Bloody Birthday - Yannick Letty - E-Book

Bloody Birthday E-Book

Yannick Letty

0,0

Beschreibung

Enquête policière et intrigue politique pour ce roman de Yannick Letty

Alors que la colère des Indignés gronde dans les rues, Karl se faufile anonyme dans la foule. Bien décidé à agir, il observe les défilés, épie les manifestants, se joue de la police. Cependant, à ses yeux, la lutte est par trop inégale… Il est persuadé que face à un pouvoir qui refuse d’entendre toute contestation et méprise le peuple, il n’y a qu’une issue : frapper la classe dirigeante en plein cœur lors d’un attentat spectaculaire. Mais rien ne se passe comme prévu et il se retrouve entraîné dans une spirale infernale et funeste. L’alerte attentat est à son maximum. Karl devient l’homme le plus recherché de notre histoire. Tous craignent qu’il frappe à nouveau. Lancées sur sa piste, la police judiciaire et la section anti-terroriste des commandants Margulis et Labonne parviendront-elles à comprendre ce qui s’est réellement passé et à mettre Karl hors d’état de nuire ? Très vite, en effet, l’enquête se heurte aux secrets et aux manœuvres de milieux qui se croient intouchables parce qu’au-dessus des lois. Rien n’est simple dans cette affaire où tous les pouvoirs se mélangent et rivalisent à la fois.

Récit d’un homme pris au piège du système judiciaire et politique

EXTRAIT

Ses yeux bruns dans le vague, Karl explorait l’intérieur du wagon. La paupière tombante, la mâchoire relâchée et la lèvre molle, il semblait absent quand il ne perdait rien de ce qui se passait autour de lui. Les regards l’effleuraient sans s’arrêter. Qui aurait pu s’intéresser à ce type dont la tête dodelinait au rythme des secousses du métro ? Un type anonyme, sans signe distinctif ni caractère particulier.
L’engin piqua une pointe de vitesse dans un tunnel sans lumières, décéléra, puis finit par freiner. Karl, qui ne s’était jamais appelé Karl, laissa son corps se pencher en avant. Il sentit l’odeur des cheveux de la fille accrochée à la barre devant lui. Pomme…
À l’autre bout du wagon, un flic en civil faisait des efforts pour paraître invisible : jean, baskets, veste cool, mais son regard balayait un peu trop furtivement le wagon, s’attardant sur tel ou tel groupe de jeunots excités qui rêvaient tout haut de révolution, avant de chercher le profil de son collègue qui faisait semblant de l’ignorer.
Crissement douloureux des roues. Arts et Métiers… Les portes s’ouvrirent. Adieu Pomme… La brunette s’écarta pour le laisser descendre. Elle était vraiment jolie, mais il ne pouvait pas prendre le risque de rester jusqu’à la station suivante, la surveillance devait être maximum aux abords du Châtelet, et il ne voulait pas froisser Cassandre. Ou lui donner raison.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE 

- « L’auteur est décidemment bien le roi de la cocotte-minute. Il n’a pas son pareil pour faire monte la pression, sans oublier la soupape de sécurité qui permet au lecteur de reprendre son souffle. Il malmène nos émotions de bout en bout, pour notre plus grand plaisir, oserions-nous dire, de son écriture rapide et concise. » - D. Cresson – Ouest France
- « Thriller palpitant, d'une actualité brûlante. » - Le Télégramme

A PROPOS DE L’AUTEUR

Yannick Letty est brestois. Océanologue de formation, il a exercé plusieurs métiers avant de se lancer dans l’écriture.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 449

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


À Youenn, Erell, Ilan et Vefa, mes enfants.

Je remercie chaleureusement Rocco Le Flem de la Compagnie les Krilati pour m’avoir fait découvrir son métier et ouvert les coulisses de son dernier spectacle : « J’arrive ». Merci aussi à Seb Bischascle de m’avoir donné la photo de l’acrobate…

CHAPITRE PREMIER

« C’est dans les dossiers des archives de police que se trouve notre seule immortalité. »

(Milan Kundera, Le Livre du rire et de l’oubli)

Ses yeux bruns dans le vague, Karl explorait l’intérieur du wagon. La paupière tombante, la mâchoire relâchée et la lèvre molle, il semblait absent quand il ne perdait rien de ce qui se passait autour de lui. Les regards l’effleuraient sans s’arrêter. Qui aurait pu s’intéresser à ce type dont la tête dodelinait au rythme des secousses du métro ? Un type anonyme, sans signe distinctif ni caractère particulier.

L’engin piqua une pointe de vitesse dans un tunnel sans lumières, décéléra, puis finit par freiner. Karl, qui ne s’était jamais appelé Karl, laissa son corps se pencher en avant. Il sentit l’odeur des cheveux de la fille accrochée à la barre devant lui. Pomme…

À l’autre bout du wagon, un flic en civil faisait des efforts pour paraître invisible : jean, baskets, veste cool, mais son regard balayait un peu trop furtivement le wagon, s’attardant sur tel ou tel groupe de jeunots excités qui rêvaient tout haut de révolution, avant de chercher le profil de son collègue qui faisait semblant de l’ignorer.

Crissement douloureux des roues. Arts et Métiers… Les portes s’ouvrirent. Adieu Pomme… La brunette s’écarta pour le laisser descendre. Elle était vraiment jolie, mais il ne pouvait pas prendre le risque de rester jusqu’à la station suivante, la surveillance devait être maximum aux abords du Châtelet, et il ne voulait pas froisser Cassandre. Ou lui donner raison.

Il se faufila sans hâte dans le flot de passagers, remonta le quai, s’arrêta un instant pour consulter le plan du métro, avant de se retourner comme s’il cherchait son chemin.

Meuglement lugubre du klaxon. Les portes claquèrent, la rame s’ébranla. Son regard croisa celui de la brunette restée dans le wagon. Curieux. Elle paraissait s’intéresser à lui. Il en fut presque contrarié. Serait-ce un flic ? Pourtant elle l’avait laissé partir sans se précipiter pour sortir son téléphone et maintenant la rame avait disparu. Ce n’était sans doute qu’un regard machinal.

Il se dirigea vers la sortie, grimpa les escaliers sans plus jeter un coup d’œil derrière lui et parvint à l’air libre. Il traversa la rue, parcourut quelques mètres sur le trottoir et soudain, sortant un portable, s’adossa au mur d’un immeuble et fit mine de téléphoner. Son manège dura trois minutes, pendant lesquelles, perdu à des lieues de distance, il guetta la moindre anomalie dans le paysage, le moindre comportement suspect d’un gus qui l’aurait attendu ou qui aurait passé le relais. Il le faisait plus par jeu que par nécessité. Il était ici en touriste, même si Cassandre la trop bien nommée trouvait cela imprudent. Elle aurait voulu qu’il reste au calme. Transparent. Elle ne comprenait pas qu’il avait besoin de bouger, de continuer à vivre. Ils s’étaient même engueulés.

La tension augmentait à l’approche du grand jour.

Il rengaina son mobile, coiffa un bonnet de laine et, l’œil pétillant, s’éloigna à grands pas. Soudain il n’était plus le même. Remontant la rue Saint-Martin, il piqua directement vers Beaubourg et traversa l’esplanade sans rien percevoir d’anormal. L’après-midi tirait à sa fin pourtant il faisait encore chaud. Un groupe de musicos développait la grande stratégie pour charmer les derniers visiteurs pendant qu’une fille fourguait leur CD. Une place de province… ou tout au moins remplie de provinciaux.

