Petite Plume - Sandrine Chamrion - E-Book

Petite Plume E-Book

Sandrine Chamrion

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Beschreibung

1984. Aurore, jeune fille introvertie, se voit proposer un voyage linguistique en Irlande. Attirée par ce projet, elle n'a qu'une inquiétude, que ses parents le lui refusent. Avec l'aide de sa professeure d'anglais, elle met alors tout en oeuvre afin de pouvoir partir, quand éclate un secret de famille. Malgré la peur de l'inconnu, malgré ses doutes, ses incertitudes, elle part vers cette contrée lointaine, seule, emportant avec elle le poids des révélations.

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Seitenzahl: 284

Veröffentlichungsjahr: 2024

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« De la boue naît la fleur de lotus. De votre souffrance peut naître bonheur et accomplissement. »

Thich Nhat Hanh

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

1

Sur le chemin à peine éclairé qui la séparait de l’arrêt de bus à sa maison, Aurore était absorbée par ses pensées. Son sac U.S. sur l’épaule droite, elle marchait dos courbé, tête basse. Comment allait-elle pouvoir aborder le sujet avec ses parents ? Sa professeure d’anglais attendait une réponse pour la semaine prochaine… Ce voyage inespéré que Mme Bordier lui proposait, était une opportunité à ne pas louper, Aurore en avait parfaitement conscience. Seulement, ses parents… Allaient-ils accepter ? Allait-elle encore essuyer un refus tonitruant avec en prime une querelle à n’en plus finir ?

Elle n’avait aucune envie de rentrer ce soir, encore moins que les autres soirs. Elle s’arrêta devant la porte d’entrée lorsque la lumière extérieure s’alluma soudainement. Sa mère ouvrit brusquement la porte, la faisant sursauter.

« Ça y est, te voilà enfin, il est tard ! Tu as traîné sur la route, ou quoi ?

- Non, je viens tout juste d’arriver.

- Débarrasse-toi de tes affaires et viens à table, c’est prêt. »

Comme d’habitude, seul le son de la télévision couvrait le repas. Comme d’habitude, son père ne lui avait pas adressé la parole, ne l’avait même pas regardée.

A peine eut-elle fini de manger qu’Aurore se réfugia dans sa chambre, mit ses écouteurs et alluma son walkman. Elle resta un long moment ainsi, blottie dans la position du fœtus, sur son lit, éclairée seulement de sa petite lampe de chevet. La discussion qu’elle aurait voulu aborder ce soir s’était avérée impossible. Elle attendrait que sa mère se couche et irait alors la rejoindre dans sa chambre avant qu‘elle ne commence à se plonger dans son livre.

Aurore enleva ses écouteurs afin de percevoir les différents bruits de la maison, et guetta le moment adéquat pour aller parler à sa mère.

*

Aurore sortit de sa chambre, tenant fermement le document que sa prof lui avait remis. En bruit de fond, elle perçut le journal télévisé que son père commentait en grommelant. Elle se dirigea vers le couloir sombre, le cœur battant, se retrouva devant la porte entrebâillée lorsque sa mère l’aperçut.

« Qu’est-ce qui se passe ?

- J’ai un papier à te remettre, c’est de la part de ma prof d’anglais. »

Elle osa pénétrer dans la chambre de sa mère et lui tendit la grande enveloppe. Un lourd silence s’installa alors que la vieille femme lisait le document. Aurore balaya la pièce du regard, comme cette chambre était angoissante avec la moquette marron foncé collée aux murs.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça te plairait ? »

Son ton adouci encouragea Aurore à expliquer le projet.

« En fait, c’est un échange que ma prof aimerait que je fasse. Elle voudrait que j’aille dans une famille irlandaise pendant trois mois, et puis l’irlandaise viendrait ensuite chez nous pendant trois autres mois. Ma prof m’a proposé cet échange comme je suis la première de la classe.

- C’est vrai que ça serait bien pour toi… Mais combien ça va nous coûter ? Et puis, accueillir une inconnue chez nous… Je ne sais pas ! »

Aurore se renferma quelque peu, puis se reprit.

« Ma prof propose un rendez-vous avec toi et papa, pour vous expliquer. Elle m’a dit aussi qu’elle pourrait demander de l’aide pour le paiement du voyage. »

Un nouveau silence pesant suivit. Aurore n’arrivait pas à déceler ce que pouvait penser sa mère.

« Je garde les papiers, j’en parle à ton père, on verra ce qu’on décide. »

Aurore sortit et retourna dans sa chambre. Elle attendit un long moment, espérant que sa mère se lève et aille rejoindre son père dans le salon, mais rien. La maison restait inexorablement endormie, comme à son accoutumée.

