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Extrait
| I
Gaspard, dans son inquiétude et son désir exaspéré de savoir, avait osé se glisser jusqu’à la pièce précédant le cabinet de M. de Rochelyse. Là, il avait légèrement écarté la portière juste au moment où Wennaël baisait les beaux yeux qui le regardaient avec tant d’amour. Mais le mouvement du chien, son grondement, avaient fait fuir Sorignan, dont les pas étaient heureusement amortis par l’épaisseur des tapis... Et il était rentré dans la salle de garde, il s’était affalé sur un siège en frissonnant de colère et de désespoir. À ce moment-là, il avait compris, il s’était avoué que, bien réellement, il aimait Bérengère et que ce n’était pas seulement un intérêt compatissant pour l’enfant sans famille, sans expérience, qui faisait bouillonner son cœur d’une telle indignation contre M. de Rochelyse. « Cette pauvre petite Bérengère !... Cette pauvre petite Bérengère ! songeait-il en frissonnant. La voilà perdue ! Cet homme en fait son jouet... et puis il la rejettera et elle se trouvera avec une existence brisée, un cœur déchiré... Comme elle le regardait ! Pauvre enfant, comme elle l’aime ! »
Et Gaspard s’enfonçait les ongles dans la paume des mains en revoyant par la pensée les yeux éclairés d’une si ardente tendresse... et ces lèvres... ces lèvres odieuses s’appuyant sur les délicates paupières blanches, tandis que la ravissante jeune femme frissonnait de bonheur entre les bras amoureusement refermés sur elle.
Ah ! il aurait dû se jeter sur cet homme... tout braver, tout risquer, pour lui enlever Bérengère !... Et, cependant, il sentait bien qu’il n’aurait pas eu le dessus. Déjà, il savait, par ses compagnons, que le duc joignait à une prodigieuse force musculaire la plus extraordinaire adresse à l’épée. En un instant, le garde rebelle aurait été maté, désarmé... ou, plus certainement encore, réduit pour jamais à l’impuissance par une bonne lame passée à travers son corps. De cela, que serait-il résulté de bon pour Bérengère ?... Rien, absolument rien. Tandis qu’en patientant, qu’en cachant sa douleur et sa colère, il serait là si, un jour, elle se trouvait dans la détresse, dans le désespoir... il serait là pour la protéger, pour l’aider, s’il en était besoin.
Ainsi Gaspard ruminait-il ces pénibles pensées, au moment où avaient paru le duc et Bérengère... Et de les voir là, tous les deux, lui avait donné une telle secousse qu’il n’avait pu dissimuler sa pénible émotion....|
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Veröffentlichungsjahr: 2020
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
Série 3: Bérengère |2|
BÉRENGÈRE, FILLE DE ROI
Ce roman fait suite et fin à : Le sphynx d’émeraude
DELLY
Série 3: Bérengère |2|
BÉRENGÈRE, FILLE DE ROI
roman
Raanan Edition
Livre 595 | édition 1
Gaspard, dans son inquiétude et son désir exaspéré de savoir, avait osé se glisser jusqu’à la pièce précédant le cabinet de M. de Rochelyse. Là, il avait légèrement écarté la portière juste au moment où Wennaël baisait les beaux yeux qui le regardaient avec tant d’amour. Mais le mouvement du chien, son grondement, avaient fait fuir Sorignan, dont les pas étaient heureusement amortis par l’épaisseur des tapis... Et il était rentré dans la salle de garde, il s’était affalé sur un siège en frissonnant de colère et de désespoir. À ce moment-là, il avait compris, il s’était avoué que, bien réellement, il aimait Bérengère et que ce n’était pas seulement un intérêt compatissant pour l’enfant sans famille, sans expérience, qui faisait bouillonner son cœur d’une telle indignation contre M. de Rochelyse.
« Cette pauvre petite Bérengère !... Cette pauvre petite Bérengère ! songeait-il en frissonnant. La voilà perdue ! Cet homme en fait son jouet... et puis il la rejettera et elle se trouvera avec une existence brisée, un cœur déchiré... Comme elle le regardait ! Pauvre enfant, comme elle l’aime ! »
Et Gaspard s’enfonçait les ongles dans la paume des mains en revoyant par la pensée les yeux éclairés d’une si ardente tendresse... et ces lèvres... ces lèvres odieuses s’appuyant sur les délicates paupières blanches, tandis que la ravissante jeune femme frissonnait de bonheur entre les bras amoureusement refermés sur elle.
Ah ! il aurait dû se jeter sur cet homme... tout braver, tout risquer, pour lui enlever Bérengère !... Et, cependant, il sentait bien qu’il n’aurait pas eu le dessus. Déjà, il savait, par ses compagnons, que le duc joignait à une prodigieuse force musculaire la plus extraordinaire adresse à l’épée. En un instant, le garde rebelle aurait été maté, désarmé... ou, plus certainement encore, réduit pour jamais à l’impuissance par une bonne lame passée à travers son corps. De cela, que serait-il résulté de bon pour Bérengère ?... Rien, absolument rien. Tandis qu’en patientant, qu’en cachant sa douleur et sa colère, il serait là si, un jour, elle se trouvait dans la détresse, dans le désespoir... il serait là pour la protéger, pour l’aider, s’il en était besoin.