Cap au sud. Toujours rien. Il dut contourner la Tour Saint-Jacques pour percevoir la rumeur du rassemblement. La densité humaine augmenta brutalement. Il se faufila le long de la Chambre des Notaires et grimpa sur un muret. Trois cents gus à tout casser bloquaient la place du Châtelet, sans compter les flics qui étaient presque autant. Pas de quoi pavaner, mais l’ambiance lui plaisait, même si Cassandre les trouvait puérils.

– Les Indignés ! raillait-elle. Un troupeau de moutons qui va à l’abattoir ! Les Bisounours vont à la manif… Rien n’arrête un peuple qui marche ! singeait-elle en trimbalant une petite pancarte. Surtout quand il a les CRS au cul !

Heureusement elle n’était pas là pour voir ça… Les Gardes Mobiles avaient libéré le pont au Change et les berges de la Seine, contenant la manif entre les deux théâtres sur la place. Plus loin, la circulation se faisait sans problème. Le soleil avait disparu depuis un moment.

Pas question de se laisser coincer. Karl contourna la fontaine et tenta de se frayer un chemin vers la Chambre des Notaires. Merde ! Bloqué… Les flics bouclaient entièrement la place.

– Pas de violence ! hurlaient des voix. Pas de violence !

Les manifestants refusaient l’affrontement. Ils s’accrochaient à leurs bouts de carton, s’enfermaient dans leur duvet, tiraient sur leur couverture pendant que d’autres faisaient face debout, les bras levés, les doigts écartés.

– Vos enfants vous regardent ! scandaient-ils tandis que derrière eux les copains filmaient sur leurs portables.

Les flics non plus ne perdaient rien du spectacle. Leurs caméras balayaient un à un les visages mais, depuis un moment, Karl avait enfoncé son bonnet sur son crâne et relevé son foulard. Inutile de se faire repérer… Même s’il savait que les caméras tournaient depuis le début de l’aprem… Le pire, bien sûr, serait d’être embarqué. Il devait faire vite, il devait dégager. Il se faufila entre les grappes humaines cherchant une zone de faiblesse, remonta la foule à contresens, mais tout bascula quand un gendarme se prit les pieds dans un duvet et se cassa la gueule sur deux jeunes enlacés. On aurait dit un gros scarabée empêtré dans son caparaçon de ninja noir. Les deux jeunots l’attrapèrent en riant.

– La police avec nous ! La police avec nous.

Le type ne parvint pas à se dégager. Il essaya d’attraper sa matraque mais un rigolo s’en empara et fit mine de l’embrasser.

La charge commença aussitôt.

– Pas de violence !

Des cris, des hurlements, du sang… Les flics se lâchaient, les coups pleuvaient.

Quelques courageux attendirent stoïquement les mains levées pendant que leurs potes immortalisaient le coup de matraque qui leur fendait le nez ou l’arcade sourcilière, mais à présent, tous tentaient de fuir. Les gaz se rabattaient vers eux, ils étaient encerclés. Karl escalada rapidement la fontaine. Là-bas, dans l’angle de la place, les arbres et les grilles gênaient la progression des flics. Quelques jeunes réussissaient à passer. Il sauta à terre, se mit à courir, slalomant entre les obstacles et les coups de matraques, franchit sans trop de mal le cordon de ninjas mais derrière, dans un nuage de lacrymo, des flics en civil coursaient les rescapés, n’hésitant pas à les plaquer au sol… Ces salauds ne l’auraient pas. Les yeux irrités par les gaz, il piqua un sprint dans le brouillard, évita deux civils qui tordaient les bras d’un barbu, sauta une grille et, repoussant un dernier infiltré, vira à l’angle de la Tour Saint-Jacques. L’avenue était libre. Pris dans son élan, il allait traverser quand sous l’avancée d’un porche, il aperçut une fille plaquée au mur, aux prises avec un type en Adidas qui arborait le brassard orange de police… La brunette ! Elle pissait le sang de l’arcade. Sans plus réfléchir, Karl brisa sa course et se mit à marcher. Le flic se retourna en l’entendant venir.

– Barre-toi ! gueula-t-il.

– C’est chez moi ! chantonna Karl en montrant la porte. C’est là que j’habite…

Le gars eut un moment d’hésitation, il tourna la tête et paya pour tous les autres. Karl frappa deux fois, libérant toute la rage accumulée depuis le début de la charge : un coup à l’estomac, l’autre au foie.

– Viens !

La jeune femme ne réagissait pas, tétanisée devant le policier qui suffoquait à ses pieds. Karl l’attrapa par la main et l’entraîna derrière lui.

– Dépêche-toi !

Ils quittèrent rapidement l’avenue et, sans cesser de courir, contournèrent Beaubourg par un réseau de ruelles. Difficile de passer inaperçus. Les passants se retournaient sur leur passage. Malgré le mouchoir qu’elle tenait plaqué sur son front, la jeune femme avait le côté gauche du visage couvert de sang. Karl hésitait, il avait fait ce qu’il pouvait pour la sortir d’affaire. Séparés, ils se feraient moins remarquer. Il avait pris assez de risques, elle pouvait se débrouiller toute seule. Brusquement il lui lâcha la main et se précipita vers un immeuble où un gamin peinait à sortir son vélo. Il lui tint la porte et le regarda s’éloigner en souriant.

La jeune femme le rejoignit en soufflant.

– C’est ici que tu habites ?

C’était la première fois qu’il entendait sa voix.

– Non, tu vas m’attendre ici, murmura-t-il en entrant dans le hall. On va finir par se faire repérer. Je vais chercher de quoi te nettoyer. Je reviens tout de suite. Je taperai trois petits coups à la porte…

Lorsqu’il revint, un quart d’heure plus tard, il faisait presque nuit. Les jours raccourcissaient à grands pas. Avec ses deux ou trois réverbères vacillants, le petit passage sympathique entre les immeubles paraissait sordide. Il frappa discrètement. Aucune réponse. Recommença un peu plus fort, secoua la porte. Toujours rien.

Merde ! Du sang sur la poignée. Il en avait aussi sur la main et la manche de sa veste. C’était pour ça que la caissière le regardait de travers dans la supérette. Il frappa une dernière fois. Tant pis… Inutile de se faire repérer. La petite Pomme en avait eu marre d’attendre et elle avait mis les bouts. Il avait acheté tout ce bazar pour rien. Il s’éloigna. Ça suffisait ! Assez pris de risques ! Il avait déjà évité une patrouille de flics de justesse. Heureusement son sac de courses les avait bluffés et ils ne s’étaient pas attardés sur sa tronche. Si la brunette avait été avec lui, ç’aurait été une autre paire de manches !

