Audierne Rainy Blues - Waschak Hugo - E-Book

Audierne Rainy Blues E-Book

Waschak Hugo

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Beschreibung

Un homme à deux âges, vingt et trente ans, raconte d’abord la fin d’un premier amour puis les rêves qu’il nourrit. Il parle au présent dans deux monologues qui l’emmènent de la fin de son enfance vers son entrée dans l’âge adulte. Oscillant entre intense mélancolie et fol espoir, son récit s’ancre profondément dans ses souvenirs afin d’en convoquer toute la poésie, véritable matière première de ces deux textes. Son voyage intérieur l’emmènera du port d’Audierne en Bretagne où ses larmes se confondent avec la pluie jusqu’à sa chambre à coucher dans laquelle il cherche à dissocier le rêve du souvenir, le passé du présent et l’imaginaire du réel. Mais au-delà de leur aspect initiatique, ces deux monologues se confondent en un souffle lyrique et forment un long poème, un éclat du miroir brisé dans lequel se reflètent ces deux moments de vie.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Hugo Waschak est né en 1991 dans le Nord de la France. Il commence à écrire en 2009 et découvre le théâtre en 2011 avec la Compagnie Franche Connexion. Diplômé en Arts du spectacle, il publie sa première pièce en 2015 et pratique la photographie depuis 2016. Son écriture est caractéristique de la ruine, du sinistre, du terrain vague, se situant là où il n’y a plus rien à perdre.

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Hugo Waschak

Audierne Rainy Bluessuivi deSortie de rêves

 

 

Audierne Rainy Blues

 

Je me noie dans l’alcool, le long des bars du port.

J’aurais jamais pensé pleurer seul sous la pluie en Bretagne.

 

Avec ma marinière, mon foulard et mon perfecto, je ressemble à un marin.

À un marin triste qui vient de perdre l’amour de sa vie.

C’est ce qui s’est passé ; tu es partie.

Pourtant je suis ici avec toi ; au bout du monde et au bout de ma vie.

Au bout de nous et au bout de l’amour.

Je n’ai pas peur de la route.

Je suis anéanti.

C’est pathétique.

 

J’arrive au bout de la jetée, près du phare.

Il n’y a plus de bars ici.

Vraiment le bout du monde.

Le bout de moi-même.

 

Un pêcheur à côté de moi, un bateau à l’horizon.

Toujours cette pluie qui délave le ciel et imbibe la terre.

Toujours ces larmes qui coulent sur mes joues et lavent mon âme.

Le pêcheur me regarde.

 

Je voudrais mourir.

Disparaître dans le ventre d’un poisson-lune qui engloutirait le monde.

C’est la débâcle dans mon esprit.

Je suis comme un con au-dessus de la mer, comme un homme au bord de la mort.

Putain, c’est triste.

 

Comment j’en suis arrivé là…

À un tel état de délabrement intérieur.

Tout se passait bien.

On était jeunes.

On était beaux.

On était libres.

On était amoureux.

On était amoureux ?

Moi oui c’est sûr, mais toi ?

 

On se connaît depuis tout petits.

Des cheveux bouclés, des yeux verts.

Je t’aime.

Ça n’a pas toujours été le cas.

Moi le loup, toi l’agneau.

Au début c’était toi le prédateur.

On avait dix ans et on croyait déjà tout savoir de l’amour.

Il y avait plus d’écorchures sur nos genoux que dans nos cœurs.

Aujourd’hui c’est l’inverse.

 

Moi j’avais peur ; peur de toi ; peur de ton amour.

Moi j’avais une autre fille dans la tête, une autre image que la tienne, comme un voile devant les yeux. Morsure de vipère. Venin de scorpion. Le poison se répand aussi vite quand on est môme que quand on devient grand. Rien à faire, on ne guérit jamais de son enfance, surtout quand elle est bâclée ; elle reste une plaie ouverte, béante, une plaie qui tache de larmes les marinières. Petit garçon au désespoir sous la pluie au bout de cette putain de jetée. J’ai vingt ans mais je reste un gosse. Après mes genoux, c’est mon cœur qui est couvert d’égratignures, de mercurochrome et de sparadrap ; mais il ne peut pas s’empêcher de t’aimer.

 

Dans une heure, je serai de retour à la maison que nous louons sur les hauteurs de la ville.

Je respire une dernière fois l’air du large à pleins poumons.

La pluie a cessé.

 

Pas question d’aller écumer les bars du port en rentrant.

La mer est agitée, je pourrais décider d’aller m’y noyer.

 

Bière, whisky, vodka, liqueur…

Et chouchen, bien sûr.

Parce qu’il ne faut pas oublier de goûter les spécialités du pays.

En Bretagne comme ailleurs, il y a des liquides qui nettoient la tristesse et dissolvent l’estomac.

 

Le soir tombe, les réverbères s’allument.

La maison est encore loin. Je marche.