Ainsi Gaspard ruminait-il ces pénibles pensées, au moment où avaient paru le duc et Bérengère... Et de les voir là, tous les deux, lui avait donné une telle secousse qu’il n’avait pu dissimuler sa pénible émotion.
Oui, après ce qu’il avait aperçu tout à l’heure, c’était trop, pour lui, de voir près de ce beau duc à l’âme de fauve l’enfant candide dont il faisait sa proie, cette Bérengère au délicieux visage encore tout rose d’émotion, ainsi qu’il l’était peu d’instants auparavant sous les lèvres de M. de Rochelyse.
Et, comme si le duc eût devine l’état d’esprit de son garde, – en vérité, Gaspard craignait fort qu’il en fût ainsi ! – voilà qu’il avait fait ce geste de maître, de possesseur, en prenant la main de Bérengère pour la mettre sous son bras, avec cet air d’aisance altière qui faisait rentrer dans le néant les humbles mortels, sans parler de plus importants personnages.
« Oh ! je sais bien que je ne peux pas lutter avec vous ! songeait Gaspard en serrant les poings. Je ne suis qu’un pauvre diable, moi... et, en outre, je me trouve à votre discrétion. Bérengère vous aime, pauvre petite... c’est tout naturel. Elle est éblouie, fascinée... elle ne voit pas l’abîme où vous l’entraînez en profitant de son inexpérience. Mais vienne le réveil, quelle souffrance, quel désespoir, pauvre malheureuse enfant ! »
Ces pensées occupèrent toute la nuit le cerveau de Gaspard. Quand, par instants, il tombait dans une sorte de somnolence, c’était pour revoir en rêve Bérengère dans les bras de M. de Rochelyse, ou bien la jeune fille debout, au seuil de la salle de garde, toute rose entre ses voiles légers, avec d’admirables perles brillant d’un doux éclat sur la blancheur frémissante du cou. Vision incomparable, dont le souvenir faisait frissonner Gaspard, et qui l’agitait d’une folle colère, quand il songeait que tant de grâce, d’idéale beauté, de charme ravissant, étaient destinés à la capricieuse distraction d’un duc de Rochelyse.
Au matin, brisé, le cerveau en feu, Gaspard se leva avec l’intention de faire une longue course, pour rompre ses nerfs surexcités.
Il n’était pas de service ce jour-là. Aussi put-il errer à son aise dans la campagne, autour de Paris. Il déjeuna dans une auberge, puis, sans hâte, regagna la ville.
Comme il arrivait rue Saint-Antoine, une litière passa près de lui, le dépassa quelque peu, puis fut arrêtée sur l’ordre de la personne qui s’y trouvait. Une main longue et blanche écarta les rideaux, puis une tête de femme apparut, tête blonde coiffée d’un chaperon de velours bleu, visage aux beaux traits fardés selon toutes les règles et dans lequel brillaient des yeux d’un gris bleuté.
– Gaspard !
À cet appel, le jeune homme, qui marchait le front penché, le releva et eut un mouvement de surprise en reconnaissant Mlle d’Erbannes...
Il salua d’un air compassé et s’avança, sans empressement, pour répondre à l’appel de la blanche main.
– Gaspard, écoutez... Plus près... Vous êtes fâché contre moi ?
Froidement, il répondit :
– Je ne le suis plus ; je vous ai oubliée.
Les lèvres peintes se serrèrent pendant quelques secondes ; dans les yeux bleus passa une lueur mauvaise qui, instantanément, fut remplacée par une expression de désespoir.
– Oh ! je pensais bien que vous deviez m’en vouloir tellement !... Et, pourtant, ce n’est pas ma faute ! Si vous saviez !... Oh ! Gaspard, il faut que je vous explique. Je ne puis laisser subsister en vous ce mépris immérité pour celle qui fut votre fiancée... qui se considère toujours comme telle !
Le regard, la voix, avaient une pathétique douceur. C’était là, toujours, cette Françoise qu’avait aimée Gaspard et qu’il ne pouvait encore, quoi qu’il prétendît, chasser complètement de son cœur... cette Françoise habile comme une sirène et qui possédait la science innée de séduire les hommes. Aussi dut-il se raidir quelque peu, pour répondre avec une froideur mêlée de dédain :
– Je supposais que vous aviez complètement oublié ce projet, parmi les distractions, les plaisirs... et en recevant les hommages de plus hauts personnages que moi.
La physionomie de Françoise laissa voir la plus douloureuse surprise.
– Quoi ? Que voulez-vous dire ?... Oh ! Gaspard, je devine qu’on m’a décriée auprès de vous ! Aussi faut-il, plus que jamais, que je m’explique, que je me disculpe !... Trouvez-vous ce soir, à neuf heures, sous le porche de Saint-Germain l’Auxerrois. Je viendrai vous retrouver... et je vous prouverai que votre fiancée est innocente, qu’elle reste toujours la Françoise que vous aimiez... Dites, vous promettez de venir ?
