What a christmas in New York - Aurora Lewis - E-Book

What a christmas in New York E-Book

Aurora Lewis

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Beschreibung

Sally Wheeler n’avait pas prévu de passer Noël en tête à tête avec un repas du traiteur du coin et une boîte de mouchoirs. Surtout pas à New York, dans l’ombre des gratte-ciels et des guirlandes scintillantes, alors que sa saison préférée est sur le point de commencer. Mais après s’être fait larguer par son petit ami, celui-ci en ayant terminé avec « la petite grosse » de service, la voilà forcée à travailler avec lui ainsi qu’avec l’avocat le plus renommé de la ville, Hunter Macht.

Grand, charismatique, irrésistible… Hunter est (surtout), l’associé principal de son père. Un détail tout à fait anodin, bien sûr. D’autant qu’il souffle le chaud et le froid, rendant Sally complètement dingue. Un coup gentleman, un coup parfait abruti, la laissant aussi perdue qu’une part de cheesecake dans un régime.

Habituée à la grossophobie ordinaire, Sally fait front avec son caractère bien trempé et sa maladresse légendaire. Entre un ex-petit ami insultant, un séduisant patron, des meilleures amies aux conseils percutants et Noël, la vie n’est pas de tout repos…

Sally est LA vraie Bridget Jones made in USA qui va comprendre que, parfois, les miracles de Noël arrivent sous les flocons…


À PROPOS DE L'AUTRICE

Née sous le charme des mots, Aurora Lewis jeune auteure passionnée de romance, s’apprête à faire son entrée dans le monde littéraire avec la publication imminente de son nouveau roman. Bercée par les romans envoûtants depuis son enfance, Aurora a transformé sa passion pour les histoires d’amour en une plume enchanteresse. Soutenue par sa famille, elle offre aux lecteurs un billet pour un voyage romantique captivant, prête à partager ses rêves et ses émotions à travers ses mots.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Couverture par Ecoffet Scarlett

Maquette intérieure par Ecoffet Scarlett

Correction par Emilie Diaz

 

© 2024 Imaginary Edge Éditions

© 2024 Aurora Lewis

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

 

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

ISBN : 9782385721725

 

Avertissements

 

 

 

Ce livre aborde des sujets sensibles tels que : la grossophobie, dysphorie de genre, violences verbales et agressions sexuelles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À toutes ces personnes qui,

comme moi, ont des kilos en trop.

Prologue

 

S’il y a bien une chose que je déteste, c’est la période de Noël. Voir tous ces gens heureux me rend malade. Ils déambulent, main dans la main, à travers les rues animées, recherchant le parfait cadeau pour leur tendre moitié. Ils dégustent de délicieux chocolats chauds en riant, le nez rougi par le froid, alors qu’ils viennent d’échapper de justesse à une fracture du coccyx sur la patinoire du Rockefeller Center. Les touristes s’émerveillent des illuminations et des décorations qu’offre la ville de New York, tandis que ses habitants se pressent pour rentrer chez eux, habitués (ou blasés), par ces fanfreluches grotesques que les grands magasins affichent dans leurs vitrines pour attirer l’acheteur. Et ne parlons même pas des lumières éclairées jour et nuit, qui clignotent à vous en donner mal à la tête. Il semblerait que le maire de la ville ne soit que très peu concerné par l’écologie… 

Et puis, c’est quoi cette lubie de mettre du rouge et du vert de partout ? C’est comme si, d’un seul coup, le monde entier décidait d’honorer le drapeau du Portugal. Avec la petite touche de doré, vous y êtes. Je n’ai absolument rien contre les Portugais, je garde un excellent souvenir de mon séjour à Lisbonne lors de mon road-trip en Europe. Cela remonte à quelques années maintenant, mais s’il y a bien une chose qui n’a pas changé, c’est bien la couleur de leur drapeau et la qualité de leur pasteis de nata1 que mon amie Alma m’envoie tous les ans. Je continue à blâmer la gastronomie européenne pour la paire de fesses que je me suis forgée durant les deux mois qu’a duré mon voyage.  

De plus, s’il y a bien une chose que je déteste encore plus que Noël, c’est de parler de mon imposant arrière-train. Moi qui pensais avoir un corps à la Kim Kardashian, je me suis bien fourvoyée. Gros, adipeux et empâté. Voilà les trois magnifiques adjectifs que mon, ô combien gentil et sympathique ex-petit ami, a utilisé pour qualifier cette partie de mon corps, dont j’étais tant fière il y a encore trois jours. Il me semblait pourtant qu’il les appréciait bien durant notre relation. Mais j’ai finalement compris que ce qui l’attirait le plus chez moi, c’était mon père. 

Enfin… mon père, pas au sens sexuel de la chose ! Non, ce qui l’attirait chez Mitchell Wheeler (plus que sa fille), c’est la place qu’il occupe au sein de Wheeler & Macht. Mitchell Wheeler, Wheeler & Macht… vous avez vite additionné deux plus deux et capté que mon père est l’un des associés principaux du plus grand cabinet d’avocats du pays. Le rêve pour un avocat de bas étage comme lui, qui n’a pas les capacités mentales pour intégrer une Ivy League2. C’est méchant de dire ça ? En même temps, ce n’est pas totalement faux. Dick a tenté plusieurs fois d’entrer à Harvard, Yale et Columbia, sans succès. Il a passé son diplôme de droit dans une université publique du Wisconsin et obtenu de justesse l’examen du barreau de l’État de New York. Au bout de trois tentatives, si la dernière n’avait pas été la bonne, jamais il n’aurait pu exercer. Ce qui veut dire que jamais je ne l’aurais rencontré, jamais je n’aurais eu le cœur brisé et jamais je n’aurais détesté à la fois Noël et mon popotin. 

À vrai dire, c’est faux. Je ne déteste pas Noël, au contraire. Cette année, je suis simplement d’une humeur de Grinch et celui que je déteste, c’est Dick Sanders. Zut, j’ai bien le droit de le maudire, non ? Dick m’a larguée par e-mail quinze jours avant Noël ! Il me l’a envoyé alors que j’étais à mon bureau, dans le même building et au même étage que le sien. Qui fait ça ? De surcroît, en utilisant la boîte professionnelle fournie par la société de mon père ? Si le message que j’ai reçu était froid et poli, ma réponse le fut moins. Après avoir pris connaissance de son désir de mettre fin à notre histoire tout en gardant des « relations amicales et cordiales pour le bien-être de tous au sein de Wheeler & Macht », j’étais dans un état de rage intense. Tout en gardant en mémoire que les échanges entre collaborateurs étaient surveillés par le service des Ressources humaines, je lui ai poliment répondu que je n’acceptais pas cette rupture et que j’exigeais des explications. 

