C’est pas l’hôtel ici - Marc Baudinet - E-Book

C’est pas l’hôtel ici E-Book

Marc Baudinet

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Beschreibung

Une forêt, une rivière, un village. Un clochard vit seul depuis quelques mois dans une cabane rudimentaire. Il a fui la grande ville pour être pénard, pour être ailleurs. Mu tout autant par le désir de liberté que par la lâcheté, il rêvasse, cherche de quoi manger, a faim, a froid, se remémore d’anciens compagnons de route, des amitiés passées, l’amour aussi. La solitude est devenue sa compagne mais même dans une campagne reculée les gens sont là, qui observent, se demandent, discutent, aiment ou n’aiment pas. L’homme n’est pas le bienvenu.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Paris, Marc Baudinet grandit en Bourgogne avant de partir vivre à Londres, une ville à laquelle il est resté très attaché. En 1994, il s’installe à Prague où il enseigne l’anglais. En 2010, il quitte l’Europe pour Phnom Penh, Cambodge, où il vit toujours. Il apprécie les voyages, les rencontres, la photographie et l’écriture est devenue une nouvelle compagne.

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Marc Baudinet

C’EST PAS L’HÔTEL ICI

 

 

Début d’aprèm

Un petit machin de rien du tout qui donne des coups de tête en mangeant comme s’il se battait. Je l’ai un peu trop enquiquiné, il s’est mis en boule en dressant ses piquants.

À la ville ce n’est pas des hérissons que je rencontrais mais des rats qui cherchaient la même chose que moi, de la bouffe. Chacun se débrouille, les rats aussi bien que nous.

Me v’là loin de tout ça maintenant, installé au milieu des bois sous un gros rocher tout vert de mousse qui me fait une belle cabane, je suis verni.

Le plus pénible c’est pour boulotter, encore qu’hier soir les poubelles de la supérette du village m’ont gâté, une cagette avec deux concombres ramollis, un pot de pâté amoché, un paquet de céréales écrabouillé, pas de journaux. Dommage parce que les journaux c’est des mots et un peu de chaleur. Au foyer, quand on gonflait André il nous balançait un vieux canard sur le paletot : « M’emmerde pas, je bosse moi, prends du papier et va dormir ailleurs ! » On retournait dans la piaule, faut pas lui pomper l’air à André. Un jour Jojo lui a demandé depuis combien de temps il travaillait dans le foyer, André a haussé les épaules : « Est-ce que je te demande depuis combien de temps t’es clodo ? »

Il écrit dans des cahiers d’école mais il ne les montre à personne, il dit que ça ne nous regarde pas, que c’est sa vie, que ça n’a pas d’importance. Parfois il n’écrit rien, il se relit, je crois qu’il s’emmerde. Jojo dit que de bosser dans un foyer de SDF, ça n’arrange personne, que ça rend triste. Le ciel remet le couvert, il pleuviote. C’est le printemps, quand le soleil se pointera j’irai faire trempette dans la rivière parce que faut dire ce qui est, je pue.

 

Samedi

Ça hâle, la forêt sèche, la rivière fait son bruit d’eau. Posé sur la grosse roche bien lisse, j’ai trempé les pieds mais je n’ai pas tenu longtemps, la flotte est encore sacrément froide. Je me suis quand même aspergé la tête avant de m’allonger sous le ciel et de fermer les yeux dans le silence. C’est pas comme au foyer où les trains font vibrer les fenêtres, ne nous lâchent pas, nous empêchent de roupiller. Un jour pas comme un autre, Jojo a balancé sa godasse et a flingué la vitre. André s’est mis à gueuler : « Tu fais chier, tu te crois où ? Fous le camp, je ne veux pas de bordel ici ! » On s’est cassé ensemble. De toute façon, on en avait marre de l’endroit, des lits crades, et puis y avait du soleil, ça donne des ailes. Martine nous a dit qu’on était cons parce que mieux vaut un plumard sale que de dormir dehors.

Ici, je pieute enroulé dans mon manteau allongé sur un tas de feuilles mortes que j’ai récupérées tout autour et qui sentent bon la terre. Je reste parfois dans la cabane à mater les araignées, scarabées, gendarmes qui se baladent dans tous les sens et qui me donnent l’impression d’être le seul à ne rien glander. Plus il pleut, plus y en a qui rappliquent sous mon rocher, p’têt parce que les bestioles aussi préfèrent être planquées.

 

Aprèm

La pluie dégouline, une grenouille s’est installée dans un coin, je me suis esquinté un ongle en creusant une rigole le long du rocher. C’est que le sol est foutrement coriace, plein de racines et de caillasses, me faudrait un pied de biche ou une barre à mine. J’ai dans l’idée d’aller fouiller dans le fourbi aux abords du garage à tracteurs à la sortie du village, mais y a des chiens.

Avec Jojo et Martine, quand il flottait on se posait dans une église et quand la faim prenait le dessus on allait dans une gare. Parfois on faisait un peu de feu en douce dans un terrain vague. C’est pas l’envie qui me manque de faire la même chose ici, mais faudrait pas que la fumée me foute dedans et qu’on vienne me saouler. Parce que je connais la musique, pas le droit de faire du feu qu’on me dirait.

