Bad boys - Aurora Lewis - E-Book

Bad boys E-Book

Aurora Lewis

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Beschreibung

Cartel's Lover

Mia Conti, jeune étudiante sans histoire, tombe par hasard sur une lettre qui dévoile l’existence d’un demi-frère caché. Aidée par sa cousine Valentina, elle décide de partir à la rencontre de ce frère dont elle ne sait quasiment rien, excepté qu’il s’appelle Juan, qu’il vit à Buenos Aires et qu’il possède un casier judiciaire plutôt chargé. Ce n’est qu’une fois arrivées en Argentine que Mia et Valentina découvrent la vie au sein du Barrio 13, quartier sous les ordres du cartel Alvarez, lui-même dirigé par un trio d’hommes dangereux et séduisants.




Diego Rivera



Cet homme,

Il est là, au fond de la salle. Les mains dans ses poches, son regard posé sur moi. Il me regarde, moi, et personne d’autre. Juste moi. Quelque chose m’attire chez lui.

Sûrement le fait que je lui appartienne.

Bienvenue dans le monde de Diego Rivera. L’intouchable. Et de Livia. La captive.




À PROPOS DES AUTRICES

Aurora Lewis est une mère au foyer de 33 ans. Passionnée par la lecture et l’écriture depuis sa plus tendre enfance, elle a fait des études de littérature et de langues étrangères, avant de finalement se tourner vers le domaine médicale.

Son amour pour la lecture l’a mené à découvrir la plateforme Wattpad, où elle a commencé par être une simple lectrice, avant de se lancer à son tour. C’est soutenue par son mari et son entourage, qu’Aurora a écrit son tout premier roman : "Cartel’s Lovers".




YDNAS - Passionnée par la littérature, elle a commencé à écrire le jour où elle a appris à lire et à manier sa main droite, soit à sept ans. Elle écrivait quelques lignes dans le coin de ses cahiers, jusqu'à ce que son père lui laisse utiliser son ordinateur. Elle a toujours écrit des livres d'amour, jusqu'à ce qu'elle apprenne l'érotisme, et qu'elle ne s'en passe plus. Car après tout, qu'est-ce qu'une histoire romantique sans épices ?



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Veröffentlichungsjahr: 2024

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CARTEL’S LOVERS

 

Tome 1Partie 1

 

 

 

Aurora Lewis

Chapitre 1

 

Mia

 

C’est quoi ce bazar?

 

Dans mon lit, entrouvrant difficilement les yeux, je constate qu’il fait encore nuit dehors, le soleil ne perçant pas à travers mes persiennes comme à son habitude. Ce n’est donc pas une heure acceptable pour se lever. Pourtant, me voilà bel et bien réveillée par un bruit que je n’arrive pas à identifier. J’attends quelques secondes, l’oreille aux aguets, avant de me décider à continuer ma nuit. Pestant contre le fait d’avoir été tirée de mon sommeil sans raison, je m’enroule davantage sous mes draps, prête à me rendormir, quand ça recommence. Agacée, je me tourne vers ma table de chevet, allume la lampe et cherche d’où peut provenir ce bruit inopportun. Mon réveil indique 5 heures 45 du matin. Génial. Et ce bruit qui ne cesse pas. Je me dépêtre de ma couverture réussissant tant bien que mal à me lever. Une fois debout, il m’est bien plus facile de trouver le responsable de ce réveil des plus désagréables.

Posé sur mon bureau, mon portable vibre et clignote en rythme, cherchant à attirer mon attention et à me signaler que quelqu’un cherche à rentrer en contact avec moi. Je le récupère, retourne m’asseoir dans mon lit bien au chaud, pour répondre à l’inconscient qui ose m’appeler à une heure pareille. Inconscient qui n’est autre que mon père. Que peut-il bien me vouloir, un jeudi matin si tôt? Il est insistant en plus, constaté-je, le téléphone se rallumant déjà entre mes mains.

— Allô, coassé-je, la voix encore endormie.

— Principessa 1 ! J’espère que je ne te dérange pas, s’exclame la voix bien réveillée, elle, de mon paternel, Ilario Conti.

— Penses-tu… Le soleil n’est pas encore sorti, bien sûr que je suis réveillée.

— Parfait ! répond-il ne relevant pas, ou ignorant totalement, cette pointe d’ironie.

— Tout va bien à la maison? Il y a un problème avec les garçons? m’inquiété-je soudainement.

— Tout va bien Mia, ne te stresse pas voyons.

— Pourquoi m’appelles-tu si tôt alors?

— As-tu eu ta cousine dernièrement au téléphone?

— Valentina? Non. Pourquoi? Mon Dieu! Elle s’est blessée, c’est ça? C’est grave? Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? l’interrogé-je, sans lui laisser le temps d’en placer une.

— Valentina va très bien, Mia. Je t’ai dit que rien de grave n’était arrivé et que tout le monde se portait bien. Cesse donc de paniquer ainsi. Elle devait simplement t’appeler et je constate qu’encore une fois, ton étourdie de cousine a oublié.

Je me retiens de justesse de défendre ma cousine, ne voulant pas entrer dans un débat sans fin entre mon père et moi. Valentina n’est pas étourdie, elle est juste très occupée. Mais ça, mon père et d’autres membres de notre famille ont du mal à le comprendre.

— Heureusement que je t’appelle alors. Il y a une représentation de La traviata2 à La Scala3 ce soir, tu t’en souviens? Ta grand-mère a dû t’en parler.

— Euh oui… peut-être.

Il me semble en effet en avoir vaguement entendu parler la dernière fois que j’ai eu ma grand-mère. Cependant, étant en pleine période d’examens, j’avoue n’avoir prêté que peu d’attention à ce qu’elle me racontait ce jour-là.

— Valentina et tes deux arrière-grands-mères y vont et elles tiennent absolument à ce que tu les accompagnes.

— J’aimerais bien papa, mais si tu me dis que la représentation est ce soir, ça risque de ne pas être possible.

— Pourquoi?

— Peut-être parce que justement c’est ce soir, que les billets ont dû être vendus depuis des mois, et petit détail non négligeable, mais qui a tout de même son importance : je suis à Rome, lui fis-je remarquer.

— Tu les connais mal si tu penses pouvoir y échapper, s’esclaffe-t-il, à l’autre bout de la ligne. Elles ont déjà tout arrangé : un chauffeur doit te récupérer chez toi et t’amener à l’aéroport où le jet de la compagnie sera affrété. Une voiture t’attendra à ton atterrissage et te conduira ensuite chez Giuseppina.

— C’est bien gentil tout ça, mais je n’ai rien à me mettre pour ce soir. Toutes mes robes sont à Palerme et je n’ai pas le temps d’aller faire les boutiques.

— Si tu crois qu’elles n’y ont pas pensé, réplique-t-il, amusé par ma réticence. Valentina s’est occupée de te trouver une robe et connaissant son goût certain pour la mode, tu seras encore une fois la plus belle.

— Elles ont tout prévu… grommelé-je, en pensant à ces trois sorcières que rien n’arrête.

Décidément, quand elles ont une idée dans la tête celles-là, elles ne l’ont pas ailleurs.

— Désolé ma fille, mais il semblerait que tu sois coincée.

Je vois ça. Je n’ai pas vraiment d’autre choix que d’y aller. Je souffle, capitulant sans chercher à me battre contre elles, car ça serait comme affronter une tornade à mains nues. Autant dire fatiguant, vain et totalement illusoire.

— Et pourquoi m’appelles-tu si tôt pour me le dire? continué-je, sentant qu’il ne me dit pas tout.

