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Après la disparition de Julia, tenter de se changer les idées avec son groupe d'amis, voilà pour Petunias Walter Majores l'objectif de cette escapade aux confins du Jura et des Alpes. Pourtant, un titanesque glissement de terrain va bouleverser ce qui ne devait être qu'un sympathique colloque d'astronomie.
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Seitenzahl: 398
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Normandie Party, Éditions BoD-Books on Demand, 2021L’or du Var, Éditions BoD-Books on Demand, 2021
Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
Chapitre XXV
Chapitre XXVI
Chapitre XXVII
Chapitre XXVIII
Chapitre XXIX
Chapitre XXX
CHAPITRE XXXI
CHAPITRE XXXII
CHAPITRE XXXIII
ÉPILOGUE
Samedi 23 septembre 2017, 10 h 30. Place Bellecour, Lyon, capitale des Gaules
Bien évidemment que je consens à les photographier devant la statue de Louis XIV, pour le souvenir, genre touristes en goguette. Le trio prend la pause. Le smartphone en main, j’hésite entre l’orientation portrait qui mettra en valeur la statue, et le mode paysage qui dépeindra l’unité architecturale des immeubles entourant la place Bellecour. Julien se place judicieusement entre Marylin, sa chérie, et Margherita, sa dernière acquisition, professionnelle s’entend ! Cette espèce d’adulescent tente de serrer contre lui les deux radieuses jeunes femmes en les attrapant par la taille, mais elles opposent une solidaire résistance :
— Arrête, idiot ! Tu vas froisser nos robes, proteste la pulpeuse Marylin en écartant la main de Julien.
D’un brusque coup de reins, elle se dégage de l’emprise de son amoureux, et arrange les plis de sa robe Vichy aussi légère que la brise de début d’automne entre Rhône et Saône. Moins démonstrative, sa copine Margherita se contente de s’écarter d’un bon mètre de l’importun. De toute manière, son allure athlétique et son port de mannequin évitent à sa tenue de tire-bouchonner.
Avec leurs toilettes identiques… à la taille près… on dirait deux sœurs, dans leurs robes d’été nouées avec grâce par une ample ceinture, et confectionnées dans ce célèbre tissu à petits carreaux roses et blancs.
Laissez-moi d’abord vous présenter ces trois amis, chers à mon cœur, et si précieux alors que je traverse les pires moments de ma vie :
Julien Mage, que j’ai connu lorsqu’il sortait tout juste de son école de commerce, jeune directeur commercial de l’entreprise de transport routier de mon ami d’enfance Pascal. D’un caractère enjoué, tout le contraire de moi, à la réputation de séducteur incorrigible, jouant de son physique de jeune premier, grand, svelte, à la musculature discrète mais puissante. C’est plus tard que j’ai découvert qu’il était agent sous couverture de la DGSI, dorénavant détaché à la DGSE.
Marylin Roche, informaticienne à la DGSE, véritable génie du numérique, conceptrice du super ordinateur Sherlock et de son interface d’Intelligence Artificielle (I.A) sous la forme d’un avatar intégré dans un ordinateur portable. Marylin nous a aidés à sauver la vie de Julia, avant de remplir celle de Julien, qui était immédiatement tombé amoureux de cette plantureuse rouquine aux cheveux bouclés. Mademoiselle Roche n’affectionne guère ses formes voluptueuses, se trouvant trop petite et trop en chair. Elle répète à qui veut l’entendre qu’elle jalouse la silhouette de son amie Margherita.
Margherita Quesada, justement, grande, longiligne, la beauté angélique des êtres embarrassés par l’attirance qu’ils suscitent chez les autres homo sapiens. Margherita, mon éphémère professeur de voltige aérienne qui, à l’occasion de précédentes aventures, avait trouvé sa vocation dans les services secrets et avait été embauchée à la DGSE.
Alors, lorsque j’ai reçu une invitation concernant un colloque au milieu des montagnes, plutôt que de continuer à me morfondre, j’ai proposé à mes trois amis de m’y accompagner.
***
Mercredi dernier, en apprenant que nous allions partir tous les quatre quelques jours en vadrouille, Marylin avait entraîné Margherita faire les boutiques, en sortant de l’avenue Mortier1. Tombée en arrêt devant une vitrine où trônait cette robe croisée sur le devant, elle s’était précipitée dans la petite échoppe de mode en tirant sa nouvelle collègue par la main.
