le lapin ne fut pas blessé et passa tranquillement de l’autre côté de la route.

Le conducteur laissa échapper un grognement, puis tourna les yeux vers Jonathon.

— Je déteste quand ces petites bêtes font ça. Un de ces jours, je ne vais pas réussir à m’arrêter à temps.

Le fait qu’il ait cherché à l’éviter était déjà une bonne chose.

Une minute plus tard, ils se retrouvèrent au cœur du village. Le conducteur arrêta la voiture devant un pub charmant et pittoresque, mais il laissa le moteur tourner.

— Alors, puis-je te déposer quelque part ? Où vit ton oncle ?

Curieusement, Jonathon fut submergé par une vague d’angoisse. Il savait que certains villageois n’appréciaient pas son oncle – Dominic avait intimidé de nombreuses personnes à différentes occasions. Il n’avait pas envie de révéler leur lien de parenté pour découvrir que son bon samaritain avait une dent contre son oncle et se trouvait être un psychopathe. Puis il se ressaisit. Cet inconnu avait expliqué avoir récemment emménagé dans ce village, alors il était peu probable qu’il éprouve du ressentiment envers Dominic.

— Mon oncle avait prévu de me rejoindre à la gare, mais…

— Mais il n’y était pas quand tu es arrivé, conclut l’homme.

Quand Jonathon leva une nouvelle fois les sourcils, le conducteur sourit.

— C’était évident, sinon tu ne te serais pas rendu au village à pied. A-t-il envoyé un message pour te dire qu’il avait un empêchement ?

— Non. Ce qui est… bizarre.

L’homme hocha la tête avec empathie.

— Bien. Dans ce cas, je vais te conduire chez lui. De cette manière, s’il n’est pas à la maison, tu reviendras avec moi et tu pourras attendre au pub jusqu’à ce qu’il revienne. Qu’en penses-tu ?

Jonathon pensait qu’il était temps d’apprendre le nom de son bon samaritain.

— Ça me convient, dit-il avant de tendre une main. Je suis Jonathon de Mountford.

L’homme lui serra la main.

— Mike Tattersall. Ravi de faire ta connaissance.

Puis il écarquilla les yeux.

— Ah. Je suppose que je n’ai pas besoin de te demander qui est ton oncle.

Jonathon s’était douté qu’il n’aurait pas à le faire. Même si Mike avait récemment emménagé à Merrychurch, il connaissait forcément Mountford Hall, un manoir imposant en périphérie du village.

Le visage de Mike s’assombrit et il coupa le moteur.

— Ton oncle est un sujet sensible en ce moment.

Jonathon se figea.

— Pourquoi cela ?

— Ma sœur, Sue, est sa femme de ménage. Elle travaille pour lui depuis trois ans. Tout allait bien jusqu’au mois dernier.

Jonathon avait l’impression que le changement d’humeur de Mike était plus lié à sa sœur qu’à Dominic.

— Que s’est-il passé ?

Mike soupira.

— Sue fait partie d’un groupe d’activistes qui défend les droits des animaux. J’essaie de ne pas m’en mêler, en partie parce que ça m’angoisse de savoir qu’elle participe à des manifestations. Ce que j’ignore ne peut pas m’empêcher de dormir.

Quand Jonathon fronça les sourcils et Mike haussa les épaules.

— Les inconvénients du métier. Je suis un ex-flic. J’ai essayé de lui dire de rester du bon côté de la loi, mais ce n’est pas chose facile. Elle peut se montrer sacrément têtue. Quoi qu’il en soit, le mois dernier, elle a entendu des rumeurs et s’est précipitée au manoir pour voir ton oncle. Il se trouve qu’il a donné son accord pour que la chasse locale puisse avoir lieu sur sa propriété, ce qui signifie que les chasseurs s’approcheront davantage du village.

— Mais… n’ont-ils pas interdit la chasse à courre ? Désormais, on ne peut chasser qu’avec des chiens, non ?

Mike acquiesça.

— Sue est convaincue que les gros bonnets du coin ne prendront pas cette interdiction en considération. Je ne sais pas quelles sont ses sources. En tout cas, les choses se sont… envenimées.

Cela ne fit que renforcer le mauvais pressentiment qu’avait eu Jonathon. Pour finir, son oncle avait vraiment eu quelques soucis.

— J’aimerais aller au manoir, s’il te plaît.

Mike ne sembla pas prêter attention à son humeur. Il se redressa sur son siège et hocha la tête.

— D’accord. Allons-y.

Il redémarra la voiture et quitta la chaussée.

Jonathon observa ce qui l’entourait. Le village n’avait pas changé : quelques magasins étaient réunis au même endroit, puis il y avait le pub et le bureau de poste. Venaient ensuite les maisons, dont la plupart avaient un toit de chaume. La tour de l’église s’élevait au-dessus des arbres, carrée et massive. La rivière se frayait un chemin à travers le village, coulant sous l’arche élégante d’un pont pittoresque en pierre ; des canards en occupaient les rives, leur tête enfouie sous leur aile, tandis que d’autres nageaient sur l’eau claire et calme, plongeant leur tête sous l’eau et levant leur derrière en l’air, ce qui était toujours aussi comique que dans les souvenirs d’enfance de Jonathon.