Elle prit son sac U.S., fouilla à l’intérieur et sortit son agenda. Elle constata avec soulagement qu’elle n’avait pas trop de travail pour ce soir. Elle fit rapidement ses devoirs, telle une automate, parvenant difficilement à se concentrer, elle ne pensait qu’à ce voyage. Aurore était encore une fois suspendue au bon vouloir de ses parents. Plus les années passaient, plus elle prenait conscience de leur froideur et de leur mépris envers elle. Petite, elle ne s’était pas trop posée de questions, puis, au fil des années, elle avait remarqué les différences de comportement avec les parents de ses copines d’école. En grandissant, elle avait même pensé qu’elle devait certainement être issue d’une grossesse non désirée.

*

Aurore se leva et se prépara rapidement. Elle regarda rapidement l’heure, 05h45, il ne lui restait que vingt minutes pour prendre son petit déjeuner. Arrivée dans la cuisine, elle remarqua immédiatement le mot laissé sur la table.

« Demande à ton professeur pour un rendez-vous, ton père veut en savoir plus. »

Rien que cette note lui mit du baume au cœur, ses parents en avaient donc parlé, et surtout, ils n’étaient pas complètement fermés au voyage.

Elle déjeuna rapidement puis sortit dans le noir rejoindre l’aubette au bout de sa rue et attendit le bus qui allait la conduire jusqu’à son lycée. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait légère, elle avait un but peut-être accessible. Elle espérait que sa prof soit assez convaincante pour que ses parents acceptent qu’elle puisse partir au printemps.

*

Aurore se précipita hors du lycée dès son dernier cours. Elle attendit ses parents avec l’angoisse qu’ils aient changé d’avis au dernier moment.

En les apercevant, elle ressentit un léger malaise, mêlé à un sentiment de pitié. Elle voyait ce couple âgé s’avancer vers elle, un couple austère, revêche. Jamais elle n’avait réalisé comme ses parents semblaient vieux. Quel âge pouvaient-ils bien avoir ? Les anniversaires étaient rarement fêtés chez eux, elle réalisa qu’elle ne connaissait que très peu leur vie passée. Soudain, une question lui vint à l‘esprit, quel âge avait sa mère lorsqu’elle était tombée enceinte d’elle ? Etait-ce vraiment possible qu’une grossesse tardive soit la cause de leur dureté, de leur rejet envers elle ? Alors qu’ils marchaient avec difficulté, Aurore se mit à les observer davantage. Si elle ne les connaissait pas, elle aurait pensé que ce couple avait dû subir bien des difficultés, pourtant leur quotidien était si morne. Ils donnaient l’impression de porter tous les malheurs du monde sur leurs épaules.

Une fois réunis, Aurore les guida dans le grand bâtiment jusqu’à la salle 307, où Mme Bordier les attendait. Dès que celle-ci les aperçut franchir le seuil de la porte, elle se dirigea, enthousiaste, vers eux. Au lieu de répondre à la poignée de main tendue de Mme Bordier, le père d’Aurore grommela.

« Monter les trois étages !! Il n’y avait pas d’autre salle plus facile d’accès ? »

Mme Bordier regarda furtivement Aurore, qui avait instinctivement baissé la tête, honteuse du comportement de son père.

« Pardonnez-moi, malheureusement, c’est ici ma salle principale, je ne pouvais faire autrement. Asseyez-vous, je vous en prie. »

Aurore fut reconnaissante envers sa prof de ne pas tenir cas de l’humeur de son père.

Ses parents écoutèrent les explications données pour ce voyage extraordinaire, sa mère semblait la plus attentive. Aurore se dit alors qu’une réponse positive serait peut-être envisageable. Une fois que Mme Bordier eut fini ses explications, son père se remit à parler brusquement.

« On est d’accord pour qu’elle quitte la maison, par contre, pour l’argent, il faudrait voir comment faire, parce que ça coûte très cher. Et puis qu’une étrangère vienne chez nous, ça risque d’être compliqué, en plus on n’a pas de chambre !

- Papa, on a une chambre…

- Tais-toi ! Non, je l’utilise cette chambre !! »

Tout le monde se figea sur ces paroles brutales.

Aurore devint livide, tellement honteuse. Mme Bordier reprit rapidement ses esprits.

« Si Aurore pouvait participer à ce voyage sans échange, seriez-vous d’accord ?

- Oui, qu’elle y aille !! Et pour l’argent ?

- Je vais demander une aide exceptionnelle pour votre fille. Il restera certainement un complément à verser. Seriez-vous d’accord ? »

Aurore profita d’un très court moment d’hésitation de son père pour l’empêcher de parler.

« J’ai travaillé pendant plusieurs étés, j’aurais peut-être assez pour payer ? »

Mme Bordier décela le désarroi d’Aurore avec cette proposition.

