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Cette année, la fête foraine est en avance. Arrivée en pleine nuit, à bord d'un train mystérieux, elle s'installe à Limoges et attire les soeurs Trawick. Pauline, victime d'une étrange malédiction, assiste à des événements inquiétants qui frappent sa rivale. Une voyante aux paupières cousues, un plomb qui ricoche, une Pieuvre qui s'emballe... Au fil des pages, la fête se transforme en cauchemar et Pauline doit lutter contre les forces maléfiques qui se déchaînent. Mais peut-on gagner contre soi-même ? Jouant sur les préoccupations de l'adolescence, ce conte d'épouvante mêle poésie et horreur pour nous entraîner dans une aventure brumeuse et terrifiante.
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Seitenzahl: 74
Veröffentlichungsjahr: 2021
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COLLECTION LIMOUSIN FANTASTIQUE
Il faut se méfier des gens d'octobre. Pour certains, l’automne commence tôt et s'attarde tard dans leur vie... Pour ces êtres, l’automne est la saison normale, la seule... D'où viennent-ils ? De la poussière. Où vont-ils ? Vers la tombe. Le sang coule-t-il dans leurs veines ? Non... juste le vent nocturne. Ils passent au crible l'ouragan humain à la recherche d'âmes, dévorent la chair de la raison et emplissent les tombes de pécheurs. Voilà ce que sont les gens de l’automne. Méfiez-vous d’eux.
Ray Bradbury,Le Pays d'octobre
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
C'était en octobre, vers la fin du mois, et les marronniers de l'avenue qui descendait vers la gare avaient pris des nuances dorées, cannelle et safran. Les feuilles rabougries qui s'en détachaient s'amoncelaient sur le perron du Lido, devant le bar l'Arkange et l'hôtel Jeanne d'Arc. Ou bien elles faisaient une chute vertigineuse par-dessus la rambarde et se déposaient sur les rails qui, en contrebas, étincelaient comme des couperets.
Octobre est un mois spécial, très spécial pour les jeunes filles qui réfléchissent fiévreusement au déguisement qu'elles vont porter le soir de Halloween. Aux moyens de paraître attirante tout en enfilant un costume censé être effrayant. Car il faut être attirante, c'est ce que les filles intègrent dès leur plus jeune âge : qu'une femme ne vaut rien, à moins qu'un homme ne lui dise le contraire... Leur vie est, dès lors, toute entière tendue vers ce but aliénant : se faire choisir.
De l'autre côté du chemin de fer, Pauline Trawick observait avec mélancolie le changement de teinte des marronniers depuis une fenêtre au dernier étage d'un immeuble de la cité des Coutures.
Sous les affiches du Lido, une petite foule attendait l'ouverture du cinéma. La silhouette imposante de la gare des Bénédictins se découpait sur le ciel maussade. Pauline fixa rêveusement le gigantesque cadran qui, tout en haut du campanile, égrenait les heures de ses aiguilles lumineuses.
Le menton appuyé dans ses mains, elle calcula qu'il lui faudrait attendre vingt-six mille deux-cent-quatre-vingt heures pour parvenir au même âge que Marius. Peut-être que dans trois ans il s'intéresserait à elle ?
Mais, lorsqu'à son tour elle aurait dix-sept ans, il serait, lui, parvenu à vingt ; et ainsi de suite, jusqu'à la mort. Trois longues années incompressibles les sépareraient toujours. Pour Marius, elle resterait éternellement une gamine sans intérêt.
Le coup de sifflet lugubre d'un train qui entrait en gare résonna et mourut, cloué au sol par le ciel couleur de plomb.
« Popo, ferme la fenêtre s'il-te-plaît. Tu fais rentrer de l'air froid », se plaignit Marjorie, plongée dans ses cours.
Les deux sœurs partageaient une même chambre, et lorsque l'aînée travaillait à son bureau il ne fallait surtout pas la déranger. Marjorie prenait ses cours très au sérieux.
« Et ces fichues locomotives qui font un boucan d'enfer ! Ça m'empêche de travailler.
— Mais Margie, j'étouffe, ici !
— Tu n'as qu'à aller dans le salon.
— Mais les parents regardent la télé !
— Je m'en fiche. Moi, il faut que je me concentre .
— Tu n'en as pas marre d'étudier ? On est vendredi soir, ce sont les vacances... Tu as encore toute une semaine pour faire tes devoirs !
— On voit tout de suite que tu n'es pas au lycée, dit Margie d'un ton condescendant. La terminale est une année décisive, et je dois mettre toutes les chances de mon côté si je veux quitter cette ville l'année prochaine. »
Une ombre passa sur le visage de Pauline.
« Tu vas m'abandonner, Margie ?
— Je reviendrai pendant les vacances, répondit sa sœur avec un geste d'agacement. Mais il est hors de question que je reste moisir ici. Limoges, ça craint. »
Pauline renifla. En ce qui la concernait, Limoges était une ville très correcte et même agréable – après tout, c'était là qu'habitait Marius.
Est-ce qu'il va partir, lui aussi ? eut-elle envie de demander.