Au lieu de s’excuser et de s’arrêter là, Monsieur a enchaîné via la messagerie instantanée de la société et m’a accusée « d’en faire des tonnes, comme toujours ». Mon sang n’a fait qu’un tour et c’est ainsi que je me suis retrouvée dans son bureau à hurler qu’il pouvait se la carrer dans le fion, son amitié. Ce à quoi, cet idiot a répliqué « vu la taille, je n’aurais aucun mal à y trouver de la place ». Puis, il m’a balancé que c’était dommage, j’avais un visage plutôt joli, mais mon fessier gâchait tout et c’est là que les mots « gros, adipeux et empâté » ont été sortis. Je ne sais pas comment il a pu repartir avec sa tête encore sur les épaules ce jour-là. Dick devrait remercier l’assistante de mon père pour m’avoir sortie de force avant que je n’enfonce mes ongles pointus dans ses yeux. Au lieu de s’excuser de la manière pitoyable avec laquelle il venait de me quitter, il n’a rien trouvé de mieux que de me rabaisser en s’attaquant à mon physique. 

Décidément, Dick porte bien son prénom, ce mec est une vraie bite. De plus, avec son crâne blond se dégarnissant sur le dessus, il commence doucement à en prendre l’aspect physique. En y repensant, je me demande bien ce que j’ai pu lui trouver. Dick est un homme d’une banalité affligeante. Il n’est ni laid ni beau, disons qu’il est… passablement passable.  

Cette incartade n’est heureusement pas remontée aux oreilles de mon père, puisqu’il était en voyage d’affaires à Seattle. Mais Hunter Macht, son associé, a tout vu et tout entendu. Stationné dans le couloir, il signait des documents que la comptable lui montrait. Je n’ai pas loupé son œillade moqueuse. Honteuse de mon comportement, je suis passée devant lui, la tête basse, pressant le pas vers mon bureau. Avant que la porte ne se referme derrière moi, j’ai entendu son rire mélodieux et lorsqu’un collaborateur un peu trop curieux a demandé d’où venait ce chahut, je n’ai retenu que le sobriquet ridicule dont il venait de m’affubler : Sally la Furie. Génial. Comme si j’avais besoin que l’associé de mon père pense que je suis une folle hystérique. Je préférerais être Jolie Sally ou encore Sexy Sally. Pour les collaborateurs, mais encore plus pour lui.  

Car si mon père est un vieil avocat dans la soixantaine, préférant désormais les greens de golf aux tribunaux, ce n’est clairement pas son cas. Fils héritier de feu Byron Macht, Hunter lui a succédé le mois dernier. Son père et le mien se sont rencontrés lors de leur première année universitaire à Harvard et ont fondé ensemble ce cabinet. En trente ans, Wheeler & Macht est devenu la référence, quel que soit votre problème. Que vous soyez accusés de fraude fiscale ou encore de corruption, vous trouverez toujours un requin dans notre aquarium pour plaider en votre faveur. Tous les avocats embauchés ici, à l’exception de Dick, of course, sont des pointures dans leur spécialité. Et Hunter Macht excelle à défendre les femmes bafouées qui, lorsqu’elles surprennent leur richissime mari en train de sauter la petite stagiaire, accourent ici dans la minute. Comme si elles n’attendaient que ça : les plumer jusqu’au dernier cent, ne leur laissant ainsi que l’oxygène pour vivre. Met d’avis que le sourire qu’elles abordent en pénétrant dans le building n’est pas dû à la montagne de billets verts qu’elles vont empocher, mais plutôt à l’accueil « spécial » que l’avocat leur réserve. Il est de notoriété publique qu’Hunter Macht couche avec ses clientes pour « fêter » la victoire à la fin de chaque divorce. Et autant dire qu’avec toute la chirurgie plastique à laquelle elles ont recours, ses clientes de parfois 60 ans n’en paraissent pas plus de 40.  

Belles et élégantes dans leur robe à plus de 3 000 dollars, ces femmes sont minces et possèdent une silhouette sportive, ainsi qu’une peau aussi lisse que des fesses de bébé. Tout cela grâce à l’argent durement gagné par leurs époux. Bah oui… qui d’après vous paie les chefs à domicile qui leur préparent des salades vertes à base de pousses de soja ? Les coachs sportifs, les opérations, les crèmes La Prairie à 1 000 dollars minimum le pot, parce que dedans vous trouvez du caviar ? Quelle idée de s’étaler du caviar sur le visage, ce n’est ni plus ni moins que des œufs de poisson. Eurk !  

Ces dames de la haute ne font rien de leur journée, hormis utiliser les comptes en banque bien remplis de leurs maris. Elles flânent çà et là dans l’Upper East Side, apparaissant aux brunchs guindés du dimanche matin, ainsi qu’aux évènements caritatifs pour lesquels elles n’ont aucun intérêt, excepté celui de montrer le nouveau collier Cartier offert par Monsieur, suite à sa dernière incartade.  

Et quand elles en ont marre de jouer à la parfaite épouse, elles récoltent toutes les preuves nécessaires qui les transformeront en pauvres victimes et apitoieront les juges qui trancheront en leur faveur. Même si les magistrats retrouvent les époux adultères le week-end dans les Hamptons pour taper des balles, ils préfèrent éviter les crises hystériques de ces harpies aux griffes longues et acérées. Vous trouvez que j’ai un avis bien tranché et quelque peu aigri sur ces femmes, n’est-ce pas ? Eh bien, sachez que je parle en connaissance de cause. Ma mère, née Ellen Mary Watling, en est actuellement à son troisième mariage. Et si j’en crois le message qu’elle vient de m’envoyer, elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. En effet, elle me demande de lui prendre un rendez-vous « en urgence » avec Hunter Macht… 

 

 

Chapitre 1

 

Et dire que durant ces deux derniers jours, j’avais parfaitement réussi à éviter Hunter, et maintenant, voilà que j’avance en direction de son bureau. Tout ça pour mon immature de génitrice qui nous fait encore un de ses fameux coups de Calgon3. Pourquoi voudrait-elle un rendez-vous avec Hunter ? Je croyais qu’elle filait le parfait amour avec Beau, alias le Dr Crawley, le gynécologue-obstétricien le plus réputé de tout Manhattan. Ma mère et lui se sont rencontrés il y a cinq ans, quand elle est arrivée aux urgences en hurlant comme une vache qu’elle allait mourir. Non maman, tu n’étais pas en train de mourir, tu accouchais juste. À quarante ans, ma mère avait trouvé le moyen de tomber enceinte et de faire un déni de grossesse. La palme d’or de la femme la moins futée de tout l’Upper East Side lui revient sans conteste ! 