« Si tes parents sont d’accord, je te dirai combien il restera à payer.

- Ah oui, elle n’a qu’à payer si elle a de l’argent !

Après tout c’est pour elle !! »

Le rendez-vous se termina sur ces mots durs, mais Aurore était malgré tout pleine d’espoir de pouvoir partir en Irlande.

Mme Bordier remit à la famille les derniers documents pour finaliser l’organisation de ce voyage, avec la liste des pièces à fournir.

Pendant la route du retour, Aurore consulta la liste. Il y était noté, entre autre, qu’il lui fallait une pièce d’identité, elle décida d’entamer les formalités le plus rapidement possible, même si le voyage n’était prévu que dans un peu moins de quatre mois.

« Il me faut une carte d’identité, je vais m’en occuper dès demain. »

Ses parents se regardèrent.

« Je vais m’en occuper, comme tu seras en cours.

- D’accord, merci maman. »

Ce soir-là, le repas fut pris dans une ambiance sensiblement plus légère. Il n’y eut toujours aucun dialogue, le père d’Aurore continuant d’écouter la télévision, mais la tension quotidienne s’était atténuée.

Aurore se remémora la phrase de son père « on est d’accord pour qu’elle quitte la maison ». Elle se demandait si l’opportunité du voyage n’offrait pas à ses parents un moyen de se débarrasser d’elle. Peut-être était-ce bien ce qu’elle pensait, sa mère avait dû avoir une grossesse très tardive non désirée et sa naissance avait certainement bouleversé la vie de ses parents. Cela expliquait qu’elle se sente tellement rejetée.

*

A la fin du cours d’anglais suivant, Mme Bordier retint Aurore.

« Aurore, je voulais te demander si tout allait bien chez toi, avec tes parents.

- Oui, ça va, mon père est parfois dur, mais ça va.

- Si tu as besoin de parler, viens me voir s’il te plaît, tu peux compter sur moi.

- Merci Mme Bordier.

- Tiens, je t’ai noté mon adresse et mon numéro de téléphone. Garde-les toujours sur toi, et si tu as besoin, viens me voir, ou téléphone. Je m’inquiète pour toi. »

Les mots qu’Aurore venaient d’entendre la touchèrent subitement. Tout à coup, elle eut les larmes aux yeux, sans qu’elle put se contrôler.

« Dis-moi ce qu’il se passe…

- C’est la première fois qu’on s’inquiète pour moi. »

Mme Bordier prit Aurore dans ses bras, qui sentit les larmes monter, mais réussit à se retenir. Jamais elle n’avait connu d’étreinte, même de la part de sa mère. Cette sensation nouvelle l’ébranla. Elle se libéra brusquement des bras de sa prof, de peur de ne pas pouvoir contrôler davantage ce tourbillon émotionnel qui venait de l’envahir.

« Merci Mme Bordier. Je dois retourner en cours.

- Oui, bien sûr, mais n’oublie pas que je suis là pour toi. »

Mme Bordier lui passa la main dans le dos et lui sourit tendrement. Aurore réussit à esquisser un léger sourire en retour et sortit de la salle. Elle courut rejoindre sa classe, s’assit à sa place habituelle et demeura l’esprit absent durant toute l’heure de maths.

L’inquiétude de Mme Bordier à son égard continuait de la hanter. Jamais elle n’avait connu cette sensation de compter pour quelqu’un. Dans ses souvenirs, jamais ses parents ne lui avaient montré un quelconque signe d’affection.

Heureusement, ce cours de maths était le dernier de la journée, Aurore avait hâte de retrouver sa chambre, son espace. Elle monta machinalement dans le bus, passant l’heure de trajet absorbée par ses pensées, rentra, dîna, et se précipita comme tous les soirs dans son refuge. Elle mit ses écouteurs, enclencha la cassette qui démarra sur une de ses musiques préférées « smalltown boy » de Bronski Beat. Quelle coïncidence… Elle se sentait ce soir comme ce jeune dans le clip, rejetée et incomprise. Le manque d’amour, les pics de son père, l’indifférence de sa mère, tout lui prouvait que ses parents n’en avaient que faire d’elle. L’inquiétude de sa prof lui prouvait que ses parents avaient bien un comportement suspect envers elle.

Tout en continuant d’écouter sa musique, Aurore laissa couler quelques larmes le long de ses joues.

2

La mère d’Aurore avait commencé les démarches pour la demande de carte d’identité. Juste avant le rendez-vous, Aurore alla avec elle dans un photomaton afin de faire les photos d’identité. Tout au long de cette escapade, elle trouva sa mère particulièrement silencieuse et nerveuse. Arrivée à la mairie, cette dernière essaya de l’écarter afin de remplir les formulaires seule. Aurore remarqua le document épais que sa mère avait pris la peine de bien cacher. Cantonnée à rester assise sur une chaise éloignée, elle ne put entendre ce que sa mère expliquait à voix basse à l’employée de mairie.