— Merrychurch n’a pas changé, murmura-t-il alors qu’ils roulaient rapidement le long des routes étroites et boisées.

Cela fit rigoler Mike.

— Vraiment ? D’après mon expérience, les choses sont rarement ce qu’elles paraissent être. Nous n’avons pas idée de ce qui se cache derrière une image apparemment calme.

Il laissa échapper un rire bref.

— C’est un ex-flic qui parle ; je m’attends toujours au pire.

Jonathon l’observa avec attention. Mike était trop jeune pour avoir pris sa retraite.

— Comment se fait-il que tu aies quitté les forces de l’ordre ? Où exerçais-tu ?

— À la police londonienne. J’ai été déclaré invalide après avoir perdu mon pied lors d’un raid.

Jonathon ne put s’empêcher de jeter un œil vers ses pieds.

Manifestement, Mike avait remarqué son mouvement de tête.

— Je porte une prothèse. Même en la voyant, on ne devinerait jamais que ce n’est pas mon pied.

Il soupira.

— Du moins, c’est ce que je me dis chaque soir quand je retire mes chaussures. Bref, comme je disais… quand on m’a dédommagé, j’étais perdu. Depuis mes dix-neuf ans, je n’avais exercé que le métier de flic et à l’aube de mes quarante ans, je me suis retrouvé sans travail, sans aucune idée de ce que j’allais pouvoir faire du reste de ma vie.

— Alors tu as acheté un pub dans un village. Je suppose que le rythme de vie est radicalement opposé à celui de Londres.

Mike éclata de rire.

— Je ne te le fais pas dire. C’était l’idée de Sue. Elle a emménagé ici avec son mari, Dan, mais leur relation n’a pas duré. Quand il est parti, elle a décidé de rester, même si elle a dû chercher du travail. Quand le pub a été mis en vente, elle a pensé à moi. Je lui ai proposé de travailler pour moi, mais elle a immédiatement refusé.

Il laissa échapper un rire ironique.

— Elle a bien fait. L’un de nous aurait fini au cimetière. Nous sommes comme le jour et la nuit.

Mike indiqua quelque chose à travers le pare-brise.

— Nous y sommes.

Jonathon suivit son regard. De chaque côté de la route se tenaient de vieux montants de barrière en pierre qu’il se rappelait avoir vus étant enfant, ceux qui portaient le blason de leur famille. Sauf que ce blason s’était détérioré depuis deux siècles que sa famille possédait le manoir et les montants commençaient à s’émietter. À l’époque de l’achat, ils marquaient la limite du domaine. Les membres successifs de la famille de Mountford en avaient vendu certaines parties ; il restait aujourd’hui une quarantaine d’hectares de terrain autour de Mountford Hall.

— Et le voilà, dit doucement Jonathon.

Le manoir n’était visible qu’au-dessus des arbres, perché sur une colline légèrement inclinée. Sa façade blanche contrastait avec le paysage verdoyant et rayonnait dans la lumière du matin. Alors que Mike passait entre les montants de barrière et suivait la route recouverte de gravier, Jonathon leva les yeux vers le manoir.

— Je me demande bien ce qu’il peut faire de ses journées dans une si grande demeure. Il ne doit pas se sentir à l’étroit.

Dominic était un célibataire endurci et depuis qu’il avait hérité de la maison, il y avait toujours vécu seul. Quinze ans plus tôt, il avait travaillé à Londres dans le cabinet d’avocats de leur famille, mais il avait surpris tout le monde en annonçant qu’il prenait sa retraite à l’âge de quarante-cinq ans.

Mike tourna à gauche et la route de gravier devint une allée qui formait un demi-cercle à l’avant de la maison, faisant le tour d’un monticule de pelouse où était installée une fontaine ornée dont les puits étaient asséchés. Il se gara devant la grande entrée en forme d’arche.

— Déposé juste devant la porte. Mes services sont plutôt bons, n’est-ce pas ?

Jonathon sourit et lui offrit une poignée de main.

— Merci, Mike.

Il jeta un œil autour de lui. Il n’y avait aucune voiture en vue, mais il était possible qu’elles se trouvent dans le garage.

— C’est très calme. Cela dit, il est vraiment tôt. Il a peut-être eu une panne de réveil.

Jonathon pencha la tête et tendit l’oreille. Même les oiseaux semblaient avoir mis un terme à leur mélodie joyeuse. Son mauvais pressentiment ne fit que grandir. Il posa son sac à dos, sortit de la voiture et marcha vers la grande porte en chêne, surplombée par une grande arche en pierre qui jetait une ombre sur elle. Il appuya sur la sonnette en cuivre et entendit sonner à l’intérieur. Il recula d’un pas et attendit, le regard fixé sur la porte.