Lorsque la jeune informaticienne sortit de la cabine d’essayage, Margherita ne manqua pas de réagir avec humour :
— Ouah, super ! Elle te va comme un gant. Et avec ce décolleté, si Julien conduit, il vaudrait mieux que tu ne sois pas assise à l’avant, impossible pour lui de se concentrer sur le pilotage !
La vendeuse acquiesça, bien entendu.
Marylin virevoltait devant le miroir en fredonnant, jouant à soulever le tissu si léger.
— Oui, c’est vrai qu’elle est chouette. J’imagine déjà Julien tirer sur le nœud, le soir dans notre chambre à l’hôtel !
Et elle éclata de rire. Marylin était si radieuse depuis qu’elle avait rencontré l’homme de sa vie.
— Et en solde, Mesdemoiselles ! Toute la collection d’été l’est également, précisa la vendeuse qui ne perdait pas le nord, en s’adressant à Margherita.
Marylin stoppa son manège enchanté et se tourna avec délectation vers sa camarade :
— Ah ! Ma copine va vous en acheter une identique, s’exclama Marylin.
Une moue embarrassée s’imprima sur les lèvres délicates de Margherita Quesada :
— Quoi ? Je ne pense pas qu’elle m’aille aussi bien qu’à toi. Et puis, je ne remplirai jamais le décolleté !
En vérité, la toute nouvelle espionne de la DGSE ne jurait que par les jeans. Marylin, capitaine Narcisse selon les services secrets, fixa la jeune recrue dans les yeux, un éclair de malice dans le regard :
— Pas la peine d’essayer d’argumenter, c’est un ordre, lieutenant Quesada !
***
C’est décidé ! Je vais les photographier en mode portrait afin que la statue équestre du Roi Soleil rentre dans le cadre, puis en paysage pour capter la beauté de cette immense place de gohrre et de goudron rose.
Je ne suis pas dupe, je sais bien que Julien fait le pitre dans l’intention de me changer les idées, oublier mon malheur, notre malheur, car mes amis aussi sont meurtris ; deux semaines sans nouvelles de Julia. Toutes les forces de police de l’hexagone sont sur les rangs, les services spéciaux, civils, militaires et tous les indics de France ont été sollicités. Un élan de solidarité de tous ceux dont la mission est de protéger les citoyens, en vue de retrouver la trace d’une des leurs.
Mais aucune information fiable aidant à localiser les kidnappeurs. La mafia de Upali fonctionne hors des réseaux du grand banditisme hexagonal et des milieux terroristes islamiques. La piste des véhicules, les tristement célèbres Audi Q7 noirs de ce groupe géorgien, n’a rien donné. Ils avaient été achetés comme voitures professionnelles au nom d’une entreprise bidon, bien entendu…
Nous traversons l’immense place lyonnaise sous un soleil de plomb. La terre d’arène libère des volutes de poussière brûlantes dignes d’un 15 août en Provence. Encore un détail qui me rappelle mon amour, je me remémore nos jours de bonheur à Cavalaire, à la fois si proches et si lointains.
Où es-tu Julia ? Que t’arrive-t-il ?
— Maggie, tu savais que la place Bellecour était plus étendue que la place Rouge de Moscou ?
— Non, Marylin, mais il y manque la cathédrale Saint-Basile !
— Levez la tête, ouvrez vos yeux et jouissez du moment présent, jeunes femmes ! déclame soudain Julien. La basilique de Fourvière, accrochée à sa colline, ne vaut-elle pas toutes les cathédrales du monde ?
