Bleu Myrtille - Sandrine Chamrion - E-Book

Bleu Myrtille E-Book

Sandrine Chamrion

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Beschreibung

Mina, jeune femme meurtrie, solitaire, mais dotée d'un caractère fort et déterminé, se livre, se confie. Alors qu'elle a enfin réussi à se reconstruire après un passé difficile, celui-ci resurgit brusquement. Poussée par son compagnon, elle décide de suivre une formation de berger, vieux rêve de son enfance. Elle part pour une nouvelle vie vers l'Auvergne, région qu'elle découvre, avec sa vie rude, ses habitants attachants. Devant affronter l'éloignement de son amoureux et la mort d'un proche dont elle se sent responsable, Mina continue de penser qu'elle doit gérer seule les coups durs. Son esprit cartésien est alors mis à rude épreuve face aux dons de son amie et voisine, la déstabilisant profondément. Alors que tout semble enfin s'harmoniser, Mina est contrainte de changer de vie encore une fois, remettant en question ses projets, la plongeant une fois de plus dans ses retranchements.

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Seitenzahl: 202

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Mes autres livres :

- « L’Appel de l’Inde »

Carnet autobiographique – 2023

- « Kintsugi, Les Larmes Cachées »

Roman – 2023

- « Petite Plume »

Roman – 2024

Disponible chez :

- www.librairie.bod.fr

- www.tandavashop.com

- Amazon, Fnac, Cultura, Decitre, etc…

Instagram : @didine.patchouli ou @sandrine.chamrion

I

Je me suis offert une petite folie avec mes dernières économies, un petit canapé ! Enfin… Un futon plus précisément. Ça y est, mon appart est enfin aménagé comme je le voulais, j’aurais mis le temps quand même. Je n’ai qu’un regret, ne pas avoir pris mon indépendance plus tôt, mais comment aurais-je pu faire autrement ? J’ai déjà bien galéré pour payer mes premiers loyers, la caution, les factures… Mais j’ai réussi, je suis tellement fière de moi ! J’aime me retrouver seule ici, dans mon petit cocon, à pouvoir faire ce que bon me semble, j’aime cette liberté et ne dépendre de personne.

Mes frères et sœurs, mes parents ne me manquent pas, au contraire, j’ai réussi à m’en détacher si facilement. Le lien avec eux tous n’était de toute façon qu’un reste de cordon tellement effiloché. Et ce silence, cette paix lorsque je rentre, plus de cris, plus d’engueulades à n’en plus finir, plus d’angoisses des violences qui éclataient quotidiennement.

Quand j’y pense… Mes seuls moments de bonheur étaient lorsque David venait me chercher, ou lorsque j’allais le rejoindre. Qu’est-ce qu’on a pu faire comme conneries quand même tous les deux ! Avec lui, je me suis sentie vivante, aimée, heureuse même. Cette liberté qu’il m’a offerte, cette nouvelle vision de la vie, en profiter, faire seulement ce que l’on voulait, avec nos nombreuses journées sans aller au lycée. Il m’a ouvert au monde, oui, je l’ai suivi dans ses conneries, tous ces interdits avaient un goût d’aventure exquis pour moi. Surtout, on était toute la journée ensemble, collés, fusionnels, on a vécu des instants inimaginables, inoubliables, il était mon pilier, le seul être sur qui je pouvais me reposer.

Mais, tout s’est effondré, comme toujours avec moi. Au moins, ce cataclysme m’a fait exploser, je sais maintenant que j’ai réussi à fuir ma famille suite à la rupture d’avec David. Je ne me voyais plus rester enfermée dans ce taudis sur fond d’alcool et de violence alors que j’avais goûté à la liberté, à l’amour que David m’avait offert pendant les quatre années avec lui. J’aurais sombré dans une profonde dépression si David ne m’avait pas sortie de mon milieu familial, j’aurais certainement fini par me suicider, j’en reste persuadée. J’ai sombré lorsqu’on ne s’est plus vus du jour au lendemain, mais j’avais goûté à la vie, je refusais de perdre cela aussi, mon petit appartement tout vide m’a permis de me relever, de résister.