Il revint malgré tout sur ses pas. Il ne se sentait pas tranquille. Encore un de ses foutus pressentiments. Il ferait mieux de se barrer. Il avait fait ce qu’il pouvait. Qu’est-ce qui lui avait pris aussi de se farcir le flic ? Il aurait pu se casser sans problème en la laissant se dépatouiller toute seule. Elle aurait été quitte pour un passage au poste suivi d’un ou deux points de suture à l’hosto…

Il était trop impulsif. Avec ses conneries, il risquait de faire foirer leur plan. Jusqu’ici pourtant tout roulait. Il regarda la porte. Frappa trois coups secs. Que s’était-il passé ? Il n’aimait pas ça. Et si elle avait viré de l’œil ? Après un tel coup sur la tête, c’était pas impossible. Une rupture d’anévrisme ? Putain, si jamais elle avait passé l’arme à gauche… La porte s’ouvrit brusquement. Il recula. Un couple sortit en le dévisageant puis, toujours sans le quitter des yeux, l’homme tira soigneusement le battant.

Grillé…

Karl s’écarta, les regarda s’éloigner et prit la direction opposée. Au moins un problème de réglé : la brunette n’avait pas claqué dans les escaliers… Il n’arrivait cependant pas à se détendre. Cassandre avait raison, cette idée d’aller faire un tour à la manif était une connerie. Les flics devaient être sur le pied de guerre. Ils supportaient mal de voir un des leurs au tapis, même si, de leur côté, ils s’en donnaient à cœur joie. Il devait dégager, il devait quitter le quartier en vitesse. La ruelle se resserrait, au point qu’il aurait pu toucher les deux côtés en écartant les bras. Il pressa le pas, vira à droite dans une petite cour mal éclairée et, l’apercevant trop tard, manqua renverser la silhouette dissimulée dans l’angle.

– Tu es revenu ? s’écria la brunette en rangeant précipitamment son portable.

– Je t’avais dit de m’attendre dans l’entrée ! grogna-t-il.

– J’ai entendu quelqu’un descendre. J’ai eu peur, j’ai pensé… J’ai préféré sortir en vitesse. Mais maintenant, je ne savais plus comment faire avec tout ce sang…

– Assieds-toi sous le réverbère, je vais te nettoyer ça !

Une heure plus tard, il la raccompagnait jusqu’au pied de son immeuble, rue des Abbesses, dans le XVIIIe.

– Tu es sûre que ça ira ?

Elle hocha la tête.

– Il vaudrait mieux que tu montres ça à un toubib.

Il ne se décidait pas à partir. Elle sourit, pianota ostensiblement son code.

– Faut que j’y aille.

– Ah ! Tu es attendue…

Elle hocha la tête.

– Merci pour le pansement.

– Bon… alors salut Louise.

– Salut Karl. À une prochaine manif…

– Ouais. Peut-être.

Elle poussa la porte, se faufila dans l’entrée.

– Ciao…

La serrure claqua.

Il s’éloigna. Plus tard, il repenserait souvent à cet instant. Peut-être aurait-il tout laissé tomber si elle lui avait dit de monter…

Il décida de rentrer à pied. Il devait traverser tout Paris mais il avait besoin de marcher, de vider cette énergie qui par moments déferlait dans son corps et d’oublier ces images du pouvoir qui lâchait ses chiens de garde sur des manifestants pacifiques, qui les tabassaient, les arrêtaient, les fichaient pour une pancarte, une gêne à la circulation ou un slogan subversif, lorsque d’autres profitaient de la crise pour exploiter encore davantage, s’enrichissaient quand le nombre de pauvres ne cessait de croître ou mettaient en péril l’économie de pays tout entiers par leurs jeux financiers. Les plus odieux d’entre eux n’hésitaient pas à spéculer sur le blé, le riz ou le mil, les rendant inaccessibles à ceux qui crevaient déjà de faim… Mais ces salauds ne risquaient rien. Pas un coup de matraque, pas une arrestation ! Aucune règle n’interdisait de spéculer sur les denrées vitales d’un peuple, ni d’introduire des effets de levier sur la dette d’un pays exsangue, ni d’exploiter la misère ! Le marché n’avait pas besoin de règles, il se régulait de lui-même… Quelle farce !

Mais les manifestations ne suffisaient pas. Des milliers de personnes descendaient dans la rue exprimer leur désaccord, elles n’étaient pas entendues. D’autres actions devaient prendre le relais…

Il mit plus d’une heure à atteindre le quartier où il habitait derrière le Père-Lachaise. Une chambre de 8 m2 y compris le lavabo et les chiottes. Mais l’immeuble était tranquille, c’était le luxe qu’il s’offrait.

Avant de monter, il fit un détour par un petit square où les riverains allaient faire pisser leurs chiens. Il passa le long de la grille, fit mine de relacer sa godasse sur un boîtier électrique et d’un geste rapide récupéra un morceau de papier collé sous le bord inférieur et enveloppé dans un bout de plastique. Il contourna le jardin, vérifia qu’il n’était pas observé et déballa le message. Tout est prêt… Il sourit. Trois mots. Cassandre dans toute sa splendeur ! Pas de fioritures. Il déchira la feuille en confettis qu’il jeta dans une bouche d’égout… Rien par ordinateur, ni par téléphone. Pas un mot, pas un signe. Tout de vive voix ou par courrier dans des boîtes à lettres prévues à l’avance. C’était leur sécurité de base.

Il grimpa en courant les cinq étages qui le menaient chez lui et ouvrit rapidement sa porte.

Il se détendit. Il avait faim. Plus que 48 heures et ils allaient frapper un grand coup.

CHAPITRE II

Richard Zeller, directeur du département Sécurité et Communication du groupe Valverde tourna son fauteuil et regarda par la fenêtre. Loyauté… Le mot résonnait en lui sans qu’il puisse se décider à agir. La nuit était tombée depuis longtemps. C’était l’heure qu’il préférait. Il ne se lassait pas de la vue qu’il avait de son bureau depuis plus de quinze ans maintenant, même si l’Arc de triomphe ne lui offrait qu’un trois-quarts profil. Il laissa son regard flotter sur les lumières des Champs-Élysées. Il avait besoin de réfléchir. Directeur de la Sécurité, il avait réussi à convaincre Hugo Valverde, unique héritier du groupe, qu’il devait aussi contrôler la communication. C’était fait depuis trois ans, malgré les réticences des autres membres du comité exécutif qui répugnaient à le voir empiéter sur certaines de leurs prérogatives. Il avait fallu presque deux ans de guerre ouverte pour qu’ils finissent par accepter que la lutte contre l’espionnage industriel, la fraude, les attaques informatiques ou les atteintes à l’image du groupe passait par une maîtrise de la communication. Ce n’était pourtant pas compliqué à comprendre, mais chacun était ancré dans ses habitudes. Et qui disait contrôle de la communication, disait contrôle de la parole… or tous individuellement voulaient garder la liberté de s’exprimer. Lui n’y voyait pas d’inconvénients. Il voulait simplement placer des bornes, définir une stratégie qu’ils mettraient au point ensemble et s’y tenir.

– Un contrôle de l’image du groupe ? avait demandé Dupeyrat.

– Tout simplement… Avec tout ce que ça implique au niveau information.

– Précise.

– La dynamique de communication ne doit plus être traitée au coup par coup. Nous devons la planifier en comité exécutif, mettre au point ce que l’on veut montrer mais aussi ce qui doit rester dans l’ombre et ce qui ne doit pas sortir.

– On fait ça depuis des années !

– Attends ! Quand je dis ce que l’on veut montrer, ce n’est pas simplement j’ouvre la fenêtre et Par ici, regardez Messieurs-Dames. Mais je prépare, j’arrange, voire je fabrique l’image que je veux offrir.