J’en arrive à sourire des pitreries de mon ami…
De l’autre côté de Bellecour, les quais de la Saône. J’entraîne mes amis sur le pont Bonaparte, avec l’alignement des immeubles du quartier Saint-Paul comme toile de fond. La traversée nous invite à admirer la palette de leurs enduits, du jaune à l’ocre, et nous débouchons - rien de plus logique à Lyon - au pied de la colline de Fourvière. La façade de la cathédrale Saint-Jean, bâtie avec les blocs de pierre calcaire beige pâle des antiques édifices romains de Lugdunum, illumine d’une douce lumière les pavés de l’esplanade. Les portes latérales sont ouvertes, hospitalières. Si j’avais été croyant, je serais rentré déposer un cierge et prier pour que ma petite Julia me revienne bien vite, saine et sauve ! Nous quittons la cathédrale Saint-Jean et nous prenons la rue éponyme. Elle est parallèle à la rivière Saône qui profite de ses derniers kilomètres d’indépendance, avant de mêler ses eaux à celles du fleuve Rhône, au sud de Lyon, en un lieu bien nommé Confluence.
Mes amis veulent visiter le musée Miniature et Cinéma. Je le considère comme l’endroit le plus charmant et original du quartier avec ses véritables décors de films, et ses intérieurs de maisons à échelle réduite où le moindre détail est reproduit avec une étonnante précision.
Pourtant j’ai vraiment envie de rester seul un moment, alors je prétexte un mal de tête, afin de m’attabler à la terrasse d’un bouchon en les attendant. Mes amis n’insistent pas, ils savent que c’est inutile. Je culpabilise un peu. Après tout, je suis à l’initiative de ce périple ; alors, pourquoi jouer les rabat-joie ? Mais parce que j’ai véritablement d’horribles maux de tête ! J’en subis fréquemment depuis nos aventures dans le Var. Peut-être que notre évacuation d’urgence du Nautilus et la remontée accélérée vers la surface m’ont créé un caillot ou je ne sais quoi. C’est décidé, en rentrant de notre voyage, je consulte un otorhino !
En attendant, je commande une bière pression. La mousse fine comme l’écume sur l’estran pétille malicieusement. Je lui laisse quelques secondes de répit avant de déguster la première gorgée, puisqu’elle est soidisant curative et salvatrice, bientôt suivi d’une deuxième, puis d’une troisième. C’est la canicule, vous dis-je !
À la quatrième lampée plutôt que gorgée, le niveau du liquide houblonné bienfaiteur passe sous le logo de la marque de bière gravée sur le verre : une abbaye stylisée ! Je regarde par transparence l’animation de la rue piétonne au travers de ce filtre improvisé, n’ayant rien de plus intelligent à faire. Les silhouettes des badauds qui battent le pavé millénaire sont déformées par le verre de ma chope. Ce palais des glaces portatif suffit à me distraire !
Soudain, je sursaute. Julia vient de passer dans mon champ de vision ! Je repose mon verre et je crie :
— Julia !
À en faire sursauter mon voisin de terrasse, un petit vieux à casquette qui épluchait Paris Turf.
Elle accélère le pas sans se retourner et je me lève pour la suivre. Crier son nom, quel réflexe à la con ! Après tout, elle est peut-être surveillée ? Mon cœur bat la chamade.
Dans cette artère étroite dédiée aux touristes, délicat de ne pas la perdre de vue, je dois forcer le pas au milieu de la foule des piétons, entre les tables des restaurants, les charrettes à glaces et les billigs. Sagement, je laisse une distance de sécurité d’une dizaine de mètres.
Julia prend à gauche et s’enfonce dans une venelle perpendiculaire à la rue Saint-Jean. J’attends une poignée de secondes de manière à vérifier si personne ne la suit dans cette sente d’à peine deux mètres de large, avant de m’engouffrer entre deux pignons d’immeubles au crépi d’un rose délavé.
Le contraste est saisissant entre l’animation de la commerçante rue Saint-Jean et cette courte ruelle déserte. J’ai juste le temps d’apercevoir sa longue chevelure brune tourner à droite dans une rue perpendiculaire.
Je cours sur les pavés jusqu’à cette voie peu fréquentée. Merde, plus de Julia ! Pourtant, je devrais la voir. Je me précipite droit devant moi, scrutant désespérément les façades à droite et à gauche.
Au détour d’une avancée d’immeuble, une massive porte ouvragée se referme. Juste le temps de bloquer le lourd battant de chêne avec le pied avant qu’il ne se verrouille.
Je suis dans une traboule. Je m’enfonce dans un sombre couloir qui mène à une courette pavée de granit et entourée d’arcades massives. Un carré de ciel bleu peine à éclairer quatre étages de modestes fenêtres.