Après une minute de silence, il se tourna vers Mike.

— On dirait qu’il est sorti.

— Il a des domestiques, n’est-ce pas ? Du moins, c’est ce que m’a dit Sue.

Jonathon essaya de sonder sa mémoire.

— Il en avait, mais c’était il y a quelques années. Ça fait deux ans que je ne suis pas venu, alors je n’en sais rien. En tout cas, je ne me rappelle pas l’avoir entendu dire qu’il les avait congédiés.

Dans ce cas, soit c’était leur jour de congé, soit ils n’étaient pas encore arrivés, ce qui était peu probable.

— Essaie d’ouvrir la porte. Il ne l’a peut-être pas verrouillée.

Quand Jonathon le fixa du regard, Mike laissa échapper un rire bref.

— Oui, je sais. Depuis quand pouvons-nous quitter une demeure comme celle-ci en laissant la porte d’entrée déverrouillée ? C’était une simple suggestion.

Néanmoins, Jonathon ressentit le besoin d’essayer. Il saisit la poignée, la tourna…

La porte s’ouvrit dans un grincement.

— Oh-oh, chuchota-t-il.

Mike sortit de la voiture et en un instant, il se retrouva près de lui.

— Je trouve ça un peu étrange. Veux-tu que j’entre avec toi ? demanda-t-il à voix basse. Juste au cas où il y aurait…

— Quoi ? Juste au cas où il y aurait quoi ?

Des frissons lui traversèrent le corps.

— Des voleurs ? répondit Mike avant de jeter un œil vers la porte. Écoute, il se peut que j’aie simplement une imagination débordante. Il est aussi possible que ton oncle ait oublié de verrouiller la porte en sortant.

Jonathon pria pour que la seconde option soit la bonne.

— Bien, tu peux entrer avec moi.

Mike gonfla sa large poitrine.

— Reste derrière moi. Si on trouve quelqu’un, laisse-moi gérer la situation, d’accord ?

Il lui fallut un instant pour comprendre que Mike jouait les courageux pour l’apaiser. Il laissa échapper un faux soupir de soulagement.

— Pas de problème.

Non pas qu’il ait peur d’affronter quelques malfaiteurs, mais il faudrait qu’ils soient plus petits que lui. Étant donné qu’il faisait un mètre soixante-sept et était maigre comme un clou, ses chances de gagner étaient minces.

Mike entra dans la fraîcheur de la maison et le marbre blanc refléta la lumière du soleil qui se répandit à travers la porte. Il avança discrètement, ses bottes grinçant légèrement sur le carrelage, la tête inclinée pour capter le moindre bruit.

La maison était aussi calme qu’un cimetière. Jonathon ne trouvait plus cela marrant.

— Je ne pense pas qu’il soit là.

Mike arrêta d’avancer et jeta un œil vers le haut des escaliers.

— S’il y a des voleurs, ils sont aussi discrets que des souris, murmura-t-il. Je vais aller vérifier à l’étage, mais je pense qu’il n’y a personne.

— D’accord. Pendant ce temps, je vais jeter un œil en bas.

Il refusait de se sentir inutile en attendant sans rien faire.

— Fais attention, dit Mike en plissant les yeux.

C’était plutôt mignon qu’il s’en fasse pour lui, étant donné qu’il ne le connaissait que depuis cinq minutes. Jonathon savait aussi se montrer délicat.

— Je serai prudent si tu l’es aussi.

Sans attendre la réponse de Mike, il avança doucement vers le salon. Un seul regard à travers la pièce lui suffit pour comprendre qu’elle était vide. Il passa de pièce en pièce, les semelles de ses tennis produisant le même grincement que les bottes de Mike.

Aucun signe de troubles. Aucun signe de cambriolage. Rien.

Quand il arriva devant la porte du bureau de Dominic, il marqua une pause. Enfant, cette pièce lui avait toujours été interdite. Il s’agissait du refuge de son oncle quand il en avait assez de ses invités, c’était son sanctuaire. Trouver la porte entrouverte ne fit qu’accentuer le sentiment de panique qu’il ressentait au fond de ses tripes.

— Dominic ?

Il la poussa avec précaution, avança de deux pas – et se figea.

— Que se passe-t-il ? siffla Mike derrière lui.

Jonathon déglutit péniblement.

— Je pense que nous devrions appeler la police. Et une ambulance.

Il essaya de faire un autre pas, mais ses jambes étaient comme lestées de plomb.

Mike passa devant lui et s’arrêta brusquement.

— Oh, Seigneur.

Oncle Dominic était allongé au sol près de la cheminée ; le rouge vif du sang dans lequel baignait sa tête contrastait avec le marbre blanc. Jonathon ne put rien faire d’autre que regarder pendant que Mike se précipitait vers ce corps positionné face contre terre. Il se pencha pour poser deux doigts sur le cou de Dominic. Le silence s’éternisa alors que Jonathon patientait, incapable de détacher son regard de la scène.