– De l’intox ?

– Oui… Soyons clairs : On fait de l’information mais aussi de l’intoxication et de la désinformation à destination de nos concurrents.

– Comme de nos partenaires, grogna Roussel.

– Concurrents, partenaires, actionnaires… Les uns basculent souvent dans le camp des autres. Chacun joue le même jeu : Qui mange qui ? L’important c’est le tas de fric qu’ils récupèrent à la fin de l’année.

Exactement comme autour de cette table, avait-il failli ajouter. Mais il n’avait pas osé. C’était Hugo Valverde qui l’avait sorti, son sourire juvénile aux lèvres malgré ses presque cinquante ans, puis il avait regardé un à un les cinq membres du comité :

– C’est bien pour ça que vous êtes là ? avait-il ajouté avant d’éclater de rire et de déclarer que c’était une affaire entendue.

Ainsi depuis trois ans, ils avaient soigneusement calculé leur stratégie de communication. Tous désormais avaient compris que le sabotage de machines ou d’usines n’était qu’un petit risque comparé à celui d’une dégradation de l’image du groupe. Et pour bien leur prouver qu’il n’y avait pas de visée personnelle dans ses plans, il avait laissé Nabil Hammadi prendre la place de porte-parole. C’était un beau gars au sourire charmeur, c’était ça l’important. Puis très vite, ils s’étaient mis d’accord sur les grands principes d’un code déontologique que devaient respecter tous les collaborateurs du groupe : respect d’autrui, excellence, esprit d’équipe, loyauté…

La loyauté ne joue que si elle est réellement réciproque. Il eut un sourire amer. Il avait été loyal lorsqu’il avait évoqué, seul à seul avec Hugo, le projet pharaonique de construction de château pur Louis XIV à quelques minutes de Paris, que celui-ci leur avait présenté. Quel mauvais goût ! C’était bon pour un émir de Dubaï. Plus kitsch, c’était pas possible ! Il n’en avait pas vraiment parlé ainsi, mais ça résumait assez bien ses propos. Il avait été direct. Il voulait ouvrir les yeux d’Hugo. Après la mort tragique de son père dans un accident d’hélicoptère, il s’était pris d’affection pour lui. Ce n’était pas facile de prendre brutalement la relève. Jusque-là, le jeune héritier présomptif s’était tenu en marge du groupe, alors il s’était chargé de lui en faire découvrir tous les arcanes. Ça s’était fait progressivement. Peu à peu, les actionnaires et partenaires avaient pris confiance dans le sérieux du nouveau patron… Mais ce château…

– J’en ai envie, avait répondu Hugo. Tu verras, ça ne sera pas du toc. Je veux montrer qu’on peut encore construire des bâtiments qui rivalisent avec les plus beaux châteaux du XVIIe siècle.

– Des pastiches… Tu ne trouveras jamais les artisans capables de refaire ça.

– Je les ai trouvés ! Et pour les moindres détails, j’aurai le label des Monuments Historiques.

– Tu imagines l’impact d’un tel machin sur l’image du groupe auprès des actionnaires ?

– L’excellence !

– Une débauche de luxe !

– Je les emmerde. C’est un projet privé qui ne regarde que moi.

– Tu sais bien que tu es l’incarnation du groupe.

– Les modes changent ! avait balancé Hugo mettant fin à la conversation.

Il n’avait pas insisté. À présent, le château Louis XIV semblait une broutille : Hugo semblait avoir perdu la raison.

Il regarda le dossier marron posé sur son bureau. Un informateur les avait avertis d’une possibilité d’attaque de sécurité contre le groupe. Une attaque de niveau 3, d’après la classification qu’il avait lui-même établie et que chacun se devait de respecter. La procédure d’alerte avait été correctement enclenchée et le bureau d’enquêteurs privés avec lesquels ils travaillaient depuis longtemps, avait été chargé d’écoutes et de filatures afin de pouvoir évaluer le risque réel. Au final, au vu des renseignements obtenus, il avait conclu qu’il s’agissait d’une simple action subversive qui, si elle se confirmait, pourrait être discrètement muselée au dernier moment.

Contrairement aux idées reçues, dans ce boulot il fallait se garder de toute paranoïa et, s’il y avait bien des risques, il fallait avant tout conserver la tête froide. On ne pouvait pas intervenir préventivement sur toutes les menaces. La plupart n’étaient que rumeurs, d’autres avortaient d’elles-mêmes. Pourtant c’était curieux, quelque chose le gênait dans ce rapport. La procédure avait été respectée, mais il ne suivait pas la dynamique habituelle. Une dynamique implicite qu’il n’avait jamais réussi à formaliser. D’abord un renseignement, suivi d’une enquête avec une montée en puissance progressive, corrélative aux moyens engagés, jusqu’à l’évaluation précise du risque et la prise de décision. S’en suivait alors un retour au calme entrecoupé de pics d’informations parfois contradictoires… Mais justement ici, toute contradiction semblait avoir disparu. Comme si l’opération prévue était en cours d’abandon ou très habilement verrouillée. Bien sûr il pouvait toujours s’agir d’un écart à la moyenne de ses statistiques aussi personnelles qu’intuitives… Certains appelaient ça du pif, d’autres du flair, mais sans se vanter, force était de constater qu’il se trompait rarement. Il voyait défiler tant de dossiers d’alertes de sécurité par jour qu’il avait fini par développer une sorte de sixième sens qui lui permettait d’en comprendre rapidement l’importance.

Il attrapa la chemise, en tapota une dernière fois la couverture puis la rangea dans son coffre.

De toute façon, il avait décidé de laisser courir… Hugo méritait bien une leçon.

CHAPITRE III

À six heures du matin, Karl était de nouveau dans le métro. Après une demi-heure de somnolence coupée d’un changement à République, il sortit place d’Iéna. La manif de la veille et le K.-O. du flic étaient oubliés. Il devait se concentrer sur le projet, uniquement le projet. Il n’avait pas le droit à l’erreur.

Il respira un grand coup. La température était toujours aussi clémente bien que le mois d’octobre fût déjà largement entamé. Il passa devant l’ambassade du Mexique qui semblait construite autour d’un arbre et déboucha sur une petite place. Fayolle et Montaigle. L’inscription était peinte en doré sur un grand porche noir. La raison sociale n’était pas précisée. Inutile, on ne venait pas ici par hasard.

Il se faufila par le portillon sur le côté, salua le gardien et traversa la cour où étaient garés plusieurs fourgons frigorifiques prêts à partir. Les chauffeurs s’affairaient, une liasse de documents à la main. D’ici quelques minutes, le chef donnerait le signal et ils fileraient en procession vers le site d’une célèbre enseigne des Champs-Élysées.

Passant sous un auvent, il poussa une porte de verre gravée et pénétra dans les anciennes écuries transformées en laboratoire de cuisine haut de gamme par la fameuse dynastie de traiteurs de luxe, et rejoignit les vestiaires.

