Baphomet - Charles O'Rorke - E-Book

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Charles O'Rorke

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Beschreibung

Ex agent secret converti en moine, Philppe Barlier se retrouve malgré lui impliqué dans une affaire de meurtre et... une chasse au trésor !

Philippe Barlier, ancien agent secret a décidé de changer de vie pour se faire moine.
Lorsqu’un haut responsable du Vatican lui demande d’enquêter sur le meurtre d’un prêtre, il accepte à contrecoeur.
Il est loin de se douter que cette affaire l’entraînera aux confins du Moyen Orient, aux côtés de Maryam Fakih, une jeune archéologue américaine, dans une périlleuse course au trésor, à la recherche d’une relique millénaire.

Un roman d'aventure palpitant qui séduira le lecteur de par son action, ses mystères et rebondissements !

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Charles O’RORKE

BAPHOMET

Roman

PREMIÈRE PARTIE France

Chapitre1

La brume s’accrochait au sol, en cette belle matinée de printemps. Il n’était que huit heures, et déjà le frère Philippe, qui n’était en fait que novice, puisqu’il ne devait prononcer ses vœux que six mois plus tard, plantait les haricots dans le potager de l’abbaye. Sous sa robe de bure grise, on devinait un homme entre deux âges, bien charpenté. Le travail physique lui convenait et, tout particulièrement, le jardinage. Il communiait, ce faisant, avec le reste du monde, reproduisant les gestes ancestraux que les hommes effectuent depuis le néolithique pour se nourrir et nourrir leur prochain, et puis l’effort physique au grand air apaisait son esprit, tenant à l’écart les démons qui le hantaient, ou, en langage profane, éloignait les souvenirs traumatisants. Philippe songea qu’il était en train, progressivement, de changer de vocabulaire.

Le frère Jean-Marc, maître des novices, en arrivant précipitamment.

–Philippe, le Père Abbé vous demande. Tout de suite.

Le moine prit le temps de se laver les mains avant de gagner le bureau de l’abbé, conjecturant sur la raison de cette entrevue ; dans la vie monastique, rythmée par le travail, les offices et les repas, l’urgence est incongrue.

Le supérieur du monastère était assis derrière son bureau, un meuble de bois tout simple, dans une petite pièce aux murs de pierre blanchis à la chaux, ornée seulement d’un crucifix. En face de lui, sur une chaise simple mais rembourrée, se tenait un ecclésiastique tout de noir vêtu : un jésuite, de toute évidence. Petit et replet, le crâne dégarni, il portait des lunettes à monture métallique. Les deux hommes se levèrent pour saluer Philippe.

–Le Père Domenico travaille au Secrétariat d’État du Vatican. Il nous est spécialement envoyé par le Cardinal Sponzo.

–Sponzo ? Le secrétaire d’État du Vatican ! Le bras droit du pape en quelque sorte ! s’inquiéta le moine. Il s’inclina.

–Prenez une chaise, je vous en prie, ajouta l’abbé.

–Nous avons une mission pour vous, Philippe.

Intrigué et inquiet, ce dernier s’assit sur la chaise vide qu’on lui désigna.

–Voilà, poursuivit le Père Domenico dans un bon français, teinté d’un fort accent italien. Le Père Agnelli, l’un des responsables des archives secrètes du Vatican a été retrouvé à Paris, tué par balle. Nous désirons que vous preniez contact avec la police française, que vous vous chargiez de l’affaire et que vous récupériez la clé USB qui se trouvait sur le cadavre en faisant en sorte que son contenu ne soit pas diffusé.

Le novice devint blême.

–Pourquoi moi ? balbutia-t-il, alors même qu’il connaissait déjà la réponse.

–Votre passé vous désigne tout naturellement pour cette tâche. Vous étiez membre des services secrets français, vous connaissez donc la langue et les rouages de la police de votre pays et êtes capable de mener une enquête.

Philippe était consterné.

–Je ne veux plus faire ce boulot. Je vis au monastère depuis dix-huit mois et je me prépare à rentrer dans les ordres pour oublier mon ancienne vie. Je refuse.

L’abbé prit la parole, d’une voix douce.

–Mon fils, nous comprenons votre problème. Cependant l’affaire est d’importance. Le père Agnelli avait de hautes responsabilités, les archives du Vatican contiennent bien des informations qu’il ne serait pas bon de rendre publiques. Nous ignorons si le meurtre est lié à l’un de ces secrets mais quand le Père Domenico m’a demandé mon accord et je n’ai pas pu le lui refuser.

–Dites-vous que vous œuvrez pour le bien de l’Église, renchérit l’Italien.

–Et vous avez fait vœu d’obéissance, Philippe. Vous ne pouvez vous dérober.

–Je n’ai pas encore prononcé mesvœux,

–Mais c’est l’affaire de quelques mois, seulement, fit remarquer le père Domenico d’un ton patelin.

–C’estvrai.

–Alors, nous vous demandons simplement de devancer l’appel de Dieu et de respecter, par avance, votre vœu d’obéissance, reprit le Jésuite.

Les trois hommes restèrent un moment silencieux. Philippe ferma les yeux un instant, sentant le regard des deux ecclésiastiques peser sur lui. Il avala sa salive puis fit un signe d’assentiment.

–Je vous laisse avec le Père Domenico qui vous expliquera de quoi il en retourne.

Le novice soupira. L’envoyé du Vatican lui exposa l’essentiel de la mission, qui ne semblait guère difficile, au demeurant : il devait récupérer la clé USB qu’on avait trouvée sur le Père Agnelli, puis participer à l’enquête, aux côtés de la police française.

–Et vous ignorez ce qu’il y a sur cetteclé ?

–Oui.

–Cependant, vous pensez que c’est pour cela qu’on l’atué.

–C’est fort possible, en effet. Nous souhaitons que vous découvriez la raison de ce meurtre.

–La police française peut s’en charger seule.