C’est donc dans la surprise et le choc le plus total que ma mère a donné naissance à une paire de jumeaux : Lucas et Nathan. Merci d’éviter toute référence à la série One Tree Hill45, je vous ai bien dit que ma mère n’était pas la chips la plus croustillante du paquet. Une nuit d’hiver, Ellen a donc poussé à s’en péter les cordes vocales et mon actuel beau-père a réceptionné deux poupons tout mignons et en parfaite santé. Plusieurs fois, je lui ai demandé s’il était sûr et certain qu’il n’y avait pas eu d’échanges à la maternité. Mais non, ces deux bouilles d’ange sont bien l’œuvre de ma mère et d’un inconnu. Parfois, elle raconte que c’est un astronaute russe, puis la fois suivante, qu’il s’agit d’un Marine en permission et quand elle a trop levé le coude, la vérité éclate : elle ne sait pas qui est le géniteur de ses enfants.  

Cela ne semblait pas poser de problème à Beau qui lui a demandé de l’épouser un mois après la naissance des garçons. Sans enfant et sous le charme de leurs risettes, il les a légalement adoptés, leur évitant ainsi les médisances de la haute société new-yorkaise. Pour cela, je lui en serai éternellement reconnaissante. Beau Crawley est un homme bien, rien à voir avec mon précédent beau-père qui n’était qu’un gros goujat empestant le parfum bon marché et le tabac froid. Je n’ai jamais compris ce que ma mère lui avait trouvé. Elle qui aimait les hommes séduisants et riches, son deuxième époux était tout l’inverse. Petit et gros, c’était un glandeur qui passait sa vie à parier sur les courses hippiques sans jamais rien gagner. Quand mon père a découvert que l’argent qu’il versait à son ex-femme servait à entretenir ce feignant, il s’est pointé avec des papiers de divorce et a forcé mon beau-père à les signer. Joignant à cela, un chèque d’une coquette somme, il lui a ordonné de quitter la ville et de ne jamais revenir. C’est ainsi que s’est terminé le deuxième mariage de ma mère. 

Mes parents, eux, se sont séparés alors que j’avais à peine 3 ans, mon père ne supportant plus le caractère enfantin et puéril de sa toute jeune épouse. Ma mère n’avait que 20 ans quand elle est tombée enceinte de moi tandis que mon père avait la trentaine bien entamée. Ma venue au monde n’était pas souhaitée, je suis le fruit d’une belle connerie de mon paternel, celle de forniquer sans protection avec la petite stagiaire préposée aux cafés. L’aventure entre les deux n’a duré que très peu de temps, mais il a suffi d’une seule fois pour que leur destin soit lié pour toujours. Homme vertueux malgré tout, mon père a fait de ma mère une honnête femme en lui passant la bague au doigt. Et malgré l’affection qu’ils avaient l’un pour l’autre, Mitchell Wheeler a préféré couper court à leur histoire avant de finir derrière des barreaux pour uxoricide5.  

La séparation s’est bien passée, certainement grâce au montant astronomique de la pension alimentaire qu’il lui versait. J’ai donc grandi sans manquer de rien. Ma mère a beau être frivole et pas très éclairée, elle n’est pas une mauvaise personne. Elle m’a couverte d’amour et aime profondément les jumeaux. Disons simplement qu’elle manque de jugeote et que cela peut parfois la pousser à prendre de mauvaises décisions. Comme maintenant. 

Elle a enfin daigné me donner la raison pour laquelle elle souhaite rencontrer Hunter : elle est persuadée que Beau la trompe avec la nouvelle infirmière de son service. Je pourrais essayer de la tempérer, de lui faire entendre raison, mais ce serait une perte d’énergie et de temps. Une fois qu’elle a une idée en tête, il est impossible de la déloger. Je vais donc lui prendre le rendez-vous qu’elle réclame et elle verra bien par la suite. Beau est raide dingue d’elle, je l’imagine mal donner des coups de canif dans leur vie pour une aventure sans lendemain. 

Arrivée devant la porte du bureau de Hunter, je m’accorde quelques secondes pour souffler. Rejetant mes cheveux auburn en arrière, je lisse ma jupe grise, m’éclaircis la gorge, puis frappe trois fois sur le battant en verre opaque. 

— Entrez ! 

Sans hésiter, j’actionne la poignée et pénètre dans la pièce. C’est la première fois que je viens ici. Travaillant en tant que juriste financière et lui en tant qu’avocat en droit des familles, il n’y a aucune raison pour que Hunter et moi soyons amenés à nous côtoyer. Nous nous sommes adressé la parole le jour de sa prise de fonction il y a un mois et depuis, plus rien. C’est comme si je n'existais pas. Enfin… sauf quand il s’agit de me donner un surnom stupide et peu flatteur !  

— Sally, que puis-je pour vous ? 

Assis derrière son immense bureau en verre, Hunter m’observe, un sourire agaçant aux lèvres. Cet homme ne pourrait-il pas, en plus d’être brillant, être laid ? Non. Il fallait que Dieu soit généreux avec lui lors de sa conception et lui fournisse l’attirail du parfait séducteur. Ses cheveux châtains sont coupés court et toujours parfaitement coiffés en arrière. Je ne sais pas quelle marque de gel il utilise, mais je n’ai jamais vu une seule mèche se rebiffer. Grand et athlétique, le visage anguleux et les yeux marron, Hunter incarne le summum de l’élégance en nous proposant tous les jours un défilé de costumes taillés sur mesure. Veste, pantalon, chemise et cravate sont les quatre indispensables contribuant à l’image classe et imposante de l’avocat. 

— Sally, vous m’avez entendu ?  

Quelle idiote ! Je suis restée plantée comme une potiche à l’entrée de son bureau sans rien dire. Je referme la porte derrière moi et parcours la distance jusqu’à un fauteuil, en prenant garde de ne pas m’étaler sur la moquette. Je m’assois, croise les jambes, puis les décroise immédiatement quand je constate que cela fait remonter ma jupe sur mes cuisses bien en chair.  

— Oui, pardon. Bonjour Hunter, vous allez bien ?  

— Très bien et vous-même ? Vous êtes-vous remise de vos émotions depuis la dernière fois que nous nous sommes vus ? 

La dernière fois remontant à ma crise de post-rupture avec Dick. Il était bien évident que cet épisode ne serait pas déjà oublié et Hunter paraît prendre un malin plaisir à me le rappeler. Les mains croisées et le visage goguenard, il attend que je lui réponde. S’il croit que je vais me laisser démonter, c’est bien mal me connaître. Je lui rends son sourire et lui réponds avec aplomb : 

— Oui.  

— Vous en êtes sûre ? Vous me paraissiez plutôt survoltée. 

— Certaine.  