Mike finit par se redresser et le regarda dans les yeux.

— Je suis désolé. Il est mort.

Ces mots n’avaient aucun sens. Dominic ne pouvait pas être mort.

Mike revint vers lui et l’attrapa par le haut du bras.

— Jonathon, commença-t-il d’une voix calme et neutre. Je vais te ramener à la voiture, puis je vais appeler la police.

Quand Jonathon le regarda en clignant des yeux, Mike lui tapota le bras.

— Tu ne peux pas rester ici. Il pourrait s’agir d’une scène de crime.

Son corps fut alors assailli par des frissons.

II

 

 

JONATHON FIXAIT la maison à travers le pare-brise, son corps et son esprit engourdis.

Je n’arrive pas à croire ce qui est en train de se passer.

Quand la police était arrivée, Mike les avait accompagnés à l’intérieur après avoir ordonné à Jonathon de ne pas quitter le véhicule. Le jeune homme avait à peine entendu ses mots. Il n’arrêtait pas de revoir l’image de Dominic gisant au sol, les yeux ouverts, avec tout ce sang…

Il lui fallut un moment pour se rendre compte que Mike était de retour dans la voiture. Il l’observait avec attention avant de parler.

— Bien. Tu ne peux rien faire de plus ici, alors je te ramène au pub. L’agent Billings passera nous voir quand ils auront terminé d’analyser la scène. Il aura certainement quelques questions à te poser.

Jonathon déglutit.

— Quand tu as dit qu’il pourrait s’agir d’une scène de crime, qu’entendais-tu par-là ? demanda-t-il en écarquillant les yeux. D’après toi, que s’est-il passé ?

Mike tourna les yeux vers le pare-brise.

— À première vue, on dirait qu’il est tombé et que sa tête a cogné contre le foyer de la cheminée. Ses pieds étaient emmêlés dans le tapis, alors il a peut-être trébuché.

— À première vue ? le questionna-t-il en fronçant les sourcils.

— Désolé. C’est l’ex-flic qui parle, dit Mike en haussant les épaules. Il ne faut jamais faire de suppositions tant que le médecin légiste n’a pas rendu les résultats de son analyse.

Médecin légiste. Autopsie. Jonathon trembla. Puis il comprit les mots de Mike et secoua la tête.

— Trébuché ? Impossible.

— Pourquoi cela ?

— Cet homme a grimpé l’Everest ! dit-il en pointant le manoir du doigt. Il adorait naviguer ! Trébucher ? Il avait autant d’équilibre qu’un bouquetin.

— Je t’explique simplement ce que j’ai vu, dit Mike en levant les mains de manière défensive. Et on ne sait jamais. Il a peut-être été pris de vertige.

— Il est peut-être tombé parce que quelqu’un l’a poussé, répliqua Jonathon en serrant la mâchoire.

Le silence se fit. Mike le brisa en se raclant la gorge.

— Oui, c’est une possibilité, mais à moins qu’il y ait des signes de lutte… dit-il avant de soupirer. Tu ne peux pas tirer de conclusions hâtives. Tu dois tenir compte des indices.

Mike observa le visage de Jonathon.

— Partons d’ici. La police technique et le…

— La police technique ?

Jonathon sonda son esprit embrouillé pour se rappeler leur utilité.

Mike lui adressa un léger sourire.

— Oui, la police technique. Ses agents sont formés pour relever au mieux les indices sur les scènes de crimes. Elle sera bientôt là, accompagnée du médecin légiste et je ne veux pas que tu sois présent quand ils transporteront le corps de ton oncle hors de la maison.

Jonathon trembla.

— Très bien, soupira Mike. Je ne sais pas pour toi, mais j’ai besoin d’un verre.

Il démarra la voiture et fit le tour du monticule pour rejoindre la route.

Jonathon posa sa tête contre la vitre, mais le paysage qui défilait devant ses yeux était flou. Il était reconnaissant de ne pas être seul. La présence fiable et utile de Mike était la seule chose qui le faisait tenir. Il ferma les yeux, mais Dominic était toujours présent dans son esprit. Toujours mort.

À vingt-huit ans, on est bien trop jeune pour se familiariser avec la mort.

Quand la voiture s’arrêta, il ouvrit les yeux. Ils se trouvaient derrière le pub, sur un parking qui aurait pu accueillir vingt autres véhicules.

Mike le regarda, clairement inquiet.

— Ça va ?

— Aussi bien que possible, étant donné les circonstances.

Jonathon récupéra son sac à dos et ouvrit la portière.

— Je vais prendre ta valise, dit Mike alors qu’il avait déjà ouvert la portière arrière et soulever ladite valise. Veux-tu que je t’accompagne jusqu’à ta chambre ou prendre un verre avec moi ?

Quand Jonathon trembla de manière involontaire, Mike hocha la tête.

— Bien, commençons par prendre un verre.

Il verrouilla la voiture, puis il ouvrit la marche jusqu’à une grande porte à l’arrière.