Par le hublot, il vit qu’Anthony l’attendait… Premier aide du chef pâtissier, c’était grâce à sa rencontre que Cassandre et lui avaient pu pénétrer l’entreprise. Les divins Fayolle et Montaigle étaient toujours à la recherche d’extras pour les réceptions dont ils étaient les maîtres d’œuvre. Pour eux, il ne s’agissait pas simplement de préparer les repas, il fallait aussi les mettre en scène. Leurs dîners étaient de véritables ballets scrupuleusement chorégraphiés, mis en lumière et scénarisés dans les moindres détails, car si le versant culinaire de leurs prestations restait primordial, il n’en représentait plus qu’une partie, et c’était en réalité un fabuleux spectacle pour tous les sens qui était offert. Mais un spectacle dont les invités devaient rester les acteurs principaux… Le service prétendait donc être techniquement irréprochable, beau, voire grandiose, mais assez discret pour mettre en valeur les convives.

– Vous êtes l’écrin qui doit révéler la magnificence de toutes ces personnalités ! ressassait le chorégraphe attaché à la maison lors des longs briefings qui précédaient les séances d’entraînement.

Dès lors, le moindre geste était repris mille fois : la façon de présenter l’aumônière de pétales de cabillaud comme celle de se déplacer les bras chargés d’un immense plateau, ou d’attendre en guettant un désir d’un convive, un souhait, sans avoir l’air de voir autre chose que ces vœux à peine exprimés, ni d’exister en dehors de leur accomplissement.

Ainsi Karl et Cassandre faisaient partie des derniers extras embauchés, non grâce à leur connaissance du service hôtelier, mais parce qu’ils étaient danseurs accomplis. Les héritiers Fayolle et Montaigle revendiquaient l’innovation et l’extravagance dans leurs prestations jusque dans le recrutement de leur personnel. Aussi, quand le marché du travail ne leur offrait pas les perles rares qu’ils recherchaient, ils n’hésitaient pas à ouvrir leurs exigences à des niches atypiques. Les danseurs professionnels ne mettaient que peu de temps à intégrer les règles et la gestuelle rigoureuse du service. Or il y en avait un réservoir quasi inépuisable à l’agence pour l’emploi parmi les candidats au statut d’intermittent du spectacle.

Cassandre avait fait l’école du cirque, Karl, des études d’éducation physique. Tous deux vivaient de petits rôles de fond de scène dans les séries télévisées les plus nulles ou bien comme Tarzan et adorable fée blonde à Disneyland, le tout pimenté de remplacements au pied levé un peu partout en France. Ils avaient rencontré Anthony dans le train en remontant d’un déplacement calamiteux à Marseille. Il leur avait parlé avec enthousiasme de son métier et des possibilités offertes par Fayolle et Montaigle aux figurants dans leur genre. Ils n’avaient pas beaucoup hésité. Les budgets de la Culture étaient partout en chute libre et il devenait de plus en plus difficile de boucler les fins de mois. Et surtout, bien qu’ils n’aient encore aucun plan établi, ils avaient tout de suite entrevu l’occasion de frapper qui se présentait à eux… C’était ainsi qu’après avoir franchi toutes les étapes de la sélection, ils étaient entrés tous deux au service des traiteurs de luxe pour mettre en scène leurs propres prestations d’exception…

Karl se déshabilla rapidement. Il enfila son costume noir, lissa ses cheveux et se dirigea vers la porte en sifflotant. Anthony le happa dès qu’il sortit des vestiaires.

– Cass t’a refilé le message ?

– Impec ! On répète une dernière fois ce soir.

– Où ?

– Comme d’hab.

– Putain, j’ai les foies.

– Tu te fous trop la pression. Ça va marcher comme sur des roulettes.

– Jusqu’à hier, ça allait. Mais plus ça approche…

– Dis-toi que tu n’as rien fait à part nous rencarder. Une fois là-bas, tu resteras à l’abri au sous-sol. Ça sera à Cass et moi de jouer.

– Putain de jeu !

– De toute façon, si on t’interroge, tu ne sais rien.

– Tout le monde sait qu’on est potes.

– Et alors ? Je suis pote avec plein de mecs ici. Pareil pour Cassandre. Il n’y a de traces de toi nulle part. Pas un mot écrit, pas un numéro de téléphone ! Et puis tu n’es jamais venu chez moi, ni chez Cass…

– N’empêche que j’ai les boules.

– Tu ne vas pas nous lâcher maintenant !

Anthony ne cessait de bouger. Il se balançait d’un pied sur l’autre, triturait le poignet de sa blouse, surveillait sa montre.

– J’ai pas dit ça.

– T’as pas envie de pisser ?

– Hein ?

– On ne peut pas rester là des plombes. Si quelqu’un sort, on va se faire repérer. Vaut mieux qu’on aille discuter aux chiottes.

Ils filèrent vers le fond du couloir. Trop tard, la porte des vestiaires s’ouvrit brutalement derrière eux.

– Alors les comploteurs !

Cassandre ! Elle les avait aperçus par le hublot. Anthony s’arrêta tétanisé tant par l’apostrophe que par l’apparition subite de la jeune femme. Elle était plus belle que jamais. Souriante, décontractée… Et si lui crevait de trouille, pour elle ce n’était visiblement pas le cas. Elle paraissait plus en forme que jamais, terriblement séduisante dans son uniforme noir qui faisait ressortir sa blondeur et la fraîcheur de sa peau. Ses yeux bleus étincelaient. Pourtant Karl, qui la connaissait depuis belle lurette, savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Tout pouvait basculer d’un moment à l’autre. Quelques années auparavant, ils avaient fait une tentative de vie commune, mais au bout de trois mois, lors d’une dispute de plus, elle s’en était prise physiquement à lui, cherchant l’affrontement délibéré, le poussant à la faute. Sans doute n’était-il pas sans tort, mais il avait eu l’intelligence de s’enfuir… Peu de temps après, ils avaient de nouveau travaillé ensemble pour des figurations télévisées. La crise oubliée, Karl avait envisagé de reprendre leur liaison mais elle l’en avait dissuadé.

– Je suis invivable, avait-elle murmuré en lui tenant la main sur la table d’un bistrot. Incorrigible… Je ne suis pas faite pour vivre avec quelqu’un. J’ai été élevée comme une princesse… Ça laisse des traces, même si j’adorerais faire la révolution.

Il n’avait pas insisté. Cassandre était, depuis toujours, restée secrète sur son adolescence et sa famille. Sa critique des bourgeois était féroce et ç’avait été sûrement très difficile pour elle d’avouer que son éducation l’avait marquée à ce point. D’ailleurs, il comprenait… Lui-même n’évoquait que très peu ses origines, occultait une grande partie de sa jeunesse et tentait d’en oublier le reste.

La rupture avait été douloureuse, pourtant il avait fini par admettre qu’il ne s’en portait que mieux. Ils étaient restés bons copains, complices même, mais il n’était plus question d’amour entre eux. Physiquement, ça arrivait de temps en temps. Rarement. Quand la situation exceptionnelle de l’instant s’y prêtait. Puis ils repartaient aussitôt chacun de son côté, chacun dans sa vie. Sans doute s’aimaient-ils, mais cela n’avait rien à voir avec l’amour des couples qu’ils voyaient autour d’eux. Leur attachement paraissait tour à tour amical, fraternel avec des pointes de fièvres incestueuses et, sans qu’ils n’aient jamais plus envisagé de vivre ensemble, leur connivence était telle que Karl avait parfois l’impression que Cassandre était une part de lui-même vivant en dehors de lui, dont il avait besoin… mais qui parfois l’insupportait.