–Le père Agnelli avait accès aux archives les plus secrètes du Vatican. Nous ignorons ce qui figure sur la clé donc nous ne souhaitons pas que les documents soient diffusés. C’est vous qui mènerez l’enquête pour le compte de l’État papal.

–Et vous croyez peut-être que ça va se passer comme ça, que la police française va accepter ? fit Philippe, dans une ultime tentative de dérobade.

–Ne sous-estimez pas la puissance de Dieu, mon fils… ni celle de son Église, sourit le Père Domenico. Vous vous rendrez au ministère de l’intérieur français et remettrez cette lettre au ministre, ajouta le Jésuite en tendant une enveloppe.

–Et quand dois-je partir ? s’enquit Philippe d’un ton résigné.

–Immédiatement. Je vous conduis en voiture jusqu’à l’aéroport où un avion nous attend.

–On frappa à la porte. L’abbé apparut, une valise à lamain.

–Voici les vêtements civils avec lesquels vous êtes arrivés cheznous.

–Parfait, allons-y, décida l’envoyé du Vatican. Vous vous changerez dans l’avion.

–Bon courage, le Seigneur vous met à l’épreuve, nous prierons pour vous, mon fils, murmura l’abbé en donnant l’accolade à Philippe.

Un taxi attendait les deux hommes qui prirent place à l’arrière du véhicule. À l’aéroport, ils montèrent dans un avion privé, prêt à décoller.

–Eh bien, vous y mettez les moyens !

–Le meurtre s’est produit dans la nuit. Sitôt que nous l’avons appris, nous avons pris des dispositions. J’ai été envoyé ici à bord de l’un de nos avions. Tenez, voici pour vous, répondit le Père Domenico, en tendant à Philippe une pochette decuir.

Le moine l’ouvrit. Elle contenait un passeport diplomatique du Vatican, une lettre de recommandation enjoignant à tous les ecclésiastiques d’assister le frère Philippe, un smartphone et un ordinateur sécurisés ainsi qu’une carte bleue.

–Il y a trois mille Euros sur le compte. Vous allez faire vœu de pauvreté, mon frère, nous vous recommandons d’utiliser cet argent avec discernement.

Philippe regarda longuement le prêtre, tentant de sonder son esprit, mais il ne put discerner sur son visage aucun signe d’ironie ou d’un humour quelconque. Il lança.

–Je suppose que vous vous rendez compte que vous m’exposez dangereusement à la tentation.

–Vous ne voleriez pas l’Église, n’est-cepas ?

–Non. Je pensais au vin, au whisky, aux femmes que je vais croiser, car je n’ai pas encore fait vœu de chasteté non plus… Il faudra peut-être également que je mente de temps en temps.

–Je me doute que cela va être une épreuve très dure pour vous. Cependant, vous agissez pour le bien de l’Église, vos péchés ne pourront qu’être pardonnés.

–C’est la moindre des choses, songea Philippe pour qui cette assurance ne représentait qu’un maigre réconfort.

–À condition que vous ayez fait tous les efforts possibles pour essayer de résister aux tentations et que vous vous repentiez sincèrement à votre retour, cela va sansdire.

–Donc, la première chose que je dois faire est de rencontrer le ministre de l’intérieur et de lui remettre cette lettre ! Vous êtes sûr qu’il acceptera de me recevoir ?

–Je le pense, oui. Il est membre de l’Opus Dei. À propos, j’allais oublier quelque chose. J’ai mis un numéro en mémoire sur le portable et je l’ai recopié sur un papier en cas de perte. Vous pourrez me joindre jour et nuit. Et rappelez-vous : vous ne rendrez de comptes qu’àmoi.

Philippe n’était pas spécialement surpris d’un accord, plus ou moins occulte entre un ministre de la république et une théocratie. Il avait travaillé suffisamment longtemps dans le secret des coulisses du grand théâtre des relations internationales pour savoir à quoi s’en tenir concernant les relations entre États.

***

L’appareil se posa sur une piste secondaire d’Orly. Philippe descendit. Il s’était changé et portait maintenant une tenue décontractée : pantalon de coton ample, polo façon tennis, blouson.

Il avait trouvé étrange, le fait de remettre des vêtements civils. Le serpent qui change de peau éprouve-t-il la même sensation ? Non, décida le moine, le serpent ne réenfile jamais son anciennepeau.

Il y avait à peine dix-huit mois que Philippe était entré à l’abbaye de Solesme comme novice mais, lorsqu’il descendit de l’avion et se retrouva dans la cohue du terminal de débarquement, agressé par le bruit et les lumières, il éprouva une sorte de vertige, de déséquilibre plutôt, un peu comme un homme qui regagne la terre après un long voyage en mer. À cela prêt, songea-t-il, que c’est au monastère que la vie est stable, simple, rythmée par les offices et le travail, dans un cadre harmonieux, fait de verdure et de murs séculaires et rassurants tandis que, pour le marin, l’instabilité provient de l’océan.

Philippe prit un taxi pour se rendre au ministère de l’intérieur, agressé par l’odeur et le bruit des rues de Paris. Il y avait huit mois que le novice n’avait pas quitté l’abbaye, située en pleine nature, où le silence était de règle. Il présenta ses papiers au policier de garde devant la superbe grille de l’hôtel parisien du dix-huitième siècle. Il devait être attendu puisqu’il fut admis, après vérification de son identité, dans une première salle d’attente non sans avoir franchi un portail de détection. Au bout de quelques minutes seulement, un huissier le conduisit jusqu’à l’antichambre richement meublée où doivent patienter les visiteurs. Enfin, il fut reçu par le ministre lui-même, dans le salon réservé à cet effet, rutilant des ors de la République. Le décor baroque, précieux, surchargé, l’incommoda presque autant que le bruit de la capitale. Il eut donné cher pour retourner sans délai à la simplicité de la vie monastique.

–Monsieur Barlier, enchanté de faire votre connaissance, commença le ministre en tendant une main ferme. Quel dommage que vous ne fassiez plus partie de nos services !