— J’aurais besoin que tu me rendes un petit service, principessa.

— Bien sûr papa. Dis-moi.

— Il faudrait que tu passes aux bureaux de Rome pour y récupérer des papiers avant de partir et que tu les fasses parvenir à Lucrezia. Cela concerne la villa de Florence. Je préférerais que ce soit toi qui les lui apportes en main propre.

— Pourquoi?

      — Oh! Tu connais ton arrière-grand-mère. L’informatique et elle ça fait deux, et puis… je suis sûr que venant de toi, mon idée passera mieux.

— Quelle idée?

— Celle de la construction d’un terrain de tennis.

— Un terrain de tennis? Peux-tu m’expliquer ce que ferait une femme de son âge, avec un terrain de tennis dans son jardin?

— Ce n’est pas pour elle, mais pour moi. Mais toi, dis-lui que c’est pour vous, les enfants. Je suis certain que si c’est toi qui plaides, elle acceptera. Elle t’adore.

— C’est sûr qu’elle sera très sensible à cet argument, répondis-je ironiquement.

Mon arrière-grand-mère Lucrezia aime ses petits-enfants et arrière-petits-enfants mais, ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est le calme que lui apporte sa villa florentine. Et qui dit terrain de tennis, dit adieu sérénité et silence. Autant dire que le terrain de tennis, mon père n’en verra jamais la couleur.

— Mia, s’il te plaît, me supplie mon père, elle t’écoutera toi. Tu es son arrière-petite-fille préférée avec Valentina.

— Je veux bien lui en toucher deux mots, cédé-je. Même si je trouve l’idée totalement absurde et que je sais d’avance qu’elle refusera.

— Ne sois pas si pessimiste ma fille. Tu fais des études de droit pour devenir avocate, vois ça comme un entraînement pour un plaidoyer au tribunal.

— Je veux devenir avocate d’affaires, papa. Je ne compte pas plaider.

— Qu’importe! Bon, j’ai déjà prévenu Graziella de ta venue et elle t’attend. Tu trouveras les documents dans le premier tiroir à droite de mon bureau, dans une enveloppe blanche.

— C’est noté, premier tiroir à droite, enveloppe blanche dans le secrétaire. C’est tout ce que je peux faire pour toi?

— Oui, ma chérie. Ton vieux père ne te dérange pas plus longtemps. Je t’aime, principessa.

— Je t’aime aussi papa, répondis-je en raccrochant.                   Épuisée, je m’écroule sur mon lit, les bras ouverts en croix. À peine 6 heures que déjà ma famille m’a fatiguée. Mais avec le temps, on s’y habitue. Les réveils matinaux, les disputes, les cris, les pleurs, les fous rires… Tout cela fait partie du lot quotidien lorsque l’on est la quatrième enfant d’une fratrie de cinq. Du haut de mes dix-neuf ans, je me retrouve coincée dans « la » famille nombreuse par excellence. Bruyante, envahissante, en un mot : exténuante. Il m’arrive parfois de me questionner sur une potentielle adoption tellement je suis différente de mes frères ou de ma cousine, chez qui l’excentricité méditerranéenne prédomine en tout point. Alessio, Enzo, Leonardo et Matteo se glissent parfaitement dans le moule de cette famille alors, en y réfléchissant bien, j’ai tout simplement dû prendre du côté de notre mère russe, plutôt que de celui de notre italien de père. Moi, je suis l’exception. Seule enfant blonde aux yeux bleus de mes parents, avec mon mètre soixante-douze, j’ai tout de la typique fille de l’est. Ma grand-mère Regina, une Italienne pure souche depuis des générations remontant à la Renaissance, s’en plaint d’ailleurs souvent. « Tu as vraiment tout pris du côté russe de ta mère » étant son reproche préféré à mon égard. Elle déteste ma mère Yelena, sa belle-fille, et comme je suis sa copie conforme, elle ne le supporte pas. Mais qu’y puis-je moi? Je n’ai pas choisi de tirer plus des gènes russes de ma mère que de ceux italiens de mon paternel. Étant sa fille, il paraît donc normal que je lui ressemble. Ses réflexions sur mon physique slave ont d’ailleurs tendance à tellement m’irriter, que je prends toujours un malin plaisir à lui répondre que c’est peut-être parce que je suis la fille d’un de nos domestiques russes. À la suite de son mariage avec mon père, ma mère a quitté Moscou pour venir s’installer à Palerme et a exigé d’avoir du personnel russophone dans la maison. Ce que sa belle-mère ne comprend pas non plus et qui me profite bien en fin de compte, puisque j’arrive toujours à la choquer avec ce sous-entendu qui, à titre personnel, me fait bien rire.

Ma famille est ainsi et l’on s’y habitue. Ma cousine Valentina, dont je suis très proche, trop pour certains, a la fâcheuse habitude de prendre des décisions pour moi, sans me concerter. Comme pour ce petit séjour à la dernière minute qui, je dois bien le reconnaître, arrive à point nommé. Le début d’année a été difficile et passer du temps avec elle et nos arrière-grands-mères ne pourra me faire que du bien. Les cours à la faculté sont en pause en ce moment, le temps de la correction des examens, ce qui me permet de partir quelques jours. Je jette un coup d’œil à mon téléphone et constate qu’il est 6 heures 15 passées. Inutile de chercher à me rendormir, je n’y arriverai pas et je risque de me mettre en retard.

Je saute de mon lit, enfile mon peignoir en satin rose pâle et me dirige silencieusement vers la cuisine pour me préparer un café. Dehors, le soleil se lève à peine, mais il ne pleut pas comme ces deux derniers jours, c’est donc une bonne matinée pour aller courir. Mes bagages pourront bien attendre mon retour et puis j’ai des affaires dans ma chambre à Milan, au cas où j’oublierais quelque chose.

En arrivant, je trouve ma colocataire Giada assise sur un des tabourets de bar qui entourent le comptoir, séparant le salon et la cuisine. Lunettes sur le nez, elle boit une grande tasse de café tout en tapant sur son ordinateur portable.

— Déjà levée? lui demandé-je, en lançant la cafetière.

— Je dormais bien jusqu’à ce que tu décides de donner une conférence téléphonique à 6 heures du matin dans ta chambre, me répond-elle sèchement, la tête plongée sur son écran.

— Je suis désolée, je ne voulais pas te réveiller, mon père m’a appelé pour…

— C’est bon, me coupe-t-elle. Tes excuses ne m’intéressent pas. Je dois aller à la bibliothèque avant mon premier cours de toute façon.

D’un geste vif, elle ferme son ordinateur, finit sa tasse qu’elle pose dans l’évier alors que nous avons la chance d’avoir un lave-vaisselle et part dans sa chambre. C’est Giada dans toute sa splendeur. Récupérant mon café qui a fini de couler ainsi qu’une banane, je m’assieds à la place qu’elle vient de quitter. Giada n’est pas méchante et quand on ne la connait pas, on peut penser que c’est une vraie garce. Elle est froide, hautaine et insensible. Mais elle a d’autres qualités qui font d’elle une colocataire agréable. En deuxième année de médecine, elle travaille énormément et du coup, sait se montrer discrète et silencieuse. Elle n’organise pas de fêtes, ne ramène aucun garçon à l’appartement et ne met pas la musique à fond, contrairement à mon ancienne colocataire. Giada est entièrement focalisée sur ses études. Elle s’est donné comme objectif de devenir l’une des meilleures chirurgiennes du globe. La spécialité qu’elle vise est assez compliquée : la neurochirurgie. Je pense sincèrement qu’avec son tempérament et les résultats qu’elle obtient à force d’un travail acharné, elle en est tout à fait capable et y arrivera. Elle fera une excellente chirurgienne.