— D’un côté, je ne peux que vous comprendre. Qui aimerait se faire quitter par e-mail ?  

La honte ! Hunter est au courant de ça. En même temps, qui est la folle qui hurlait comme un putois dans tout l’étage ? Les joues rougies d’embarras, j’essaie de garder bonne figure. 

— Je suis désolée que vous ayez dû assister à cette scène. D’habitude, je sais me contrôler. 

— Je n’en doute pas. Cependant, je dois vous avouer que je n’aurais jamais imaginé que ce serait Dick Sanders qui mettrait fin à votre relation. 

— Pardon ? 

— Eh bien, oui. J’ai toujours pensé que vous étiez trop bien pour lui. Vous êtes une femme intelligente, Sally, diplômée en droit de Columbia. Vous avez l’esprit vif et il semblerait beaucoup de caractère. Chose dont notre cher ami Dick semble être dépourvu. 

— Dick n’est pas… 

— Vous n’allez pas le défendre tout de même ? 

Zut. C’est exactement ce que je m’apprêtais à faire, tellement habituée ces six derniers mois à prendre son parti pour tout et n’importe quoi.

— Je dois donc rajouter bienveillante et loyale à la longue liste de vos qualités. 

Je bloque quelques secondes sur ce qu’il vient de dire, puis le regarde, haussant un sourcil curieux. 

— Euh… vous avez fait une liste de mes qualités ?  

— Défaut : naïve. 

Il se moque de moi ? Je sens la colère commencer à poindre le bout de son nez. D’un ton sec, je poursuis : 

— Vous faites ça pour tous les employés du cabinet ? 

— De quoi ? 

— Noter leurs qualités et leurs défauts.  

Hunter éclate de rire. Il repousse son fauteuil, se lève et vient poser ses fesses fermes et musclées sur le bureau devant moi. Comment je sais qu’elles sont fermes et musclées ? Parce que je l’épie un peu trop souvent à la salle de sport de l’entreprise. Je sais également que ses biceps sont d’enfer et que ses cuisses sont puissantes comme celle d’un joueur de football américain. Peut-être a-t-il joué plus jeune ? Il a bien la carrure d’un quaterback. 

— Non Sally, je ne m’amuse pas à répertorier cela chez chacun de mes employés, seulement chez vous. 

Chez moi ? Pourquoi ? Serait-il possible que je lui… plaise ? Pourtant, je ne crois pas être son style de femme. À chaque fois que je le vois accompagné, c’est avec une bimbo siliconée et mince à son bras. Des blondes, des brunes, des rousses, des afro-américaines, des asiatiques, des ex pom-pom girls, des serveuses ou même des clientes fraîchement divorcées. Hunter Macht ne semble pas avoir de style prédéfini, excepté que toutes ont le même point commun : être aussi fines que les mannequins Victoria Secret’s. 

Ce qui est tout l’inverse de moi. Je peine à gagner le mètre soixante, alors que mon fessier lui a vite atteint la taille 14. Sans parler de mon impressionnant 38D qui menace très souvent de faire exploser les chemisiers trop serrés que ma mère continue de m’offrir à chaque anniversaire. Quand comprendra-t-elle que je ne fais pas du 66 ? Je suis grosse, Dick me l’a assez bien fait comprendre en me quittant.  

Alors le simple fait que Hunter Macht s’intéresse à moi me rend toute chose. Peut-être pourrais-je l’inviter à aller boire un verre un de ces soirs ? Ou alors, un nouveau bar à tapas vient d’ouvrir dans le quartier de Soho. J’ai vu qu’ils servaient des spécialités portugaises et je meurs d’envie d’aller goûter leur rissois7 ainsi que leur charcuterie traditionnelle. 

Glissant une mèche rebelle derrière mon oreille, je joue à l’ingénue afin d’obtenir plus d’informations. 

— Chez moi ?  

— Bien sûr. J’ai pris la succession de mon père et vous êtes la seule enfant de Mitchell. Il me semble important qu’entre héritiers nous apprenions à mieux nous connaître. Nous serons rapidement amenés à travailler ensemble, Sally. 

Entre héritiers ? Alors c’est la seule et unique raison pour laquelle il s’intéresse à moi ? Les affaires. Rien de plus, rien de moins. Hunter s’assure simplement que sa future partenaire professionnelle ne soit pas une sociopathe évadée de l’asile ou que sais-je encore.  Vexée, je me redresse et pose mes mains sur mes jambes, tâchant de ne pas faire de trous dans la dernière paire de collants qu’il me reste. J’enfonce mes ongles dans mes paumes et lui souris : 

— Quelle prévoyance de votre part. J’avoue ne pas y avoir songé. 

— Vous semblez tendue. Vous aurais-je froissée ? 

À peine. Moi qui m’imaginais déjà être sa cavalière pour la réception de Noël qu’organise le cabinet tous les ans. Au printemps, joli mariage dans Central Park suivi d’une réception au Waldorf-Astoria. L’été, nous serions partis en lune de miel sur une île paradisiaque (Aruba me semble parfaite comme destination). Nous aurions passé un automne tranquille pour finalement annoncer au réveillon de la Saint-Sylvestre que nous allions être parents pour cette nouvelle année. Oui. Décidément, mon esprit s’est quelque peu emballé avant de finir sa course dans un mur en béton, me ramenant ainsi à la dure réalité de la vie. Jamais un homme comme Hunter Macht ne pourra être attiré par une femme comme moi. Rentre-toi bien ça dans le crâne une bonne fois pour toutes, Sally ! 

— Du tout. Je suis juste fatiguée, vous savez… les fêtes de fin d’année. Et puis nous avons un gros dossier en préparation. 

— L’affaire Pixley, j’en ai entendu parler. Qui est dessus ? 

— Pour l’instant personne. Mon père n’a pas encore assigné le dossier. J’aurais aimé que cela puisse attendre début janvier, mais il semblerait que la partie adverse ait demandé une audience anticipée. 

— Cela vous promet de sacrées soirées en perspective. De mon côté, j’ai plutôt de la chance. En fin d’année, très peu de couples se séparent. Ils attendent tous le retour des vacances pour cela. 

— Oh ! Cela me fait penser. Si je suis venue, c’est pour ma mère. Elle souhaiterait un rendez-vous de toute urgence. 

— Votre mère ? Pourquoi ne va-t-elle pas demander conseil auprès de Mitchell ? 

— Je l’ignore. 

— Quel est son souci ? 

— Elle s’est mise en tête que mon beau-père la trompe, mais je vous avouerai ne pas trop y croire. 

— Et pourquoi donc ? 

— Beau n’est pas le genre d’homme à tromper sa femme. Il est médecin et… 

— Et parce qu’il est médecin il n’est pas capable d’aller coucher ailleurs ? 

