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Jusqu'à ses dix ans, Frédérique mène une vie tranquille, lorsque surviennent le divorce de ses parents et l'abandon de son père. Seule avec sa mère, elle doit s'adapter à son nouveau milieu, grandir avec ses peurs, ses doutes. Alors que tout semble enfin lui sourire, le destin vient à nouveau s'acharner, les plongeant, elle et sa famille, dans un profond désarroi. Après cette nouvelle épreuve, Fred croit alors se débarrasser de sa souffrance en l'enfouissant au plus profond d'elle-même... Jusqu'à ce que surgissent les tourments d'Alexandre, obligeant Fred à affronter ses démons. Comment se libérer de ces brisures, comment surmonter ces blessures enfouies qui ne cessent de surgir, toujours et encore ? Nous suivons Frédérique de ses 10 ans à ses 52 ans, à travers la Bretagne et l'Inde du Sud, naviguant entre le présent et le passé. Nous découvrons ses blessures, ses fuites, mais aussi ses joies et ses plus grands bonheurs.
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Seitenzahl: 214
Veröffentlichungsjahr: 2024
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« L’Appel de l’Inde »
Carnet autobiographique – 2023
« Kintsugi, Les Larmes Cachées » Première Edition
Roman – 2023
« Petite Plume »
Roman – 2024
Disponible chez : - www.tandavashop.com - www.bod.fr - Amazon, Cultura, Fnac, Décitre, etc…
Chapitre 1 Refuge
Chapitre 2 Changement de vie
Chapitre 3 Mélancolie
Chapitre 4 Les belles années
Chapitre 5 Noël
Chapitre 6 Naissance
Chapitre 7 Apaisement
Chapitre 8 Fatalité
Chapitre 9 Détente indienne
Chapitre 10 Accumulations
Chapitre 11 Plénitude
Chapitre 12 Soutien
Chapitre 13 Découverte
Chapitre 14 Sagesse
Chapitre 15 Retour
Chapitre 16 Libération
Chapitre 17 Ressemblance
Glossaire
Remerciements
Le temps commençait à se rafraîchir. Le vent se mit à souffler plus fort que lorsqu’elle avait décidé de venir se balader sur la plage, cette plage de son enfance, où elle avait passé tant de merveilleux moments. Il était peut-être temps de rentrer avant que ces gros nuages amoncelés au-dessus de la mer viennent la surprendre.
Fred pressa le pas, elle était seule à se promener aujourd’hui, comme bien souvent en cette période de l’année. Les estivants étaient partis depuis longtemps. Chaque été, ils étaient de plus en plus nombreux, rien à voir avec ses souvenirs d’enfance. Cette affluence n’était pas pour lui déplaire, mais elle avait toujours hâte de retrouver sa quiétude sauvage et pouvoir parcourir seule les immenses étendues dunaires. Ce lieu sauvage était depuis quelques années mis à l‘honneur, des excursions et activités étant même organisées pendant les vacances scolaires. Cela lui permettait de faire des jolies rencontres, même si elles étaient presque toujours éphémères.
Alors qu’elle marchait dans le sable, le vent se renforça encore un peu et la fit sortir de ses pensées. Les nuages se rapprochaient, Fred savait comme la météo pouvait changer rapidement ici. Elle se camoufla alors la gorge et la tête, et remonta vite sur la berge. Elle traversa sans regarder l’ancien village de pêcheurs, dont elle avait bien connu certains habitants. Quel âge avait-elle à l’époque ? Deux ans certainement. Le chemin tout droit menant à Theven où elle habitait maintenant lui parut soudainement bien long. Encore quelques dizaines de mètres, puis elle passa devant les premières habitations. Elle arriva ensuite devant le champ où les chevaux venaient la saluer dès qu’ils l’apercevaient, mais Fred n’avait pas le temps de discuter avec eux aujourd’hui, quelques gouttes se faisant déjà sentir. L’angle de sa rue était enfin visible, Fred pressa un peu plus le pas et atteignit la petite maison. Elle s’y précipita, juste à temps, avant que la pluie ne commence réellement à tomber.