Je recommence avec ma mélancolie. Je ne sais pas pourquoi je pense à tous ces souvenirs maintenant, peut-être ne suis-je pas faite pour vivre avec quelqu’un. Allez, assez de larmoiements, je dois avancer, alors autant continuer de me créer mon petit univers, sans rien attendre des autres.

*

Dans deux jours, je commence un nouveau travail, comme d’habitude, je stresse, impossible de me rassurer totalement. Je vais récolter des fruits, le patron possède plusieurs vergers, il m’a offert un contrat de six mois, il me fait confiance alors que je n’ai jamais exercé ce travail. Je n’ai pas beaucoup parlé pendant notre rendez-vous d’ailleurs, je ne comprends toujours pas ce qui l’a poussé à m’embaucher. Mon côté réservé m’empêche de me vendre correctement, je n’ai jamais su le faire, pas grave, j’ai obtenu le poste, c’est bien l’essentiel. Ça va me changer des petits boulots par-ci par-là, je vais pouvoir économiser de l’argent ! Ou tout dépenser ! J’aimerais tellement m’acheter de la belle lingerie, j’ai toujours récupéré les vieux soutifs de mes sœurs, ou des copines de mes sœurs, c’était encore pire. Quelle humiliation quand j’y repense, je n’avais rien de neuf, toujours de vieilles sapes usées, raccommodées, aux couleurs passées. Je me souviens de ma chemise orange, d’un bel orange, couleur melon en fait, que j’avais pu m’acheter avec mon argent saisonnier, je l’adorais. Mais un jour, alors que je la cherchais partout, un de mes frères est arrivé dans la cuisine, avec un bout de ma chemise, souillé par la graisse de sa mobylette. Il s’en était servi comme chiffon de mécanique ! J’avais été dans une telle rage ce jour-là ! Impossible de garder quoi que ce soit de bien dans cette baraque familiale.

*

Mon premier jour de travail s’est bien passé. Nous devons être une bonne vingtaine, par équipes de quatre. Mon patron nous a tous réunis, nous a expliqué nos différentes tâches, puis a constitué les équipes. J’ai échappé à l’équipe de filles superficielles, bien contente, parler de maquillage, de fringues ou encore de drague à longueur de journées, très peu pour moi. Je travaille avec trois garçons, ils ont l’air correct. Le midi, nous mangeons tous ensemble, dans une grande salle, non loin des vergers. Mon patron a fait le tour des tables pour « prendre la température » comme il a dit, apparemment, il aime prendre soin de ses employés. Il a vu que je n’avais pas mangé grand-chose, s’est posté devant moi, m’a apostrophée de manger plus si je voulais tenir toute la saison. Je lui ai juste répondu un « Oui, Monsieur », mais mon estomac refusait toute autre quantité, même si le repas de ce midi était très acceptable. Je pensais cet épisode clos après le départ de mon patron, mais mes trois collègues ont tenu le même discours. Je les ai regardés chacun leur tour, médusée, n’ayant pas l’habitude que l’on se soucie autant de moi. Mon premier réflexe a été de penser « de quoi ils se mêlent ? », puis j’ai remarqué qu’ils essayaient juste d’être prévenants. Je reste toujours sur la défensive, c’est plus fort que moi.

L’après-midi, dès que ma caisse était pleine, l’un des trois venait m’aider pour la porter. Je me suis postée devant eux, droite, fière.

« Les gars, je suis capable de soulever mes caisses, arrêtez de me chouchouter comme ça ! Et puis si le patron voit ça, il ne me gardera pas ! » J’ai vu leur réaction estomaquée, mais je n’ai pas bougé, les affrontant avec une arrogance que je ne me connaissais pas.

Rémi a été le premier à réagir. «

Hey, miss, doucement. On ne veut pas t’embêter, on travaille en équipe, alors laisse-nous t’aider.