Martine se plairait ici. On serait tous les deux en pleine nature, tranquilles. Martine est ailleurs.

 

Matinée

19,70 euros. C’est ce qui me reste, ça fait dans les 150 balles d’avant. Je ne gagnais pas bezef non plus quand je bossais à la ferme du Dôme, 500 balles par semaine nourri logé comme on dit. Lucas et moi, on partageait la même piaule au carrelage rouge. Deux pieux, deux chaises, une armoire. On mangeait tous ensemble dans la cuisine. La patronne cuisinait bien, c’était copieux, pas de raison de se plaindre. Je ne me plaignais pas, je voulais autre chose, de la liberté, aller voir ailleurs, être pénard.

Lucas me disait d’arrêter de rêver.

« Tout le monde a besoin d’un toit, d’une marmite sur le feu, c’est pour ça qu’on bosse. Et de quelle liberté tu parles d’abord, faire la java, glander ? »

« Je peux pas encore dire, je verrai bien. »

« C’est ça, tu verras, eh bien moi je vais te dire, reviens sur terre, parce que toi, moi et tout le monde, on se doit de gagner notre vie honnêtement, c’est ce qu’on a de mieux à faire. Et si on se débrouille bien, on se trouve une belle qui a la tête sur les épaules, on se met en ménage et le bonheur est possible. Qu’est-ce que tu veux de plus ? »

« Je sais pas… »

« Bon, pas la peine de parler pour ne rien dire. Allons-y, c’est l’heure du taf. »

Il répétait toujours ça « c’est l’heure du taf », comme pour se donner du courage. Un bon gars Lucas, sérieux, bosseur, parfait pour le patron.

« À la revoyure », c’est ce qu’il m’a dit en me mettant une claque dans le dos quand je suis parti. On ne s’est jamais revus. Je me demande s’il s’est trouvé une belle qui a la tête sur les épaules.

 

Vendredi

Un gros pain coûte 2,90 euros à la boulangerie du village et j’ai besoin de piles pour ma loupiotte. Avec mes 19 balles je peux tenir un bon mois si je me serre la ceinture. Quand je serai à sec, j’irai à la ville voisine faire la manche. Les villes sont plus crades que les bois mais on y dégote toujours un quignon ou un bout de sandwich qui traine, y a des boulangers sympas qui refilent du pain de la veille. On chaparde aussi, Jojo dit que c’est la démerde, que c’est la société, que c’est comme ça.

L’autre jour j’étais prêt à lui demander des invendus à la boulangère mais je me suis dégonflé, p’têt à cause de son regard, ou de sa voix j’en sais rien. D’ailleurs dans ce village tout est différent, les ruelles, les gens, le troquet, la supérette, tout est paisible, on dirait que tout va toujours bien, que les emmerdes sont ailleurs, loin.

Mais je lui demanderai. La débrouille je connais, c’est aussi comme ça que j’ai fait les poches de Jojo. Me fallait de la thune, on se prenait la tête, j’ai fait ce que j’avais à faire.

J’ai la dalle, j’irais bien tourner du côté des cerisiers dans le petit pré au sortir de la forêt, parce qu’y en a de la cerise.

 

Vers midi

Quel abruti, je me suis endormi sur la photo de Martine, elle est tout écrabouillée, la pliure tombe pile sur son visage.

On avait fait des photos à la gare. Tous les deux assis dans le photomaton, on a merdé, on s’est vautré, le bazar a flashé, seules deux photos étaient potables, une chacun.

Si ça se trouve elle a toujours la sienne. P’têt qu’il lui arrive de mater ma tronche, de se demander dans quel coin de la ville je trainaille, où je pionce. Si ça se trouve elle tourne dans les gares à ma recherche, et moi je suis ici au milieu des arbres qui se couvrent de jeunes feuilles que je reluque, que je tripote et renifle. L’autre jour, j’en ai repéré une si appétissante que je l’ai fourrée dans ma bouche pour la mâchouiller. Le goût amer m’a dégouté, j’ai tout recraché. Pas la peine d’essayer de manger les feuilles, sauf celles du frêne. Quand j’étais gosse, un ancien disait que les feuilles de frênes sont bonnes pour la santé. Il en savait des trucs celui-là, le père Meuriot qu’on l’appelait. On le voyait marcher dans la campagne, taper dans les haies avec son bâton, ramasser des trucs. Il habitait tout seul dans une bicoque isolée. Les gens disaient qu’il venait d’ailleurs, d’on ne sait où, qu’il avait dû être soldat, qu’il était toujours seul, que c’était un bon gars mais qu’on ne sait jamais. Moi, je l’enviais.

 

Mardi

Fait beau tous les jours en ce moment. Je me suis pointé à la rivière, me suis mis à poil, j’ai balancé mes fringues que j’ai regardées flotter, faire des bulles dans le courant. J’ai sauté en plein milieu, le contact de l’eau m’a saisi, j’ai remué comme un fou, me suis frotté la tignasse, suis sorti illico avec mes frusques dans les bras. J’ai tout tordu, tout étalé sur mon rocher et me suis allongé en plein milieu avec les bois, la rivière et les animaux invisibles tout partout.

Matinée