Cette maison était une ancienne bergerie, pas bien grande, mais très confortable, et surtout rassurante. Fred avait modifié quelque peu la disposition des pièces sans respecter les descriptions du propriétaire lors de l’état des lieux. La pièce à l’étage mansardé était devenue sa chambre avec un seul lit au lieu de la chambre double pour enfants. Une cloison japonaise lui permettait maintenant de pouvoir garder son intimité et surtout de dormir dans l’obscurité. Au rez-de-chaussée, le petit coin salon avait été remplacé par la table de la cuisine. La grande chambre s’était, elle, transformée en salon, avec un futon, une table basse, des coussins moelleux, une télévision. Ce confort sommaire lui suffisait amplement, elle avait enfin l’impression d’avoir trouvé son équilibre dans ce hameau du bout de la terre.
La vieille bouilloire commença à siffler, Fred avait choisi un chaï aujourd’hui, ce thé indien si revigorant. Quel plaisir de boire ce thé épicé réconfortant alors que la pluie battait les vitres des fenêtres. Elle ne savait pas encore comment elle allait occuper le reste de cet après-midi, lecture, télévision, poterie, tricot… Elle ne choisit rien pour le moment, préférant simplement continuer de savourer son thé.
Cette cage d’escalier… Quelle odeur, quelle puanteur ! Elle était pourtant nettoyée toutes les semaines, mais c’était comme si la misère du lieu s’était transformée en crasse indélébile. Et cette résonnance qui la faisait se sentir encore plus petite, plus seule, plus vulnérable. Fred détestait cet endroit, ne comprenait pas pourquoi sa mère avait décidé de venir vivre dans cet appartement au travers duquel on entendait toute la vie des voisins. Sa maison lui manquait, pouvoir sortir jouer à la corde à sauter, à la balançoire… Son dernier jeu préféré était de « fabriquer » du lait en mélangeant de la terre avec de l’eau, Fred s’amusait alors à la vendeuse en transvasant le liquide dans de petites coupelles en plastiques ayant contenu auparavant des glaces. Elle vendait aussi des pommes, celles tombées des arbres bien alignés, que son arrièregrand-père avait plantés, mais qui n’intéressaient guère ses parents, ces pommes étant plutôt destinées à la confection du cidre.
Lorsqu’elle jouait ainsi, Fred était heureuse et insouciante. Comment aurait-elle pu se permettre d’aller jouer dehors dorénavant ? Depuis le divorce de ses parents, tout son petit monde d’enfant de dix ans s’était écroulé : quitter sa chambre, sa maison, ses voisins qui étaient aussi ses camarades de classe. Elle se retrouvait dans cet immeuble, en ville, habitant au quatrième étage sans ascenseur. Elle avait aussi dû changer d’école. L’arrivée au collège fut bien compliquée sans y connaître qui que ce soit. Elle essayait de jouer les grandes, comme sa mère le lui avait demandé, mais au fond d’elle, elle était effrayée. Le fait de sortir de l’appartement, descendre les quatre étages, croiser des voisins qui parlent fort, qui crient sur leurs enfants, lui faisait peur. Se retrouver dans le hall d’entrée, à devoir traverser l’attroupement d’adolescents, la paralysait, elle qui était une petite fille de la campagne assez solitaire. Ses amis lui manquaient, elle rêvait de pouvoir retourner dans son ancienne école, elle s’imaginait juste poursuivre son ancienne vie.
*
Une année s’était écoulée depuis que Fred habitait seule avec sa mère, elle avait réussi à s’habituer à sa nouvelle chambre et à cet appartement. Elle avait moins peur de descendre au bas de son immeuble, des « grands » l’avaient adoptée, elle était devenue leur petite protégée. Quand d’autres enfants commençaient à la taquiner du fait de sa grande timidité, deux adolescents, Franck et Marc, faisaient barrage et la protégeaient. Elle ne leur parlait pourtant pas, elle ne savait pas pourquoi ces « grands » qu’elle admirait tant, réagissaient ainsi avec elle.