Naturellement, le Ministre avait diligenté des recherches, et n’ignorait rien de la carrière de son interlocuteur.

–Monsieur le Ministre, je n’ai jamais fait partie de vos services, je travaillais pour les renseignements extérieurs, comme vous le savez certainement.

–Vous dépendiez de la défense, certes, mais l’intérieur et l’extérieur sont les deux faces de la même pièce.

–Quoiqu’il en soit, c’est du passé.

–Vos états de service sont brillants. Vous avez démissionné suite à une malheureuse affaire cependant nous serions ravis d’étudier votre candidature.

–Merci, monsieur le Ministre. Pour moi, c’est terminé. Je rentre dans les ordres. Je prononce mes vœux dans sixmois.

–Il n’empêche que vous êtes là, pour cette affaire de meurtre.

–Vous avez pris connaissance du courrier. Je souhaite rencontrer, aujourd’hui même, les policiers chargés de l’enquête, poursuivit Philippe.

–J’ai fait le nécessaire. Nous n’en sommes, qu’à l’enquête préliminaire. Vous vous rendrez au 36, quai des orfèvres. Voici une lettre d’accréditation. Faites attention, les policiers n’apprécieront pas que vous sous immisciez dans leur cette affaire.

–Je m’en doute.

–Bonne chance, monsieur Barlier.

–Au revoir, monsieur le Ministre.

Philippe échangea une solide poignée de main avec son interlocuteur, quitta le ministère et se rendit à pied jusqu’au siège de la brigade criminelle, au quai des Orfèvres, longeant les quais de la Seine, un trajet agréable par cette belle journée d’avril. Le fleuve, les immeubles parisiens et la tour Eiffel, ne suffirent pas à apaiser tout à fait l’angoisse du moine. Il alla manger un morceau dans une brasserie, à proximité du commissariat, s’asseyant au fond, dos au mur, à un endroit discret d’où il pouvait voir la salle. Il dit le bénédicité in peto. Durant le repas, il garda les yeux sur son assiette, s’efforçant de se concentrer sur sa mission. Il prépara mentalement sa discussion avec les flics. Comme le ministre l’en avait averti, ceux-ci n’apprécieraient certainement pas l’irruption d’un étranger dans leur enquête et moins encore, le fait de devoir lui remettre l’une des pièces à conviction. Il allait falloir faire preuve de tact et de fermeté, replonger dans des relations conflictuelles.

Le moine soupira puis récapitula les questions à poser. Il devait paraître compétent s’il voulait être crédible vis-à-vis des enquêteurs. Il dit les grâces en silence.

Une fois son café terminé, il alla payer au comptoir et sortit, puis gagna, morose, le trente-six quai des Orfèvres.

***

Le moine déclina son identité au policier de garde et demanda à rencontrer le directeur de la brigade criminelle.

Le fonctionnaire ouvrit des yeux ronds.

–Ce n’est pas possible sans rendez-vous, monsieur.

Philippe soupira et exhiba la lettre du ministre.

–Voyez ce papier, il m’autorise à suivre l’une de vos enquêtes en cours, je souhaite voir le directeur ou, à défaut, l’officier en charge de l’enquête.

Le moine s’exprimait d’un ton égal mais le policier à l’accueil n’en sembla impressionné.

–Un instant, monsieur, je vaisvoir.

Il sortit et revint au bout de quelques minutes.

–Voilà, le directeur arrive, monsieur.

Philippe constata, non sans satisfaction, que le ton de l’homme avait changé.

Le directeur de la brigade criminelle était un homme corpulent aux cheveux clairsemés et grisonnants. Il était visiblement mécontent.

–Monsieur, fit-il d’un ton sec, en guise de salut.

–Philippe Barlier, agent spécial du Vatican, fit le moine d’une voix douce en tendant une main que le policier prit à contrecœur, je viens collaborer à l’affaire Agnelli. Merci de me présenter à l’officier chargé de l’enquête.

–Il est sur le terrain.

–Sur le terrain,où ?

–Rue Curial, sur la scène de crime.

–Merci de votre amabilité, il est inutile de m’accompagner, je trouverai, fit Philippe.

–Alors au revoir.

–À très bientôt puisque nous sommes destinés à collaborer, conclut le moine sans enthousiasme.

Philippe prit le métro et se sentit oppressé par l’agitation, les odeurs, l’éclairage électrique, l’espace réduit ainsi que le bruit permanent. Allons, plus vite il aurait rempli cette maudite mission, mieux cela vaudrait.

***

Vingt minutes plus tard, le moine parvenait rue Curial, résidentielle et tranquille, bordée d’arbres et de palmiers, qui contrastait avec l’animation et les commerces de la rue de Crimée, toute proche. Le lieu du meurtre avait été délimité par des barrières et deux policiers en uniforme en interdisaient l’accès aux badauds. Une marque à la craie, sur le trottoir signalait l’emplacement du cadavre. Un homme, en civil semblait réfléchir.

–Bonjour, Philippe Barlier, agent spécial du Vatican, affecté à l’enquête, j’ai une accréditation, fit Philippe d’un ton morne.

–Pascal Michaud, capitaine de police judiciaire. On vient de me téléphoner que vous arriviez. Je n’aurais jamais cru qu’il y avait des agents spéciaux au Vatican, ajouta le policier d’un ton rogue.

–Il s’agit d’un État indépendant, dont un fonctionnaire vient d’être assassiné. La procédure est logique.

–La police française n’a pas besoin d’aide.

Philippe s’efforça de ne pas hausser le ton. Il avait changé et espérait pouvoir mener sa mission sans avoir à faire preuve d’agressivité.

–Écoutez, je n’ai pas plus que vous envie de m’occuper de cette affaire, pourtant nous sommes tous deux contraints de travailler ensemble. Je propose que nous y mettions du nôtre pour rendre cette collaboration la moins désagréable et la plus efficace possible.