Tout en prenant mon petit-déjeuner, je décide d’envoyer un message à Valentina.

 

Mia : Tu comptais me prévenir quand?

 

N’attendant pas sur une réponse immédiate, je termine mon petit-déjeuner, range nos tasses dans le lave-vaisselle et vais me préparer. La salle de bain est libre, parfait. Autre point positif à ma collocation avec Giada : elle ne monopolise pas la salle de bain pendant des heures. Je ne m’éternise pas non plus, sachant que je vais devoir prendre une douche après mon footing. Lavage rapide des dents, une queue-de-cheval haute et bien tirée, un peu de baume à lèvres et me voilà prête. Je replace rapidement mon pendentif en forme de cœur qui ne me quitte jamais et rejoins ma chambre pour m’habiller. Cette année, le mois de février est glacial, il me faut une tenue chaude si je ne veux pas tomber malade. J’enfile rapidement un legging, un sous-pull et une veste thermiques noirs auxquels j’assortis un bandeau en polaire sur mes oreilles. Mes chaussures de course aux pieds, j’attrape mon téléphone sans oublier mes écouteurs et sors de ma chambre. Je m’arrête devant la chambre de Giada et toque à sa porte. Sa tête contrariée apparaît dans l’entrebâillement :

— Tu veux?

— Je voulais te prévenir que je serai absente quelques jours. Je rejoins ma cousine à Milan cet après-midi et je ne sais pas quand je reviens. Ne t’étonne donc pas si tu ne me vois pas, l’informé-je.

— OK. Autre chose?

— Non, je voulais juste te dire au revoir et te souhaiter une bonne jour…

— Au revoir, bonne journée! me répond-elle vivement, en claquant la porte.

Avec elle, il ne faut vraiment pas se vexer. Secouant doucement la tête face à son comportement, je sors rapidement de l’appartement et descends les escaliers en trottinant. En passant devant la loge de la signora4 Tursi, la gardienne de l’immeuble, je ne suis pas surprise d’entendre sa porte grincer et de la trouver sur le palier de son appartement, encore engoncée dans un peignoir élimé jaune, ses cheveux gris retenus dans des bigoudis rose vif sur le sommet de son crâne. La signora Tursi est une vielle femme toujours souriante mais également dotée d’une curiosité maladive.

— Bonjour, Mia.

— Bonjour. Comment allez-vous ce matin?

— Froidement ma petite, froidement. Mes articulations me font mal, la pluie n’est pas loin.

— Vous pensez? Il m’a plutôt l’air de faire beau ce matin.

— Mes articulations ne m’ont jamais trahies quand il s’agit de prédire le temps! conteste-t-elle, en reniflant de mépris. Elles sont bien plus fiables que ces présentateurs météo qui ne savent pas de quoi ils parlent.

— Dans ce cas, je suis bien contente de partir quelques jours.

— Tu pars?

— Oui. Je vais rendre visite à ma famille à Milan. Giada sera donc seule à l’appartement. Je me demandais si vous pouviez…

— Veiller à ce que cette tête de linotte ne reste pas enfermée dehors parce qu’elle aura encore oublié ses clés?

— S’il vous plaît, cela serait très gentil de votre part. Vous savez comment elle peut être parfois.

— Pars tranquille, me rassure notre vieille gardienne. Je veillerai sur ta grincheuse de colocataire.

— Merci à vous. Passez une bonne journée si je ne vous revois pas d’ici mon départ.

— Bonne journée également ma petite Mia, me répond-elle en retournant dans sa loge.

Je quitte l’immeuble, ajuste mes écouteurs et lance ma playlist avant de commencer ma course. J’y vais en douceur, afin de réveiller mes muscles endormis et m’éviter un claquage à la cuisse. Les rues de Rome sont encore désertes, il est encore bien trop tôt pour les Romains qui n’apprécient guère la froideur de l’hiver. Je prends la direction du pont Saint-Ange, ce qui me permettra par la suite de longer le Tibre et de rejoindre la place du Peuple. De là, je pourrai monter jusqu’aux jardins Pincio et ainsi observer le soleil se lever sur la ville. C’est un long parcours, mais cela me permettra de me libérer l’esprit et en ce moment, c’est tout ce dont j’ai besoin.

Au bout de quelques minutes, j’accélère la cadence et trouve mon rythme. Je cours sans jamais m’arrêter, trottinant sur place aux feux rouges. Il fait froid, mais cela ne me dérange pas. J’aime courir dans la fraîcheur matinale, voir la buée s’échapper de mes lèvres à chacune de mes expirations, sentir le vent glacé s’infiltrer dans mes poumons, y laissant une brûlure sèche et irritante, tout en fouettant mon visage et colorant mes joues. J’aime sentir mes pieds fouler le sol humide sans jamais déraper. Toutes ces sensations me revigorent et me rappellent que je suis vivante. Que moi, Mia Maria Anastasia Conti, j’ai la chance d’être en vie. Plus je cours et plus j’oublie. Tous les moyens sont bons pour oublier cette atroce nuit du 31 décembre, dont l’incident aura changé ma vie à jamais. Ce jour-là, Valentina et moi n’étions pas à Palerme pour fêter le réveillon du jour de l’an comme nous en avions pourtant l’habitude. Non, cette année, nous avions décidé de le passer à Paris avec nos arrière-grands-mères et d’assister à un ballet à l’opéra Garnier. Avec le recul, je me dis que c’est un malheureux hasard, car jamais je n’aurais pu assister à ce à quoi mes frères et mon cousin ont été confrontés à savoir : le meurtre de mon cousin Niccolo.

Je me souviendrai toujours de cet appel de mon père le matin du Nouvel An. Giuseppina a décroché, heureuse et enchantée par la soirée que nous avions passée toutes les quatre. Celle qui pensait que son petit-fils appelait pour nous souhaiter ses vœux a très vite perdu le sourire. Au lieu des habituels vœux de bonheur, santé, réussite et amour, mon père lui a annoncé le décès de l’un de ses arrière-petits-fils. J’étais avec Giuseppina dans la salle à manger à prendre notre petit-déjeuner et pour la première fois de ma vie, j’ai vu cette femme s’effondrer devant moi. Les larmes mouillaient ses yeux, mais ne coulaient pas alors qu’elle écoutait attentivement mon père lui raconter ce qu’il s’était passé cette nuit. Visiblement, Niccolo était parti dans un club palermitain ce soir-là, pour fêter le réveillon, accompagné de mes frères, du sien et de quelques-uns de leurs amis. Une soirée entre mecs comme ils en faisaient très souvent. Mon père lui a expliqué que Niccolo serait sorti devant le club pour prendre l’air et fumer une cigarette, quelques minutes avant le décompte de minuit. Une moto avec deux hommes cagoulés aurait débarquée de nulle part et se serait arrêtée juste devant lui, avant que l’un d’eux ne l’abatte d’un tir en pleine poitrine. Mon cousin Michelangelo et mes frères ont été prévenus par la sécurité et lorsqu’ils les ont rejoints, Niccolo était déjà mort sur le trottoir, avant même que les secours n’arrivent.