*
Ce matin-là, Fred se préparait seule son petit déjeuner, comme à l’accoutumée. Sa mère était déjà partie travailler. Fred devait se dépêcher, elle avait traîné un peu trop au lit et il lui fallait récupérer son retard. Tant pis pour le petit-déjeuner incomplet et la toilette de chat, elle devait partir. Elle finit vite de s’habiller, mit son manteau, prit son cartable et sortit en trombe en claquant la porte derrière elle. Elle courut dans les escaliers et sortit de son bâtiment sans prêter attention à la femme de ménage qui commençait son travail dans le hall. Heureusement, le collège se situait à proximité, au milieu du quartier voisin.
Juste arrivée au collège, elle alla rejoindre son petit groupe d’amies. Elle n’avait pas encore de meilleure amie, elle rêvait secrètement d’avoir un jour cette confidente avec qui elle aurait tout partagé. Fred était plutôt la bonne copine, celle qu’on aime bien, mais que l’on oublie un peu parfois, son côté timide la laissant paraître quelque peu transparente.
Aujourd’hui, c’était le jour du résultat du devoir de maths. Fred s’inquiétait toujours un peu, car l’année dernière, l’apprentissage scolaire s’était avéré plus laborieux à cause de tous les chamboulements survenus dans sa jeune vie : changement de lieu d’habitation, changement d’école, perte de ses amis, disparition de son père… Son père… Qu’était-il devenu ? Pourquoi avait-il choisi de l’abandonner ? S’il l’avait voulu, il aurait pu la prendre chez lui les week-ends et la moitié des vacances scolaires, mais Fred avait attendu en vain des semaines entières, espérant qu’il refasse surface. Depuis le divorce de ses parents, elle ne l’avait plus revu. Sa mère avait donné une vague explication, il serait parti travailler à l’étranger, mais Fred n’y croyait pas vraiment.
Toutes ces complications l’avaient amenée à négliger l’école, et la 6ème fut une année bien difficile à surmonter. Mais elle s’était accrochée, avait essayé de combler son retard dans les matières où elle s’était trouvée en difficulté, notamment les mathématiques.
Au retentissement de la sonnerie, toutes les classes s’engouffrèrent dans les salles du collège, les couloirs redevenant tout à coup étrangement calmes. Fred rejoignit sa place, troisième et avantdernière rangée, tout à gauche, collée à la fenêtre. Elle aimait cette place, qui lui permettait de temps en temps de s’évader en observant la vie extérieure. Elle aperçut un petit oiseau bleu se promenant en totale liberté, quelle chance avait-il de pouvoir faire ce qu’il voulait ! Le flot irrégulier des passants la fascinait aussi : où allaient-ils, avaient-ils de la famille, vivaient-ils seuls ? Une femme un peu âgée passait régulièrement, Fred s’imaginait alors la vie de cette femme. Tiens, aujourd’hui elle portait une jupe légèrement cintrée, combien de temps avait-elle mis pour se préparer de la sorte, si bien maquillée, si bien coiffée ? Un jour, Fred serait aussi bien apprêtée, comme cette femme qu’elle admirait, en tout cas l’espérait-elle.
Monsieur Guitton, son professeur de maths, la fit revenir brutalement à la réalité. Il s’approchait d’elle avec le résultat de son devoir… La boule au ventre arriva instantanément, son prof lui souriait pourtant, mais c’était plus fort qu’elle, elle n’arrivait pas à contrôler son stress.
« Frédérique, félicitations, tu progresses, continues comme ça ! »
Fred rougit immédiatement, ça aussi, c’était un véritable handicap, aucun contrôle là-dessus non plus… Elle regarda sa copie, 13/20 !! Elle n’en revenait pas ! Obtenir sa moyenne était tellement rare pour elle. Elle regarda son prof, toute surprise, qui lui renvoya un regard bienveillant. Elle le savait, elle ne lâchait pas ses efforts grâce à cet homme qui demeurait toujours gentil avec elle, même quand elle n’y arrivait pas. Il restait d’une patience infinie à lui expliquer les leçons en cours de soutien. Elle était tellement fière de sa note !
Le reste de la journée se déroula plus banalement, les cours s’enchaînant sans grand intérêt, mais Fred restait sur son petit nuage grâce à son exploit en maths.