Le policier, pourtant jeune et d’allure sportive, avait les traits tirés et semblait stressé, ce qui n’était pas étonnant compte tenu de la charge de travail des forces de l’ordre françaises du fait de l’état d’urgence qui régnait dans le pays depuis des mois. Le fonctionnaire dévisagea Philippe quelque temps.

–Que pensez-vous de l’affaire ? fit-il finalement.

–Répondez d’abord à mes questions puis je pourrai vous dire ce que j’en pense.

Le flic soupira.

–Vous me faites perdre mon temps mais allons-y, puisque les politicards souhaitent que je collabore. Un homme a été tué dans la nuit, ici même, de deux balles dans la poitrine. Le policier désigna une marque au sol, faite à la craie, sur le trottoir.

–OK, l’homme est un prêtre qui travaillait aux archives du Vatican. Des témoins ?

–On est en train de prendre les dépositions.

–Et qu’ont-ilsvu ?

–Les principaux témoins sont un couple du quartier qui sortait d’un restaurant de la rue de Crimée, et s’engageait dans la rue Curial lorsqu’il a entendu des coups de feu. Il s’est caché dans l’ombre et, lorsque la fusillade s’est arrêtée, la femme a vu deux types monter dans une bagnole garée juste à côté du cadavre et démarrer à fond. On est en train de visionner les vidéos des caméras. Je vous fiche mon billet qu’ils ont pris le périph.

–Et le couple n’a vu personne d’autre ?

–Non.

–À quelle heure le meurtre a-t-il eu lieu ?

–Vers minuit et demi, juste avant que les témoins ne se pointent. Nous attendons le rapport définitif du médecin légiste.

–Je suppose qu’on a fouillé le corps.

–Bien sûr. Vous nous prenez pourqui ?

–Alors ?

–On a trouvé un portefeuille avec des papiers, une carte bleue, une clé USB et un portable. On essaie de récupérer les données du téléphone mais, vu que l’appareil a pris une balle. On n’aura sûrement pas grand-chose.

–Et les douilles ?

–On en a trouvé sept, du neuf millimètres, à proximité du cadavre et cinq autres près de cet arbre, quinze mètres plusloin.

–Neuf millimètres, le calibre le plus courant. Cela signifie qu’il y avait deux groupes qui se sont tirés dessus. Ce n’était peut-être pas Agnelli qui était visé, il a pu recevoir une balle perdue.

–Bon, c’est fini ? demanda le policier d’un ton acerbe, j’ai du boulot.

–Pour l’instant oui. Merci beaucoup pour votre sympathique collaboration, capitaine. Ah ! J’oubliais, il me faudra récupérer la clé USB ; mes supérieurs sont formels et votre ministre de tutelle également. Et n’en faites pas de copie, surtout.

–Elle est au Quai, dans mon bureau, alors ça attendra.

Deux policiers sortaient de l’immeuble d’en face. Ils traversèrent larue.

–Capitaine, on a interrogé une bonne partie des voisins. Certains parlent de trois coups de feu, d’autres d’une vingtaine. Personne n’a vu la voiture des types.

–Bon, je rentre au trente-six, continuez à questionner les voisins, fit sèchement l’officier.

–Bonjour, Philippe Barlier, je travaille sur l’affaire, se présenta lemoine

–Ouais, j’oubliais, grimaça Michaud. Monsieur est un envoyé spécial du Vatican. Deux des membres de mon équipe : Dupré et Malovski.

Dupré était un jeune flic plutôt athlétique, Malovski, petit et trapu pouvait avoir la quarantaine. Tous deux échangèrent avec l’ancien Philippe des poignées de main franches et solides, comme il les appréciait.

Le capitaine monta dans un véhicule après avoir ordonné aux deux plantons de ramasser le matériel, la scène de crime ayant été amplement étudiée durant la nuit et le matinmême.

–Dites donc il respire la sympathie votre patron !

–Vous pouvez le dire ! Grommela Malovski.

–Allez, sois pas trop dur. On est tous un peu surmenés, avec les heures qu’on se tape ! Et sa femme qui s’est tirée il y a trois semaines et qu’il essaie de récupérer !

–Vous la connaissez la différence entre une femme et un bus ? Ça sert à rien de courir après, il en arrive d’autres dans les dix minutes ! railla Malovski.

Dupré soupira.

–Bon, c’est pas tout, on a du boulot.

Les deux hommes se dirigèrent vers un immeuble voisin. Le moine fit quelques pas pour récapituler tranquillement les informations obtenues en observant la configuration des lieux.

Sans doute, le groupe qui avait tiré sur les hommes de la voiture avait-il disparu discrètement, peut-être en empruntant le passage Wattieaux, une ruelle qui relie la rue de Crimée et la rue Curial. Les arbres de cette dernière, les voitures garées et les containers de poubelles permettaient de disparaître aisément la nuit et l’attention du couple était captée par le véhicule qui partait.

Le moine prit le métro dont l’odeur agressa de nouveau ses narines. L’affaire était étrange. L’archiviste du Vatican s’était probablement rendu en France pour un rendez-vous ; la clé USB qu’il avait en sa possession en était-elle la cause ? Deux groupes armés avaient échangé des coups de feu en plein Paris, l’archiviste était-il visé ou avait-il pris une balle perdue ? Philippe se demanda ce que la hiérarchie du Vatican savait exactement ou ce qu’elle soupçonnait. Lui avait-on tout dit ? Il monta le fameux escalier carré du Quai des Orfèvres et parcourut les longs couloirs étroits aux murs de couleur sombre, cherchant le bureau de Michaud. Il frappa et attendit qu’on lui dise d’entrer.

***

La pièce était exiguë, encombrée par des meubles à dossiers, sans aucune touche personnelle, nota Philippe. Les affiches au mur étaient toutes des communications officielles.

–C’est celle-là ? fit l’ancien agent secret en désignant une clé USB sur le bureau de Michaud.

Ce dernier maugréa

–Vous l’avez ouverte ?

–Pas eu le temps.