Selon les médecins légistes, il serait mort sur le coup et n’aurait pas souffert. Mais, n’est-ce pas ce qu’ils disent tous? Franchement, qui irait dire à des personnes endeuillées que la personne qu’ils chérissaient est morte dans d’atroces douleurs? Personne. Les enquêteurs de police ont conclu qu’il s’agissait d’un braquage qui aurait mal tourné, mais j’ignore comment ils sont arrivés à cette conclusion. Quand ils ont retrouvé Nicco, il avait encore sur lui son portefeuille et sa montre de luxe. Quels voleurs s’en iraient sans prendre le butin? C’est une des principales raisons qui fait que je n’ai jamais accepté ce mobile. J’ignore pourquoi, mais j’ai le sentiment que quelque chose de plus profond se cache derrière son meurtre. Peut-être que je me trompe et qu’il s’agit tout simplement d’un vol à main armée qui a en effet mal fini, mais rien ne pourra enlever le doute qui subsiste en moi. Dans tous les cas, les faits sont là : Niccolo est mort et il ne reviendra pas.

Mes jambes commencent tout juste à me chauffer lorsque j’aperçois l’obélisque de la place du Peuple se profiler au loin. J’augmente mon allure afin d’être certaine d’atteindre les hauteurs de Rome à temps.

Pour revenir à la perte de Niccolo, ce n’est pas pour moi que cela a été le plus dur, mais pour Valentina. Nicco était le grand frère dont elle était le plus proche. De par son activité professionnelle de coureur automobile, Michelangelo, son deuxième frère, est très souvent absent et nous ne le voyons que très peu.Valentina et moi sommes nées le même jour, de la même année. Nous avons été élevées ensemble, comme deux sœurs jumelles, avant qu’elle ne parte vivre à Milan pour ses études à nos seize ans. Bien que différente de moi autant par son physique que par sa personnalité, Valentina est celle que je considère comme mon double, la seule personne au monde qui peut me dire sans que je ne me vexe, que j’ai mauvaise haleine le matin. Elle est ma meilleure amie, ma sœur, ma confidente. L’épaule sur laquelle je pleure, les bras dans lesquels je cherche du réconfort. Alors, quand nous avons dû lui faire part de la triste nouvelle, nous avions peur de sa réaction. Valentina a un passif douloureux et nous avons tous craint qu’elle ne replonge dans ses vieux démons. C’est d’ailleurs la raison principale qui a poussé notre arrière-grand-mère Lucrezia à quitter Florence et à emménager à Milan avec Giuseppina. Les deux amies se sont donné pour mission de surveiller leur arrière-petite-fille. J’aurais aimé être celle qui veille sur elle, mais Valentina est élève à l’école de ballet de La Scala pour devenir ballerine professionnelle et moi, je poursuis mes études de droit international à Rome. Demander à changer d’université en cours d’année aurait été possible, mais compliqué. Alors je leur ai laissé le soin de me tenir au courant du moindre signe qui indiquerait que Valentina replonge. Et pour l’instant, tout à l’air de bien aller.

Arrivant sur la place, j’empreinte de suite le chemin en pente qui mène aux jardins et double la cadence dans la montée, voulant absolument pouvoir profiter de ce que la ville éternelle a de plus beau à nous offrir. Le belvédère du mont Pincio est désert, à l’exception de quelques joggeurs et touristes qui ont affronté le froid mordant de l’hiver pour assister, eux aussi, au lever de soleil. Je me stoppe à quelques mètres de la rambarde, les mains sur les hanches, le souffle coupé par l’effort, je tente tant bien que mal de reprendre ma respiration. Les jambes tremblantes, je rejoins le parapet et remarque du coin de l’œil un vieil homme, assis seul sur un banc, un accordéon posé sur ses genoux. Plongé dans ses pensées et le regard fixant l’horizon, il ne semble prêter que peu d’attention à ce qui l’entoure. J’ôte mes écouteurs et à mon tour, je prends le temps de m’émerveiller devant la vue qui s’étend là, juste sous mes yeux. Le soleil illumine la ville de ses fins rayons et la chaleur de ceux-ci commence à s’infiltrer sous mes couches de vêtements, me réchauffant le cœur et le corps.

Et enfin, j’expire profondément. Un seul et unique souffle qui me permet d’expulser tous mes soucis, tous mes doutes… Tout. Je ferme les paupières et laisse le soleil glisser sur mon visage, le revigorant par sa force, le nourrissant de son énergie. Une musique s’élève soudain dans les airs. Pas la peine d’ouvrir les yeux pour savoir que le vieil homme a commencé à jouer de son instrument. Le sourire aux lèvres, j’écoute cette douce mélodie que je reconnais facilement. Arriverdeci Roma résonne dans le silence matinal, pendant que la ville et ses habitants s’éveillent. Je contemple le lointain jusqu’à la fin du morceau. Je ressens comme un pincement au cœur, un étrange sentiment naît en moi. Comme si la vie que j’ai connue jusque-là était sur le point de changer. Quelque chose va se passer. De bien ou de mauvais, je ne saurais le dire. Mais, aussi fou que cela puisse paraître, aujourd’hui, en montant dans l’avion, je sais déjà que l’unique phrase que je dirai sera celle-ci :

 

Arrivederci Roma5.

 

Chapitre 2

 

Mia

 

Quand j’arrive à l’appartement, il est presque 10 heures. Si le chauffeur chargé de m’amener à l’aéroport doit venir en début d’après-midi, il va falloir que je me dépêche. Avant d’aller me laver, je commande un taxi pour me rendre aux bureaux de mon père. Sous la douche, je réalise que Valentina n’a toujours pas répondu à mon message. Ce n’est pas dans ses habitudes de tarder autant et j’ai quelques mots à lui dire concernant la tenue qu’elle a prévu pour moi ce soir. Même si Valentina a d’excellents goûts vestimentaires, ceux-ci divergent quelque peu des miens et je n’ai pas envie de me retrouver affublée d’une robe dans laquelle je ne me sentirai pas à l’aise. Cependant, je ne devrais pas m’inquiéter pour cela. Elle me connaît assez pour ne pas avoir choisi une robe trop courte ni trop décolletée. Au pire des cas, il me suffira de passer en coup de vent dans un des magasins de la Galerie Victor Emmanuel et y trouver de quoi faire mon bonheur. Ou alors, peut-être que je pourrai anticiper et me servir dans les nouvelles collections présentes dans les locaux de C&C Moda, l’entreprise que dirigent mon père et le sien.

Non. Je dois lui faire confiance, Valentina sait ce qu’elle fait. Nous sommes nées dans le monde de la mode, la société familiale est spécialisée depuis des décennies dans les vêtements et accessoires de luxe. Cela nous a d’ailleurs permis par le passé d’assister à des événements tels que les Fashion Weeks de Milan, Paris, Londres et New York. Ma famille possède plusieurs magasins à travers le monde, mais également un atelier créatif pour sa propre marque. C’est mon arrière-grand-père paternel, le fondateur de C&C Moda et depuis sa mort, son fils et ses petits-fils en ont pris les rênes. Pour ma part, c’est ce qui m’a décidé à entreprendre des études de droit international et pouvoir ainsi y travailler un jour. Mon père et moi avons pour ambition que je prenne la direction du service juridique.