- Si l’un de nous a du mal à porter une caisse, on l’aidera, comme toi.

- Ok… Mais ne le faites pas systématiquement, je ne suis pas en sucre ! »

J’ai tout de suite réalisé que j’avais répondu un peu trop brutalement.

« Pardon… Je n’ai pas l’habitude qu’on me dorlote comme ça… »

Loyd, qui n’avait cessé de m’observer, m’a souri.

« T’inquiète, on ne va pas faire tout le boulot à ta place ! »

J’ai fini par sourire, me suis excusée, je pense qu’on va bien s’entendre.

*

J’avais raison, je m’entends bien avec les gars. Ils m’acceptent telle que je suis, ne me posent pas de questions, respectent ma timidité. Je commence à plus m’ouvrir à eux, même si je sais qu’il me faut du temps. Je me suis endurcie, j’en ai conscience, je reste encore méfiante, mais avec Benoît, Rémi et Loyd, je lâche quelques défenses.

L’ambiance de l’entreprise est bonne, à part les quelques filles pleines de manières. Je les ignore, et tant qu’elles me fichent la paix…

Je crois que j’ai enfin trouvé un certain apaisement, mon boulot est éprouvant physiquement, mais je l’aime bien, et quand je rentre dans mon petit appartement, je suis sereine. Mon vie sociale reste très limitée, ça me va comme ça, pas envie de me forcer. Peut-être que je prendrais un petit chat pour me tenir compagnie, ce serait chouette d’avoir un petit animal.

*

Ma période d’essai est terminée, me voilà partie pour cinq autres mois.

Un mois que je travaille déjà aux vergers, mon corps s’est habitué au rythme, aux charges, aux torsions et mouvements répétitifs. On s’entend tous bien, juste les pétasses qui font quelques fois des histoires.

Avec les gars, tout roule, notre équipe est soudée, on rigole ensemble, je les aime bien ces trois-là. Je sais qu’ils sortent ensemble les week-ends, ils m’ont plusieurs fois proposé de venir, je ne me sens pas encore capable d’affronter la foule dans les bars. J’aimerais bien pourtant. Des fois, je me dis que je passe à côté de bons moments, mais dès que je rentre chez moi, cette envie disparait tellement je me sens en sécurité dans mon cocon.

Un mois de travail, donc j’ai eu ma paie ! Comme c’est plaisant d’avoir un salaire entier, j’ai l’impression d’être riche ! Je me suis acheté de beaux sous-vêtements, avec des petites fleurs rouges, style liberty, et de la dentelle. Je crois que je vais retourner en acheter deux supplémentaires, mais avec les petites fleurs bleues.

J’ai réfléchi pour le chat, ce n’est pas le bon moment pour prendre un animal, je suis absente toute la journée, la pauvre bête passerait son temps à s’ennuyer dans l’appartement. Je vais rester seule, c’est plus sage.

*

J’ai revu David aujourd’hui. Deux ans qu’on ne s’était pas croisés… Quel choc ! Il m’a littéralement sauté dessus… J’ai eu peur, vraiment peur, cette peur viscérale qui noue le ventre et accélère le rythme cardiaque. D’abord parce qu’il a surgi par derrière, ensuite parce qu’il m’a crié dessus tel un clown maléfique sortant de sa boîte. Il transpirait, tremblait, mal à l’aise mais excité, heureux de me voir. A-t-il oublié comment notre histoire s’est terminée ? Je lui en veux tellement !! J’étais là à le regarder gesticuler dans tous les sens, stoïque, ne sachant que faire en fait. J’ai réussi à ne rien montrer, même si je sais que mon visage s’est empourpré tant il m’a effrayée. Je pense m’être montrée malgré tout sereine et calme.