Après les cours, elle regagna l’appartement familial, sa mère n’était pas encore arrivée de son travail. Fred arriva tout près de son bâtiment, espérant que Marc, le grand adolescent du cinquième étage, soit présent. Il lui adressait toujours un « bonjour » chaleureux, elle lui souriait toujours timidement en lui répondant à son tour un « bonjour » à peine audible. Aujourd’hui, il était là, décidément, cette journée était parfaite !
Fred appréciait particulièrement les moments calmes lorsqu’elle rentrait chez elle, jouissant de l’appartement pour elle seule. Elle mettait sa musique, faisait brûler de l’encens dans sa chambre, et se mettait à rêver… Elle essayait de se projeter plus tard, adulte, elle imaginait avoir son petit magasin, un peu comme celui où elle achetait ses vêtements, un tout petit magasin à la devanture rose, achalandé de trésors incroyables, des chemises blanches, des jupes bohémiennes, des petits boléros, des mini-sacs, une multitude d’encens, etc…
*
Le bruit du verrou la fit sursauter, sa mère rentrait enfin. Fred se précipita à sa rencontre, tenant fièrement son devoir de maths.
« Maman ! Regarde !! »
Fred tendit vivement la feuille où le beau 13/20 trônait, avec un tout aussi beau « Félicitations !! » juste en dessous.
La mère de Fred, Gisèle, semblait tellement fatiguée ce soir que Fred s’arrêta net, son entrain était retombé comme un soufflé. Mais Gisèle chassa son masque éreinté, vit le trophée tendu par sa fille, et éprouva une telle fierté qu’elle la serra très fort dans ses bras.
« Bravo ma petite Fred ! Comme je suis contente et fière de toi ! Tu es la meilleure ! »
Mère et fille restèrent un long moment à s’enlacer, comme il était bon de se réconforter mutuellement.
Gisèle avait vraiment vécu des moments angoissants depuis son divorce. Auparavant mère au foyer, il lui avait fallu trouver rapidement du travail, ses propres parents ne pouvant pas l’aider éternellement. Elle avait tout d’abord déniché quelques ménages à faire en entreprise, elle devait alors se lever à 4h30 du matin pour commencer son travail à 6h00. Elle était seule à nettoyer les bureaux d’employés qui arrivaient à partir de 8h30. Par la suite, elle allait aussi faire des ménages chez quelques particuliers. Mais tous ces différents emplois ne lui permettaient pas de vivre correctement avec sa fille.
Gisèle avait donc décidé de suivre une formation de secrétaire en parallèle, et venait de trouver un emploi au centre de radiographie, juste en centreville, Elle avait gardé les ménages en entreprise, qu’elle cumulait donc avec sa journée de secrétaire. Ses parents, qui avaient été de simples ouvriers, s’étaient endettés pour l’aider. Elle mettait un point d’honneur à pouvoir leur rembourser jusqu’au dernier centime tous les loyers qu’elle n’avait pas réussi à honorer.
Il était 18h20, elle venait tout juste de rentrer, et voir sa petite Fred lui tendre si fièrement son devoir, chassa sa fatigue. Les moments durs commençaient à être derrière elles, enfin !
« Pour fêter ta bonne note, est-ce que tu aimerais manger un bon gratin de pâtes avec du jambon ?
- Oh oui, mais sans le jambon !! Merci maman !! »
Fred adorait ce plat. La simplicité de ses goûts avait bien des fois arrangé Gisèle, faisant d’un simple plat de pâtes, qui revenait très souvent au tout début de leur aménagement dans cet appartement, un véritable festin.
Fred repartit en trottinant jusqu’à sa chambre, heureuse de cette journée ordinaire. L’insouciance de son enfance revenait petit à petit. Après l’excellent dîner, elles étaient restées toutes les deux devant la télévision, Fred à moitié couchée sur les genoux de sa mère, qui l’enlaçait chaleureusement de son bras, tout en lui caressant délicatement ses longs cheveux.
Ce soir-là, Fred alla se coucher le cœur léger, juste empli de la bienveillance de son prof, du sourire de Marc, et de l’amour inconditionnel de sa mère.