Lorsque je sors de la douche, une douce odeur de pomme sucrée embaume la pièce. Je m’enroule dans mon peignoir de bain et enveloppe mes cheveux mouillés dans une serviette. Dans le miroir brille le pendentif que mon père m’a offert pour mon seizième anniversaire. Conformément à la promesse que je lui ai faite ce jour, ce collier ne me quitte jamais. En or, il est en forme d’un cœur et mon père y a fait graver à l’arrière le surnom qu’il m’a donné enfant : principessa. Même lorsque je ne le porte pas autour du cou, il est précautionneusement glissé dans une poche de mon sac à main. J’attrape le sèche-cheveux que Giada a laissé traîner sur le meuble du lavabo et entreprends de me sécher la tête. Cela me prend moins d’une dizaine de minutes pour obtenir un brushing parfait et je décide de les laisser détachés dans mon dos. Ils m’arrivent entre les omoplates et je sais que ma coupe de cheveux n’a rien de bien extraordinaire puisqu’il s’agit de la réplique exacte de celle de Jennifer Aniston dans la série Friends, mais je l’aime. Contrairement à tout à l’heure, là je me maquille. Je ne peux décemment pas me présenter aux bureaux de mon père sans être un minimum apprêtée, surtout si je compte y travailler un jour. Même si mon maquillage reste discret, le mascara, le fard à joues et le gloss légèrement rosé que j’ai appliqué améliorent mon teint et je me trouve de suite bien plus jolie. Je récupère tout ce dont j’aurai besoin pour mon séjour et retourne dans ma chambre préparer mes bagages. Je tire difficilement ma grosse valide de dessous de mon lit. Si ma mère était là, je sais ce qu’elle me dirait « Tu ne pars que quelques jours Mia, pourquoi t’encombres-tu donc d’une si grosse valise » ? La réponse que je lui donnerai est : je n’en ai strictement aucune idée. Face à mon dressing, je prends tout ce qui me tombe sous la main et les fourre dans ma valise grande ouverte sur mon lit. Un maillot de bain? Est-ce nécessaire en plein mois de février? Non, mais je le prends. Un combishort? Je prends. Des sandales? Aussi!

Est-ce à cause de ce sentiment qui ne me lâche plus depuis ce matin? Ce sentiment qui me dit « prends-les » et qui me pousse à préparer une valise comme si j’allai m’envoler pour un mois aux Maldives. Une fois que j’ai fini de la remplir, je la boucle et la pose contre ma porte de chambre, ainsi elle sera prête pour quand je partirai tout à l’heure.

J’ai tout juste le temps de m’habiller avant que le taxi n’arrive. Fouillant dans le peu de vêtements qui ont échappé à ma folie, je trouve une tenue qui fera l’affaire. Je revêts une robe beige à col roulé de chez Burberry, des collants bordeaux en laine et à motifs écossais et ma paire de baskets blanches. À peine ai-je fini d’enfiler ma deuxième chaussure que mon téléphone sonne. Le chauffeur m’annonce qu’il est arrivé et qu’il m’attend en bas. Je me dépêche de récupérer mon caban gris, mes gants et mon sac à main, vérifie que je n’ai rien oublié avant de claquer la porte de l’appartement et de descendre les escaliers en courant.

Le taxi est devant l’entrée de l’immeuble et je salue le chauffeur en me glissant sur la banquette arrière. Je lui donne l’adresse et il m’informe que nous y serons d’ici un petit quart d’heure. Calée bien au chaud, je m’enfonce dans le siège en cuir, pose mon front contre la vitre et regarde défiler les rues romaines. Le chauffeur, un homme dans la soixantaine, allume la radio et je reconnais de suite la musique qui passe à l’antenne. Je lui demande s’il peut augmenter le volume, ce qu’il fait sans se faire prier. Alors que la chanson Via con me emplit l’habitacle, je sens naître un sourire sur mes lèvres. Et sans savoir pour quoi, mon cœur devient d’un coup plus léger.

Lorsque le chauffeur s’arrête devant les locaux de C&C Moda, je lui demande s’il peut m’attendre, lui signalant que je n’en ai pas pour longtemps. Il accepte volontiers et m’indique qu’il va se garer quelques mètres plus loin, sur une des places réservées au personnel. Je mets un pied dehors et il commence à pleuvoir. Il semblerait que les articulations de la signora Tursi aient dit vrai. Je me presse de rejoindre le sas d’entrée et passe la porte à tambour gardée par vigile, qui me reconnaît et me salue d’un hochement sec du menton. Je me dirige vers l’ascenseur, le bureau de mon père se trouvant au 5e étage et ayant déjà fait mon sport pour la journée, il est hors de questions que je prenne les escaliers. J’appuie sur le bouton d’appel et mon portable se met à vibrer quand je pénètre dans la cabine. Je sélectionne l’étage et m’adosse à l’une des parois en bois avant de sortir mon téléphone de mon sac.

 

Valentina : Je ne te l’avais pas dit?

Elle se moque de moi? Avant que je n’aie pu lui répondre par un message cinglant, Valentina m’appelle.

      — Je ne te l’avais vraiment pas dit? s’exclame-t-elle, l’intonation de sa voix sincèrement surprise.

— Non.

— Oh, merde. Désolée, j’étais pourtant sûre de t’avoir prévenue.

— Sois plutôt désolée que mon père m’ait réveillée à 6 heures ce matin pour me l’annoncer.

— Pourquoi si tôt? Ton vol est programmé à 14 heures. Il avait largement le temps de te prévenir sans te réveiller aux aurores.

— Longue histoire, mais en gros, il avait un service à me demander.

— Et ça ne pouvait pas attendre une heure plus correcte? Même moi, je dors à cette heure-là.

— Visiblement non.

— Qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir de si pressé à te demander?

— Il a besoin que je récupère des documents pour Lucrezia à son bureau. D’ailleurs, j’y suis. Je vais devoir raccrocher.

— D’accord. Essaie de ne pas manquer ton avion, ça serait dommage !

— Comment veux-tu que je le rate? rigolé-je dans le combiné alors que les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le palier de l’étage où se trouvent les bureaux de la direction.

Je sors et continue, d’une voix bien plus basse pour ne pas déranger les personnes travaillant dans l’open space.

— Je te rappelle que l’avion nous appartient et qu’il n’attend qu’une seule passagère. Je te laisse, on se reparle tout à l’heure.

Je raccroche avant qu’elle ne puisse enchaîner. Valentina est capable de me tenir des heures au téléphone à parler de tout et de rien. J’avance vers le bureau de mon père et tombe sur Graziella, son assistante personnelle, qui m’accueille avec un grand sourire.

— Mia! Comment allez-vous?

— Très bien. Et vous, Graziella? Mon père ne vous martyrise pas trop? m’enquis-je, soucieuse à l’idée que mon père puisse passer ses nerfs sur celle qui est à ses côtés depuis déjà une dizaine d’années maintenant. Je sais qu’il peut être assez anxieux avant la présentation d’une nouvelle collection.

— Écoutez, pour l’instant, je n’ai pas à me plaindre. Il est souvent en déplacements et quand il est ici, il passe son temps avec les stylistes et les couturiers à l’atelier. On ne peut pas dire qu’il soit beaucoup sur mon dos.

— Bien, mais s’il vous mène la vie dure, n’hésitez pas à l’envoyer aux pelotes !

— Ne vous inquiétez pas pour moi, Mia. Il n’est pas encore venu le jour où je me laisserai marcher dessus par Ilario Conti, s’exclame-t-elle en ouvrant le tiroir de son bureau pour en sortir un trousseau de clé.

— Il me semble que vous avez des documents à récupérer dans son bureau, c’est bien ça?

Elle commence à se lever quand le téléphone de son poste de travail se met à sonner. Son regard ennuyé passe plusieurs fois du combiné à moi. Mettant un terme à son embarras, je lui prends les clés des mains.

— Répondez, je n’en ai pas pour longtemps. Il m’a expliqué où il les avait rangés.