–Alors remettez là moi, tout de suite, s’il vous plaît.

Philippe n’avait aucun moyen de savoir si l’homme disait la vérité.

–Ça vous ennuierait que la police française jette un œil aux pièces à conviction d’un meurtre commis dans son pays, avant qu’on ne lui ait retiré la pièce en question ?

–J’applique les consignes, faites de même, s’il vous plaît, fit le moine en maîtrisant son ton, songeant que la colère est l’un des sept péchés capitaux.

L’officier de police poussa la clé en direction de Philippe sans masquer son agacement.

–Avez-vous obtenu le rapport du médecin légiste, capitaine ?

–Ouais.

–Je souhaite levoir.

Le policier fit une grimace, soupira, ouvrit une chemise qui se trouvait sur son bureau et tendit le rapport à l’envoyé du Vatican avec un regard mauvais. Le Père Agnelli avait reçu une balle de neuf millimètres dans la région du cœur, balle tirée d’assez loin, il était mort sur lecoup.

–Il faut visionner les caméras qui filment l’intersection du passage Wattieau et de la rue de Crimée.

–Pour qui nous prenez-vous ? J’ai des hommes qui s’en chargent, grogna Michaud. Forcément, ce serait plus facile si nous en savions davantage sur la victime.

–Vous avez raison, je m’en charge.

Des coups frappés à la porte interrompirent le moine. Un policier entra.

–Nous avons du nouveau, capitaine, concernant l’affaire ducuré.

–Il s’interrompit en apercevant Philippe qui lui fit un sourire.

–C’est bon, vous pouvez parler. Je vous présente monsieur Barlier, l’agent spécial du Vatican qui suit l’affaire. L’agent Estrazi, précisa Michaud en désignant l’arrivant.

Le nouvel arrivant, un petit moustachu aux tempes grisonnantes, salua Philippe, sans masquer son étonnement.

–On a retrouvé le véhicule, en le suivant sur les caméras de surveillance. Les deux types ont emprunté le périphérique puis abandonné leur caisse, rue de la Motte, à Aubervilliers. La bagnole, une trois cent six noire, a été signalée volée hier après-midi. On effectue les prélèvements ADN à l’intérieur.

–Bravo Messieurs, commenta Michaud avec un regard en direction de son rival.

–La police française est efficace, constata simplement ce dernier. Et concernant l’emploi du temps du père Agnelli, les caméras de surveillance nous ont-elles appris quelque chose, capitaine ?

–Ouais, deux gars accompagnaient la victime. Tous trois sortaient d’un restau libanais de la rue de Crimée, le Byblos. Mais il y a mieux que ça. D’après des témoins, les hommes en question ont parlé longuement avec le patron de ce restaurant. J’ai eu l’information juste avant que vous entriez dans mon bureau. J’allais de ce pas interroger le restaurateur.

–Je viens avecvous.

L’officier de police soupira pour toute réponse et saisit son pistolet. Le moine espéra que cette affaire ne l’emmènerait pas assez loin pour qu’il ait, lui aussi, la nécessité de porter une arme. Il se surprit machinalement à faire jouer ses muscles. Il avait sans doute un peu perdu sur le plan de la précision des coups. En revanche, la vie saine du monastère avait entretenu sa condition physique.

–Passez-moi les photos des deux hommes, demanda Philippe.

Le policier tendit son portable. Les deux hommes étaient de stature moyenne, bruns, portant des sweats à capuche. Il était difficile de discerner leurs traits avec précision compte tenu de l’éclairage des réverbères.

***

Le restaurateur, encore jeune, petit, gros et doté d’une épaisse moustache brune, affirma n’être au courant de rien et être pressé, car il ouvrait à dix-neuf heures et tout n’était pasprêt.

Le policier le coupa.

–Alors vous feriez mieux de nous dire tout ce que vous savez… à moins bien sûr, que vous ne soyez parfaitement en règle avec les impôts, la réglementation sur l’hygiène en restauration, les déclarations URSAFF. Car je peux vous assurer que nous éplucheronstout.

La sueur commençait à faire briller le visage du commerçant.

–Prenez un verre d’eau et calmez-vous, il n’y a aucune charge contre vous, intervint Philippe, endossant volontiers le rôle du gentil qui, après tout, convenait mieux à son état ecclésiastique.

–Aucune charge… pour l’instant ! précisa l’inspecteur avec un rictus appuyé.

–Avez-vous un endroit où nous puissions discuter tranquillement ?

–Oui, oui, sans doute, fit le gros homme en essuyant sa moustache. Parici.

Tous trois traversèrent la cuisine où deux employés occupés à couper des légumes les regardèrent passer avec curiosité. Ils gagnèrent le bureau du restaurateur.

–Je vous jure que je ne sais pas qui sont les hommes dont vous parlez.

Le policier exhiba les photos prises de la caméra : on discernait deux visages. L’image, pas très nette, permettait malgré tout l’identification.

–Donc, vous affirmez ne les avoir jamais vus auparavant ?

Le gros homme hésita une fraction de seconde, suffisante pour Philippe.

–Je dois vous informer que nous saurons d’ici trois jours qui sont ces hommes. S’il s’avère que vous avez un lien avec eux, ça se passera très mal pourvous.

–Ton restau, tu peux faire une croix dessus.

–Ils sont Libanais, bredouilla le restaurateur. Mais je n’ai rien à voir avec eux, pleurnicha-t-il.

–Je suppose qu’ils ont payé leur repas en liquide, reprit le capitaine.

–Ce n’est pas interdit !

–Faites-moi voir les chèques qu’on vous a remis hier soir. Nous vérifierons également les cartes bleues de tous vos clients.

–Mais puisqu’ils ont payé en liquide…

–Nous vérifierons tout de même. Certains clients ont peut-être remarqué quelque chose d’autre. Si quoique ce soit vous revient concernant ces deux hommes, voilà mon numéro. À bientôt ! conclut Michaud en se levant.