Alors que David ne cessait de parler, comblant certainement sa gêne de me faire face (a-t-il eu peur que je lui demande enfin des explications quant à notre rupture ?), alors qu’aucun son ne sortait de ma bouche, j’ai aperçu Rémi… Je me suis sentie tellement acculée tout à coup ! Ma vie antérieure venait entrechoquer ma vie présente. Je n’avais aucune envie que Rémi puisse rencontrer mon ex… Pourtant, je n’ai rien pu faire pour éviter la collision de mes deux vies. Rémi a certainement senti ma gêne, il s’avançait d’abord tout sourire, puis, plus il s’approchait de moi, plus son visage se faisait interrogateur. J’aurais voulu me cacher, disparaître…

David s’est aussi aperçu de mon changement de comportement, il a brusquement cessé de parler. Rémi m’a fait la bise, puis a serré la main de David. Je ne parlais toujours pas, tétanisée. Alors, Rémi a fait comme si de rien n’était en m’interrogeant.

« Miette, tu viens ce soir ?

- Euh… Je ne sais pas…

- On s’est donné rendez-vous à 21h au Kilkenny, il n’y aura que Loyd et Benoît, ce serait cool que tu nous rejoignes. »

Rémi a ensuite regardé David, qui ne bougeait plus.

« Si tu veux, on finit nos courses ensemble, et je t’emmène ?

- Oh, les miennes sont terminées, mais merci. »

La situation me paraissait tellement surréaliste… Rémi m’a passé le bras sur les épaules puis m’a embrassée.

« Alors je dis aux gars que tu viens, ok ? A tout à l’heure ! »

Je n’ai pas réussi à répondre… Pas devant David. Je ne voulais pas qu’il sache quoi que ce soit de ma vie, de ma nouvelle vie, de ma vie sans lui.

Mais David a posé des questions.

« C’est qui ce mec ? C’est ton copain ? »

Sa question, révélant sa jalousie, m’a réellement surprise.

« Non, un collègue.

- Il t’a appelée comment ? Miette ??

- C’est mon surnom… Désolée, je dois rentrer. » Puis je me suis éloignée, me suis dirigée vers une caisse libre, sentant le poids de son regard sur mon dos. En posant mes courses sur le tapis, je me suis aperçue que je n’avais même pas pris le quart de ce que je voulais… Tant pis, je refusais de perdre la face devant David.

*

Cette rencontre fortuite me chamboule encore, je ne fais qu’y penser… Je m’en veux tellement de ressentir autant d’émotions à cause de lui ! Pourquoi David arrive-t-il à m’ébranler à ce point ? Pourquoi suis-je restée aussi muette devant lui ? J’ai maintenant envie de lui crier tout ce que je pense de lui, de son comportement, du mal qu’il m’a fait, de ce que j’ai dû faire après notre rupture. Je croyais être passée à autre chose, mais mon esprit me joue des tours, comme si nous venions de rompre. Tous les souvenirs refont surface, les très bons, excellents même, comme les pires… Ma gorge reste serrée, je n’ai pas réussi à manger ce soir.

Et puis maintenant, il faut que j’aille rejoindre les gars… Je préférerais rester seule, mais ma lâcheté m’a forcée à accepter malgré moi l’invitation de Rémi. Première fois que je vais les rejoindre en dehors des heures de travail… Et si Rémi se met à parler de David, que vais-je lui répondre ? Mon stress ne fait qu’accroître…

*

Jamais je n’aurais cru m’amuser autant, quelle soirée ! Les gars sont top, ils m’ont permis de ne plus ruminer. Pourtant, au début, ce n’était pas gagné. A peine arrivée, Rémi m’a demandé qui était le gars du supermarché. Je me suis sentie traquée mais je n’avais pas d’autre choix que de répondre.

« C’est mon ex », ai-je répondu d’un air le plus détaché possible.

Comme ça sonnait faux, ma nonchalance forcée n’est pas passée inaperçue. Loyd s’est mis à me fixer, silencieux. Rémi m’a alors fait part de son ressenti, jamais je n’aurais imaginé avoir pu renvoyer cette image.