*
La vie continuait de s’écouler tranquillement, entre les cours du collège, les éclats de voix des voisins, et les vacances pendant lesquelles Fred s’ennuyait fortement dans l’appartement. Elle n’était toujours pas prête à rester en bas de l’immeuble, avec ces filles toutes peinturlurées, parlant et riant à outrance. Le seul avec qui elle parlait un peu était Marc. Ce garçon, de cinq ans son aîné, restait toujours très courtois et aimable, ne la brusquait pas. Quelques petites conversations tournaient généralement autour de l’école, Marc s’intéressant régulièrement aux difficultés et triomphes de Fred. En trois ans, elle avait bien progressé, surtout en maths, Physique et Chimie. Monsieur Guitton était maintenant son professeur principal, et en 3ème, elle avait enfin des notes au-dessus de la moyenne en Physique. Durant les trois premières années du collège, cette matière avait été catastrophique pour elle, et sa prof, Madame Gazou, ne l’avait pas aidée à l’aimer. La patience et la pédagogie de Monsieur Guitton avaient tout changé. La fin de ce premier trimestre était prometteuse pour le passage en seconde.
Il restait deux mois à Fred pour établir sa liste de vœux professionnels afin de définir la filière à suivre pour son Baccalauréat. Comme il lui était compliqué de se projeter sur son avenir professionnel alors qu’elle n’avait que quinze ans. Elle rêvait tellement de tenir une petite boutique… Seulement, pour cela, il fallait de l’argent à investir, donc trouver un travail et économiser… Elle cherchait déjà depuis plusieurs mois quelles études poursuivre, elle avait bien envisagé une école de commerce, mais elle savait pertinemment que sa mère ne pourrait pas subvenir à ces grosses dépenses. Fred avait également pensé à être assistante sociale. La fameuse série française « Pause Café » avait fait son œuvre sur elle. Fred se voyait bien aider les adolescents dans un lycée, elle était très admirative de ce lien social et de la popularité de cette héroïne fictive. Fred demeurait toujours rêveuse et naïve, sa mère lui disait souvent de grandir, de gagner en maturité, que la vie n’était pas aussi idéale.
L’arrivée au lycée fut plus facile que Fred ne l’avait espéré. En juin, elle avait passé son BEPC avec succès, son dossier scolaire était devenu très correct, tout le retard qu’elle avait pu accumuler en début de collège n’était qu’une histoire ancienne dorénavant. Fred éprouvait une telle reconnaissance envers son professeur préféré, Monsieur Guitton. Cet homme avait tellement fait pour elle, pas seulement pour son niveau scolaire, il lui avait également apporté un réel soutien humain après le divorce de ses parents. Fred avait eu l’impression que ce professeur l’avait prise sous son aile, et l’avait portée comme un père l’aurait fait, l’encourageant, insistant parfois lorsqu’elle voulait baisser les bras.
*
En ce premier jour de vacances de Noël, Fred descendit d’un pas léger, plus tard qu’à son habitude, jusqu’au hall de son immeuble pour chercher le courrier. Ce samedi midi, elle trouva quelques publicités dans la boîte aux lettres, prit la pile sans remarquer la lettre cachée en dessous. En remontant les escaliers, la lettre glissa et lui échappa des mains. En se penchant pour la ramasser, Fred fut déconcertée par cette enveloppe peu ordinaire, qui lui était adressée.
Sitôt entrée dans l’appartement, elle mit de côté les publicités et alla voir sa mère qui préparait le déjeuner.
« Maman, regarde, j’ai un courrier ! »
Sa mère se tourna, déroutée elle aussi, regarda le nom et l’adresse notée, et reconnut l’écriture de son ex-mari ! Gisèle prit peur, que voulait Joël tout à coup ? Il lui avait bien dit lors du divorce qu’il ne voulait plus les voir, ni elle, ni leur fille. Les souvenirs des premiers mois de séparation vinrent la frapper de plein fouet. Elle se rappelait comme cette époque s’était avérée rude.
Joël avait toujours refusé qu’elle travaille pendant leur mariage, lui répétant que sa place était à la maison, à s’occuper de leur fille, et de lui ! Cette période lui avait procuré une véritable frustration, mais à l’époque, elle n’avait pas eu d’autre choix que de se taire et courber le dos.