Julia fouille dans son sac en s’approchant d’un bloc de boîtes aux lettres enchâssé sous un porche, au fond de ce préau. Seuls quelques pas nous séparent :
— Julia !
Elle sursaute, et se retourne :
— Que me voulez-vous ? Qui êtes-vous ?
Je bafouille des mots d’excuse. Je remue les mains et la tête, en guise de démenti, sans m’approcher. Comme si la multiplication des gestes de dénégation rendrait plus crédible ma tentative de rassurer la jeune inconnue sur mes intentions.
Je repars, je me sens penaud et con à la fois.
À la terrasse, le serveur, debout devant ma table, regarde la bière aux deux tiers bue. Non, je ne suis pas un client indélicat parti sans payer ; d’ailleurs le turfiste a dû le rassurer puisqu’ils rigolent tous les deux. Je m’assois et je finis ma chope d’un trait :
— Une autre, SVP !
Le petit vieux me regarde d’un air mi-interrogateur mi-ironique. Je me sens obligé d’expliquer mon comportement :
— Une erreur, j’ai cru reconnaître quelqu’un. Une simple erreur.
***
Julien précède Marylin et Margherita se tenant par la main comme deux copines d’enfance. Il m’apostrophe alors que je termine ma deuxième bière :
— Alors l’ancien, tu continues à picoler ou tu viens avec nous ?
Bien entendu que je les accompagne ! On ne se lasse pas de la capitale des Gaules. Et puis, ça m’évitera en restant seul de confondre des jeunes femmes brunes inconnues avec Julia…
Nous prenons le funiculaire, direction la colline de Fourvière, d’où nous rejoignons le théâtre gallo-romain, après un coup d’œil à l’architecture neo-byzantine de la basilique Notre-Dame.
Assis sur les gradins deux fois millénaires, je m’imprègne de l’admirable vision qui nous est offerte en contrebas de la montagne mystique. Les chatoiements orangés de l’équinoxe d’automne dorent les eaux de la Saône.
Je me souviens que cette rivière doit son nom au peuple gaulois qui occupait l’ouest du Jura : les Séquanes. Et que les Séquanes ont aussi donné leur nom à un fleuve… la Seine !
Marylin, munie d’une paire de jumelles, me désigne à l’extrême droite de notre champ de vision, en direction du sud, une construction à l’architecture tourmentée :
— C’est quoi ce bâtiment, Walter ?
— Le musée des Confluences. On pourra s’y rendre cet après-midi et se balader sur la presqu’île, si vous voulez.
Je regarde ma montre, une Omega Speedmaster, un cadeau de Julia :
— Les copains, il est treize heures ! C’est l’heure de manger !
— On va déjeuner typique dans un bouchon ? demande Margherita.
— On ira ce soir, promis. Pour le déjeuner, je vous invite près d’ici, dans le restaurant gastronomique d’un ami. La vue y est aussi époustouflante que le contenu des assiettes.
— Oh, merci Walter ! approuvent en chœur les deux filles.
Marylin se lèche déjà les babines.
J’aime leur faire plaisir. Que serais-je sans mes trois amis, maintenant que mon amour a disparu ? Sans Julia, quelle insignifiance cette fortune qui m’est tombée du ciel ! Au péril de ma vie, c’est vrai ! J’avais des tas de projets avec mon amour. Aujourd’hui, à part régaler mes proches, plus rien ne m’intéresse. Ou plutôt si, une seule chose : m’activer sur ma collection de voitures anciennes qui va bientôt s’enrichir d’un modèle rarissime, mais chut ! Mes compagnons n’en savent encore rien…
Nous passons un excellent moment dans ce palace accroché à la colline, j’en oublierais presque mes maux de tête. Mais pas l’absence de Julia…
Ensuite, descente à pied vers le centre-ville, afin de faciliter la digestion, par les romantiques jardins fleuris dominant la Saône, et retour à l’hôtel. On se donne rendez-vous à dix-sept heures devant le hall, pour la visite de La Confluence.