Ensemble ils travaillaient, ensemble ils se passionnaient pour des idées politiques. Ils échangeaient des livres, critiquaient, manifestaient, rejoignaient des groupes qui refaisaient le monde. Et partout Cassandre séduisait.

Karl avait plusieurs fois assisté au quasi envoûtement qui s’emparait des hommes qui la fréquentaient. Il les voyait s’approcher tels des papillons fascinés par la lumière, fiers d’être l’élu d’un soir, le courtisan préféré… avant de disparaître.

Anthony n’avait pas échappé à la règle. Le hasard d’une place assise, face à elle dans le TGV qui les ramenait de Marseille, avait été le piège qui s’était refermé sur lui. Peut-être sa timidité et sa gaucherie l’avaient-elles préservé ? Peut-être avaient-elles touché Cass ? En tout cas, elle l’avait jusqu’ici épargné plus qu’aucun autre.

Fière de son effet, elle les rejoignit dans le couloir et les embrassa avec légèreté, comme si la proximité de l’attentat lui avait ôté le voile d’humeur sombre qui l’enveloppait depuis des jours, au point qu’Angelo Orfila, le chorégraphe, lui en avait fait la remarque lors d’une répétition.

– Cassandre ! Tu dois sourire même si ton petit chaton a été écrasé, même si ta grand-mère agonise !

Karl avait craint le pire. Il voyait déjà le lourd plateau heurter le crâne d’Angelo, les couverts manquer de peu son beau visage olivâtre… et pourtant, rien ne s’était passé. Cass avait blêmi une seconde puis, retroussant les lèvres, elle avait découvert ses dents étincelantes. Une vraie pro subissant sous son masque une répétition fastidieuse de plus alors qu’elle avait depuis longtemps intégré la gestuelle du service.

Elle les suivit sans vergogne dans les toilettes des hommes. Anthony restait muet. Il la regardait face à la glace ajustant les pinces qui tiraient ses cheveux blonds en arrière… Tiendrait-il le coup ?

Le jeune pâtissier, élu deux ans auparavant meilleur apprenti de France, n’avait pas mis longtemps à se laisser convaincre de participer à l’opération. À ce moment, il paraissait acquis à leur cause, alors qu’il voulait sans doute seulement ne pas décevoir Cass… Bien sûr le plan avait évolué en cours de route et les risques n’étaient pas négligeables. Mais il fallait savoir ce qu’on voulait ! Ce n’était pas une petite banderole qui ferait la une des journaux ! Il fallait marquer tous ces nantis en les touchant à l’intérieur même de leurs forteresses. Pour qu’ils ne se sentent plus jamais hors d’atteinte !

Aussi dès qu’ils avaient eu le planning des réceptions, Karl et Cass n’avaient pas beaucoup réfléchi. La cible entrevue était idéale. La collusion quasi pornographique entre le pouvoir, l’argent et les médias ne pouvait être plus criante. C’était Cassandre qui avait été la première à mettre le doigt dessus et c’était encore elle qui avait trouvé le moyen de frapper. Karl s’était surtout occupé de l’aspect technique et du minutage. Quant à Anthony, bien que rallié dans un second temps, il restait la pièce essentielle de l’opération. Sans lui, pas moyen de mettre le système en place. Mais cette pièce cruciale paraissait très fragile. Il était encore jeune, politiquement mal éduqué et bien que sincères, ses convictions manquaient d’ancrage. Au départ, il s’était enflammé sans percevoir les retombées exactes de l’attaque. Pour lui ce n’étaient que des mots, des actions de jeux vidéo dont il se gavait à peine sorti du boulot. Pourtant, tous trois devaient s’attendre au pire. On ne faisait pas d’omelette sans casser d’œufs ! Cass et Karl en avaient bien conscience. Mais Anthony devait rester hors de cause, ils le lui avaient promis. Pour eux, ils savaient à quoi s’attendre…

– Messieurs les hommes ! Prêts pour notre prestation d’exception ? plaisanta Cassandre en se retournant dans une volte souple.

– Prêt ! sourit Karl les bras croisés sur sa poitrine musclée et le dos nonchalamment appuyé au mur.

– Oui, souffla Anthony.

– Allez ! Détends-toi, fit-elle en lui effleurant la tempe. Pour toi, tout sera vite terminé ! Il faudra simplement te taire.

CHAPITRE IV

Leur journée de répétition terminée, Karl retrouva Cassandre sur le parking de la fac de sport où il avait fait ses études. Dissimulé derrière une épaisse haie de cyprès, un hangar servait à stocker le matériel de gym désaffecté promis à la décharge : des engins de musculation rouillés, des barres déglinguées, des tapis éventrés, des câbles… Karl savait comment y entrer. Un peu d’escalade et de savoir-faire, ensuite c’était enfantin. Le verrouillage d’une des lucarnes sur le toit n’avait jamais été réparé et les lourdes portes coupe-feu s’ouvraient de l’intérieur.

Dès qu’elle vit un battant s’entrebâiller, Cassandre se précipita.

– Antho n’est toujours pas là, souffla-t-elle dans le noir.

– Il ne va pas tarder.

– Ça fait une heure qu’il aurait dû arriver !

– Il a toujours été réglo.

– Il pétoche ! Il va nous claquer dans les doigts.

– Calmos ! soupira Karl en se vautrant sur un gros tapis de saut.

Il essayait de ne rien montrer, mais il était inquiet. Il alluma sa lampe torche. Cassandre restait plantée devant lui, les traits tirés.

– On peut toujours répéter tous les deux, proposa-t-il.

– Tu te fous de ma gueule ? cingla-t-elle. C’est pour lui qu’on répète ! Il a une mémoire de poisson rouge. C’est pourtant pas compliqué ce qu’il a à foutre !

– C’est le stress ! Il a besoin d’être rassuré. Il n’a pas l’habitude d’être en première ligne. C’est un gars de l’ombre, toujours derrière ses fourneaux.

– J’en ai rien à foutre de ta pédagogie à deux balles !

– Ne dis pas que t’as pas la trouille !

Karl regretta aussitôt sa remarque. Trop tard ! Cassandre explosa. Il avait tout foutu en l’air. Elle se rua sur lui, le choc lui coupa le souffle. Il tenta de se débattre mais il s’empêtrait dans la mollesse du tapis. Elle lui prit la gorge, serra sauvagement ses doigts. La lampe avait roulé au creux de la mousse éclairant par-dessous le visage de Cassandre, la transformant en furie… Brutalement elle relâcha son étreinte, l’embrassa violemment bavant sur son visage.

– Sache que je n’ai peur de rien ! Seulement que le coup rate. Je me fous du reste !

À cheval sur sa poitrine, elle emprisonnait ses poignets, broyait sa cage thoracique entre ses cuisses. Elle avait une force incroyable. Sous une allure déliée, le cirque lui avait façonné des muscles de catcheuse. Elle se frottait à lui, l’embrassait, mordait sa langue et ses lèvres, laissait sa salive couler dans sa bouche.

– Je suis folle ! marmonna-t-elle. Je crois que je serais capable de te tuer…

D’une brusque secousse, il la déséquilibra et roula sur elle. Ils s’enfoncèrent toujours plus profondément dans la mousse. Il l’écrasait de son poids.

– Je t’égorgerai avant, grogna-t-il en lui mordant le cou.