Elle le regardait avec cet air de caressante prière qui avait été irrésistible sur lui, qui l’était encore, comme ce gracieux mouvement de sa tête blonde et la tendre douceur de sa voix. Il répondit d’un ton sourd :
– Oui, je le promets !
Elle le remercia d’un sourire, d’un geste de la main. Puis, les rideaux furent refermés et la litière se remit en marche.
En regagnant l’hôtel de Rochelyse, Gaspard se demandait s’il n’avait pas rêvé cette brève apparition, ce court dialogue... Un moment, il se traita d’imbécile pour avoir accepté ce rendez-vous. Puis il songea que Mlle d’Erbannes avait le droit de s’expliquer. Qu’il fût tenu de la croire, lui, c’était autre chose... Mais, enfin, il se pouvait qu’on eût exagéré à son sujet. Les mauvaises langues ne manquaient pas, à la cour comme ailleurs, pour salir la réputation d’une jeune personne. Parce qu’elle avait tourné le dos à un fiancé pauvre et sans avenir, il ne s’ensuivait pas qu’elle eût oublié ses devoirs, sa dignité de femme, comme il l’avait entendu dire.
Par nature, Gaspard était indulgent, peu porté à la méfiance, et sa grande jeunesse d’âme, sa droiture naturelle, une certaine naïveté que l’âge et l’expérience n’étaient pas encore venus corriger, le rendaient peu capable de discerner l’astuce et d’échapper aux pièges tendus. En outre, son amour pour Françoise n’était pas complètement mort et sa rencontre avec la jeune fille avait légèrement ranimé l’étincelle en son cœur, sans toutefois lui faire oublier cette petite Bérengère à laquelle il ne pouvait penser sans un frisson de souffrance et d’amer regret, sans un mouvement d’indignation presque haineuse à l’égard de M. de Rochelyse.
Neuf heures sonnaient au clocher de Saint-Germain quand il pénétra sous le porche. Presque aussitôt apparut une femme qui le prit par le bras en disant :
– Venez !
– Où me conduisez-vous ?
– À la maison d’une amie... tout près. Nous y serons bien pour causer.
Il la suivit dans la nuit très sombre, rendue glaciale par une neige mi-fondue qui tombait depuis une heure.
Derrière Saint-Germain, Mlle d’Erbannes s’arrêta devant un logis indistinct dans les ténèbres et fit retomber deux fois le marteau... Le vantail fut ouvert par une vieille femme aux yeux clignotants, qui tenait un flambeau à la main. Gaspard vit alors que sa compagne avait le visage couvert d’un masque. Elle adressa un signe de tête à la femme et, passant dans un étroit corridor, poussa une porte, puis entra, suivi de Gaspard, dans une petite pièce tendue de tapisseries, meublée de chêne, éclairée par un candélabre d’argent garni de cires. Un feu vif brûlait dans la cheminée. Sur la table étaient disposés deux bols d’argent remplis de vin chaud parfumé d’épices, dont l’arôme se répandait dans la salle.
– Voilà qui sera bienvenu ! dit Françoise. Je suis tout à fait transie... Et vous, mon ami ?
Elle enlevait son masque et tournait vers le jeune homme un visage souriant où ne se voyait plus trace de fards ni de peintures. C’était la Françoise qu’il avait amenée de Bretagne, avec son regard tendre et son sourire ensorceleur.
– Moi aussi, avoua-t-il. Je regrette que vous soyez sortie par ce temps.
Elle leva les épaules, tout en ôtant son manteau, que Gaspard s’empressa de prendre pour le déposer sur un siège.
– Oh ! peu importe ! J’avais hâte d’avoir cette explication et je suis assez peu libre, comme vous le pensez. Mais la reine est très bonne pour moi. Je me suis décidée à lui expliquer la situation et elle m’a permis de vous donner ce rendez-vous.
Tout en parlant, Françoise s’approchait du foyer et tendait ses mains vers la flamme. Elle était vêtue d’une robe de velours vert qui habillait remarquablement sa belle taille souple. Une collerette de dentelle encadrait le cou garni d’un étroit collier d’or qui lui venait de sa mère. Le chaperon de velours sombre laissait voir les cheveux blonds massés en boucles au-dessus de ses oreilles... Gaspard, avec un frémissement, songea qu’elle ne lui avait jamais paru aussi parfaitement belle.
– Buvez de cet excellent vin, mon ami, et donnez-moi l’autre bol, dit Mlle d’Erbannes d’une voix dont la suavité caressa les oreilles du jeune homme en lui rappelant la fiancée qui l’assurait de sa tendresse inaltérable.
Il s’empressa d’obéir. Debout près du foyer, tous deux burent lentement. Les yeux de Françoise ne quittaient guère ceux de Gaspard et ils étaient si doux, si fascinants, que le pauvre garçon se trouvait déjà grisé, avant même que le vin, fortement alcoolisé, eût produit son effet.