— Je vais laisser ta valise dans la cuisine. Elle sera en sécurité. Abi n’arrive que dans une heure ou deux et nous ne sommes pas encore ouverts.

— Abi ?

— La cuisinière.

Mike referma la porte derrière eux et Jonathon le suivit jusque dans la grande cuisine, puis ils arrivèrent dans un bar à l’atmosphère chaleureuse, ses chaises rouges complétant les murs peints en blanc et les poutres noires. Le bar lui-même était fabriqué à partir d’un bois foncé qui avait été verni pour lui donner un effet laqué. L’endroit avait une atmosphère cosy et ancienne, rien à voir avec les pubs que Jonathon avait l’habitude de fréquenter.

— Tu as dit que tu étais le propriétaire de ce pub ?

En général, les patrons étaient choisis par la brasserie qui possédait le pub.

Mike hocha la tête et tapota le comptoir du bar.

— J’ai travaillé dur pour donner une âme à ce pub. Quand je l’ai acheté, on n’y servait pas de nourriture et il y avait très peu de confort. En revanche, il y avait un écran de télévision énorme. Apparemment, l’ancien propriétaire était un grand amateur de sport et on ne pouvait rien regarder d’autre en venant ici. Je ne trouvais pas qu’une télévision se mariait bien avec un pub aussi ancien, alors je l’ai retirée. Jusqu’ici, personne ne s’en est plaint.

Il se rendit derrière le bar et servit deux verres.

— Voilà, dit-il en les posant sur le comptoir noir.

Jonathon observa le liquide ambré.

— C’est quoi ? demanda-t-il en s’installant sur un des tabourets qui longeaient le bar.

— Du brandy. Vu ta tête, tu en as besoin.

Jonathon n’allait pas le contredire. Il leva son verre et le but d’un seul trait, puis il se mit à tousser violemment quand le liquide brûlant passa dans sa gorge. Il essuya sa bouche et fit la grimace.

— Seigneur, comment peut-on aimer boire cela ?

Mike se mit à rigoler.

— En même temps, si tu le bois comme de l’eau…

Il en but une petite gorgée à son tour, puis regarda avec intérêt le sac à dos de Jonathon, qui était toujours posé sur son épaule.

— Tu fais très attention à ce sac. Qu’y a-t-il dedans ? Toutes tes économies ?

Jonathon posa son sac sur ses genoux et l’ouvrit.

— Mon bien le plus précieux, répondit-il avant de sortir son appareil photo pour le montrer à Mike. Elle me suit partout.

— Elle ? demanda Mike avec un sourire en coin.

— Parfaitement.

— Est-ce un passe-temps ou plus que cela ?

Jonathon posa l’appareil photo sur le comptoir, puis il plongea sa main dans son sac. Il en sortit un grand livre avec une couverture brillante qu’il donna à Mike.

— Je l’ai emmené pour le donner à Dominic. C’est mon dernier ouvrage.

Mike fixa la couverture ; c’était une photo d’une sublime cascade tombant dans un précipice. Il écarquilla les yeux.

— Oh mon Dieu. Mais bien sûr. Tu es le fameux Jonathon de Mountford. Je savais bien que ton nom me disait quelque chose, et pas seulement par rapport à ton oncle. J’adore ce que tu fais.

— Vraiment ?

Peu importe le nombre de fois où des personnes avaient proclamé leur amour pour ses photographies, il avait toujours l’impression que c’était la première fois. Et il n’arrivait pas à s’y habituer.

Mike hocha la tête, une étincelle dans le regard.

— J’ai acheté ton ouvrage sur l’Australie. Certaines des images sont tout bonnement sensationnelles. Tu as l’œil pour capturer l’essence d’un lieu, dit-il avant de se mettre à rire. Mon Dieu. Je suis en train de m’extasier sur Jonathon de Mountford.

Jonathon avait l’impression d’avoir les joues en feu.

Mike lui rendit son ouvrage.

— Je suis navré que nous nous soyons rencontrés dans de telles circonstances.

À cette seule pensée, Jonathon bascula dans le présent. Pendant un bref instant, il avait oublié l’incident terrible de cette journée.

— Je vais te montrer ta chambre.

C’était comme si Mike avait deviné ce qu’il ressentait ; Jonathon était reconnaissant qu’il soit intervenu. Il hocha la tête.

— Merci.

Il rangea son livre et son appareil photo, puis il descendit du tabouret.

En suivant Mike, il remarqua qu’il suivait des panonceaux qui indiquaient les toilettes, mais son hôte finit par ouvrir une porte où était inscrit : « privé ». Derrière se trouvait une cage d’escalier en bois et un tapis rouge recouvrait le centre des marches.

— Le lit n’est pas fait, mais je peux arranger ça, dit Mike en continuant à avancer.

Quand ils arrivèrent au premier étage, Jonathon vit cinq portes. Mike indiqua celle qui se trouvait tout au fond.