Il sentait ses artères, ses tendons rouler sous ses dents. Militants fanatiques au bord du gouffre, ils étaient comme deux fauves cherchant à s’accoupler, libérant sous leurs assauts la tension qu’ils accumulaient depuis des jours. Soudain ils arrachèrent leurs vêtements et nus se poursuivirent à travers l’empilement de matériel déclassé. Peu importaient la crasse et le froid, ce soir ils exorcisaient leur peur dans ce hangar délabré. Ils se coursaient, sautaient, rampaient dans la pénombre fragile de leur lampe, ils se frôlaient, s’enlaçaient sur les bâches poussiéreuses retardant le moment de la jouissance… Une sonnerie les surprit sur le cuir éventré d’un plinth.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Mon bigo, souffla Karl.

– Laisse tomber !

Elle recommença à jouer avec son sexe.

– C’est Tony. Il n’y a que toi et lui qui avez ce numéro.

– Quel con ! On avait dit pas de téléphone !

Il se dégagea, fouilla rapidement l’obscurité du faisceau de sa lampe et retrouva son portable.

– Karl ?

– Pas de nom !

– Excuse…

– Trop tard, la connerie est faite… Qu’est-ce que tu fous ? On t’attend !

– Je peux pas venir. Le chef veut revoir un truc avec moi.

– Merde ! Il a repéré quelque chose ?

– Je crois pas.

– Te bile pas, dit Karl en retrouvant rapidement son calme. T’es un as, il n’y verra que du feu.

– J’espère.

– Si ça cloche, rappelle-toi que tu ne sais que dalle. Tu n’as fait que recouvrir la structure comme ton chef t’avait demandé. T’étais pas censé regarder dessous.

– Je sais bien, mais… Bon, faut que j’y aille.

– Eh, Toto ?

– Oui ?

– Courage ! Demain c’est fini… Si tout est O.K. ce soir, tu m’envoies un coup de fil. Même au milieu de la nuit. Tu laisses sonner trois fois, point barre. Si t’appelles pas, je comprendrai. On laissera tout tomber.

Karl raccrocha mais, toujours nu comme un ver, resta figé, son téléphone à la main.

– C’est mort ? s’inquiéta Cassandre.

– Je ne pense pas. Il s’affole un peu parce que le chef voulait lui parler, mais c’est sûrement une dernière vérif… Il doit me faire signe dès que le gâteau sera au point.

– Quel con d’avoir utilisé ton portable !

– On avait dit en cas d’urgence.

– Il panique à mort, oui ! Tu verras qu’il va nous péter entre les doigts ! On devrait le mettre sur la touche.

– Impossible ! On a trop besoin de lui pour placer…

Karl se retourna brusquement.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Rien… J’ai cru entendre un bruit.

Il éclaira le mur de tôles.

– C’est le vent, fit Cassandre avant de se laisser tomber mollement sur le tapis. Demain, je me charge de le briefer. Il faut qu’il tienne au moins jusqu’au début de la réception : il me file le coup de main et après, basta !

– Il peut disparaître, acquiesça Karl. Personne n’ira le chercher.

– On n’aurait jamais dû se fier à lui, il crève de trouille !

– Je ne crois pas, il ne se rend pas vraiment compte des risques. Il n’est pas comme nous, il a surtout peur de perdre sa place.

– Et toi ?

– Je ne tiens pas à y penser, dit-il en s’asseyant près d’elle. C’est le but qui est important. Tant pis pour le reste.

Elle apercevait son dos puissant dans la pénombre, ses muscles d’acrobate.

– Qu’est-ce qu’on fait après ? demanda-t-elle en lui caressant la nuque.

– Tu arrives à imaginer un après ?

– Je te parle de maintenant ! rit-elle en lui secouant la verge comme une marionnette de chiffon. Pour après, je ne veux surtout pas y penser… comme le vide quand je suis debout sur mon câble.

Elle le poussa en arrière et bascula de nouveau sur lui. Tendrement cette fois.

– Notre prochain coup, on le fera seulement tous les deux, murmura-t-elle en se laissant aller contre lui.

– Tu sais bien, qu’il n’y aura pas de prochain coup…

Elle tressaillit. Pour la première fois, il crut sentir qu’elle avait peur. Le froid peu à peu s’emparait d’elle. Il lui massa doucement le dos, les fesses.

– Tu vas me manquer, chuchota-t-elle.

Il sentit des larmes tomber sur son visage. Il lui embrassa les yeux, frotta son front contre son front.

Il se trompait, elle n’avait pas peur. Elle était seulement triste.

CHAPITRE V

Richard Zeller n’aimait pas les écrans. Ses yeux avaient besoin de douceur. À cette heure, il supportait la lueur d’une lampe de bureau… rien d’autre, et la clarté des réverbères de la ville entrant par la fenêtre…

Il vérifia une dernière fois ses papiers. Depuis une semaine, une noria de camions débarquait le matériel de réception au château. Il relut le protocole, examina le plan qu’il avait plusieurs fois annoté sans trouver rien à y ajouter. Demain serait le grand jour. Le final approchait. Jusqu’au dernier moment, Hugo avait soigneusement travaillé la mise en scène avec Fayolle et Montaigle. Les vingt-cinq ans de sa petite Kimberley et l’inauguration de son logis Louis XIV méritaient qu’il y passe la moitié de son temps depuis plus de deux mois… Ça grinçait dur au comex et, dans les médias étrangers, certains investisseurs n’hésitaient plus à se foutre ouvertement de lui allant jusqu’à contester le statut qui le protégeait. Les rumeurs de déboulonnage se suivaient. Un peu partout, les requins laissaient voir le bout de leurs ailerons. Devant le comité exécutif, Hugo avait candidement tenté de museler toute contestation en annonçant que sa soirée était une publicité gratuite formidable pour le groupe et qu’il avait voulu fêter les deux événements ensemble afin de gagner du temps… Son aveuglement était pitoyable. Personne n’était dupe. Sa poule lui tournait la tête. Malgré la crise, c’était sa seule préoccupation. Pourtant aucun des membres n’avait moufté. Par ces temps, on était mieux au chaud, et les parachutes, mêmes dorés, n’étaient plus ce qu’ils étaient.

Zeller lui-même s’était bien gardé de tout commentaire. Depuis l’histoire du château, Hugo lui faisait la gueule. Il n’avait pas apprécié sa franchise et pour peu aurait maintenu le black-out total sur sa soirée.

– C’est un événement privé.

– Tu ne t’appartiens plus ! avait-il rétorqué. S’il t’arrive quelque chose, c’est le groupe entier qui vole en morceaux.

Il avait dû insister pour obtenir le détail du programme de la soirée et, encore, Hugo avait refusé de lui en dévoiler le clou.

– C’est une surprise !

Un vrai gamin. Il était la risée du tout-Paris, mais il s’en foutait.

– On n’a qu’une vie…

Richard pouvait comprendre. La disparition prématurée de son père l’avait fortement ébranlé, mais certains ayant évoqué la possibilité d’un sabotage de l’hélico, Hugo aurait dû se méfier. Lui faire confiance. Il avait toujours été loyal avec le groupe. Il ne cherchait que sa sécurité.