— Ce n’est pas ce que j’ai dit. 

— Mais c'est ce que vous avez insinué. 

— Vous allez me laisser terminer ? 

— Excusez-moi, poursuivez. 

— Comme je le disais, je ne pense pas que Beau lui soit infidèle. Il les aime les jumeaux et elle, il ne prendrait pas le risque de tout perdre pour aller courir les infirmières. 

— Ça, c’est votre opinion. Si votre mère le soupçonne de tromperie, c’est qu’elle doit avoir ses raisons, non ? 

Il m’agace prodigieusement. 

— Peut-être.  

— Ce « peut-être » vous écorche la bouche ! 

— Vous allez la recevoir ou pas ? 

— Dites-lui de passer me voir demain à 10 heures.  

— Merci. 

Je me lève et me dirige vers la porte, avant de subitement me retourner. 

— Oh, et si l’idée vous venait d’offrir un « traitement de faveur » à ma mère, je vous serai grée de vous abstenir. 

— J'ignore à quoi vous faites allusion, Sally. 

— Ne jouez pas à l’innocent avec moi. L’ensemble du cabinet, vous et moi-même savons quels types de liens vous pouvez entretenir avec ces femmes. Vous n’êtes pas connu pour votre éthique irréprochable concernant vos clientes. 

— À ces moments-là, elles ne sont plus mes clientes. 

— Cela ne me regarde pas. Je vous préviens juste de rester loin de ma mère.

— Vous ne me voulez pas comme beau-père ? 

— Pas spécialement.  

— Quel dommage !  

— Vous m’avez bien comprise ? 

— Affirmatif, Mademoiselle Wheeler ! On ne touche pas. 

Prenant la direction de la sortie, je l’entends se justifier dans mon dos. 

— Vous savez, la plupart de ces femmes ne recherchent qu’un peu de compagnie et le besoin de se sentir belle et désirable. Une fois qu’elles et moi avons eu ce que nous voulions, c’est moi qui suis jeté comme un vieil emballage de Butterfinger8. Je suis leur friandise de consolation, elles m’utilisent plus que je ne les utilise. 

La main sur la poignée, je lui réponds sèchement avant de quitter définitivement la pièce. 

— Si ça vous permet de mieux dormir la nuit de croire ça…  

Chapitre 2

 

 

En rentrant chez moi, je suis passée chez le traiteur chinois en bas de la rue. J’avais absolument besoin d’un lo mein9au bœuf pour me remonter le moral ce soir. Je n’y peux rien si je trouve du réconfort dans la nourriture. Quand ils vont mal, certains sortent faire la fête, d’autres vont faire du sport ou que sais-je. Moi, je passe voir Monsieur et Madame Wang qui se font toujours un plaisir de me servir. Ils sont très gentils et bienveillants, me le prouvant une énième fois lorsqu’en déballant mon repas, j’ai eu la surprise de trouver, cachés au fond du sac, un fortune cookie. Vous savez, ces petits biscuits pâteux qui n’ont aucun goût et dont l’unique but est de nous divertir avec une prédiction qui ne se réalisera jamais. C’est là une délicate attention de leur part, même si j’aurais préféré une portion supplémentaire de nouilles. 

Ma paire de baguettes en mains, je m’avachis sur mon canapé et attrape la télécommande pour lancer un film. Mon humeur des derniers jours m’a porté à regarder en boucle Le journal de Bridget Jones. Pour la troisième soirée d’affilée, je plains mes voisins, un petit couple de septuagénaires, qui vont devoir supporter mon interprétation d’All by myself. Mais je m’en fiche, je subis bien les aboiements intempestifs de leur Spitz nain à point d’heure, alors ils feront avec. Emmitouflée sous un plaid aussi beau que cher que ma mère m’a offert à Noël dernier, je commence la dégustation de mon plat, directement dans la boîte en carton.  

N’empêche… qu’est-ce que j’ai pu être bête de croire qu’un homme comme Hunter Macht s’intéressait à moi ! Parfois, il faut savoir être réaliste et je ne me fais aucune illusion quant à mon physique. J’ai peut-être une crinière de feu, mais c’est bien la seule chose qui enflammerait cet Apollon. Quoi que non… je ne dois pas être si dépréciative. J’ai de très beaux yeux verts en amande et d’après Joe, le SDF du métro, un « boule qui chamboule ». Il en a même fait une chanson qu’il interprète aux usagers quotidiens, intitulée La rouquine coquine. Sympa, n’est-ce pas ? Qui peut se vanter qu’un artiste lui a dédié son plus grand succès ? Personne, sauf Sally Wheeler ! 

Cette mélodie était d’ailleurs un sujet de raillerie quotidienne de la part de Dick. Celui-ci trouvait drôle qu’un homme veuille chanter les louanges d’une femme comme moi. Jusqu’à il y a deux jours, je n’avais pas compris ce qu’il voulait dire par-là et n’avais pas eu le courage de lui demander. Mais maintenant que je connais son aversion pour mon corps rondelet, je suis arrivée à la conclusion qu’il parlait de mon poids.  

Comment a-t-il pu rester avec moi six mois, si je le rebutais à ce point ? Je suis désolée, mais moi j’ai une sainte horreur des hommes à moustache. Il m’est impossible de passer ne serait-ce qu’une soirée en leur compagnie, alors six mois... Les moustaches me font peur, j’ai toujours la hantise qu’un morceau de nourriture se coince dans leurs poils et finisse par être projeté sur mon visage, en même temps qu’un postillon. Rigolez-pas, ça m’est arrivé étant petite et depuis, je me méfie des moustachus. Partant du postulat que Dick n’aime pas les femmes rondes, la question se pose de comment a-t-il fait quand nous faisions l’amour ? J’avais bien remarqué qu’il fermait les yeux, mais je pensais que c’était plus une manie ou un tic.  En fait, il devait certainement imaginer une autre femme dans ses bras. Classe. Quelle idiote ai-je été ! Tous les éléments étaient là, et moi aveuglée par l’amour, je n’ai rien vu. 

Et maintenant que je réfléchis à notre relation, je ne suis pas certaine d’avoir vraiment été amoureuse de lui. Déjà d’un point de vue physique, je préfère les grands bruns et Dick était de taille moyenne avec les cheveux blonds. Il avait de toutes petites mains alors que j’apprécie de belles mains fortes et viriles. Je salive devant des cuisses bien fermes et bien musclées, celles de Dick était comparables à celles d’un poulet sous-alimenté. Rien à voir avec celles de Hunter ! Je l’ai vu sur un tapis de course, vêtu d’un short et d’un débardeur de sport… Mon Dieu ! Cet homme est sculpturalement ca-non !  