Il m’a confié que j’avais eu l’air terrorisée, comme prise au piège. Benoît a cherché à en savoir davantage, alors Rémi a raconté notre rencontre et m’a dit que j’avais juste eu l’air d’avoir besoin d’aide. Il m’a même avoué qu’il est resté un peu au loin pour voir si j’arrivais à me sortir de la situation.

Tout le temps que Rémi parlait, je suis restée tête basse. Moi qui pensais avoir abordé un air désinvolte, c’était raté. Puis Loyd m’a sortie de l’embarras en disant qu’on était là pour s’amuser et qu’il était heureux que je sois venue les rejoindre. Rémi s’est rendu compte de ma gêne et s’est excusé.

Mes trois collègues ont ensuite passé leur temps à me faire rire, racontant parfois des blagues vaseuses, avec une désinvolture libératrice. Nous avons ensuite fini la soirée sur la plage, Benoît nous faisant découvrir la plage de Tahiti au Pouliguen.

Dès que nous sommes arrivés, les gars se sont mis à la recherche de bois, ont allumé un feu de camp, et ont fini en caleçon. Ils se sont alors précipités dans l’eau, hurlant, riant. Ils sont revenus grelotant, tentant de se sécher autour du feu. Moi, je les regardais, admirative qu’ils aient osé se baigner en pleine nuit. J’ai apprécié leur audace et leur légèreté. Ils se sont réfugiés dans leur serviette de bain, puis Loyd a sorti les chamallows. Un pur délice ces brochettes croustillantes et fondantes !

Les garçons m’ont demandé de revenir ce soir avec eux… Ma réponse ne s’est pas fait attendre cette fois-ci, même si j’appréhende de me retrouver avec tous les autres collègues.

*

Bien sûr, j’ai dû retourner au supermarché, moi qui n’aime pas sortir dans les magasins le samedi. Je regardais dans tous les rayons, de peur de retomber sur David. Je vais peut-être changer de supermarché, je me vois mal stresser chaque fois que je dois m’acheter à manger. Je n’ai rien oublié cette fois-ci, j’avais préparé une liste. Vu mon manque d’appétit, j’en ai pour pas mal de jours, mes placards n’ont jamais été aussi remplis.

N’ayant plus l’habitude de sortir le soir, l’attente pour partir pour la soirée fut insupportable. J’ai eu l’impression que le temps s’était figé, je regardais l’heure sans cesse, les aiguilles bougeaient à peine. Ne sachant que faire pour m’occuper, j’ai décidé de sortir me promener à Guérande. Mais là encore, je me suis ennuyée, scrutant ma montre à chaque sortie de magasin. Je me suis même dit que j’aurais préféré ne pas être seule, alors que ma solitude était mon refuge depuis deux ans.

*

Je ne sais pas trop quoi penser de cette soirée, elle était bien différente de celle de la veille. Je m’étais vraiment sentie intégrée au groupe, pas ce soir. Je connais bien mes trois collègues, hier, ce n’était que la continuité de nos journées de travail. Ce soir, l’ambiance était tellement divergente avec toute cette drague ambiante. J’ai préféré m’éclipser deux heures à peine après mon arrivée, ne pouvant m’empêcher de penser à David et ses soirées cachées. Est-ce comme ça qu’il a eu tant de facilités à me tromper ?

*

Les gars étaient ravis que l’on se retrouve au travail ce matin, moi aussi, même si je restais plus distante. A la pause-déjeuner, Loyd m’a demandé si ça allait. J’ai répondu un « oui » évasif. Benoît m’a alors demandé mon impression sur la soirée de samedi. Je l’ai regardé furtivement. Puis j’ai essayé de m’exprimer le plus calmement possible, afin que personne ne puisse déceler ma déception.

« Je n’aime pas trop lorsqu’il y a plein de monde, j’ai préféré partir. Et puis j’étais fatiguée de la semaine. »

Mais ma réponse n’a apparemment pas satisfait Rémi.