Alors que les papiers semblaient complètement remplis, l’employée l’appela. Sa mère se tourna, le visage anxieux.

« Mademoiselle, nous devons prendre vos empreintes dorénavant. »

Aurore s’exécuta.

« Maintenant, veuillez relire le formulaire, vérifier si toutes les informations sont exactes, puis signer.

- Non, ma fille n’a pas besoin de vérifier, j’ai déjà tout rempli ! Allez Aurore, signe vite qu’on en finisse !

- Madame, cette demoiselle ne peut signer sans vérifier ce qui a été noté, c’est la procédure ! »

Pourquoi sa mère était-elle encore plus tendue, pourquoi s’énervait-elle à ce point ?

Aurore s’approcha, commença à lire.

« Maman, pourquoi tu as marqué que tu es mon tuteur légal et rayé la mention mère ?

« Pourquoi il y a le prénom de Rosa dans la case de ma mère ??? Et pourquoi c’est marqué « décédée » ????

- Signe si tu veux ta carte d’identité !!!

- Mais… Je ne comprends pas…

- Signe, je te dis !!! Ne fais pas de scandale !!! »

Aurore signa, abasourdie par cette découverte, ne comprenant pas, n’arrivant pas à réfléchir.

L’employée de mairie regarda Aurore avec compassion.

« Mademoiselle, apparemment, vous ne saviez pas que votre véritable mère était décédée, je suis navrée que vous l’appreniez de cette façon.

- Mêlez-vous de vos histoires !!! Je vous ai demandé de rester discrète !!

- Madame, restez correcte !! Personne ne peut signer un document sans en connaître le contenu. Maintenant, je vous conseille d’expliquer à votre petite-fille son histoire. »

Aurore et sa mère se regardèrent, stupéfaites l’une comme l’autre.

« Viens vite, on sort de là !!! »

Aurore ne bougeait pas, elle sentit alors qu’on lui empoignait le bras violemment pour la forcer à sortir du bureau, avant de se retrouver brutalement évacuée.

Une fois à l’extérieur, sa mère continuait de la tirer violemment, elle se dégagea alors avec une force qu’elle n’aurait pas imaginé avoir.

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire ??? Tu n’es pas ma mère ???

- Parle moins fort !!!! On verra ça à la maison, je ne veux pas de scandale !!! »

Pendant le trajet du retour, Aurore osait à peine regarder sa mère. Tout se bousculait, elle avait l’impression que sa tête allait exploser. D’après ce qu’avait dit l’employée de mairie, la femme qui se faisait passer pour sa mère était en fait… sa grand-mère !

Tant de questions se heurtaient dans son esprit : qui était sa vraie mère, que lui était-il arrivé, pourquoi ses grands-parents lui avaient caché la vérité, et pourquoi l’avoir élevée alors qu’ils la rejetaient ? Sa mère était-elle décédée en accouchant ? Et son père, où était-il ?

A peine après avoir franchi le pas de la porte, Aurore assaillit sa grand-mère de toutes ces questions.

« Arrête !!! Je verrai avec ton père ce qu’on te dira !! Pour le moment, va dans ta chambre, laisse-moi tranquille !!

- Non !! Je n’arrêterai pas !! Depuis toutes ces années, vous me mentez, vous m’avez élevée par obligation, je comprends mieux maintenant votre méchanceté envers moi !! Je ne suis pas votre fille !!! Je ne suis pas votre fille !!! »

Aurore reçut une immense gifle qui lui coupa le souffle.

« Comment peux-tu me frapper alors que c’est toi qui as menti !!

- Qu’est-ce que c’est ce bordel ?? Qu’est-ce qu’elle a à hurler comme ça, pour qui elle se prend celle-là ???

- Elle sait qu’on n’est pas ses parents !! »

Le vieil homme qui venait de faire son entrée dans la cuisine, resta pétrifié un court instant après les paroles de sa femme.

« Et ben, c’est très bien, comme ça elle saura quelle mère elle avait !!! Et puis tout ce qu’on a dû cacher pour éviter le scandale !! Pour elle, en plus !!! On a tout fait pour toi, pour t’élever, et regarde comment tu es !! Tu oses crier sur ta m… Non, pas ta mère !! Oui, on est tes grands-parents !! Tu nous dois encore plus le respect !!! »

Ces dernières paroles eurent le don de mettre Aurore hors d’elle. Son grand-père lui parlait de respect alors qu’il la maltraitait depuis toujours, ne la supportant pas, la rabrouant, l’humiliant sans cesse…

Une vive altercation s’ensuivit, mais cette fois-ci, elle leur tint tête. La découverte de cette filiation cachée fut la goutte d’eau pour Aurore, elle ne lâcherait pas jusqu’à ce qu’elle ait toutes les réponses à ses questions. Cette trahison la remuait au plus profond de ses entrailles, mais en même temps lui permettait de comprendre enfin toute l’hostilité subie depuis sa plus tendre enfance.