–C’est dans votre intérêt, compléta Philippe avec une gentillesse hypocrite, ça sent très bon, chez vous, ajouta-t-il, s’arrêtant pour humer l’odeur d’une marmite où mijotaient les feuilles de vigne farcies. Il serait vraiment dommage pour tout le monde qu’un aussi bon restaurant doive fermer pour une histoire stupide, n’est-ce pas ? Au revoir monsieur, conclut-il aimablement.

Il rejoignit le policier sur le trottoir. Ils grimpèrent dans la voiture qui les attendait.

–Alors ?

–Vous êtes un bonflic.

–J’ai réussi mon examen ? demanda le policier d’un ton sarcastique.

Le moine ne relevapas.

–Il ne nous dit pas tout, se borna-t-il à constater.

–D’accord avec vous. Je fais mettre toutes ses lignes téléphoniques et communications internet sur écoute. Il me faut l’accord du juge, ce ne devrait pas être long… étant donné la personnalité de la victime, n’est-ce pas ? ajouta le capitaine d’un ton ironique en pianotant sur son portable.

Philippe avait décidé de ne pas répondre aux provocations de l’officier et de limiter les conversations à l’affaire en cours. Restait à savoir combien de temps il pourrait se contenir. Le reste du trajet se passa en silence. Les deux hommes rentrèrent au quai des Orfèvres, gagnèrent le petit bureau de Michaud. Le moine songea à sa propre cellule au monastère, aux dimensions similaires. Mais les murs, au moins, y étaient clairs, et la pièce dépouillée. Ce local exigu, sombre et encombré était déprimant. On frappa à la porte et le policier nommé Estrazi entra triomphalement.

–Je crois qu’on tient les gars du deuxième groupe ! Voulez-vous venir voir ?

Il se faisait tard, Philippe prit le temps d’appeler son hôtel. Ce délai agaça le capitaine qui avait, de toute évidence, hâte de rentrer chezlui.

Ils s’assirent devant un écran dans une pièce équipée d’un vidéo-projecteur, les images de la caméra apparurent. À minuit vingt-cinq, soit juste après le meurtre, deux hommes sortaient à pied du passage Wattieau du côté de la rue de Crimée. Ils portaient des blousons passe-partout et marchaient d’un bon pas. Ils gagnèrent leur voiture, dont la plaque d’immatriculation n’était pas lisible sur les images et dans laquelle un troisième homme les attendait. Le véhicule démarra.

Estrazi passa ensuite des images prises plus tôt dans la soirée par la caméra qui filmait le carrefour de la rue de Crimée et du passage Wattieaux. Dupré prenait des notes. On reconnaissait la voiture des trois hommes, se garant rue de Crimée. L’un d’eux avait quitté le véhicule quelques instants pour aller chercher des sandwichs et des bières, les deux autres s’étaient également absentés un moment, sans doute pour boire un café et uriner dans une brasserie proche. À vingt-deux heures, un des hommes avait de nouveau quitté le véhicule, qu’il avait regagné peu après minuit pour repartir aussitôt avec l’un de ses compagnons. Il avait marché en direction du Byblos, comme en témoignait la caméra du carrefour suivant, située à l’angle de la rue de Crimée et de la rue Curial. Le troisième homme était resté au volant du véhicule. Les deux individus étaient sortis du champ. On les avait retrouvés sur la caméra qui filmait le carrefour avec la rue Curial, qu’ils avaient emprunté à minuit vingt-trois, suivis, quelques dizaines de secondes plus tard, par les Libanais, accompagnés de la victime. Les heures correspondaient à celles qu’avait données le patron du Byblos. Le policier expliqua qu’on cherchait à présent des informations sur la voiture du second groupe.

Philippe félicita les hommes, Michaud maugréa un vague merci.

Ils rédigèrent ensemble le communiqué de presse ainsi que le rapport au juge qui instruisait l’affaire puis se séparèrent.

***

Le moine rejoignit son hôtel, rue de Crimée. Il gagna sa chambre et téléphona au Père Domenico qui décrocha aussitôt.

–Allo, ici Philippe.

–Mon fils, avez-vous récupéré la cléUSB ?

–Oui mon père, cependant j’ignore ce qu’elle contient.

Le dignitaire changea de sujet.

–Où en êtes-vous dans vos investigations ?

–Il semble que deux groupes se soient tirés dessus et que le prêtre se soit trouvé au centre de la fusillade.

–Ouf ! Peut-être n’a-t-il rien à voir avec tout cela !

–Il se promenait à Paris avec, en poche, une clé USB contenant probablement des informations confidentielles et il se serait fait tuer par hasard ? Je n’y crois pas un instant. Il me faut toutes les informations possibles sur la victime, qu’allait-elle faire à Paris ? Quelles étaient ses fréquentations ? Quelle était sa personnalité ?

–Hem, c’est que ce n’est pas facile…

–Mettez la police du Vatican sur le coup ou renseignez-vous auprès des flics italiens.

–Vous n’ignorez pas que certaines informations couvertes par le secret de la confession.

Le moine commençait à perdre patience.

–Secret de la confession ? Un homme est mort, il ne souffrira plus de la divulgation du secret. Et vous voulez que je résolve cette affaire, n’est-cepas ?

–Alors… Voilà. Le Père Agnelli avait une relation avec une femme.

–Qui est-elle ?

–Cela, je l’ignore.

–Débrouillez-vous pour m’obtenir le renseignement. Il me faut son état civil, son adresse, savoir où on peut la joindre.

–Je vais voir ce que je peux faire. Quant à vous mon fils, soyez discret avec cette histoire.

–J’ai appris à être discret.

–Que le Christ vous accompagne monfils.

–Merci mon Père. Et appelez-moi sitôt que vous aurez les renseignements.

Philippe raccrocha. Agacé par la réaction du Père Domenico, il en avait oublié les manières de l’Église et le protocole, il avait réagi presque comme dans son ancienne vie. L’inquiétude s’empara de nouveau de lui. Il s’efforça de dire un Notre Père protecteur puis introduisit la clé USB dans son ordinateur. Après tout, le Père Domenico ne lui avait pas expressément défendu de prendre connaissance du texte.