— C’est l’endroit où je vis, alors si tu as besoin de quoi que ce soit et que je ne suis pas au rez-de-chaussée, n’hésite pas à venir frapper à ma porte.

Il ouvrit la porte la plus proche.

— Cette chambre sera la tienne, aussi longtemps que tu en auras besoin.

Jonathon entra dans une pièce spacieuse bénéficiant d’une grande baie vitrée à l’autre extrémité, encadrée par des rideaux bleu marine qui s’étendaient du plafond au sol. Il y avait une cheminée imposante, nettoyée, avec un panier rempli de bûches. Le lit était large, couvert d’une couette à motifs floraux, et de chaque côté se trouvait une table de chevet en bois. Le plancher de bois verni était partiellement dissimulé par quelques tapis assortis.

— Pardon, mais il n’y a qu’une salle de bains à l’étage. Elle se trouve deux portes plus loin. Je n’ai pas encore trouvé le temps d’installer une salle de bains dans chaque chambre.

Jonathon secoua la tête.

— Je n’en voudrais pas. Ça ruinerait l’atmosphère de la chambre.

Celle-ci respirait le charme d’antan. Il avança jusqu’à la fenêtre sertie de plomb et en traça les contours. C’était une vraie fenêtre sertie de plomb, pas une pâle copie moderne.

— À quelle époque cette bâtisse a-t-elle été construite ?

Sa chambre donnait sur l’avant du pub ; il pouvait voir les gens passer, vivre leur vie sans avoir la moindre idée de la tragédie qui venait d’avoir lieu.

Combien d’entre eux seront tristes en apprenant sa mort ? Apparemment, la sœur de Mike n’en ferait pas partie.

— J’ai vu des documents qui attestent de la présence d’une auberge en 1458. On dit que ton ancêtre avait l’habitude de s’installer sur une des chaises qui se trouvent en bas.

Jonathon se retourna brusquement pour le regarder.

— John de Mountford, comte du Hampshire ? C’était à la fin du XVIIIe siècle.

— Raison pour laquelle personne n’est autorisé à s’asseoir dessus.

Il quitta la chambre brièvement, puis revint avec une pile de linge de lit.

— Je vais faire le lit. Je ne le fais que quand j’attends des clients.

— Puis-je t’aider ?

Il ferait n’importe quoi pour penser à autre chose.

— Avec plaisir.

Ils retirèrent la couette et mirent des draps en coton qui sentaient bon et étaient doux.

— Dis-moi, combien de temps comptais-tu rester chez ton oncle ?

Jonathon était occupé à mettre une taie d’oreiller qui sentait la lavande.

— Deux semaines. Il voulait que je l’accompagne à la fête du village.

Sa gorge se serra. Mike, qui se trouvait de l’autre côté du lit, se figea.

— Je n’aurais pas dû t’en parler.

Jonathon garda la tête droite.

— Si, tu as bien fait. Je vais devoir en parler, affronter ce qui s’est passé, alors ça ne sert à rien d’éviter le sujet.

C’est alors qu’il se rendit compte de la réalité de la situation. C’était un coup dur.

— Je dois appeler mon père. Il faut qu’il le sache et je préfère qu’il l’apprenne par moi plutôt que par la police.

Mike hocha la tête.

— Je vais te laisser tranquille. Rejoins-moi au rez-de-chaussée quand tu auras terminé et je nous préparerai du thé, du café – ce que tu veux. D’ailleurs, l’agent Billings ne devrait plus tarder à arriver.

Il quitta la pièce.

Jonathon sortit son téléphone de la poche de son jean, puis il le fixa.

— Que vais-je bien pouvoir lui dire ? chuchota-t-il.

Il parcourut la liste de ses contacts, trouva le numéro de son père et lança l’appel. Il approcha de la fenêtre pour observer le village.

— Je suppose que tu es chez Dominic.

Le son de la voix de son père, si enjouée et… normale, lui noua l’estomac.

— Pas vraiment. Vous devriez vous asseoir, si ce n’est pas déjà le cas.

Il y eut une pause.

— Qu’y a-t-il ?

— Il n’y a aucune bonne manière d’annoncer cela, alors je vais être direct avec vous. Dominic est mort.

Il entendit son père prendre une vive inspiration.

— Oh, Seigneur. Que s’est-il passé ?

— La police est encore sur les lieux, mais il semblerait qu’il ait fait une chute et que sa tête ait cogné contre le foyer de la cheminée.

Le silence continua. Jonathon n’arrivait pas à imaginer ce que l’on pouvait ressentir en perdant un frère. Son père devait être bouleversé.

— Je vois… Attends une minute. La police ? Quelle police ?

— Le commissariat local, je pense.

Jonathon ne comprenait pas en quoi cela était important.

— C’est intolérable. Cette affaire doit être gérée par une personne qui a du pouvoir, non pas par un pauvre flic du village. Je vais immédiatement appeler Scotland Yard.