Les bols vides reposés sur la table, Françoise s’assit dans un fauteuil, près de la cheminée, et invita M. de Sorignan à prendre place près d’elle sur une escabelle. Puis elle commença un habile plaidoyer en sa faveur, d’où il ressortait qu’elle avait été victime d’une intrigue montée contre elle, chez la duchesse de Montpensier, et qu’elle avait toujours ignoré les visites de son fiancé. Quant aux lettres, on ne les lui avait jamais remises... Et, maintenant, elle comprenait que les siennes, dans lesquelles elle suppliait Gaspard de lui dire s’il entendait la délaisser, avaient également été détournées de leur destination.
– Oui, mon ami, après avoir longtemps lutté contre le doute, j’ai cru enfin que vous m’abandonniez !... Et, pendant ce temps, vous aviez contre moi les plus atroces pensées ! Ah ! l’abominable chose !
Sa voix parut sombrer sous l’excès de l’émotion. Ses mains saisirent l’une de celles de Gaspard et la pressèrent convulsivement.
Il n’en fallait pas tant pour bouleverser M. de Sorignan, surtout les vapeurs du vin chaud aidant. Il porta à ses lèvres les belles mains parfumées en balbutiant :
– Ma Françoise, pardonnez-moi ! Mais j’étais si malheureux ! si désespéré !
– Moi aussi, je l’avoue ! Dans tous mes projets d’avenir, je vous avais mis de moitié. Ainsi, je comptais bien vous aider à acquérir une situation à la cour... Et ce me sera facile, maintenant, puisque je suis dans les bonnes grâces de la reine mère. Nous pourrons donc nous marier prochainement, mon bien-aimé Gaspard. Vous quitterez le service du duc de Rochelyse...
Gaspard eut un soubresaut en devenant très pâle.
– Quitter le service de... Mais c’est impossible !
– Pourquoi donc ?
La sueur perlait au front du jeune homme.
– Je suis engagé jusqu’à l’âge de trente ans. Alors seulement, j’aurai le droit de le quitter pour me marier.
Françoise se redressa, en un mouvement de tragique stupéfaction.
– Que me dites-vous là ?... Vous avez pris cet engagement, vous, mon fiancé ?
– Mais je croyais... je ne comptais plus... et j’étais si désemparé !
– C’est affreux !... affreux !...
Et Françoise, arrachant ses mains d’entre celles de Gaspard, s’en couvrit le visage.
– Mon amour, pardon !... Oui, je suis coupable... Oui, je n’aurais pas dû croire...
Les mains tremblantes du jeune homme essayaient d’écarter les doigts de Mlle d’Erbannes.
– Vous n’aviez pas le droit ! dit une voix brisée par les sanglots. Vous deviez, avant, vous expliquer avec moi...
– C’est vrai, je suis un misérable ! Oh ! Françoise, comment obtenir votre pardon ?
Il tombait à genoux, en levant sur la jeune fille un regard de supplication désespérée.
Mlle d’Erbannes, laissant retomber ses mains, montra un visage plein de douceur et de tristesse, qui acheva de bouleverser le cœur sensible de Gaspard.
– Je ne vous en veux pas, mon ami... je vous aime trop pour cela. Relevez-vous et cherchons ensemble les moyens de remédier à cette situation.
De nouveau, Gaspard s’assit près d’elle. En un mouvement gracieux, elle pencha la tête vers lui et murmura :
– Je n’abandonnerai pas ainsi mon bonheur !
Et la tête blonde s’appuya sur l’épaule de Sorignan qui couvrit de baisers ce visage qu’il s’était promis de ne jamais chercher à revoir.
– Gaspard, il faudra obtenir de M. de Rochelyse la rupture de cet engagement.
– Je crains que ce soit impossible. Le duc fait de grands avantages pécuniaires à ses gardes, mais en retour il est très strict sur l’exécution des engagements que l’on prend en entrant dans sa maison.
– J’espère cependant que ce n’est qu’une légende, cette peine de mort dont on serait menacé au cas où l’on se laisserait aller à quelque indiscrétion ?
– Non, c’est très exact.
– Serait-ce possible ?... Oh ! je ne puis croire que le duc exécuterait cette menace !
– Il l’a fait, cependant... Et c’est un homme redoutable, je vous assure, Françoise !
– Réellement ? Je l’avais bien entendu dire, mais on raconte tant de choses plus ou moins véridiques ! Toutefois, je veux espérer qu’il ne sera pas inexorable pour notre mariage. La reine mère, certainement, acceptera de lui parler en notre faveur... Oui, j’ai confiance, mon ami ! Bientôt, je serai votre femme.
– Oh ! ma bien-aimée, puissiez-vous dire vrai ! J’étais si malheureux ! Quand vous m’avez rencontré, je revenais d’une longue promenade dans la campagne, faite pour apaiser mon cerveau fatigué par une nuit sans sommeil...