La clé contenait des copies au format PDF d’un texte manuscrit en langue latine, une dizaine de pages en tout. La calligraphie semblait ancienne et le latin de Philippe était très insuffisant pour lui permettre d’en comprendre le sens ou même simplement de le dater.

Selon toute probabilité, un homme avait été tué pour ce document auquel deux groupes au moins, s’intéressaient. Philippe rappela le Père Domenico qui décrocha presque aussitôt.

–J’ai un doute soudain, mon Père. Le contenu de la clé USB est important, c’est pour cela qu’on a tué le Père Agnelli.

–Nous avons déjà échangé à ce sujet.

–Il est en latin médiéval, je crois. J’ai besoin d’une traduction.

–C’est que je ne sais pas ce que contient cetteclé.

–Je vous l’envoie par internet, en connexion sécurisée. Cependant, je ne saurai mettre votre parole en doute,mais…

–Mais quoi ? Monfils.

–Je suis persuadé que vous connaissez au moins sa teneur générale. Communiquez-moi une traduction aussitôt que possible.

–Mon fils, il s’agirait là d’une procédure très exceptionnelle puisque ces documents sont classés secrets par le Saint-Siège. N’y a-t-il vraiment pas moyen pour vous de faire autrement ?

–Je ne peux pas résoudre l’affaire sans indices fit remarquer Philippe, d’un ton aussi calme que possible.

Le moine s’allongea sur son lit, épuisé ; cette journée dans le monde avait été une rude épreuve. Son ancienne vie ressurgissait et, avec elle, le bruit, les odeurs, les vieux réflexes, les conflits, le stress. Il se demanda, non sans angoisse, si les cauchemars, qui le fuyaient depuis qu’il avait changé aussi radicalement de vie, allaient revenir eux aussi.

Philippe était trop énervé pour se coucher tôt, il sortit faire un tour. C’était une belle soirée d’avril, il y avait du monde aux terrasses des cafés. Le moine avait toujours aimé l’ambiance des rues de Paris le soir et se demanda brièvement si cette animation, ne lui avait pas manqué durant ses quelque quinze mois de vie monastique. Il craignit la réponse, entra dans un restaurant, murmura le bénédicité. La cuisine ne valait pas celle du monastère mais était plus exotique. Le moine s’efforça de ne pas trop regarder les jolies femmes présentes. Selon le Père Domenico, il ne serait pardonné que s’il essayait sincèrement de résister aux tentations et puis il y avait autre chose : il était en mission. L’image d’Ivana, nue, sortant de la baignoire s’imposa à lui, il frissonna puis chassa de son esprit, le fantôme de la belle Ukrainienne.

Philippe rentra à son hôtel, dit la prière du soir, dormit cependant très mal : le bruit incessant des rues parisiennes est pénible à qui a pris l’habitude du silence et le matelas était tropmou.

Chapitre2

Le lendemain, le moine se réveilla d’une méchante humeur que la prière du matin ne suffit pas à apaiser totalement. Il lut la presse durant son petit déjeuner. Les articles qui faisaient état du meurtre affirmaient, selon la formule consacrée, que les investigations étaient en cours et qu’aucune hypothèse n’était écartée par les enquêteurs. Philippe décida d’en finir au plus vite avec cette mission ridicule et de retrouver la vie simple et régulière du monastère ; il y dormait mieux.

Il arriva au Quai dans cet état d’esprit. Il apprit que le directeur souhaitait levoir.

Le bureau, situé au troisième étage du bâtiment était assez vaste, meublé avec soin et mieux entretenu que ceux des subalternes.

–Monsieur Barlier, bonjour, fit le chef de la crime, plus aimable que la veille, en tendant la main, vous auriez pu nous mentionner votre carrière, hier. Vous êtes presque de la maison.

–Je travaillais pour les services de sécurité extérieure, monsieur le directeur, pas pour la police.

–Que pouvez-vous me dire au sujet de l’enquête en cours ?

–Ma foi, rien de plus que votre capitaine, je lui ai communiqué tout ce que je savais lorsque je l’ai rencontré. Nous cherchons tous deux la même vérité.

–Il n’y en a jamais qu’une seule, de toute façon.

–En êtes-vous sisûr ?

Le moine n’avait aucunement l’intention de communiquer au policier ce qu’il savait des fréquentations de la victime. Malgré tout, il n’avait pas vraiment menti puisqu’il avait, jusqu’à leur dernière rencontre, tout dit à l’inspecteur. Décidément, rien ne changeait ; il était de retour dans un monde où il fallait dissimuler, tromper, manipuler.

L’amabilité du patron de la crime n’avait rien à voir avec une quelconque sympathie : le fonctionnaire tentait d’évaluer la dangerosité de Philippe pour sa carrière et d’obtenir le plus d’informations possible sur l’affaire en cours, à moins qu’il n’agisse sur commande de ses supérieurs, ce qui était égal à l’ancien agent secret. Si le préfet de police de Paris ou le ministre souhaitaient des informations plus précises, ils n’avaient qu’à venir les demander en personne. Il n’était pas désagréable à Philippe d’ennuyer un peu les politiques et les hauts fonctionnaires qui l’avaient commandé avec cynisme durant près de dix années. L’homme de Dieu s’en voulut de cette pensée.

Le commissaire aborda la question de la clé USB et des renseignements qu’elle contenait. L’envoyé du Vatican lui répondit qu’il s’agissait de documents en latin qu’il lui était impossible de lire. Là encore, moins il en dirait, plus il garderait le contrôle de la situation. Il prit congé du directeur pour raison de travail et suivit l’étroit couloir qui conduisait au bureau de Michaud, frappa et entra au bout de quelques secondes. Le capitaine était au téléphone et sembla contrarié.

–Bien, rappelez-moi quand vous aurez terminé.