Gisèle avait enfin réussi à obtenir une stabilité financière avec ses deux emplois, elle pensait avoir réussi à offrir à sa fille un foyer aimant et serein, même si c’était dans cet immeuble qu’elle n’avait pas pu refuser. Elle se sacrifiait depuis toutes ces années, travaillant dur, essayant de mettre de l’argent de côté maintenant qu’elle avait réussi à rembourser tout l’argent que ses parents lui avaient prêté. Elle envisageait même de réserver une surprise à Fred pour les vacances d’été, elles n’avaient pas pu partir en vacances depuis leur arrivée dans leur appartement, et Gisèle comptait bien en profiter cette année.
Cette étrange lettre venait bousculer Gisèle, elle n’avait pas compris l’abandon de Joël envers Fred, que lui voulait-il donc maintenant ?
« C’est une lettre de ton père ma petite Fred, je reconnais son écriture. »
*
La phrase de sa mère lui fit l’effet d’un coup de couteau en plein cœur. De nombreuses questions se bousculaient tout à coup dans sa tête : pourquoi lui écrivait-il maintenant, après cinq ans de silence complet ? Etait-il revenu en France ? Depuis quand ? Etait-il malade, lui était-il arrivé quelque chose de grave ? Quelle avait été sa vie durant ces dernières années ?
Depuis le divorce de ses parents, sa mère lui avait répété à plusieurs reprises qu’il était parti vivre à l’étranger, mais, même pendant les vacances scolaires, aucune nouvelle, jamais de courrier, jamais d’appels téléphoniques. Lorsqu’elle était plus jeune, Fred demandait régulièrement à sa mère pourquoi son père travaillait autant, pourquoi il ne pouvait pas revenir en France pour venir la voir. En grandissant, elle avait bien compris que sa mère n’avait pas plus d’informations qu’elle. Au fil de ces cinq ans passés, ses questions s’étaient peu à peu espacées, pour finalement cesser.
Elle avait envie d’ouvrir cette lettre mystérieuse, tout en redoutant son contenu.
« Qu’est-ce que je fais maman, je l’ouvre ? Tu crois qu’il me veut quoi ?
- Viens, on va aller s’asseoir dans le salon, et tu pourras l’ouvrir si tu le veux. »
Gisèle coupa la gazinière, et se dirigea avec Fred dans la petite pièce en face. Elles devinrent toutes les deux fébriles tout à coup.
« Regarde maman, le cachet de la Poste ! La lettre a été envoyée hier, et de Saint-Nazaire ! Papa est revenu ici ? Tu étais au courant ?
- Comment ça, c’est posté d’ici ?? Fais voir !! »
Gisèle saisit la lettre, plus fort qu’elle ne l’aurait pensé. Elle tremblait en constatant que cette information était exacte. Joël était donc là, pas loin. Elle aussi se demandait s’il était revenu récemment ou non. Gisèle redonna la lettre à sa fille.
« Ouvre-là s’il te plaît, il faut qu’on sache ce qu’il veut. »
Fred obéit à sa mère, voyant bien que celle-ci était encore plus chamboulée qu’elle. La lettre tenait sur une seule page, elle remarqua en premier la signature « Ton papa qui t’aime plus que tout ». Rien que cette signature lui donna mal au ventre, sa gorge se resserra encore davantage quand elle commença à lire silencieusement.
« Ma chère Frédérique,
Cela fait bien longtemps que je ne t’ai pas vue, tu m’as tellement manqué durant ces derniers temps…
J’espère que tu vas bien, que l’école te plaît, et que tu as beaucoup d’amis.
Cela fait un petit moment que je pense à t’écrire car j’ai une nouvelle qui va certainement te faire plaisir. J’attendais le bon moment pour te l’annoncer, tu dois avoir treize ans maintenant, tu es donc en âge de comprendre les choses de la vie.
Lorsque j’ai quitté ta maman, j’avais déjà rencontré une autre femme. Je me suis remarié et nous avons eu un petit garçon ! Il s’appelle Diego et a maintenant trois ans, je serais vraiment heureux que tu puisses connaître ton petit frère !
Comme aujourd’hui est le premier jour des vacances de Noël, j’ai pensé que c’était l’occasion idéale pour que l’on se retrouve enfin en famille.