Soulagée, Graziella se rassied dans son fauteuil et décroche pendant que je me dirige d’un pas assuré vers la porte à droite, la déverrouille et la referme derrière moi. La dernière fois que je suis venue ici remonte à au moins un an, mais rien n’a changé. Le grand bureau de style napoléon en ébène que mon père s’est procuré lors d’enchères serrées à Sotheby’s6 trône fièrement au centre de la pièce, accompagné des fauteuils crapauds en velours vert que ma grand-mère a chinés dans une petite brocante de Florence. Une immense bibliothèque recouvre un pan de mur dont les étagères garnies regorgent de livres en tout genre. On peut y trouver une multitude de livres sur la gestion d’une entreprise, l’histoire de la mode, mais aussi des romans classiques ainsi que l’entière collection des œuvres de Stephen King, l’écrivain préféré de mon père. La décoration de son bureau est très sobre et le seul tableau que mon père a installé se trouve juste au-dessus de son bureau. Il s’agit d’un immense portrait de famille que mon grand-père a fait réaliser il y a deux ans.

Contournant son imposant bureau, je me presse d’ouvrir le tiroir qu’il m’a indiqué comme étant celui qui contient les papiers pour Lucrezia. En le tirant, j’ai l’impression que le fond bouge d’une étrange façon. Je glisse mon bras dedans, appuie légèrement avec ma main et constate en effet que la planche en bois est bancale. Sachant à quel point mon père tient à ce bureau, je décide de jeter un coup d’œil plus poussé afin de voir si je peux le réparer moi-même ou s’il lui faudra l’envoyer en réparation. D’une pression de la paume, je réussis à faire basculer le fond et réalise que le tiroir n’est pas cassé, mais qu’il possède tout simplement un double fond. Mon père est-il au courant de son existence? Je soulève le plateau qui s’avère être en contreplaqué et aperçois une enveloppe blanche, quelque peu jaunie par le temps, poussiéreuse, comme si elle avait été oubliée là. À moins qu’elle n’ait glissé par inadvertance et que son propriétaire la cherche depuis?

Je la prends délicatement et l’examine sous toutes les coutures. Il n’y a ni le nom de l’expéditeur, ni celui du destinataire écrit dessus. Poussée par la curiosité, je l’ouvre et découvre ce qu’elle contient : une vieille photographie ainsi qu’une lettre manuscrite. Je m’intéresse en premier à la photographie et l’étudie de plus près. Assise sur un fauteuil à bascule, une jeune femme brune, pas plus âgée que moi, souriant à l’objectif et tenant un bébé sur ses genoux. Il ne me semble pas connaître cette femme. Je retourne la photographie et lis l’annotation inscrite au dos « Rosalinda y Juan — diciembre7 1995 — Buenos Aires». Qui peuvent bien être ces deux personnes?

Je déplie la lettre qui l’accompagnait, certaine que celle-ci pourra m’en apprendre plus sur cette femme et son bébé. Le papier est dans un piètre état, indiquant clairement que la lettre a été manipulée de nombreuses fois ces dernières années. Je ne sais pas à qui elle était destinée, mais il semblerait que la personne qui l’a reçue l’ait lue et relue à de multiples reprises. Je débute ma lecture avant de réaliser que tout est écrit en espagnol. Le parlant couramment, je ne rencontre aucune difficulté à la lire.

 

Ilario, mon amour,

Je sais que cette lettre contredit notre décision de ne plus nous écrire et de nous tenir éloignés l’un de l’autre, mais certaines situations dans la vie nécessitent de devoir revenir sur ses promesses. Ce que je vais te dire n’est pas dans le but de te faire changer d’avis concernant ta vie auprès de ta femme en Italie. Tu as été très clair quand tu m’as déclaré ne pas vouloir divorcer de Yelena alors qu’elle était enceinte de ton enfant. Décision que je comprends et conçois tout à fait.

À l’époque où tu m’as quittée pour retourner auprès d’elle, je t’avais annoncé être enceinte avant de subitement me rétracter, prétextant une erreur du test de grossesse. Je suis désolée, mais je t’ai menti ce jour-là. J’étais bien enceinte et j’ai mené cette grossesse à terme. J’ai donc le plaisir de t’annoncer que le 31 octobre, est venu au monde un magnifique petit garçon que j’ai choisi de prénommer Juan. Lui et moi sommes en parfaite santé malgré un accouchement long et difficile.

Sache que je n’attends absolument rien de toi. Il me semblait simplement plus honnête de t’apprendre que tu as un fils ici, à Buenos Aires. Tu trouveras dans l’enveloppe une photographie prise ce mois et constateras que Juan possède déjà le regard charmeur de son père.

Je ne m’étalerai pas plus dans cette lettre, nous nous étions déjà tout dit lors de ton départ.

Je te souhaite d’être aussi heureux que Juan et moi le sommes actuellement.

Avec tout mon amour,

Ta Rosy.

 

Je lis et relis la lettre au moins une dizaine de fois, les mains tremblantes. Qu’est-ce que c’est que cette histoire? Qui est cette femme qui se fait appeler Rosy? Je n’ai jamais entendu parler d’elle et encore moins d’un enfant que mon père aurait eu avec une autre femme. Dans sa lettre, elle indique que son fils est né en octobre et l’inscription au dos de la photographie mentionne l’année 1995. Si ce qu’elle écrit est vrai, Juan et Alessio, le plus vieux de mes frères, n’ont que quelques mois d’écart, ce dernier étant né en juillet 1995. La porte du bureau s’ouvre soudainement et la tête de Graziella apparaît, me faisant sursauter.

— Vous avez trouvé ce que vous cherchiez? me demande-t-elle, souriante.

Je cache rapidement la lettre et la photographie dans mon dos et tente de ne pas afficher un air coupable. Voyant que je tarde à lui répondre, Graziella s’inquiète et insiste.

— Mia? Vous allez bien?

Est-ce que je vais bien? Drôle de question. Bien évidemment que je ne vais pas bien. Mais ça, Graziella ne peut pas le savoir. D’ailleurs, qui pourrait se douter de ce que je viens de découvrir? Je la fixe un instant, incapable de répondre quoi que ce soit avant de vite me ressaisir lorsque je la vois s’avancer vers moi, le regard soucieux.

— Oui, pardon. Il faut que je file, je vais être en retard. Au revoir.

Je récupère l’enveloppe blanche contenant le projet sportif de mon père et y glisse à l’intérieur la lettre et la photographie, avant de refermer le tiroir d’un coup sec. Je passe devant une Graziella médusée face à ma réaction et me dépêche de rejoindre l’ascenseur. Je presse le bouton d’appel sans m’arrêter, comme si s’acharner dessus allait le faire venir plus vite. Il faut que je sorte d’ici. Il faut que je respire. Les portes s’ouvrent enfin et je m’y engouffre précipitamment, mon regard accrochant celui inquiet et confus de Graziella quand elles se referment. Comme à l’aller, je m’appuie contre la paroi à la recherche d’un soutien. Ma tête tourne et j’ai du mal à respirer correctement. Arrivée dans le hall d’entrée, je sors précipitamment de l’immeuble. Dehors, la pluie s’est intensifiée et je cours me mettre à l’abri dans le taxi qui m’attend. À peine la portière fermée que le chauffeur démarre déjà, m’emportant loin d’ici. Comme s’il avait senti mon trouble, il n’allume pas l’autoradio et nous nous murons dans un silence tendu.