Dire qu’il y a de très fortes probabilités qu’il couche avec ma génitrice. Je ne me fais pas d’illusion concernant la promesse d’Hunter de ne pas la toucher. Ma mère est une très belle femme qui correspond tout à fait à son genre et lui est tellement sexy, qu’il ferait virer sa cuti à Henry Cavill. Impossible qu’elle résiste à son charme. J’espère simplement qu’ils sauront être discrets par rapport à mon père, mais aussi à moi. Voir ma mère embrasser l’homme sur lequel je fantasme n’apparaît pas sur ma liste de vœux pour la fin d’année ! 

Bridget et moi ne sommes pas encore arrivées à la moitié de la chanson, que mon téléphone nous interrompt. Agacée d’être ainsi dérangée dans mon auto-apitoiement, je mets le film sur pause, bien décidée à reprendre mon interprétation de Céline Dion plus tard. J’enfourne une énorme bouchée de nouilles sautées dans ma bouche et décroche :  

— Allô ? 

— Ne m’dis pas que tu regardes encore Bridget Jones ! 

La voix de mon amie Alma résonne à travers mon portable. M’étouffant à moitié, je lui réponds dans un toussotement :  

— P…pas du tout ! 

— Menteuse !  Ton lo mein est bon ? 

Alma me connait trop bien.  

— Oui. 

— Poulet ou crevettes ? 

— Bœuf. 

— Ah, tu as innové ! 

— J’avais besoin de changement. 

— Si tu pouvais aussi changer de DVD, ça serait bien. 

Gnagnagna… Alma déteste les personnes qui se laissent aller. À chaque rupture, elle rebondit sur ses pieds en deux-deux et, la semaine suivante, nous présente un homme encore plus beau et parfait que le précédent. Avec elle, le dicton « un de perdu, dix de retrouvés » s’applique à merveille. En même temps, Alma est magnifique. Qu’elle ait un catalogue d’hommes sexy et célibataires qui l’attendent n’est pas très étonnant. Brune aux yeux noisette, Alma est une Portugaise à l’humour vif et au caractère bien trempé. Propriétaire d’une pâtisserie traditionnelle en plein centre de Lisbonne, elle mène d’une main de fer ses employés, mais également les hommes qui partagent sa vie.  Actuellement célibataire par choix (oui, Alma Rodrigues est seule par choix alors que la quasi-totalité de la planète l’est par dépit ou malchance), elle se donne à 100% dans son travail. Son rêve étant de décrocher le titre ultime au festival culinaire organisé à Lisbonne, celui du « meilleur pastel de nata » de la ville. Il lui a échappé de peu l’an dernier, alors pour cette année, elle a décidé de mettre toutes les chances de son côté. Elle a viré son copain, prétextant qu’il n’était qu’un élément perturbateur à sa créativité et à son talent, puis s’est enfermée dans son laboratoire. Elle n’en sort que tirée par les oreilles par sa mère ou alors pour m’appeler et me souffler dans les bronches. Comme maintenant. 

— Tu ne peux pas continuer comme ça, Sally. 

— Ça ne fait que trois jours… 

— Justement ! Quand on tombe de cheval, on remonte de suite en selle. Tu devrais déjà être en train de chevaucher un bel étalon ! 

Facile à dire quand on est aussi séduisante qu’elle ! Elle ne sait pas ce que c’est que d’être dans mon corps. Je suis grosse, je l’avais toujours su, mais jusqu’à maintenant, cela ne me dérangeait pas. Je plaisais, peut-être pas à tous les hommes, mais à certains et ça me suffisait. Alma ne vit pas ce que je traverse actuellement. La honte de mes bourrelets, de ma poitrine qui commence à être trop serrée dans un 38D, de mon incapacité à mettre des bottes montantes car mes mollets sont trop larges et qu’ils ressemblent à des poteaux de rugby. Je pensais plaire à Dick, or ce n’était pas le cas. Il m’a utilisée pour trouver une place au cabinet et au lieu de me quitter gentiment, il n’a rien trouvé de mieux que de me rabaisser sur mon physique. C’est la première fois qu’un homme me lance tant de méchanceté au visage et je ne sais pas le gérer. 

— Un pachyderme ne fait pas d’équitation. 

— Un pach… attends, c’est toi que tu compares à un éléphant ? 

— Qui d’autre ?  

— Sally, tu n’es pas… 

— Grosse ? Si, je suis grosse. Et tu sais quoi ? D’après le site de Cosmo10et leur fameux calcul de l’IMC, je suis même « obèse ». 

— C’est n’importe quoi.  

Plus têtue que moi, donnez-moi Alma. 

— La dernière fois je cherchais un jean et je ne trouvais pas ma taille. Je suis allée demander à une vendeuse qui m’a indiqué le rayon Plus Size, lui avoué-je honteusement. 

— C’est une blague ? Tu fais quoi… un 38 ? 

— Non un 14, c’est un 44 chez toi, et ça dépend du vêtement. Mais tout ça pour te dire que j’ai basculé. Alors ne pense même pas à m’envoyer des pâtisseries pour Noël, je ne les mangerai pas. 

Je l’entends souffler au bout de la ligne, exaspérée par mon opiniâtreté à la contredire. 

— C’est l’industrie de la mode qui est stigmatisante, Sally. Tu as des formes, tu es bien en chair, mais tu n’es certainement pas grosse et encore moins obèse ! 

— Dick a dit… 

— Dick est un con, depuis quand tu écoutes les cons ? 

— Je… 

— Non ! Arrête de vouloir donner raison à cette tête de gland. Tu es belle et en plus de ça, tu es une femme forte et intelligente. Contrairement à certain, tu n’as pas obtenu ton poste en couchant avec le fils du patron ! 

— Je suis sa fille, je ne suis pas sûre que ce soit mieux. 

— Et c’est ton père qui a passé les examens de Colombia pour toi peut-être ?  

— Non. 

— Donc tu ne lui dois pas ta réussite. Tu ne la dois qu’à toi-même. Et puis le connaissant, si tu n’avais pas été à la hauteur, fille ou pas fille, il ne t’aurait pas embauchée. Vrai ou faux ? 

— Vrai. 

Jamais mon père ne prendrait le risque de ternir sa réputation et celle du cabinet en faisant du favoritisme avec son unique fille. J’ai déjà eu du mal à décrocher une entrevue à Dick, mon père étant réticent au fait qu’il soit mon petit ami. Mais il a finalement accepté de le recevoir et lui a donné un poste car, selon lui, il faut laisser une chance aux universités publiques de briller… Discours quelque peu condescendant, mais qui correspond tout à fait à l’idée que les diplômés de l’Ivy League ont de ceux sortant des plus petits instituts.  