« Pourtant, tu es arrivée contente. Qu’est-ce qui ne t’a pas plu ? »

Soudain, j’ai senti les yeux me piquer. J’ai tourné la tête vers la fenêtre, tentant de cacher cette émotion qui surgissait. Mais pourquoi étais-je subitement si émotive ??

« Rien, j’étais vraiment fatiguée… Je vais un peu dehors avant de reprendre le boulot, à tout à l’heure. »

Et je suis sortie brusquement. J’ai trouvé un petit endroit éloigné, je me suis allumée une clope. Mes mains tremblaient. David a encore refait surface dans mon esprit, toujours à la façon d’un clown à ressort, d’un diable en boîte. Une larme a commencé à couler le long de ma joue. J’ai réussi à retenir les autres, laissant ma colère prendre le dessus. J’avais assez pleuré lorsque notre relation s’était arrêtée si brutalement, je ne voulais plus lui accorder autant d’importance.

« Mina ? »

J’ai sursauté.

« Pardon de te faire peur… Ça va ?

- Laisse-moi seule s’il te plaît. »

Je ne sais pas si Rémi est parti immédiatement, je ne me suis pas retournée, ne souhaitant pas qu’il me voie dans ce moment de faiblesse.

Je suis restée silencieuse le reste de la journée, les souvenirs d’avec David resurgissaient encore, avec plus de détails, si précis. Par moments, je sentais mon cœur se serrer, puis un moment de panique survenait tout à coup, incontrôlable, me coupant soudainement le souffle. J’ai réussi à retenir quelques larmes de couler, j’espère juste que personne ne s’en est aperçu. J’ai ensuite réussi à me blinder, fermant mon visage, le rendant peut-être plus dur, mais au moins mes yeux ne me piquaient plus et j’ai pu continuer à travailler.

*

Je n’arrive toujours pas à manger ce soir. Mon surnom ne m’a jamais aussi bien collé à la peau, je n’ai pas faim. Qui m’a surnommé Miette ? Rémi, je crois.

*

Le reste de la semaine, je me suis plongée dans le travail. Il est assez harassant pour aider à ne plus penser. Par contre, les soirs et les nuits… Jamais je n’ai fait autant de cauchemars.

Je sentais quelques fois les regards des gars sur moi. Je faisais alors comme si de rien n’était, continuant de me concentrer sur mon boulot. Aucun des trois n’a osé m’interroger. Ils étaient là, égaux à eux-mêmes, présents, et m’aidant à porter les caisses les plus lourdes, comme d’habitude. Ils ne le savent pas, mais leur respect de ma prise de distance et de mon silence m’a énormément aidée. Grâce à eux, je suis restée dans le groupe. S’ils m’avaient assaillie de questions, je me serais certainement encore plus éloignée.

*

Ce soir, j’ai fouillé dans l’annuaire, et j’ai trouvé le numéro de téléphone de David, ainsi que son adresse. J’ai tellement envie de me confronter à lui, de lui demander pourquoi il a été aussi lâche, pourquoi il m’a fait autant de mal, pourquoi, après, il m’a craché dessus avec ses paroles. Mais je reste là, à scruter mon téléphone, remplie d’angoisses.

La sonnette vient de retentir, ça m’a fait peur, j’ai sursauté ! Ça insiste… Je vais aller voir qui vient me déranger ce soir.

*

Les gars sont encore là, affalés sur mon canapé, en train de dormir. Je suis dans mon lit, impossible de trouver le sommeil. Trois gars que je connais depuis… Depuis combien de temps au fait ? Deux, trois mois ? Comment font-ils pour réussir à me remonter le moral ? Ils sont arrivés ce soir, frappant à ma porte, avec quelques boissons, un peu de charcuterie, débarquant comme si je les avais invités pour la soirée.

Je les ai accueillis avec les yeux bouffis, j’ai bien vu qu’ils m’ont regardée, mais n’ont rien dit. Ils m’ont fait la bise chacun leur tour, sont entrés, m’ont demandé s’ils pouvaient s’asseoir, ont installé les victuailles sur la table du salon. Loyd, avant de s’asseoir, est venu m’attraper par la main, j’étais restée sur le pas de ma porte, les laissant envahir mon tout petit appartement. Il m’a approchée doucement du canapé et m’a fait m’asseoir.