La violente querelle se poursuivit, puis agacé, le grand-père d’Aurore, commença à vouloir reprendre le contrôle en s’avançant, menaçant, vers elle. Aurore, qui était entrée dans une colère jamais ressentie jusqu’à présent, se planta, droite devant lui.

« Ne t’approche plus de moi comme ça ! Tu ne me fais plus peur ! Tu n’es qu’un homme faible, qui n’a pas réussi à rendre heureuse ni sa fille, ni sa petite-fille !!

- Tu es bien comme ta mère, une traînée, une garce qui ne respecte rien ! Ta mère s’est juste fait engrosser ! On t’a récupérée parce que ta mère n’a même pas su se débarrasser de toi, elle voulait te garder, elle croyait pouvoir t’élever toute seule !! Tu dis que je suis faible, mais ce n’était pas moi le faible, c’était ta mère !! On a fait croire à tout le monde que tu étais notre fille pour ne pas la déshonorer, elle aurait pu refaire sa vie comme ça, sans toi, mais elle me l’a reproché et s’est suicidée !! C’est bien la preuve qu’elle n’aurait pas pu s’occuper de toi !! Heureusement qu’on a été là, sinon tu aurais fini à l’orphelinat !! »

Aurore déjà blême, semblait ne plus être dans son corps. Elle fixa ses grands-parents, un à un, longuement, avec un tel mépris dans les yeux, que personne n’osa réagir. Un terrible silence s’était imposé. Aurore se retourna, sans mot dire, se dirigea telle une automate dans sa chambre.

Au loin, elle entendait ses grands-parents continuer de se disputer vivement. Elle n’y prêta pas cas, demeurant pétrifiée au bord de son lit pendant de longues minutes. Son esprit continuait de bouillonner à cause de ces révélations, mais certaines bribes de phrases revenaient sans cesse. Sa vraie mère avait voulu l’élever, n’avait pas pu et s’était alors suicidée… Tout était de la faute de son grand-père… Pourquoi sa grand-mère n’avait rien dit ? Elle aurait pu plaider en faveur de sa fille… Ses grands-parents avaient perçu Aurore seulement comme un fardeau et le déshonneur de la famille. Mais sa mère l’avait aimée, c’était certain, pour décider de ne pas avorter…

Aurore entendit faiblement frapper à la porte. Puis, d’une voix si fragile, sa grand-mère l’appela pour passer à table. Curieusement, cette vieille femme ne lui intimait plus l’ordre de sortir immédiatement de sa chambre. Quelle ironie ! La vérité venait tout juste d’éclater, sa grand-mère se sentait-elle coupable pour s’être adoucie de la sorte ? Mais Aurore, qui avait tout accepté jusqu’à présent, n’eut aucune pitié pour elle.

Elle décida de rester dans sa chambre, seule, sans dîner.

3

Dès le lendemain matin, Aurore reprit ses habitudes, se leva dès l’aube, se prépara et déjeuna seule dans cette maison toujours sans vie, puis alla attendre son bus.

Les événements de la veille l’avaient empêchée de dormir quasiment toute la nuit, mais elle était plus que déterminée à connaître toute son histoire et celle de sa mère. Elle savait pertinemment qu’elle ne pouvait pas quitter le domicile de ses grands-parents, elle n’espérait qu’une chose, que le projet de partir en Irlande pour un trimestre complet puisse aboutir. Pour cela, Aurore avait décidé d’aller rendre visite à ses derniers employeurs afin de leur proposer ses services pour les week-ends et vacances scolaires. Elle pourrait ainsi financer plus aisément le voyage.

Les jours suivants, Aurore éprouva quelques difficultés pour se concentrer sur ses cours et ses devoirs. Ce manque d’attention n’échappa pas à Mme Bordier. Quatre jours après les révélations, elle retint à nouveau Aurore après son cours.

« Aurore, je te propose que l’on déjeune ensemble ce midi, je t’invite chez moi. Crois-tu que tu peux venir, veux-tu demander avant l’autorisation à tes parents ?

- Ils n’ont plus rien à décider pour moi !

- Qu’est-ce qui se passe ? Ils ne veulent plus que tu partes en Irlande ?

- Je partirai Mme Bordier, je vais me débrouiller pour pouvoir payer mon voyage, mais c’est sûr, je vais partir. »

Mme Bordier ne comprenait pas ce changement d’attitude chez Aurore, elle qui était toujours effacée, se faisant même parfois oublier, montrait aujourd’hui une détermination nouvelle.