Je viendrai donc te chercher mercredi prochain vers 15h00 pour que nous puissions passer le réveillon et le jour de Noël ensemble.
J’ai hâte de te revoir !
Ton papa qui t’aime plus que tout »
Fred et sa mère se regardèrent, effarées par ce qu’elles venaient de lire. Après cinq ans, son père refaisait surface sans crier gare, et agissait comme si de rien n’était.
« Qu’est-ce je vais faire ? Je n’ai pas envie d’aller voir papa comme ça, je ne connais pas sa femme, d’ailleurs, tu étais au courant qu’il voyait quelqu’un d’autre ? Et puis, ce frère… Tu te rends compte, papa ne sait même pas quel âge j’ai, il croit que j’ai treize ans ! Je veux passer Noël avec toi, pas avec lui !!
- Je sais ma fille, on va passer Noël ensemble, ne t’inquiète pas. »
Gisèle enlaça fort sa fille. Elle était apeurée par ce qu’elle venait d’apprendre. Voilà enfin la raison de son divorce. Joël, à l’époque, lui avait tenu un discours tellement différent, lui annonçant simplement qu’il avait besoin de se retrouver, qu’il ne se reconnaissait plus, qu’il était malheureux. Elle l’avait toujours trouvé lâche et égoïste, mais là, ses aveux dépassaient tout ce qu’elle avait pu imaginer. D’après ce qu’elle comprenait à travers cette lettre, Joël n’avait jamais quitté Saint-Nazaire, il habitait peut-être même tout proche depuis tout ce temps sans qu’elle le sut.
La colère qu’elle commençait à ressentir pour son ex-mari prit le dessus sur la peur. Comment avait-il pu leur faire ça à elle et sa fille ? Il avait refait sa vie sans se soucier le moins du monde de Fred, et maintenant, il voulait la récupérer, quel monstre !
« Fred, il faut qu’on parle toutes les deux, je vais te raconter comment le divorce d’avec ton père s’est passé… »
*
Confrontée au récit de sa mère, Fred fut effondrée. Elle comprit dans quelle situation chaotique les avait plongées son père, comment sa mère avait dû se battre pour construire l’équilibre qu’elles avaient dorénavant, comment son père les avait lâchement abandonnées… Elle était choquée qu’il n’ait pris aucune nouvelle d’elle durant toutes ces années, alors qu’il habitait non loin. Elle éprouva une profonde aversion envers cet homme, ce père qu’elle avait toujours espéré retrouver un jour. Le vide qu’il avait laissé l’avait souvent ébranlée, elle se réconfortait souvent en se disant que ce n’était certainement pas sa faute s’il ne venait pas la voir, qu’il était trop loin. Toutes ces excuses qu’elle lui avait trouvées, toutes ces interrogations durant de si nombreuses nuits, toutes ces angoisses et ces remises en questions inutiles…
« Qu’est-ce qu’on va faire maman pour Noël ? Je ne veux même pas le voir !
- On a trois jours pour trouver une solution, je vais réfléchir… Bon, j’avais commencé à cuisiner, je n’ai plus trop faim, mais si tu veux, on va se faire un petit-encas, ça te dit ?
- Oui, merci maman, je vais venir t’aider. »
*
Gisèle ne dormit que quelques courts instants cette nuit-là, il fallait absolument qu’elle trouve comment garder sa fille avec elle à Noël.
Lundi, elle allait téléphoner à l’avocate en charge de son divorce, pour lui demander si Joël avait le droit de refaire surface de la sorte après cinq ans de silence total.
Ensuite, pour être sûre de ne pas mettre à mal sa fille, elle pensait aller passer Noël en dehors de son appartement, mais où ? Elle avait bien pensé à ses parents, mais Joël connaissait l’adresse, et Gisèle ne voulait surtout pas qu’un esclandre survienne chez eux, surtout en cette période de fêtes.
Elle avait bien pensé à la possibilité de s’éloigner davantage, comme avancer la surprise pour Fred de partir en vacances, mais elle n’avait pas encore réuni assez d’argent pour cela. Décidément, cet homme lui avait bien gâché la vie, et continuait de le faire alors qu’elle se croyait tranquille dorénavant.
*