Marius était dans la même classe que sa sœur. L'idée que, dans un an, il puisse lui échapper définitivement en partant faire ses études dans une autre ville lui parut soudain insupportable. C'était pourtant une réelle possibilité, qu'il fallait envisager avec sang-froid et détachement, puisqu'il allait peut-être falloir s'y résigner... Mais le sang-froid et la résignation ne sont pas des notions familières pour une jeune fille de quatorze ans, qui en pince secrètement pour un garçon plus âgé...
De l'autre côté de la voie ferrée, les marronniers bruissaient avec inquiétude.
Puis, ce fut l'heure du dîner.
Le repas se déroula sans incident, mis à part qu'à la fin du dessert, une chauve-souris fit irruption dans la salle à manger et se mit à voleter frénétiquement autour de l'abat-jour en émettant des grincements affolés.
Madame Trawick, la mère de Pauline et Margie, dut maintenir la fenêtre grande ouverte pendant que son mari tentait de chasser la chauve-souris à coups de balai. Une fois que l'intruse se fut envolée dans un chaos de battements d’ailes, toute la famille passa le reste de la soirée à se demander comment elle avait pu s'engouffrer dans une pièce dont les issues étaient pourtant closes.
« Elle était sûrement rentrée ici bien avant le repas et s'était cachée derrière le rideau, dit madame Trawick d'un ton rassurant.
— C'est à cause de Pauline, elle laisse tout le temps les fenêtres ouvertes, maugréa Marjorie. Pas étonnant que ça fasse rentrer des bestioles.
— Moi j'aime bien les chauves-souris, dit Pauline. Au moins elles ne se plaignent jamais, et elles sont mignonnes, elles.
— Bon et sinon, les filles, qu'est-ce que vous faites demain soir ? demanda monsieur Trawick pour changer de conversation. C'est Halloween, une sacrée occasion de s'éclater, hein ? »
Halloween ! C'était déjà demain soir...
« À mon époque ça ne se fêtait pas, mais je peux vous assurer que j'aurais bien aimé...
— Je refuse de fêter Halloween, l'interrompit Marjorie. C'est une fête artificielle, qui a été importée des États-Unis dans un but purement commercial.
— Moi, j'aime bien Halloween ! protesta Pauline.
— Normal, tu ne connais rien à l'histoire, lui lança sa sœur. Cette fête est un symbole de l'impérialisme culturel américain.
— C'est aussi un héritage de Samhain, une fête païenne celtique... commença Pauline.
— De toute façon, je n'ai pas le temps de me déguiser ni d'aller quêter des bonbons. Je ne suis plus une gamine. J'ai une dissertation et un devoir de maths à rédiger. »
Pauline soupira.
Qu'il est long, le temps, pour les jeunes filles qui ont tant de choses à vivre, pressées de s'élancer tête baissée dans le tourbillon de joies et de sensations que l'avenir leur fait miroiter... La vie des autres semble toujours tellement plus palpitante. On pleurerait de dépit à la pensée de tout ce que l'on est en train de rater, en imaginant les autres qui vivent des aventures passionnantes, tandis que l'on semble condamnée à demeurer sur le bas-côté. Trois années paraissent alors une éternité ; un gouffre incommensurable.
Après le repas, Marjorie s'enferma dans la chambre, déclarant qu'elle avait besoin de sommeil pour mieux travailler le lendemain.
Leurs parents se mirent au lit, et un concert de ronflements résonna bientôt dans toutes les pièces, faisant s'entrechoquer la vaisselle dans le buffet. Alors, restée seule debout dans l'appartement silencieux, en dépit des plaintes de sa sœur Pauline ouvrit en grand la fenêtre du salon et s'y accouda.
Les rues baignaient dans la lumière orangée des réverbères. Des appliques lumineuses éclairaient délicatement la façade de la gare, mettant en valeur les bas-reliefs. L'air avait une odeur de fumée et de cidre, de pommes en décomposition au pied des arbres.
De l'autre côté de la voie ferrée, l'avenue grouillait de vie. De petits attroupements fourmillaient devant les bars et sous les néons du Lido ; un ballet incessant de voitures cueillait et déposait des passagers. Des bribes de rires parvenaient aux oreilles de Pauline. Il y avait du va-et-vient à l'hôtel Jeanne d'Arc, des lumières clignotaient aux fenêtres. Et tout ce petit monde scintillant était en train de s'amuser sans même savoir qu'elle existait ! Ils étaient tous loin devant, fuyant sans cesse ; si proches mais hors de portée ; absorbés dans l'alcool et les flirts, indifférents à l'avidité qui déchirait le cœur d'une fillette de quatorze ans qui voulait à tout prix vieillir pour les rejoindre.
Et quelque part dans la ville, Marius était en train de vivre ! À cette heure-là, il avait probablement fini de dîner. Il devait être dans sa chambre, et il... que pouvait-il bien être en train de faire ?
Ici, l'imagination de Pauline se heurtait à une cloison opaque. Elle était incapable d'imaginer ce qu'un garçon de dix-sept pouvait bien être en train de faire un vendredi soir, mais c'était forcément de la plus haute importance. Tellement plus important que tout ce qu'elle pouvait faire, elle, la petite sœur de Marjorie !