« Alors, veux-tu venir manger avec moi ?

- Oui, avec plaisir !

- Je suis heureuse que tu acceptes ! On se donne alors rendez-vous devant le bureau du CPE1 ?

- Oui d’accord !! »

Aurore avait répondu avec tant de spontanéité, souriant sans en avoir réellement conscience, elle était ravie de pouvoir passer du temps avec sa prof qui lui parlait toujours avec bienveillance.

Aurore s’éloigna dans le grand couloir longiligne, Mme Bordier continua de l’observer, pensive.

Comme prévu, toutes deux se retrouvèrent le midi, puis allèrent au domicile de Mme Bordier. Celle-ci prépara le déjeuner rapidement, l’essentiel étant de passer un moment privilégié avec son élève.

Aurore évoqua rapidement son désir de travailler en dehors des cours afin de financer le voyage en Irlande. Puis, à sa grande surprise, elle commença à raconter naturellement l’événement s’étant produit à la mairie pour sa carte d’identité, et enfin annonça à sa prof que ses parents n’étaient en fait que ses grands-parents.

Mme Bordier avait laissé s’exprimer la jeune fille, sans l’interrompre. Elle aussi commençait à comprendre l’animosité de ce vieil homme envers Aurore.

En se libérant ainsi auprès de sa prof, Aurore se sentit un peu plus légère. Depuis l’épisode de la carte d’identité, toute sa morne vie avait été chamboulée. A la maison, elle n’adressait plus la parole à ses grands-parents, ne prenait plus la peine de s’effacer, de se faire oublier pour éviter les éventuelles réprimandes. Aurore avait commencé à se rebeller, à s’assumer enfin, à prendre conscience de l’écrasement affectif qu’elle avait subi de la part de ses grands-parents.

Ce soir-là, en rentrant des cours, au lieu de se rendre aussitôt dans la cuisine pour dîner, elle s’engouffra dans sa chambre, rédigea rapidement un mot, puis ressortit et se dirigea enfin vers la cuisine.

Ses grands-parents avaient commencé à dîner. Curieusement, Aurore ne subit pas leurs remontrances acerbes habituelles. Au contraire, tous deux paraissaient gênés, mal à l’aise, n’osant regarder autre chose que leur assiette. Aurore s’installa, glissa le mot qu’elle venait de rédiger au milieu de la table et commença à dîner.

Aussitôt son repas pris, elle lava son assiette et ses couverts. Elle avait pris cette habitude dès le lendemain de l’altercation. Puis, elle retourna dans sa chambre, mit sa musique en montant légèrement le son, sans se soucier si cela pouvait déranger ses grands-parents.

Aurore avait à peine terminé ses devoirs qu’elle entendit frapper mollement à sa porte. Etonnée, elle alla ouvrir et ne trouva personne, juste une vieille valise râpée déposée au sol.

Elle la traîna à l’intérieur de sa chambre, il lui était impossible de la soulever tellement elle pesait. Elle s’accroupit, la contempla quelques instants, puis l’ouvrit. Une vague d’émotions la submergea alors. La valise contenait des tas de photos, des dessins, des bulletins scolaires… Sur le papier laissé sur la table de la cuisine, Aurore avait écrit vouloir toutes les affaires touchant à sa mère, sa grand-mère avait répondu à sa requête si rapidement.

Un autre tapotement étouffé se fit entendre à sa porte. Aurore s’y précipita et découvrit cette fois trois cartons, extrêmement lourds eux aussi. Les traînant comme la valise, elle se retrouva avec tout le passé de sa mère défunte. Les cartons contenaient des vêtements, de toutes tailles, d’une autre époque.

Aurore passa le reste de la soirée à fouiller, à découvrir des clichés d’une jeune enfant. Etait-ce elle ou sa mère ? En retournant les photos, elle n’eut plus de doutes grâce aux dates inscrites, c’était bien sa mère… Elle avait l’impression de se voir, la ressemblance était indéniable. Encore peut-être un point en sa défaveur vis-à-vis de ses grands-parents, qui retrouvaient leur fille qu’ils avaient répudiée à travers elle.