Grisé à la fois par le vin et par la sirène qu’il serrait entre ses bras, le malheureux Gaspard oubliait le motif de cette nuit agitée. Seul, dans son esprit en désarroi, surgissait le souvenir de ce qu’il avait souffert en se croyant oublié de Françoise.
– Pourquoi cette mauvaise nuit, ami ? Avez-vous des ennuis chez M. de Rochelyse ?
– Des ennuis ? Oui... Oh ! pas pour moi personnellement...
– Pour qui donc ?
– C’est la petite Bérengère... Vous vous souvenez ?
– Certes ! Une pauvre et charmante enfant que j’aimais bien... Est-elle toujours chez M. de Rochelyse ?
– Je crois bien !
Gaspard relevait la tête et ses yeux s’enflammaient de colère.
– ... Elle est devenue adorablement jolie, Françoise ! Et cet homme en fait la victime de son caprice !... Une enfant délicieuse !... Un être idéal !... Que ne donnerais-je pas pour la sauver ! Oh ! si vous pouviez m’y aider, vous, si bonne et si intelligente !
Françoise, entre ses cils mi-clos, attachait un singulier regard sur la physionomie de son fiancé, bouleversé par une violente émotion. Un mauvais sourire glissa entre ses lèvres, tandis qu’elle répondait, avec un accent de vive émotion :
– Ah ! mon ami, croyez que j’y suis toute disposée. Mais il faudrait me donner quelques détails, pour que je puisse voir de quelle manière il serait possible de lui venir en aide.
Il répondit complaisamment à toutes les questions qu’il plut à Françoise de lui adresser sur le duc, Mme de Trégunc, Bérengère. Mais Mlle d’Erbannes déclara que ces renseignements étaient par trop insuffisants et qu’il fallait que Gaspard s’arrangeât pour en obtenir d’autres. Elle précisa lesquels, à quoi le jeune homme objecta que ce lui serait bien difficile, dans un intérieur strictement organisé, discipliné, tel que celui de M. de Rochelyse.
– Cependant, mon cher Gaspard, il faut que nous arrivions à sauver cette malheureuse petite Bérengère ! Ah ! je comprends votre chagrin !... je le partage ! Cette enfant semblait si chère à Mme de Pelveden !... Et elle est véritablement très attachante !
– Oui, oui, je ferai tout mon possible ! Vous êtes délicieusement bonne, Françoise ! Je le savais bien, moi !
– Quelqu’un a-t-il essayé de vous persuader le contraire ?
– Oh ! je crois bien ! M. de Rochelyse a voulu me donner de vous la plus mauvaise opinion. Je ne sais quel motif le poussait...
Une lueur jaillit des yeux bleus, une teinte pourprée couvrit le frais visage. Pendant quelques secondes, Françoise parut hésiter... Enfin, elle dit d’une voix basse où semblait frémir une vive émotion :
– Quel motif ? Eh bien ! je vais vous le dire... C’est une preuve de confiance que je puis donner seulement à mon fiancé... qu’il a d’ailleurs le devoir d’exiger de moi. Mais promettez-moi auparavant de n’en dire jamais mot à personne... et de ne pas vous mettre trop en colère ?
– En colère contre qui ? demanda sourdement Gaspard.
– Oh ! pas contre moi ! Vous verrez que je ne le mérite guère... Promettez-moi ?
– Eh bien !... oui.
Alors, Françoise, glissant la main dans son corsage, en sortit un billet qu’elle tendit à M. de Sorignan.
– Je l’ai reçu hier... Lisez, mon ami.
Et elle cacha son visage sur l’épaule de son fiancé. Le billet ne contenait que quelques lignes, d’une ferme écriture masculine :
« Mademoiselle,
« J’ai pensé à vous depuis le bal du Louvre et j’ai désiré vous revoir. S’il vous est possible de vous rendre libre demain soir, entre six et sept heures, j’aurai le plaisir de vous recevoir en ma demeure. Je vous avertis, « dans votre intérêt », d’être fort discrète au sujet de mon invitation, particulièrement « à l’égard de la personne dont vous dépendez actuellement ». Une litière vous attendra près du Louvre. Vous n’aurez qu’à dire au valet qui se trouvera près d’elle ce seul mot : « Sphinx ».
« Rochelyse. »
Gaspard, qui avait commencé à rougir de colère dès les premières lignes, eut un violent soubresaut en arrivant à la signature.
– Quoi ! lui !... encore lui !... Il ne lui suffit pas de la pauvre petite Bérengère... il faut encore qu’il cherche à me prendre ma fiancée ! Ah ! je comprends pourquoi il m’engageait si bien à vous oublier ! Le misérable !... Le misérable !...
La voix de Gaspard s’étranglait dans sa gorge contractée par la fureur.
– Mon ami, calmez-vous, je vous en prie. Vous allez vous faire mal ! murmura Françoise.
En même temps, d’une main preste, elle enlevait le billet d’entre les mains crispées qui commençaient de le froisser.
– C’est odieux... odieux ! J’espère cependant, Françoise, qu’à ce bal vous n’avez rien dit qui pût encourager... ?
– Oh ! Gaspard !