Le bruit de la pluie sur la carrosserie m’apaise quelque peu et je réussis à reprendre mon souffle. Il faut que je me calme pour analyser la situation. Premier fait important, mon père a trompé ma mère, il y a environ vingt-cinq ans. Ils se sont mariés en 1994, soit à peine plus d’un an après leur mariage. Deuxième fait, un enfant est né de cette liaison. Troisième fait, jamais notre père ne nous a parlé d’un enfant illégitime qui vivrait en Argentine. Je réalise alors que si j’ignorais tout de son existence, il se peut que mon père n’ait jamais pris soin de lui. Se peut-il que mon père ait réellement abandonné cette femme et son fils? Même si cette Rosy a déclaré ne rien attendre de lui, est-ce vraiment ce qu’elle pensait au moment où elle a rédigé cette lettre? Quant à ce garçon, Juan, a-t-il grandi sans père? Je prends soudainement conscience que si nous avons le même père, cela fait de lui mon demi-frère. Mon Dieu ! J’ai un demi-frère dans la nature dont je n’ai absolument rien, excepté son prénom, sa date de naissance et donc son âge, qui si je ne suis pas nulle en mathématiques est de vingt-cinq ans, tout comme Alessio. Je sais qu’il est né d’une mère argentine et doit sûrement vivre à Buenos Aires. Et… et c’est tout.

Mon téléphone vibre, me sortant de mes pensées. Je vérifie qui en est l’expéditeur et lorsque je constate qu’il s’agit de mon père, j’actionne le mode silencieux de mon portable avant de le laisser tomber dans mon sac. Je n’ai vraiment pas envie de lui parler maintenant, pas après avoir découvert son secret. Il est évident que j’attends des explications et des réponses à toutes mes questions, mais je sais très bien vers qui me tourner et au moins, elles auront le mérite d’être honnêtes. J’ignore son message et me concentre sur la route. Un relent de bile remonte le long de mon œsophage.

— Pourriez-vous accélérer, s’il vous plaît? demandé-je au chauffeur, qui acquiesce à ma requête par un regard dans le rétroviseur.

Quelques minutes après, le voilà qui se gare juste en bas de mon immeuble. Je le remercie et descends, un arrière-goût de vomi dans la gorge : je suis sur le point de vomir. Il faut que je fasse vite et je cours dans les escaliers qui mènent à mon étage. Une fois rendue devant la porte de mon appartement, je me mets en quête de mes clés. Bien évidemment, il faut que le trousseau soit perdu tout au fond de mon sac ! Je réussis à les attraper et, les mains tremblantes, je tente d’insérer la clé dans la serrure. J’y parviens non sans mal, entre en trombe et claque la porte violemment derrière moi. J’abandonne mes affaires sur le sol du couloir et me précipite dans la salle de bain où je plonge la tête la première dans la cuvette, pour y vomir de tout mon saoul. Mon estomac se vide, la bile prenant le relais de mon maigre repas de ce matin. Le peu que j’ai, je l’évacue. Des larmes coulent sur mes joues tandis que je me ressaisis, reprenant difficilement ma respiration. Les fesses sur le carrelage froid de la salle de bain, je m’adosse contre le mur, les genoux repliés et la tête rentrée entre, attendant d’être certaine que plus rien ne sortira de mon estomac. Est-ce le mensonge de mon père qui me met dans cet état? Ou bien est-ce l’idée qu’un enfant ait pu grandir sans son père qui me révulse? Un enfant innocent, qui n’avait pas demandé à venir au monde, qui a dû grandir seul, sans une présence masculine à mes côtés. Mes frères et moi sommes nés dans une famille aimante et nous n’avons jamais manqué de rien. À cet instant, je réalise la chance que nous avons eue et culpabilise encore plus de ce que m’a offert la vie.

Ma tête ayant enfin cessé de tourner, je me relève lentement. Dans la glace, mon reflet fait peur à voir. Si autant ce matin je n’étais pas trop mal, maintenant, je suis un véritable désastre. J’ouvre le robinet et laisse couler l’eau pour qu’elle soit bien froide, me rince la bouche et me mouille le visage. J’insiste sur mes yeux, espérant les faire dégonfler. Je quitte la salle de bain et regagne ma chambre pour y récupérer ma valise. Le temps est passé à une allure folle et le chauffeur envoyé par mes arrière-grands-mères ne devrait pas tarder à arriver. Je m’arrête sur le pas de la porte, hésitante. Puis, faisant volte-face, je me dirige rapidement vers ma table de chevet d’où j’en extirpe mon passeport. Je ramasse mon sac toujours au sol dans le couloir, glisse mon passeport à l’intérieur et pars en refermant la porte avec plus de délicatesse qu’à mon arrivée.

 

Le trajet jusqu’à l’aéroport m’a laissé le temps de me reprendre et de me remettre les idées en place. Après avoir décliné nos identités au gardien, le chauffeur franchit la barrière de sécurité et s’approche de la zone de décollage réservée aux avions privés. Il s’arrête pile au pied de la passerelle d’embarquement menant à l’avion de notre société. Je descends de la voiture, le vent glacé me frappe le visage, s’engouffre sous mes vêtements et je rabats mon manteau pour me protéger. Le commandant de bord dévale les escaliers à vive allure pour me rejoindre, un éclatant sourire aux lèvres.

— Mademoiselle Mia, c’est toujours un plaisir de vous voir, m’accueille-t-il avec son fort accent.

— Moi aussi, commandant.

Il prend ma valise que le chauffeur a déposée à mes pieds et m’invite à monter dans l’appareil. Le commandant Ivan Azarov est originaire de Russie, âgé d’une cinquantaine d’années, il est au service de ma famille depuis bien avant ma naissance. Mon grand-père Giovanni l’a débauché de la compagnie aérienne pour laquelle il travaillait à l’époque. Après un vol turbulent en direction de Saint-Pétersbourg, le commandant aurait procédé avec brio à un atterrissage des plus difficiles, sous une tempête de neige qui empêchait toute visibilité. Impressionné par son talent et le sang-froid dont il a su faire preuve, mon grand-père est venu le trouver, lui faisant une offre qu’il n’a pas pu refuser. Une hôtesse me salue sur le pas de l’appareil et m’informe que nous n’allons pas tarder à décoller. J’ôte mon manteau et vais prendre place dans l’un des fauteuils côté hublot. Sans attendre les mesures de sécurité, j’attache ma ceinture et attends patiemment le départ. Alors que je contemple l’habitacle de l’avion, entièrement décoré dans les tons de beige et blanc, l’hôtesse ferme la porte et l’avion commence sa manœuvre pour regagner la piste de décollage. Je sors mon téléphone de mon sac et me décide enfin à lire les deux messages que mon père m’a envoyés.

 

Papa : Graziella m’a appelé, inquiète. Elle m’a dit que tu n’avais pas l’air bien en sortant des locaux. Tout va bien?

 

Papa : Mia, s’il te plaît, réponds-moi. Je commence à m’inquiéter aussi.

 

Il s’inquiète? S’inquiétait-il pour son fils, qu’il a abandonné en Argentine? Ainsi que pour cette femme, Rosy, qui à en juger la photographie, n’était pas plus âgée que moi lors de la naissance de leur enfant. Elle s’est retrouvée seule à élever ce bébé, a-t-il ne serait-ce que seulement envoyé de l’argent pour subvenir à leurs besoins? Il ne faut pas que j’y pense, de toute façon, j’aurai bientôt les réponses dont j’ai besoin. Énervée, je tape un message à toute vitesse, tout en faisant attention à ne pas éveiller ses soupçons.

 

Mia : Tout va bien. Je n’avais pas assez mangé ce matin et j’ai fait une petite crise d’hypoglycémie. Je suis dans l’avion, on va décoller.

 

Sa réponse est immédiate, signe qu’il était scotché à son téléphone, attendant ma réponse.

 

Papa : D’accord, ma principessa. Profite bien de ce séjour avec tes arrière-grands-mères et Valentina. Je t’aime. Papa.