Après les cours, Aurore passait de plus en plus de temps à explorer le passé de sa mère. Elle découvrit une jeune adolescente très belle, à l’apparence timide. Les insultes de son grand-père ne correspondaient pas à l’image que renvoyait cette jeune fille. Elle avait certainement dû subir une éducation très stricte et rigide de la part de ses parents. Aurore aimait passer des heures à scruter les moindres détails des photos, elle admirait le sourire radieux de Rosa, sa mère. Comme il lui était bon de savoir que sa mère l’avait désirée, qu’elle avait refusé d’avorter. En lisant les bulletins scolaires, Aurore eut l’impression de se reconnaître, « Elève très sérieuse mais trop effacée ». Comme elle aurait souhaité être élevée par sa mère biologique, elle aurait sans doute connu une vie moins austère…

Les heures passaient sans qu’Aurore ne s’en rende compte, seule la faim la sortait des explorations des trésors maternels. Elle allait alors fureter dans le réfrigérateur, se préparait un repas rapide, et retournait rapidement dans sa chambre. Ses grands-parents la laissaient sans réagir, ce changement de comportement radical ne cessait de l’étonner.

*

Les jours passaient, environ un mois s’était déjà écoulé depuis le drame. Aurore avait pu récupérer sa carte d’identité, document source de tous les éclatements avec sa famille. Noël allait bientôt arriver, mais Aurore ne s’en souciait pas. Elle ne gardait aucun souvenir mémorable de cette fête, ne comprenant pas, lorsqu’elle était plus jeune, l’engouement de ses copines. Elle était surtout heureuse cette année car son employeur lui avait promis un temps de travail plus important pendant les vacances. Avec les quelques week-ends qu’elle avait déjà effectués, Aurore avait déjà pu commencer à mettre un peu d’argent de côté.

Aurore avait remarqué à plusieurs reprises des petits regards furtifs à son égard de la part de sa grand-mère. Elle se disait qu’un jour, quand elle se sentirait prête, elle essaierait d’avoir une discussion avec son aïeule. Aurore était toujours en quête de connaître les détails de son arrachement envers sa mère. Elle voulait comprendre pourquoi ses grands-parents avaient refusé d’aider leur propre fille. Et puis, une question la taraudait inlassablement : qui était son père ? Sa mère l’avait-elle aimé ? Elle essayait de se persuader que si Rosa avait voulu la garder et l’élever, cela signifiait qu’elle avait dû être conçue par un couple amoureux.

Un soir, alors qu’elle s’était réfugiée comme à l’accoutumée dans sa chambre, Aurore fut surprise d’entendre sa grand-mère derrière la porte.

« Aurore, est-ce que je peux entrer ? J’aimerais qu’on puisse se parler un peu… »

La panique envahit Aurore. Elle ne s’était pas préparée à ce que sa grand-mère fasse le premier pas… Que faire ? Sa grand-mère renouvela sa demande.

« Oui, j’arrive. »

Aurore se retrouva face à cette femme, elle la trouva encore plus âgée qu’auparavant. Jamais Aurore n’avait affronté sa grand-mère de la sorte, cette situation s’était avérée tellement improbable, elle avait toujours pris l’habitude de baisser la tête en présence de ses grands-parents.

« Puis-je entrer… ?? »

La vieille femme commença à s’avancer, légèrement chancelante.

« Puis-je m’asseoir sur le bord du lit s’il te plaît ? Merci. »

De mémoire, jamais sa grand-mère n’avait fait preuve d’autant de politesse envers Aurore.

La femme se torturait les mains, ne sachant vraisemblablement pas comment engager la conversation. Elle regarda rapidement Aurore, et se lança, tête basse.

« C’est bientôt Noël, j’aurais aimé savoir si tu veux qu’on fasse quelques préparatifs.

- Tu veux fêter Noël ? Vraiment ? Qu’est-ce que tu as prévu ? Parce que d’habitude, c’est assez sommaire…

- J’ai pensé que ça pourrait nous permettre de nous pardonner…

- Vous pardonner ! Il va me falloir du temps, si j’y arrive un jour… Pour l’instant, c’est trop tôt…

- Oui, mais, peut-être que ton père acceptera de te pardonner si on organise quelque chose ?

- Carrément ! Tu inverses les rôles maintenant ! Je ne m’attendais pas à ça ! D’abord, ce n’est pas mon père !! Il m’a insulté, il a insulté ma mère ! Pourquoi je ferais un effort pour qu’il me pardonne ? Et me pardonner de quoi ? »

Tout le temps qu’Aurore parlait, elle essayait tant bien que mal de garder le contrôle de sa voix, mais elle sentait que la colère la trahissait.

« Tu lui as crié dessus, tu lui as manqué de respect…

- Non, maman !! Ce n’est pas moi qui vous ai manqué de respect… C’est un vrai choc pour moi d’apprendre que vous n’êtes pas mes parents. J’aimerais savoir aussi pourquoi vous avez refusé d’aider ma mère, ta propre fille !

- On n’avait pas le choix, tout le village aurait parlé sur notre dos, on aurait été la risée de tout le monde.

- Alors explique-moi ce qui s’est réellement passé ! Est-ce vous qui avez décidé de m’enlever à ma mère, contre sa volonté ? »

Silence. Aurore ne réussit plus à se contrôler, c’en était trop pour elle. Elle fixa sa grand-mère et laissa échapper son énervement et sa colère.