Jamais plus éloquent regard de protestation n’avait témoigné en faveur d’une vertu injustement suspectée.
– ... J’ai dansé une pavane avec M. de Rochelyse, qui ne m’a pas témoigné autre chose qu’une courtoisie froide, d’ailleurs assez habituelle chez lui. Certes, je ne me doutais pas qu’il se permettrait cette... insolence !... Et je n’éprouve à son égard que de la crainte... que de l’aversion... Vous voyez d’ailleurs que je suis ici, près de vous, à l’heure même du rendez-vous qu’il osait me donner...
– Le misérable ! répéta Gaspard en saisissant la main de Françoise et en la serrant avec une telle force que la jeune fille eut un léger cri de souffrance. Mais je trouverai le moyen de lui dire ce que je pense, de lui jeter ma colère à la face...
Mlle d’Erbannes l’interrompit impérieusement :
– Pas de folies, Gaspard ! N’oubliez jamais que cet homme est très puissant et que vous seriez brisé sur l’heure en essayant de l’attaquer de front. Mais il est d’autres moyens pour nous venger, pour le punir et, aussi, pour lui enlever Bérengère... Voulez-vous vous fier à moi pour cela et suivre les conseils que je vous donnerai ?
– Mon amour, j’ai toute confiance en vous... Et pardonnez-moi, je vous en prie, mes doutes, mes criminelles suspicions !
– Je vous pardonne tout ! déclara magnanimement Françoise. Mais, je vous en supplie, gardez-vous de rien laisser paraître des sentiments que vous éprouvez à l’égard de M. de Rochelyse ! Songez qu’il y va de votre vie... songez que le sort de Bérengère dépend de votre adresse, de votre discrétion, et que moi-même je puis avoir besoin de vous pour me défendre contre cet insolent seigneur, que mon silence, mon dédain, vont probablement fort irriter !
– Soyez sans crainte, je serai prudent. Oui, oui, je sais que je suis un trop petit personnage pour le combattre ouvertement. Ainsi donc, je prendrai conseil de votre intelligence avisée, ma Françoise, et je me garderai d’éveiller la méfiance de celui que j’ai eu le grand tort d’accepter pour maître.
– Nous tâcherons de vous en délivrer, Gaspard... Mais il est temps que je parte... Voyons, il faudra nous revoir prochainement... Je vous enverrai un mot, sans signature, avec la seule indication du jour et de l’heure. Vous saurez que nous devons nous retrouver ici.
Elle se levait en parlant. Gaspard l’imita, mais en continuant de la tenir contre lui.
– Que vous êtes bonne de m’avoir pardonné ! Ah ! cet homme qui vous calomniait ! qui me félicitait d’avoir rompu avec vous ! L’infâme !
D’un geste gracieux, elle posa une main sur les lèvres de son fiancé.
– Taisez-vous, ami ! Ne remuez pas toutes ces rancœurs ! Gardez-vous ferme pour la lutte secrète qu’il vous faudra soutenir contre un tel adversaire... Allons, venez m’accompagner jusqu’à Saint-Germain. Là, vous me laisserez pour regagner le logis de votre terrible duc.
Avec un doux sourire, elle se laissa embrasser par Gaspard, qui l’enveloppa ensuite de son manteau. Le jeune homme ayant pris le sien, tous deux quittèrent la maison dont la vieille femme referma derrière eux la porte cloutée de fer.
Près de Saint-Germain, Sorignan prit congé de Mlle d’Erbannes, après lui avoir murmuré :
– Ma chère amie, je suis à vous pour la vie !
Et Françoise, d’un pas allègre, regagna le Louvre. Tout droit, elle se dirigea vers l’appartement de la reine mère et, ayant gratté à une porte, entra dans le retrait où se trouvait, seule, Catherine.
– Venez ça, ma belle, et contez-moi ce que vous avez appris, dit la reine d’un ton affable.
Françoise, enlevant son masque, vint s’agenouiller aux pieds de la souveraine. Tandis que celle-ci flattait d’une main caressante le frais visage un peu animé, Mlle d’Erbannes lui conta son entretien avec Gaspard, en passant sous silence l’incident qu’avait soulevé le billet de M. de Rochelyse, duquel il ne fut pas fait mention.
– C’est peu ! dit Catherine en hochant la tête. Il faudra pousser ce jeune homme, ma mie, pour qu’il récolte d’autres renseignements.
– C’est bien ce que je ferai, Madame. Mais, dès maintenant, nous avons un excellent atout dans la haine de Sorignan à l’égard du duc.
– Est-ce vraiment de la haine ?
– Assurément ! Et en voici la raison : j’ai compris que mon fiancé...
Elle appuya ironiquement sur ces mots.
– ... est amoureux, lui aussi, de cette fameuse Bérengère, qu’il a l’air de considérer comme une merveille.
Le visage de la reine eut une légère crispation.
– Ah ! vous croyez ? Ceci, en effet, le rendrait mieux disposé à seconder vos desseins.