Son père avait utilisé une voix autoritaire et tranchante que Jonathon reconnut tout de suite. L’homme qu’il avait au téléphone était Thomas de Mountford, l’avocat, celui qui ne se contenterait pas d’un non. Un homme qui obtenait toujours ce qu’il voulait. Et apparemment pas un homme qui laissait le deuil l’arrêter plus de quelques minutes.

— Je ne pense pas que ce soit nécessaire.

Sans parler du fait que, selon lui, la police locale n’apprécierait pas de voir des agents de Londres débarquer chez eux. Pas pour ce qui semblait être un accident.

— Eh bien, tu devrais, étant donné la situation dans laquelle nous nous retrouvons.

Quelque chose dans la voix de son père lui donna la chair de poule.

— Quelle situation ? demanda-t-il prudemment.

Il entendit soupirer à l’autre bout du fil.

— Je suppose qu’il vaut mieux que je te le dise. Ça ne sert à rien de le cacher plus longtemps puisque tu l’apprendras bientôt, lors de la lecture du testament.

Ce mauvais pressentiment qui lui tiraillait l’estomac ne fit qu’accroître.

— Bien, dites-moi ce qui se passe.

— Comme Dominic n’a pas de descendant, le manoir revient au prochain homme de la lignée familiale.

— C’est-à-dire vous, son petit frère.

Son père toussa.

— En fait, non. Ton oncle et moi étions d’accord pour que tu hérites du manoir.

— Moi ? demanda-t-il d’une voix stridente, puis il se racla la gorge. Pourquoi ?

Un léger silence suivit avant que son père réponde.

— Pour faire simple, je n’ai pas l’intention d’abandonner ma carrière alors que j’ai la possibilité de devenir juge de la Cour suprême.

Jonathon savait depuis longtemps quelles étaient les ambitions de son père.

— Ne pouvez-vous pas combiner les deux ?

Il entendit clairement de l’agacement à travers le téléphone.

— Jonathon, Mountford Hall est une grande responsabilité. Pourquoi penses-tu que le blason de notre famille est visible dans tout le village ? Parce qu’en tant que propriétaire du manoir, son occupant a l’obligation de prendre soin des habitants. Une telle responsabilité demande une personne physiquement présente sur place.

— Nous en avons déjà discuté. Cela fait des années que nous n’avons plus de titre de noblesse. Depuis combien de générations n’y a-t-il pas eu de comte, de baron ou de vicomte dans notre famille ?

— Notre titre a peut-être disparu, mais le manoir est toujours présent. Aussi longtemps que notre lignée familiale perdurera, ce sera la famille de Mountford qui occupera les lieux.

Un silence.

— Et comme je suis en train de parler au dernier membre de la lignée, il n’y a…

— Ça suffit, l’interrompit-il un peu plus rudement que prévu. Nous n’allons pas revenir là-dessus.

Il n’y avait que son père pour se servir d’une mort tragique comme d’une opportunité pour faire comprendre à Jonathon qu’il devrait déjà être marié et s’affairer à donner naissance à la prochaine génération.

Sur le principe, Jonathon n’avait rien contre le mariage. Mais son opinion et celle de son père différaient sur le sexe de la personne qu’il devrait épouser.

— Je suis désolé, murmura-t-il. Je sais que vous étiez proches.

C’était mesquin de revenir délibérément sur la raison première de son appel, qui était des plus douloureuses, mais c’était mieux que de laisser son père continuer sur sa lancée.

— Seigneur, toutes les bêtises que nous avons faites étant enfants.

Cela faisait très longtemps que Jonathon n’avait plus entendu une telle tendresse dans la voix de son père. Mais quand celui-ci se racla la gorge, cet aparté prit fin.

— Je veux que tu me tiennes au courant de tout ce qui se passe sur place, d’accord ?

Il avait repris son ton autoritaire.

— Oui, monsieur.

Jonathon savait que c’était la seule réponse que son père attendait.

— Vas-tu dormir au manoir ?

— Pour l’instant, je suis installé dans une chambre du pub local. J’attends d’avoir des nouvelles de la police.

— J’imagine qu’ils sont en train de passer le manoir au peigne fin. Du moins, je l’espère. Dès que tu seras autorisé à y retourner, je veux que tu t’y installes. Je ne veux pas qu’il reste inoccupé.

Jonathon avait le mauvais pressentiment de savoir où cette discussion allait mener.

— Mais… j’avais l’intention de ne rester que deux semaines. Ensuite, je suis censé partir pour le Vietnam.

Il avait passé des mois à organiser son voyage.

— Ton petit… passe-temps peut attendre, tu ne crois pas ? Jusqu’à ce qu’on sache de quelle manière Dominic a perdu la vie. Et ensuite… tu auras de nouvelles responsabilités.

Le cœur de Jonathon se serra. Parfois, il détestait avoir raison.

— Pouvons-nous en discuter une autre fois ?

— Bien sûr, répondit son père. Toute cette histoire a dû te chambouler. Si tu as besoin que je vienne te rejoindre, appelle-moi. Je peux prendre quelques jours de congé étant donné les circonstances.