Sur ma droite, un manège aux grosses lumières clignotantes. Sur ma gauche, un bâtiment délabré aux fenêtres brisées. Les deux facettes d’une vie : l’attraction et la ruine. Tout ce qui nous attire finit par nous détruire. Voilà que des fantômes d’enfants sortent du manège et traversent la rue pour aller lancer des cailloux dans les vitres de la baleine de béton. Ils sont les sentiments brefs qui me consument tandis que les néons des manèges m’étourdissent. Il y a toujours quelque chose qui m’emprisonne à l’intérieur de moi-même. Les fantômes disparaissent, les sentiments passent. J’avance. Dans la brume de mes yeux, dans la nuit de mon âme, irrémédiablement j’avance. Que pourrais-je faire d’autre, à part partir dans le Pacifique et ne revenir jamais plus. Le Pacifique je l’ai vu une fois, il y a longtemps, en Amérique du Sud. Je ne m’en souviens plus. L’Atlantique je l’ai vu plus souvent, avec ses tempêtes et ses typhons qui parfois portent bien leur nom. Le tien est celui de la première tempête tropicale de la saison 2008-2009 au sud du Pacifique. Toi tu es mon premier typhon à moi, y a pas d’erreur, et tu dis qu’il est préférable que tu me quittes, me laissant seul sur le sable, comme un voilier échoué. Toi tu dis que t’es mieux sans moi et pourtant on est là toi et moi, dans cet autre Finistère qui termine notre histoire. L’amour n’est jamais qu’un jeu finalement, un jeu que quelqu’un a inventé, un jeu auquel on doit tous jouer, un mauvais jeu d’acteur dans un soap opera. Même pas une comédie romantique.

Les rues d’Audierne la nuit.

Les lumières de la ville côtoient celles du ciel.

Les vieilles pierres couvertes de lierre devisent entre elles.

Leur murmure me parvient, elles s’entretiennent de ma déchéance.

La mer reflète autant la lueur des étoiles que celle de mon désespoir.

La terrasse d’un café, les cheveux blonds d’une fille. Elle te ressemble.

Les rires, les exclamations, je sais bien que la vie est là, mais mon cœur n’est pas à la fête.

Sur la place, tout est calme. Un chat la traverse et saute sur un banc.

Il s’y installe et me fixe de ses yeux jaunes.

 

La rue qui mène à notre location est en pente. Je la remonte en pensant à toi, enveloppée dans la chaleur du salon, dans la lumière tamisée d’un vieux lampadaire, assise sur la banquette, un plaid sur les épaules, lisant un livre de Brontë que tu auras trouvé dans la bibliothèque. Cette image me réchaufferait le cœur si seulement je savais que tu m’attendais ; mais tu ne m’attends plus. Tes attentes se sont envolées vers d’autres qui te donneront des caresses plus sensuelles qui te rappelleront nos premiers plaisirs partagés une nuit d’orage où la pluie ruisselait le long de la vitre alors que je rêvais de te faire l’amour contre un mur du garage, sous le toit de tôles ondulées, nos corps à peine abrités de la tempête. Cette nuit-là, tout de moi était à toi et mon âme tout entière tenait dans ces quelques gouttes de pluie perlant le long de la fenêtre.

 

Te rappelles-tu ce baiser que nous avions échangé dans la lumière des phares ?

 

J’entre dans la maison, c’est enfin l’heure de l’apéro.

Tu ne me regardes pas, je ne vois que toi.

C’était une mauvaise idée de venir ici.

Comment veux-tu que je t’oublie ?

Comment cesse-t-on d’aimer quand on ne veut pas perdre quelqu’un ?

Je ne sais pas. Personne ne le sait.

Personne sinon toi.

Tu parviens à te détacher, à ne pas t’attacher du tout, et je t’admire pour ça.

Tu prends le meilleur de chaque chose, de chaque personne, de chaque instant et tu occultes le reste.

Tout ce qui n’est pas bon pour toi, tu le rejettes sans regrets.

Moi je te regrette.

J’aurais voulu être comme toi.

Au fond, tu es bien plus mature que moi.

Tu es bien plus mature qu’un paquet de gens soi-disant sérieux.

Tous nous entourent, mais aucun ne sait nos baisers secrets ni nos mots d’amour.

Ni nos gestes tendres ni nos fous rires d’après-midi ni nos moments complices et câlins.

Tout n’a pas été foiré entre nous ; nos bouches le confessent, nos mains et nos yeux également.

Ce soir, nous dormirons dans le même lit mais il ne se passera rien.

À peine une parole gentille.

À peine un geste affectueux.

Tout est fini.

Seul je demeure.

 

Le soleil s’est levé tôt ce matin et moi avec lui.

J’ai quitté la maison pendant que tu dormais encore.

La nuit a été assassine. Elle m’a laissé pour mort au matin, dans le lit à tes côtés.

Ça me rappelle ce matin où le camion n’était pas passé et qu’il avait fallu que j’aille jusqu’à la boulangerie pour acheter le pain. J’allais sur le chemin et je nous voyais déjà ridés, amoureux jusqu’à la fin qui ne tarderait pas à arriver ; enfin je souriais à l’idée de l’attendre avec toi.

 

Audierne s’éveille dans la tendre lumière de la baie.

Je m’assieds sur un banc.

Des couples d’amoureux marchent main dans la main.

Seul sur le port, je regarde les bateaux qui vont et viennent.

C’est un triste spectacle que de contempler ses amours mortes.

 

Je me remets en route, bien décidé à profiter à fond de cette balade, le cœur grand ouvert à

l’inconnu.

J’ai la chance d’être ici, autant l’apprécier ; même à des années-lumière de l’odeur de tes cheveux au réveil.

 

Tu vois, même ici, tout me ramène à toi.

 

À l’angle d’une rue, une petite librairie ésotérique attire mon attention. L’endroit est rempli de livres sur la culture celte, d’ouvrages relatant les mythes et les légendes du coin, de contes fantastiques aux illustrations envoûtantes… La boutique regorge aussi d’objets d’art et de statuettes représentant fées, elfes et gnomes. Je suis à l’ambassade de Brocéliande. Tout y est mystique et merveilleux, comme tout droit sorti de temps immémoriaux aux traditions surannées.

Je sors de la librairie, la tête pleine de mystère et de magie.