– Il voudrait enlever la petite au duc. Je l’encouragerai, naturellement, dans cette idée... Enfin, je puis assurer à Votre Majesté que, dès aujourd’hui, j’ai réussi à le monter assez contre M. de Rochelyse pour qu’il se trouve prêt à faire ce que je lui conseillerai, quel que soit le risque à courir.
– Très bien, mignonne ! Vous êtes vraiment habile et intelligente, et je me félicite de vous avoir donné ma confiance. Vous n’aurez pas à vous repentir de m’avoir fidèlement servie, car je vous ferai un bel avenir.
Avec un air de tendre respect, Françoise baisa la main qui tapotait affectueusement sa joue.
– Point n’est besoin de cette perspective pour que je sois entièrement à votre service, madame !
– Oui, oui... mais il ne vous déplaira pas de faire un brillant mariage, ma belle ?... Quelque chose de mieux que ce Sorignan, si bien berné par vous ?
La bouche de Françoise eut un pli de cruel dédain.
– Je le déteste, dit froidement la jeune fille, et jamais je n’accepterai de l’épouser.
– Soyez tranquille, vous n’en serez pas importunée. Quand nous n’aurons plus besoin de lui, je m’arrangerai pour qu’il ne soit pas gênant.
Rien ne s’émut sur le visage de Mlle d’Erbannes à ces paroles dont, cependant, son intelligence subtile devait saisir le sinistre sous-entendu.
Après un court silence, la reine dit, comme se parlant à elle-même :
– En voyant que M. de Rochelyse vous avait distinguée au bal, j’avais un peu idée que vous aviez fait quelque impression sur lui.
Françoise prit un air modeste.
– Vous êtes digne d’être remarquée, mon enfant. Mais il serait regrettable que M. de Rochelyse cherchât à s’occuper de vous, car je ne vous permettrais pas d’accueillir ses hommages.
Aucun trouble ne parut sur la physionomie de Françoise. Avec un doux sourire, la jeune fille répliqua :
– Je n’aurai certainement pas la peine de les repousser, car ils ne viendront pas chercher mon humble personne. Mais, si cela devait être, je me souviendrais, madame, que je vous ai promis fidélité, et je repousserais la tentation.
– Une tentation terrible, ma mie Françoise ! dit la reine en plongeant son regard dans les yeux bleus, calmes et impénétrables. Rochelyse est un charmeur redoutable, un dominateur tout-puissant auquel, prétend-on, nulle n’a résisté jusqu’ici.
Françoise frissonna, en murmurant :
– J’ignore si je pourrais l’aimer un jour... mais ce que je sais bien, c’est qu’il m’inspire une crainte que je ne puis surmonter. Aussi, Madame, croyez que je ne ferai rien pour attirer son attention !
– Fort bien, ma fille. Gardez cette résolution-là et voyez à faire bien surveiller ce beau duc par M. de Sorignan... Maintenant, je vous rends votre liberté. Continuez de me bien servir et votre fortune est faite.
Un instant plus tard, Françoise, retirée en sa chambre, sortait à nouveau de son corsage le billet qu’elle y avait remis subrepticement, tandis que Gaspard lui posait son manteau sur les épaules. Elle le relut, avec une lueur de triomphe dans le regard.
« Enfin, j’atteins mon rêve ! songea-t-elle, le visage enflammé par une orgueilleuse joie. Et comme j’ai bien fait de ne dire mot de ceci à la reine !... Prétendre me faire renoncer à l’amour du duc de Rochelyse ! En vérité, autant vaudrait me demander de m’arracher le cœur !... Mais je saurai m’arranger pour qu’elle ignore cela et je prierai le duc de garder quelque temps le secret, jusqu’à ce que la reine en ait fini avec cette intrigue qu’elle ourdit autour de lui. D’ailleurs, s’il est aussi puissant, aussi indépendant qu’on le dit, il saura bien me protéger contre elle. »
Pendant un moment, elle demeura pensive, les yeux fixés sur ces quelques lignes dont, en sa griserie de femme éprise, enorgueillie en outre d’une faveur inespérée, elle ne songeait pas à remarquer le ton assez cavalier. En ce moment, elle méditait sur cette phrase : « Je vous avertis, dans votre intérêt, d’être fort discrète au sujet de mon invitation, particulièrement à l’égard de la personne dont vous dépendez actuellement... » Cette personne, ce ne pouvait être que la reine. Il se doutait donc qu’elle verrait d’un mauvais œil des relations entre lui et sa nouvelle demoiselle d’honneur ?
On disait qu’il savait tant de choses, ce duc de Rochelyse !... qu’il devinait tout !
Françoise eut un frisson, non plus simulé, comme tout à l’heure en présence de la reine, un petit frisson de crainte et d’ivresse mêlées. Oui, certes, il lui inspirait une sorte de crainte... mais, précisément, celle-ci et le mystère qu’elle sentait en lui, autour de lui, augmentaient chez elle la passion. Elle sentait qu’il serait un maître impérieux, difficile à dompter et, à l’avance, elle se soumettait à cette orgueilleuse domination.
« Demain, entre six et sept heures », murmura-t-elle en repliant le billet.