Ce n’était sans doute pas le cas de tout le monde. En l’absence de leur patron, lors de réunions off du comex, les autres membres n’avaient pas affiché la même mansuétude, même s’ils se gardaient bien de parler ouvertement. Ils s’étaient contentés de brèves allusions sous des masques de joueurs de poker mais chacun pouvait comprendre. Le pouvoir était vacant, un patron ne pouvait se le permettre.

Un mois plus tôt, Roussel avait fait circuler un article du Wall Street Journal dans lequel Sprenger Finance mettait en cause le statut intouchable de patron à la française d’Hugo Valverde. C’était un ballon d’essai. Juste pour voir… Au cas où…

Personne n’avait eu besoin d’y jeter un coup d’œil. Tous l’avaient déjà lu et longuement soupesé. Cependant on ne savait jamais… Si Hugo valsait, qui prendrait sa place ?

Laurent Dupeyrat, Alexandre Maszynski et lui-même, Richard Zeller, faisaient partie des historiques présents bien avant la disparition du père, et, de fait, restaient des successeurs potentiels. Mais les trois autres, Nabil Hammadi, François Roussel et William Wycliff avaient gagné en puissance depuis qu’ils avaient été mis en place. On ne pouvait les ignorer…

– Du flan ! avait balancé Wycliff en repoussant le journal américain sur la table.

Tous attendaient son avis. C’était lui l’expert en droit de la finance. S’il l’affirmait, le statut était inattaquable. Inutile de se dévoiler. Il fallait continuer à soutenir le chef, dresser une muraille autour de lui, se montrer intraitables… Ils allaient dérouiller tous ces merdeux qui osaient s’en prendre à lui ! Même chose pour les pisse-copie qui se faisaient les relais de cette cabale en France.

Ils avaient aussitôt rédigé une contre-attaque. Rapidement. Six cerveaux en ébullition pour protéger le chef.

Maszynski savait où frapper. Sprenger irait se faire foutre ! On pouvait se passer de ses services. Deux ans auparavant, le vieil amerloque avait tenté un raid inamical contre Valverde International. Il aurait fallu aller jusqu’au bout, lui casser les reins. Il gardait toujours un paquet de fric dans la boîte mais on allait l’attaquer sur sa branche énergie, envoyer des infos à l’Autorité Mondiale de la Finance et à tous les journaux économiques, sur ses tours de passe-passe entre les States et ses filiales bidon en Irlande pour faire sauter ses impôts !

Passée cette démonstration de fidélité, ils avaient fini par convenir malgré tout, que les absences d’Hugo mettaient le groupe en danger. Bien sûr en y mettant des gants… Il n’y avait qu’une solution, pallier ses manques, concentrer encore davantage les prises de décision qui ne pouvaient se faire sans lui, lors de réunions express. Il fallait faire le dos rond. Tenir encore quelques jours. La fête approchait. Après il se remettrait au boulot. La jeunette finirait par perdre sa saveur… Ça, personne ne l’avait dit, mais tous le pensaient… Hélas ça pouvait prendre du temps et, d’ici là, une nouvelle lubie pouvait le frapper.

– Un mariage ?

Perdu dans ses pensées, Zeller n’avait pas réussi à savoir lequel avait prononcé le mot. Nom de Dieu ! C’était pas possible ! Qu’il se marie, c’était une chose, mais avec lui, tout prenait des proportions hors-norme ! Allait-il dégoter une île paradisiaque à acheter, un paquebot de luxe à construire, voire même un sous-marin ?

– Et pourquoi pas un voyage sur la lune ?

Ça, c’était Dupeyrat qui l’avait lâché. Ils en étaient visiblement tous au même stade : loyaux en apparence mais excédés.

– Le plus emmerdant, c’est la longueur du voyage de noces ! avait plaisanté Maszynski.

– En espérant que son cœur tienne le coup, avait renchéri Hammadi.

– Avoue que tu aimerais être à sa place !

– Pour William Wycliff, la question ne se pose pas ! avait renvoyé Hammadi. Le très serviable double-double-u se verrait bien oindre la petite Kimberley de crème solaire.

Malgré la gravité de la situation, les six membres du comex n’avaient pu retenir leurs sourires. Durant l’été, tous les journaux people avaient fait leurs choux gras d’une photo d’Hugo enduisant les seins de sa fiancée de crème solaire. Il fallait avouer que n’importe lequel d’entre eux lui aurait volontiers prêté sa main… voire les deux.

– Dans ces trucs-là, avait doctement repris Maszynski en retrouvant son visage impénétrable, on oublie toujours les grains de sable qui viennent tout gâcher ! Il en suffit d’un… et le sourire se transforme en horribles grimaces…

– J’aimerais bien être le grain de sable…

Ils s’étaient quittés sur ces sous-entendus grivois, mais la réunion suivante avait été beaucoup plus tendue. Chacun avait conscience d’avoir dévoilé une partie de son jeu, et surtout, en externe la pression montait. Le CAC 40 envoyait des signes on ne pouvait plus clairs et le rachat précipité d’une boîte de composants pour panneaux solaires avait fait un flop. Le gouvernement avait du jour au lendemain stoppé toutes les subventions à l’installation, et personne ne les avait informés ! Ça ressemblait à un signal fort venu du plus haut de l’état. Le Président lui-même trouvait que le jeu avait assez duré. L’une des plus grandes entreprises du pays ne pouvait rester sans capitaine et il n’était pas question de continuer à jouer les VRP de luxe, si Valverde était toujours en vacances !

Mais la tension venait aussi de la position que chacun d’eux envisageait de prendre pour la fête. Bien entendu, Hugo les avait tous conviés, carton gnangnan à l’appui, mais il les avait aussi tous machiavéliquement laissés libres de leur engagement personnel.

– Je sais que vous êtes au front. Ça me ferait extrêmement plaisir de vous avoir tous ensemble du début à la fin, mais je sais que ce n’est pas possible. Vous assumez tout le boulot au quotidien… Donc vous faites au mieux.

Évidemment, toute cette comédie n’avait pas de sens, et aucun d’eux n’envisageait de ne pas être présent. Pourtant, en laissant la porte ouverte, Hugo montrait qu’ils viendraient de leur plein gré et qu’au fond ils cautionnaient les folies de leur patron.

Le téléphone sonna. Zeller regarda sa montre, 21 h 45… Il décrocha, fit pivoter son fauteuil en direction des fenêtres. C’était Gontier, le directeur de l’agence de surveillance et sécurité qui travaillait pour lui depuis des années. Ils avaient prévu de passer en revue les points sensibles de la réception du lendemain.

Ça roulait. Gontier était le top du top. Ancien militaire en poste au Liban, il ne laissait jamais rien au hasard et l’isolement du château en pleine forêt facilitait le boulot. Le mur d’enceinte au goût des Monuments Historiques n’était pas très élevé mais il y avait pas mal de caméras toutes opérationnelles.

– J’ai seulement prévu deux équipes sur place, expliqua-t-il. Les traiteurs ont du personnel trié sur le volet et ça m’étonnerait que les invités cherchent la bagarre ! Les plus à craindre, ce sont les paparazzis. De vrais fauves, ceux-là ! Mais les gars ont l’habitude…

– Inutile de charger, approuva Zeller.

D’ailleurs, Hugo avait insisté pour que la surveillance soit la plus discrète possible : « On n’est pas à Davos ! Ce n’est pas une réunion du club Bilderberg, c’est un anniversaire ! » avait-il minaudé.