Après avoir demandé à son père d’embrasser sa mère pour lui, ils se dirent au revoir et raccrochèrent. Il quitta la pièce avec le cœur lourd et descendit au rez-de-chaussée pour rejoindre le pub.

Mike était installé à une table près du bar et discutait sérieusement avec l’agent de police qui était arrivé en premier sur les lieux.

— Viens t’asseoir avec nous. Tu as l’air exténué.

Rien de surprenant, pensa Jonathon. Il se joignit à eux et fixa l’agent Billings avec un air interrogateur.

— Alors ? Pensez-vous toujours qu’il s’agisse d’un accident ?

Il s’installa sur la seule chaise vide.

L’agent Billings fronça les sourcils et regarda Mike, qui lui adressa un sourire confus.

— Étant donné le très bon équilibre de son oncle, Jonathon a suggéré la possibilité qu’on l’ait poussé et qu’il soit tombé.

Les sourcils de l’agent se détendirent.

— Oh, je vois, dit-il avant de porter son attention sur Jonathon. Je pense toujours qu’il s’agit d’un accident, monsieur. Bien sûr, cela va peut-être changer quand nous aurons les résultats des analyses du médecin légiste. Nous allons devoir patienter un peu.

Il sortit son calepin.

— J’ai quelques questions à vous poser, si ça ne vous dérange pas. Je sais que votre matinée a été difficile.

— Je vous en prie, demandez-moi ce que vous voulez.

— À quand remonte la dernière fois où vous avez parlé avec votre oncle ?

— À la semaine dernière. Il m’a appelé pour vérifier si je venais bien passer quelques jours chez lui. Il était censé venir me récupérer à la gare ce matin.

L’agent Billings hocha la tête en prenant des notes.

— Qui est son plus proche parent ?

— Mon père.

Jonathon raconta plein de détails, étonné par le fait que l’agent arrive à tout noter.

— Encore une chose. Savez-vous où se trouve Bryan Mayhew ?

Jonathon se figea.

— Qui est Bryan Mayhew ?

L’agent Billings fronça les sourcils.

— Je pensais que vous le sauriez. C’est l’étudiant qui réside au manoir.

— Ah oui, je le connais, déclara Mike. C’est un habitué depuis deux semaines. Ton oncle ne t’en a pas parlé ?

— Non.

Ce qui était curieux. Dominic avait agi de manière étrange ces derniers temps.

— Pourquoi le cherchez-vous ?

— Je trouve bizarre qu’il ne soit pas là. Il étudie l’histoire du manoir et de la famille de Mountford depuis quatre semaines. Je pensais que votre oncle vous aurait parlé de lui.

— Il n’y a aucune trace de lui ?

— Aucune. Il se déplace à moto, que je n’ai vue nulle part. Il est toujours en train de parcourir nos routes avec cet engin. La semaine dernière, il a fait une frayeur à la pauvre Mme Dawkins en la frôlant.

Il haussa les épaules.

— Je voulais juste lui demander quand il avait vu votre oncle pour la dernière fois.

— Vous… vous ne pensez pas qu’il soit impliqué dans la mort de Dominic, si ?

Jonathon trouvait que c’était une drôle de coïncidence. Son oncle était mort et cet étudiant avait disparu.

— Tu tires encore des conclusions hâtives, dit Mike en lui tapotant le bras. Qu’ai-je dit à propos des indices ?

Jonathon resta focalisé sur l’agent Billings.

— Qu’allez-vous faire du… corps de mon oncle ?

— Nous l’avons fait transférer à la morgue de Fareham Community Hospital. On ne vous demandera pas d’identifier le corps étant donné que vous êtes celui qui l’avez trouvé.

Il se leva.

— Allez-vous dormir ici ? C’est juste pour savoir où vous trouver, au cas où j’aurais d’autres questions à vous poser.

— Oui, je serai ici. Quand recevrez-vous les résultats de l’autopsie ? Ils vont examiner son corps, n’est-ce pas ?

— J’ai dit que nous attendions les résultats des analyses du médecin légiste, non ?

— Oui, tu l’as dit, intervint Mike. N’en veux pas à Jonathon. Il est un peu… distrait, étant donné la situation.

Jonathon leva les sourcils, mais ne dit rien.

— Évidemment. C’est tout à fait compréhensible. Je vous appelle dès que nous avons des nouvelles, dit l’agent d’une voix calme et apaisante. Ne vous inquiétez pas, monsieur. Je suis certain qu’il ne s’agit que d’un accident tragique. À plus tard, Mike, dit-il en lui serrant la main.

— Oui, à plus tard.

Mike se leva et l’accompagna jusqu’à la porte.

Jonathon aurait aimé croire ce qu’il disait, que ce n’était qu’un simple accident, mais cela lui donnait l’impression de prendre ses désirs pour des réalités. Cependant, il y avait une chose dont il était certain.

Il devait parler à ce Bryan Mayhew.