 

Sur ce, l’avion décolle. Le trajet entre Rome et Milan dure un peu plus d’une heure. Soit le temps nécessaire pour m’accorder une petite sieste bien méritée. Toutes ces émotions m’ont chamboulée et je pense ne pas être au bout de mes surprises. Car à Milan, une chose est sûre, ces réponses m’attendent.

 

Une main me secoue doucement l’épaule, me tirant de ma somnolence.

— Mademoiselle Conti, réveillez-vous. Nous sommes arrivés, votre valise a déjà été débarquée.

Arrivée? Mais arrivée où ? J’ouvre péniblement les yeux, l’esprit embrumé. Je jette un coup d’œil à travers le hublot et constate que l’avion est à l’arrêt sur le tarmac de l’aéroport. Cela me prend quelques minutes de plus pour être tout à fait éveillée et capter ce que je fais dans cet avion. J’ai dormi tout le vol du sommeil du juste, au point où même les manœuvres d’atterrissage ne m’ont pas réveillée. Le temps à l’extérieur est pire qu’à Rome. S’il tombait des cordes quand je suis montée dans l’avion maintenant, il neige. Et encore une fois, ce n’est pas la petite averse. Non, c’est la grosse tempête de neige. Génial. Décidément, aujourd’hui, c’est mon jour.

J’attrape mes affaires et rejoins l’hôtesse qui m’attend à la sortie de l’appareil. En bas de l’escalier autotracté, j’aperçois un visage connu. Souriante, je descends le rejoindre, prenant garde à ne pas glisser sur les marches en fer. Tout vêtu de noir et s’abritant comme il le peut des bourrasques sous un parapluie noir également, le chauffeur de mon arrière-grand-mère Giuseppina m’attend dans le froid glacial.

— Andrea ! m’exclamé-je, heureuse de revoir le jeune homme.

— Bonjour, Mia, me répond-il, un immense sourire aux lèvres.

Arrivée à ses côtés, je le prends dans mes bras et le serre contre moi. Il me rend avec plaisir mon étreinte et malgré la neige qui s’abat sur nous, nous ne bougeons pas. Andrea était un ami d’Alessio et Enzo. Ils fréquentaient tous les trois la même école, mais Andréa était un étudiant boursier, contrairement aux autres élèves nés dans des familles privilégiées comme la mienne. Alors quand le chauffeur de Giuseppina a pris une retraite anticipée, ne supportant plus la vieille femme, il a postulé et a été immédiatement engagé.

Je n’ai jamais osé lui avouer qu’il ne doit pas ça à son amitié avec mes frères, mais plutôt à son physique avantageux. Âgé de vingt-cinq ans, Andrea est, sans nul doute, un très beau spécimen italien. Grand et musclé, il possède de très beaux yeux marron assortis à ses cheveux et à sa barbe naissante. Il est difficile de ne pas craquer pour lui et c’est d’ailleurs avec un grand plaisir non dissimulé que Giuseppina lui a offert le poste. Il s’avère que mon adorable arrière-grand-mère est très « libérée » et ne se gène pas pour draguer des hommes quatre fois plus jeunes qu’elle. Alors engager Andrea était pour elle une excuse pour, je la cite « me régaler de la vue de ce petit cul musclé ». Certes, Andrea est beau, mais je ne doute aucunement de ses capacités à ce poste. Il est chauffeur et également garde du corps, bien que j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi une femme de son âge a besoin d’un garde du corps. Ce n’est pas comme si nous étions la famille Kennedy.

— Comment vas-tu? me demande-t-il, en me dirigeant vers la voiture, un bras enroulé autour de ma taille tout en tenant le parapluie au-dessus de nos têtes.

Il ouvre la portière arrière de l’Alfa Romeo noire qui est parquée juste devant l’avion. Je le fixe, l’air de dire « tu m’as bien regardé ? » et il éclate de rire et referme la portière. Il fait le tour et s’installe au volant tandis que je prends place sur le siège passager à ses côtés. Une fois au chaud, je réponds à sa question :

— Ça pourrait aller mieux.

Je m’enfonce un peu plus dans le fauteuil en cuir noir pendant qu’il augmente le chauffage dans l’habitacle, puis démarre.

— Et toi?

— Qu’est-ce qu’il t’arrive? enchaîne-t-il, ignorant ma question.

— Disons qu’il faut que j’aie une discussion avec mes arrière-grands-mères et que celle-ci ne sera pas forcément des plus agréables, avoué-je dans un souffle, mon regard rivé sur la route alors que nous quittons l’aéroport.

— Je ne sais pas de quoi tu veux leur parler, mais si ça te met dans cet état, ça doit être important.

— Ça l’est et crois-moi quand je dis que pour une fois, je n’ai pas hâte de les retrouver.

— Ces deux vieilles femmes t’adorent Mia. Alors, tant que tu n’annonces pas à Giuseppina que tu as décidé de rentrer dans les ordres ou à Lucrezia que tu vas te marier à un « communiste russe », tout devrait bien se passer, plaisante Andrea.

Je ne peux m’empêcher de rire à sa bêtise. Mais il n’a pas tort.

— Pas de bonne sœur ni de communiste russe à l’ordre du jour.

— Tu m’en vois ravi. Elles auraient été exécrables par la suite et devine qui en aurait fait les frais, me dit-il, avec un clin d’œil complice.

— Elles te font vivre un enfer?

Il hausse les épaules, désinvolte.

— Pas plus que d’habitude. Federico et moi, on est rodés depuis le temps, m’explique-t-il, en faisant référence au majordome de Giuseppina. Giuseppina est toujours aussi fidèle à elle-même. Il y a deux jours, j’ai eu la malencontreuse surprise d’interrompre une partie de strip-poker d’octogénaires. Mes yeux me piquent encore…

— Tu plaisantes?

— Crois-moi quand je te dis que j’aurais préféré. Voir un papy de quatre-vingts balais cacher son pénis derrière une paire de six n’a rien de bien ragoûtant. Les images sont gravées à vie sur ma rétine.

— Elle abuse. Elle a largement passé l’âge de faire ce genre de chose !

— C’est distrayant, au moins on ne s’ennuie jamais avec elle. Et puis, je me considère comme chanceux quand je vois ce pauvre Pierre que Lucrezia vient tout juste d’embaucher. Elle le fait littéralement tourner en bourrique, le malheureux. Et je ne te parle pas de Valentina.

— Valentina? Qu’est-ce qu’elle a encore fait?

Que Lucrezia soit une vraie plaie avec son personnel, ce n’est pas nouveau. Mais que Valentina s’y mette, c’est déjà plus surprenant.

— Cette petite chipie prend un malin plaisir à l’embarrasser à la moindre occasion.

— Comment ça?

— Disons tout simplement que Pierre a des goûts qui diffèrent des miens dans le choix de ses partenaires sexuelles, si tu vois ce que je veux dire…

J’ouvre les yeux grands comme des soucoupes, comprenant clairement où il veut en venir et anticipant déjà dans ma tête ce que ma diablesse de cousine fait subir à ce jeune homme.

— Elle n’oserait pas… commencé-je, avant d’être coupée par l’éclat de rire d’Andrea.

— Oh si! Elle oseet tu devrais la voir lui faire du rentre-dedans. C’est à mourir de rire.

— Mais, elle sait qu’il aime les hommes?

— Oui, mais ça ne l’arrête pas. Pierre est tellement gentil et timide qu’il a bien du mal à repousser ses avances.

Valentina est incroyable, quand je dis qu’avec elle, il faut toujours s’