« Maman, j’ai besoin de savoir, ça suffit maintenant !

- Je t’ai donné toutes les affaires de ta mère, comme tu m’as demandé.

- Oui, mais ça ne suffit pas. Je dois connaître mon histoire ! Tu me dois bien ça, après tous les mensonges pendant toutes ces années ! »

Sa grand-mère se mit soudainement à pleurer. Aurore la laissa, incapable d’avoir un geste de tendresse envers elle. Lorsque ses pleurs furent moins violents, elle commença alors à raconter à Aurore ce qui s’était passé avant et après sa naissance.

*

Le récit de sa grand-mère l’avait encore bien ébranlée, mais Aurore était satisfaite d’avoir obtenu des réponses. Une fois sa grand-mère partie, elle s’était empressée de noter tous les détails dont elle se souvenait, comme le nom du village où ils habitaient lorsqu’elle était née, le nom du lieu de travail de sa mère, l’endroit où sa mère fut envoyée pendant sa grossesse, le nom de la tante qui l’avait hébergée, et puis… le prénom de son père !

Ce qui l’avait aussi bouleversé lorsque sa grand-mère avait terminé son récit, furent ses excuses. Aurore ne s’attendait pas à ce que sa grand-mère puisse éprouver autant de remords. D’après ce qu’elle avait compris, la dureté que sa grand-mère avait eue à son égard était due au fait qu’elle culpabilisait envers sa propre fille et n’avait pas réussi à se pardonner elle-même. Aurore grandissant, elle ressemblait effectivement trait pour trait à sa mère défunte. D’après sa grand-mère, il lui était insupportable de regarder Aurore quotidiennement, sans penser au passé. Aurore représentait donc son fardeau à porter ad vitam aeternam.

Pour Noël, Aurore fit l’effort d’assister aux repas que sa grand-mère avait préparés tant pour le réveillon que pour le jour de Noël. Elle se surprit à sourire en comparant les ambiances des Noëls passés et celui-ci, il existait si peu de différence, une seule en fait. Cette année, elle ne subissait pas les pics perpétuels de son grand-père et sa grand-mère faisait des efforts herculéens pour se montrer aimable envers elle.

1 CPE : Conseiller Principal d’Education dans un lycée

4

Une nouvelle année débuta, avec le projet du voyage en Irlande qui prenait vraiment forme. Mme Bordier avait réussi à trouver une famille irlandaise acceptant d’accueillir Aurore sans échange en contrepartie. Elle avait également frappé à toutes les portes pour financer au maximum ce séjour. Elle savait qu’Aurore faisait son possible pour payer elle-même la partie restante, elle espérait seulement que la somme ne serait pas inaccessible pour la jeune fille.

Au fur et à mesure des semaines écoulées depuis leur premier repas commun, un lien s’était créé entre Aurore et sa prof. Toutes deux s’appréciaient de plus en plus, Aurore commençait à croire qu’elle pouvait lui faire entièrement confiance, même si elle ne lui souffla mot des repentirs de sa grand-mère. Aurore restait malgré tout réservée, briser sa carapace était loin de lui être aisé.

Aurore continuait de marcher rapidement, tête basse, sans regarder autour d’elle. Les stigmates de toutes les humiliations et brimades subies durant toutes ses années d’enfance et d’adolescence ne pouvaient s’effacer miraculeusement. Pourtant, son état d’esprit changeait peu à peu. Aurore souriait davantage, elle se réconfortait régulièrement en pensant à l’histoire d’amour de ses véritables parents, elle savait que sa mère avait essayé de se lever contre son père pour créer une vie de famille. Rosa n’y était pas parvenue mais s’était battue.

A la maison, la tension avec sa grand-mère s’était quelque peu atténuée. Lorsqu’elle rentrait du lycée, Aurore avait droit à un « bonjour » aimable, elle dînait également à nouveau avec ses grands-parents, et pouvait échanger quelques mots avec sa grand-mère sans que son grand-père n’intervienne pour exiger le silence. Celui-ci restait cloîtré dans un mutisme dès qu’il était en sa présence, il se levait à peine le repas terminé, se dirigeait, voûté, vers le salon, et s’affalait dans son fauteuil sans mot dire. Il regardait toujours les journaux télévisés mais avait cessé de les commenter virulemment. Il s’était refermé sur lui, avec ses convictions d’un autre temps, peut-être persuadé d’avoir agi pour le meilleur de tous, ou rongé par les remords. Par moments, Aurore lui jetait de petits coups d’œil furtifs, se demandant s’il s’en voulait d’avoir provoqué le suicide de sa fille, espérant secrètement que sa souffrance soit réellement insupportable.

*