Puis un cruel sourire vint à ses lèvres, tandis qu’elle songeait :
« Oui, demain, Gaspard... demain, car ce billet est d’aujourd’hui, et non d’hier. Travaillez bien, mon ami, à me procurer les renseignements que désire la reine... et, surtout, débarrassez promptement le duc de cette sotte Bérengère, que je veux lui faire oublier. Ah ! je ferai mon chemin, désormais... et je ne désespère pas de devenir duchesse de Rochelyse ! »
Elle se redressait, les yeux étincelants, le visage empourpré. L’ambition dont elle était possédée bouillonnait en son âme, devant les perspectives entrevues... Puis, aussi, son esprit d’intrigue exultait, devant la besogne souterraine à accomplir, les combinaisons, les mensonges, toutes choses où se complaisait son âme fourbe et sans scrupule.
Un peu après six heures, le lendemain, Françoise, masquée, enveloppée d’un long manteau, frappait à la porte de l’hôtel de Rochelyse.
Éloguen, le majordome, lui ouvrit et, sans doute nanti d’instructions préalables, la conduisit au petit palais, par la galerie qui reliait les deux logis.
Après avoir traversé des salles dont elle ne fit qu’entrevoir la féerique décoration, Mlle d’Erbannes fut introduite dans le cabinet de M. de Rochelyse. Un moment, éblouie par les lumières, par la somptuosité de cette pièce, Françoise demeura immobile, le cœur sautant d’émotion... Puis, s’apercevant qu’elle était seule, elle enleva son masque, ôta son manteau et fit machinalement quelques pas en jetant autour d’elle un regard émerveillé.
Elle était en grande toilette : robe d’épaisse soie bleue broché de blanc, manches à crevés de satin bleu et à manchettes de dentelle, rubans bleus brodés d’argent dans ses cheveux blonds savamment coiffés. Le fard, abandonné la veille pour le simple Gaspard, qui n’était pas encore fait aux habitudes des belles dames de la cour, avait repris ses droits sur ce visage dont la fraîcheur, cependant, était un des charmes.
Les chiens, étendus sur des peaux de fauves, avaient levé la tête à l’entrée de Françoise, puis s’étaient remis à somnoler. On n’entendait d’autre bruit que les braises croulant dans le foyer. L’atmosphère était tiède, saturée de ce même parfum subtil, d’une pénétrante délicatesse, qu’avait aspiré Mlle d’Erbannes, quand elle dansait avec le duc de Rochelyse.
Une étrange sensation, où l’angoisse semblait se mêler à l’enivrement, oppressait Françoise. Elle fit encore quelques pas, en continuant de jeter autour d’elle des regards éblouis... Et, à cet instant, une fine main blanche souleva une portière. M. de Rochelyse apparut, la mine calme et hautaine, vêtu de velours sombre garni de fourrure, avec, comme seules notes claires, la fraise de précieuse dentelle et la chaîne d’or supportant le sphinx d’émeraude.
– J’espère, mademoiselle, que vous n’avez pas trouvé trop de difficulté pour vous rendre à mon invitation ?
Il saluait courtoisement Françoise, qui lui adressait la plus gracieuse de ses révérences.
– Aucune difficulté, monseigneur... Précisément, je n’étais pas de service aujourd’hui près de la reine.
La voix de Françoise tremblait d’émotion et, sous le fard, une chaude rougeur montait à son visage.
– Asseyez-vous, je vous prie. Nous avons à parler très sérieusement.
Désignant un siège à sa visiteuse, le duc prenait place lui-même dans un fauteuil, près de sa table de travail.
Françoise obéit machinalement. Dès le premier moment, elle était subjuguée par la voix nette, impérative, par le regard de froide domination qui se posait sur elle.
– Vous aspirez à vous faire aimer de moi, mademoiselle d’Erbannes ?
Elle tressaillit à la question ainsi posée à brûle-pourpoint et balbutia :
– Monseigneur... je... je...
– Que seriez-vous disposée à faire pour me prouver que vous m’êtes entièrement dévouée ?
– Tout... tout ! Mettez-moi à l’épreuve et vous verrez, monseigneur !
Elle joignait ses mains frémissantes, en le couvrant d’un regard brûlant de passion.
– Tout ? Je vais vous prendre au mot... La reine mère vous a choisie pour confidente... et pour instrument d’une de ses vengeances. Eh bien ! je veux que, désormais, vous me rendiez compte de tout ce qu’elle vous confie, de toutes les missions qu’elle vous donne. Mieux encore, j’exige que vous me fassiez connaître tous les événements, même minimes à vos yeux, qui peuvent survenir dans votre existence ou autour de vous. En un mot, il faut que je trouve en vous ce qu’était pour moi Giulia Calmeni : des yeux, des oreilles ouverts pour bien recueillir tout ce qui peut m’intéresser, une bouche inviolablement discrète pour tous, et entièrement sincère à mon égard. Ainsi, vous occuperez dans mon existence la place qu’y tenait Giulia, si mystérieusement disparue.