« Toi, tu restes ici, nous on s’occupe de tout. »

Je n’ai pas réussi à parler pendant de longues minutes. Ils parlaient gaiement, comme lors de notre première soirée. Puis, j’ai réussi à me détendre un peu, je les regardais chacun leur tour, souriant légèrement. Tous trois étaient tellement différents physiquement, mais tellement complémentaires intellectuellement. Rémi, avec son air sérieux de jeune étudiant, alors que c’est souvent lui qui nous chambre le plus. Loyd, avec son côté séducteur, mais qui semble aussi réservé. Et puis Benoît, le plus naïf, mais toujours attentionné.

Leurs regards, leurs gestes bienveillants envers moi m’ont touchée. Je me suis alors levée, me suis dirigée vers le frigo pour en sortir toute la nourriture qu’il me restait des courses de la dernière fois.

En revenant avec mon assiette bien garnie, les garçons m’ont accueillie tous sourires, je devais avoir une meilleure mine. J’étais contente qu’ils soient venus, ils me laissaient tranquillement reprendre mes esprits, sans m’interroger, sans m’obliger à participer aux conversations. Ils étaient juste là avec moi, pour moi.

Au cours de la soirée, j’ai commencé à ressentir la fatigue, les nerfs tombaient également alors que j’avais pleuré tous les soirs de la semaine. J’ai essayé de m’installer différemment, tentant de me recroqueviller légèrement, mais impossible de m’allonger davantage. Benoît, tout près de moi, s’est tapoté les cuisses.

« Mets tes jambes ! »

Je l’ai écouté et me suis allongée.

Alors que les gars continuaient de discuter, Benoît avait machinalement commencé à me malaxer les mollets. J’ai fini par m’endormir, sans même m’en apercevoir. Je devais surtout somnoler, j’entendais parfois leurs chuchotements. Leurs rires étouffés me parvenaient également, me rassuraient. J’ai alors réussi à ouvrir doucement les yeux.

« Ça y est, tu te réveilles ? On va te laisser. »

Loyd a commencé à regrouper ce qui se trouvait sur la table basse. Je me suis alors redressée, encore à moitié dans la brume.

« Non, restez. Pardon de m’être endormie… »

La soirée s’est doucement poursuivie, j’arrivais même à rire et à discuter avec eux. Puis Rémi a montré quelques signes de fatigue, il était presque quatre heures du matin ! J’ai à nouveau proposé aux gars de rester chez moi, mais cette fois-ci pour dormir. Je ne leur ai rien dit, mais en fait, je redoutais de me retrouver seule, je redoutais que mes cauchemars reviennent.

Maintenant, je dois aller aux toilettes, mais j’ai peur de les réveiller… Pas le choix pourtant.

*

Loyd m’a aperçue me diriger vers les toilettes, il n’arrivait pas à dormir lui non plus. Je lui proposé de venir parler dans ma chambre.

Allongés tous les deux dans le noir, il a osé me demander pourquoi je n’étais pas bien depuis la soirée de samedi. J’ai réussi à lui confier que cette soirée m’avait replongée dans le dernier été passé avec David, me l’imaginant draguer, boire, me tromper avec la première venue…

Loyd a eu une phrase surprenante.

« Tous les mecs ne sont pas comme ton ex, tu sais.

- Je sais, mais cette ambiance… C’était trop pour moi, surtout que je venais juste de le revoir. Il m’a vraiment fait peur au supermarché, je ne m’y attendais pas.

- Vous n’êtes plus ensemble depuis longtemps ?

- Presque deux ans.

- Et personne depuis ?

- Non. Je ne pense pas être encore prête. Surtout que…

- Quoi ?

- Rien…

- Je ne sais pas ce qu’il t’a fait subir d’autre, mais c’est un pauvre type. »