— Cesse de te rabaisser. Dick n’était pas l’homme de ta vie et tout ce qu’il a bien pu te dire comme motif de rupture, c’est des conneries. Ce mec n’est pas Bradley Cooper, alors oser te critiquer sur ton physique, c’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité ! 

— Tu es méchante.  

— Non, réaliste.  

— J’étais heureuse avec lui. 

— Autant que peut l’être un chewing-gum collé sur une semelle de chaussure. Arrête d’être aussi bornée et ouvre les yeux ! Tu n’étais pas heureuse, dois-je te rappeler le nombre de fois où tu t’es plainte de lui et de son comportement ?  

— Non… 

Je m’en souviens très bien. Dick n’avait aucun geste d’affection pour moi en public. Alors que je rêvais de me promener main dans la main en plein Central Park, Dick marchait à deux mètres de moi. Un jour, un client m’a offert des billets pour le match des Knicks contre les Lakers au Madison Square Garden. Bien évidemment, je lui ai proposé de m’accompagner, ce qu’il s’est empressé d’accepter. Nous passions une excellente soirée, jusqu’au moment où la kiss cam11 s’est rivée sur nous et nous a affichés sur l’écran géant. Devinez qui a refusé de m’embrasser sous les yeux de tous les spectateurs ? Sous prétexte qu’il n’était pas à l’aise à l’idée de se donner ainsi en représentation et qu’il trouvait cette coutume ridicule ? Oh ! Et pour finir, qui a refusé de me présenter ses parents venus du Wisconsin pour le voir ? Toujours et encore Dick. 

— Merde alors… 

— Ça y est ? Ça percute dans ton joli cerveau ? se moque Alma. 

— Ce mec est un vrai connard !  

— Je te l’avais dit. On dirait que tu ne le réalises que maintenant. Pense à tout ce qui t’énervait chez lui, à tous ses défauts et à tous les moments où il t’a blessée. Tu verras, tu cesseras vite de pleurer pour lui. 

Tous ses défauts ? Je n’aurais pas assez d’un appel avec Alma pour les répertorier ! Dick est égocentré, tout doit tourner autour de lui et quand ce n’est pas le cas, il trouve toujours le moyen de ramener la conversation sur sa personne. Il est envieux et ne supporte pas la réussite des autres. Je l’ai déjà entendu critiquer un collaborateur juste parce que celui-ci avait gagné un procès plus important que celui sur lequel il travaillait. Avant de l’inviter à boire un verre pour fêter cette victoire, ajoutons donc à cela hypocrite et médisant. Orgueilleux, colérique, machiste, arriviste, manipulateur, intolérant… la liste est tellement longue qu’il me faudrait une feuille pour tout noter. 

Et puis, on en parle de toutes ses petites manies qui avaient le don de m'horripiler ? Il triait ses chaussettes par couleur, repassait ses sous-vêtements, se coupait les poils de nez au-dessus du lavabo et ne nettoyait jamais derrière lui. Il ne mangeait pas le rebord de la pizza et le gardait pour le tremper dans son café le lendemain matin. Sérieusement, qui fait ça ? Pizza-café ? Et ce n’était pas sa seule folie culinaire ! Dick plonge toujours ses frites dans un aliment sucré : confiture, pâte à tartiner au chocolat, beurre de cacahuète, soda et même dans le Fluff12! Je veux bien que les goûts de chacun diffèrent, mais là… il ne faut pas pousser.  

— Sally ? Tu es toujours là ? 

— Pardon, d’un coup, j’ai été ensevelie sous une vague de réalité bien salée et piquante. 

— Tu vas enfin arrêter de te morfondre pour ce type ? 

— Je n’aurais même jamais dû commencer. 

— Considère que Dick t’a fait une faveur en mettant fin à votre histoire. Sans ça, tu ne te serais jamais rendu compte du gros con qu’il était. 

Alma a raison, c’est un cadeau que Dick m’a fait en me larguant. Fini la honte au restaurant, fini les résidus nasaux sur mon lavabo en marbre blanc et fini l’horrible vision de son paquet bloblotant dans ses infâmes slips kangourou. Même si je suis désormais seule pour les fêtes, je dois voir le bon côté des choses. Une rupture, c’est un renouveau. Une gifle en pleine face qui permet de prendre un nouveau départ. Une rupture n’est pas une fin en soi. Non, c’est simplement un obstacle sur le chemin, une déviation sur la route de la vie. Un panneau clignotant qui vous indique que vous n’êtes pas sur la bonne voie et qu’il vous faut faire demi-tour. 

— Je ne sais pas si je dois te le dire, mais je l’ai espionné sur son compte Instagram. 

— Tu as quoi ?   

— Je voulais juste vérifier un truc. 

— Quel truc ? 

Alma se tait. Oula… quand Alma est silencieuse, c’est que ça cache forcément quelque chose. Soit son petit esprit maléfique fomente un plan diabolique, soit elle est mal à l’aise et craint la réaction de son interlocuteur. En l’occurrence, il se trouve que ce soir, c’est moi, l’interlocutrice en question. 

— Vas-y ! Balance ce que tu as à me dire qu’on en finisse. 

— Dick a mis une photo de lui en compagnie d’une femme qui l’embrasse. 

Euh… quoi ? 

 

Chapitre 3

 

 

— Sally ? 

J’entends la voix d’Alma, mais c’est comme si elle était à des milliers de kilomètres de moi. Enfin, géologiquement parlant, elle l’est, puisque 5 419 kilomètres séparent New York de Lisbonne. Un jour où je m’ennuyais, j’ai fait cette recherche sur Google et depuis, je connais la distance exacte entre nos deux villes. Enfin bref, le sujet n’est pas là. 

Dick a une nouvelle copine. L’ordure. 

— Je vais le… 

— Tu ne vas rien faire du tout, excepté passer à autre chose, m’interrompt Alma avant que je ne puisse le maudire sur les dix générations à venir. 

— Et comment ? Je n’ai pas une myriade d’admirateurs qui attendent à ma porte, moi ! 

— Je t’ai déjà parlé de mon cousin Pedro ? Celui qui est traducteur pour les Nations Unies. 

Il me semble, mais je n’en mettrais pas ma main à couper. À bien y réfléchir, ce prénom me dit quelque chose, mais connaissant mon amie, je préfère rester prudente et lui demande :  

— Pourquoi ? 

— Il a emménagé à New York il y a un mois et ne connaît personne. Je me suis dit que tu pourrais lui servir de guide.  

Le voilà le traquenard ! Le ton un peu plus mesquin, j’enquille :  

— De guide ou de plan-cul ? 

— Et pourquoi pas les deux ? me répond-elle du tac au tac. Ça ne te ferait pas de mal une aventure sexuelle pour la fin d’année et puis, qui sait, peut-être que cela pourrait déboucher sur plus. 