Le policier raccrocha et s’adressa à Philippe.

–Dites donc ! Vous pourriez attendre qu’on vous dise d’entrer, mon vieux !

–Vous travaillez sur notre affaire, n’est-cepas ?

–À votre avis ?

–Moi aussi, alors je ne vois pas ce que vous auriez à me cacher.

Le flic devint verdâtre. L’agent du Vatican enfonça le clou :

–D’ailleurs, vous n’avez pas le droit de me cacher quoi que cesoit.

Philippe vit que Michaud était à bout, regretta l’agressivité de sa remarque et décida, malgré sa propre mauvaise humeur, de le ménager, par charité et par intérêt. Un peu d’empathie ne lui ferait pas demal.

–ça ne vous dérange pas, ce bureau mal fichu ?

–Vous voyez dans quelles conditions travaillent les flics en France ? Mais on s’y attache, c’est un lieu chargé d’histoire : vous imaginez ! Depuis 1913 ! Ils vont bientôt nous envoyer dans un bâtiment ultramoderne. Je ne suis pas sûr que nous gagnerons au change.

–Philippe haussa les épaules. Décidément, Michaud était incurable.

–Alors, vous en êtesoù ?

–On a progressé, nous, pendant que vous dormiez, répondit le policier d’un ton acerbe. Nous avons reçu le rapport de balistique : les douilles proviennent de quatre armes différentes et ce sont effectivement les balles tirées par le second groupe qui ont touché la victime.

L’agent du Vatican soupira. Le capitaine Michaud était un bon flic, probablement zélé mais épuisé et au bord du burn-out. D’après ce que le moine avait compris la veille, sa femme l’avait plaqué. Elle lui reprochait trop d’absences. Il n’était, à l’évidence, pas apprécié de ses hommes ce qui se comprenait également, puisqu’il avait les nerfs à fleur de peau et devait donc être exécrable. Philippe comprenait qu’on puisse craquer au boulot. Lui-même n’avait-il pas tout plaqué ? Le fonctionnaire reprit la parole :

–Vous n’avez rien concernant votre religieux du Vatican ?

–J’attends des précisions.

–Ouais, sans doute, grinça Michaud. J’ai une question à vous poser.

–Allez-y, je verrai si je peux répondre.

–Un État étranger vient faire sa loi sur le sol français. Pire encore, il s’agit d’un État religieux intervenant dans un pays laïc. Et toute l’affaire devient confidentielle. Vous ne trouvez pas ça malsain, alors que vous avez travaillé, et brillamment, semble-t-il pour les services de renseignement français ?

–J’ai fait des trucs pires pour l’État français, mon employeur de l’époque, dans différents pays étrangers, si vous voulez le savoir. Il n’y a pas de morale dans ce genre d’affaires, j’ai accepté pas mal de choses au nom du patriotisme, de la raison d’État, en évitant de me poser trop de questions.

–Ouais, jusqu’à une certaine affaire ukrainienne.

–Philippe sursauta. Michaud s’était donc renseigné ! Il parvint à empêcher le sourire d’Ivana d’apparaître à son esprit.

–Taisez-vous, vous ne savez pas de quoi vous parlez.

–C’est vrai. La mission en Ukraine n’est que mentionnée dans votre dossier, classée Secret Défense, néanmoins, comme vous avez démissionné juste après…

Philippe, mal à l’aise, coupa court à la conversation. Son ton se fit moins aimable encore.

–Bon. Vous n’avez aucune envie de collaborer avec moi et je n’ai aucune envie de reprendre ce boulot, mais nous sommes tous deux forcés, alors on va se mettre au travail. Plus vite nous découvrirons ce qui s’est passé, plus tôt nous serons débarrassés l’un de l’autre.

–Ouais, vous avez raison.

–Et déstressez un peu, mon gars, dites-vous que vous avez un assistant qui va vous faciliter la tâche sur cette affaire !

–C’est bien ça ! Vous avez l’intention de m’apprendre mon boulot : Vous les gars de la DGSE, vous méprisez les pauvres flics du territoire ! Et puis je ne suis pas « votre gars ».

Philippe sentait la moutarde lui monter aunez.

–Eh oh ! Mon cher ! Faudrait savoir ! Je suis un salaud de la DGSE où un salaud d’agent étranger ?

–Les deux apparemment, d’ailleurs, ça revient à peu près au même, d’après ce que vous venez dedire.

–Bon, on s’y met, conclut le moine en haussant les épaules. Je suppose que c’est mon bureau, ajouta-t-il en désignant une table de camping pliante coincée entre un mur et une armoire.

Il était vrai que les locaux du 36 quai des orfèvres, splendidement situés dans un immeuble ancien au bord de la Seine, mais sombres et exigus, étaient inadaptés aux contraintes du vingt et unième siècle. Le mobilier y était donc réduit. Néanmoins le moine ne pouvait s’empêcher de soupçonner le capitaine d’ajouter un zeste de mauvaise volonté à l’indigence de l’administration.

Philippe et Michaud épluchèrent les témoignages recueillis la veille sans rien trouver d’intéressant. À la fin de la matinée, les policiers avaient retrouvé la trace du véhicule de ce deuxième groupe, loué par un homme à un hypermarché, deux jours avant le meurtre. Le loueur produisit la copie d’un permis de conduire, un faux impeccablement imité. Le véhicule avait été restitué, parfaitement nettoyé. La recherche de traces d’ADN avait très peu de chances d’aboutir. Le règlement avait été effectué en liquide et le chèque de caution avait été restitué.

***

Après le déjeuner que Philippe avait pris de son côté, le capitaine organisa une réunion, avec les membres de son équipe affectés à l’affaire. L’agent du Vatican était présent. Il connaissait déjà les trois policiers. Seul Estrazi semblait s’intéresser à ce qui se passait ; les autres boudaient ouvertement : Dupré, bras croisés, faisait la gueule et Malovski suivait ostensiblement des yeux une mouche sur la vitre.