Je ne sais pas si je suis prête à rencontrer un nouvel homme. Bien sûr, ce jour va forcément arriver. Je ne compte pas rester tapie dans mon appartement de Manhattan pour le restant de ma vie, à manger des repas du traiteur chinois et regarder des films à l’eau de rose toute seule. Non, j’adopterai deux ou trois chats pour pimenter tout cela.  Blague à part, je songe surtout à fréquenter un petit peu plus assidûment la salle de sport et le marché aux légumes d’Union Square. Il paraît que le chou kale et la patate douce sont d’excellents alliés minceur, et si on les associe à une bonne portion de flocons d’avoine, on peut perdre facilement les kilos superflus. Et autant dire que moi, j’en ai une bonne quinzaine en trop ! 

— De toute façon, je lui ai déjà donné ton numéro. Pedro m’a dit qu’il te contacterait dans la semaine pour aller boire un coup. 

— Tu n’as pas fait ça ? 

— Si. 

C’est du Alma tout craché. J’adore comme je déteste son tempérament directif, surtout quand elle s'initie dans ma vie privée. Est-ce que moi je vais me mêler de ses relations ? Et Dieu sait qu’il y aurait à redire ! Contrariée, je finis mon plat de nouilles et grogne dans le combiné :  

— T’es franchement culottée… 

— Redis-moi ça quand tu auras baisé et que tu seras décoincée. 

Grognasse. 

— Et ne m’insulte pas dans ta tête, ça ne sert à rien. Je suis immunisée contre tes attaques mentales, Dark Vador. 

Oups. 

— Tu t’entends bien avec ton cousin ? 

— Oui, pourquoi ? 

— Tu l’as convaincu de sortir avec moi. Ça n’est franchement pas un cadeau que tu lui fais là. 

— Pedro est l’homme le plus gentil que je connaisse. Je suis certaine que vous allez très bien vous entendre tous les deux. Et puis tu n’as personne dans ton viseur en ce moment, n’est-ce pas ? 

Si, j’ai une cible, sauf qu’elle est inaccessible. Hors de portée pour une petite boulette comme moi et pire, il est très probable qu’il couche avec ma mère. Vaincue, je capitule. 

— D’accord, donnons sa chance à Pedro. 

Ce n’est pas comme si j’avais mieux sous la main. 

— Formidable ! Et au pire, tu goûteras une fois à la saucisse portugaise. 

— Qu’est-ce que tu me chantes là ? J’adore votre charcuterie, c’est même toi qui me l’as fait découvrir. 

— Je te parle de sa bite, pas d’alheira ni de farinheira13. 

Mais non ! Je repose ma boîte en carton sur la table basse et rouspète :  

— Tu m’as coupé l’appétit. 

— Rhooo, tu n’es pas aussi coincée d’habitude. Un peu plus et tu ressemblerais presque à Pélopia.  

Pélopia est notre amie française, nous l’avons rencontrée à Rome, après avoir embarqué Alma dans mon périple européen. Pélopia accompagnait un groupe d’enfants de l’aumônerie de son village lors d’un voyage au Vatican. Issue d’une famille subsistante de la noblesse française, elle a reçu une éducation catholique très stricte et aux valeurs patriotiques très ancrées. Française pure souche, elle en est fière, tout comme elle l’est de s’appeler Pélopia Marie Joséphine Alix de Beaumont. Rien que ça. Quand elle s’est présentée pour la première fois avec ses airs guindés de comtesse, j’ai bien cru qu’elle se moquait de nous. Mais non, Pélopia parle de cette façon à tout le monde. Elle ne prononce jamais un mot plus haut que l’autre, sa voix est douce et posée et quand elle doit envoyer paître quelqu’un, elle le fait, mais avec classe.  

Pélopia est un extra-terrestre pour Alma et moi. Pourtant, malgré ses différences, malgré le fait que nous ne venions pas du même monde et que, parfois, nous ne la comprenions pas, nous l’aimons. Avec son ton pète-sec et moralisateur, je sais que je peux compter sur elle. Elle travaille pour une galerie d’arts à Paris et voyage à travers le monde. Accaparée par son travail, il nous est difficile d’arriver à la joindre pour une vidéo à trois. Souvent, je rêve que nous nous retrouvons toutes les trois sur un canapé, un verre de vin rouge à la main et un plateau de fromages pour tout repas. Nous ririons, papoterions pendant des heures, débâterions sur le fait qu’il est révolu à notre époque de vouvoyer ses parents et que de nos jours, qu’il est important pour eux de parler de sexe à leurs enfants. Bref, nous referions le monde. 

— En parlant d’elle, tu as de ses nouvelles ? me demande Alma. Je l’ai appelée il y a deux jours et elle ne m’a pas répondu. 

— Je l’ai eu la semaine dernière au téléphone. Elle est surchargée de travail avec les fêtes de fin d’année. 

— Elle ne sait pas pour Dick et toi ? 

— Si, je lui ai envoyé un message. 

— Et que t’a-t-elle dit ? 

— Que ce n’était pas une grande perte. Tu connais son avis sur les hommes avec lesquels nous sortons. 

— Excusez-nous Mademoiselle la Comtesse, d’oser côtoyer des gueux ! 

J’éclate de rire à l’imitation guindée et prout-prout qu’Alma fait de Pélopia. 

— Tu sais bien qu’elle n’a pas de titre, voyons !  

— Ça ne l’empêche pas de se comporter comme telle. 

J’avoue que Pélopia peut parfois être hautaine avec ce qu’elle appelle « le petit peuple ». Cependant je ne suis pas certaine qu’elle s’en rende compte. Elle a été élevée ainsi et quand vous l’entendez parler avec ses parents ou ses amis, tous ont la même intonation, mais aussi le même registre de langue. La plupart du temps, j’ai besoin d’un bon dictionnaire de français pour comprendre les mots qui sortent de sa bouche. 

— Selon elle, la façon dont Dick m’a quittée prouve bien qu’il n’est qu’un pleutre. 

— Une vraie omelette le gars. 

— Pourquoi tu me parles d'omelette ? 

— Tu viens de me dire que Pélopia l’a traité de pleurote, ça me fait penser à une omelette aux champignons. 

— De pleutre ! Pas de pleurote !  

— Ah ! Je me disais bien aussi. Mais du coup, ça veut dire quoi ?  

Ça me rassure qu’Alma non plus ne connaisse pas ce mot.  

— Google dit que ça veut dire lâche. 

— Oui, bah une poule mouillée. Une poule, ça pond quoi ? Des œufs. Et avec les œufs, on fait quoi ? Des omelettes. Ce mec est une omelette, la boucle est bouclée.