1 Siège de la DGSE
Samedi 23 septembre 2017, 17 h 15. À proximité de la place Bellecour
J’ai prié le concierge de remonter ma voiture du garage. Le gamin d’une vingtaine d’années qui vient ranger ma limousine devant le hall de l’hôtel a la banane ! Il n’a jamais conduit une voiture pareille : une CX Prestige, c’està-dire rallongée de 25 cm par rapport à la célèbre berline de Citroën. Une véritable voiture de luxe à la française, largement plus âgée que lui. Il me tend mes clés en admirant la belle dans sa robe bleu nuit :
— C’est français, m’sieur ?
— Oui, m’sieur !
— Ouah ! Classe !
Margherita, toujours ponctuelle, montre le bout de son nez à la porte tourniquet et s’avance en hochant poliment la tête à l’attention du groom. Elle sourit, toujours splendide dans sa robe vichy, en se demandant de quoi nous pouvons bien discuter, plantés tous les deux sur le trottoir. Elle s’installe à la place passagère.
Comme Marylin et Julien sont en retard, sieste canaille je suppose, j’entreprends le panégyrique de ma Citroën CX Prestige Limousine au gamin. Il n’y a pas d’âge pour s’intéresser aux voitures de collection, alors je motive le petit groom en lui soulevant le capot moteur de ma voiture de collection :
— Deux litres cinq turbo, 168 ch, et une robe qui n’a pas vieilli !
— Ouah, quelle élégance ! Et quelle robe … bafouille-t-il sans que je parvienne à deviner s’il songe toujours à ma voiture, ou à Margherita dont la robe légère s’est soulevée lorsqu’elle s’est assise dans le fauteuil de la voiture surbaissée.
J’ai surpris le regard du gamin lorgnant en direction du pare-brise, plutôt que sous le capot. Ses hormones vingtenaires le poussaient davantage à reluquer ma passagère, absorbée par la consultation de ses SMS, que le quatre cylindres turbocompressé. Je la rejoins en m’installant dans le mœlleux siège conducteur en drap de laine, cuir et velours de mohair bleu profond. Je suis vraiment fier de ma dernière acquisition automobile, dernière… provisoirement !
Les amoureux arrivent enfin ! Comme ils sont seuls au monde, ils ne comprennent même pas qu’ils ont bouffé le trait d’un bon quart d’heure.
Et c’est parti pour une balade en direction de La Confluence. Je raconte à mes amis l’histoire de ce quartier, du moins ce que j’en sais :
— C’est un quartier du sud de Lyon complètement rénové à partir des années 1990, qui plus est, labellisé écoquartier.
— Un quartier d’habitation ? me demande Margherita.
— Pas uniquement. Habitation, loisirs, culture et emplois, un vrai quartier du futur.
— Ah ? Et quels types d’emplois ?
— Les friches industrielles du XIXe siècle ont été remplacées par des emplois tertiaires, des laboratoires de recherche et des sièges d’entreprises.
— Côté architecture, ils se sont lâchés en tout cas, proclame Marylin depuis la banquette arrière de ma limousine, avant de reprendre ses fougueux baisers avec Julien.
Elle n’a pas tort, il s’avère que les architectes ont laissé libre cours à leur inspiration. Je me gare à la pointe sud de la presqu’île, emplacement idéal en vue d’admirer la rencontre de la Saône et du Rhône.
Les eaux de la première, tranquilles et chargées des limons de la boueuse plaine du Val de Saône, sont aussi brunes que celles du second, fleuve montagnard impétueux, sont claires.
Je ressens une profonde émotion devant ce carrefour de la circulation fluviale exploité depuis l’antiquité, entre l’Europe du nord et la Méditerranée.
Marylin ressort ses jumelles. Au milieu des immeubles d’architectes de l’autre côté du Rhône, dans le quartier Gerland de la rive gauche, elle repère un surprenant bâtiment sur pilotis :
— Étrange, celui-là !
Elle me passe ses jumelles. Je visualise un double bloc en métal et verre, posé sur des pilotis d’au moins dix mètres de hauteur :
— En effet, et je n’ai aucune idée de ce que c’est. Julien, ce bâtiment perché te rappelle quelque chose ?
— Absolument, vous avez devant vous le laboratoire P4, dépendant de l’INSERM.
— C’est quoi un labo P4 ? questionne Margherita.
Là, j’ai la réponse :
— Ça, je sais ! Un laboratoire de haute sécurité qui traite les virus les plus dangereux.
— Il s’agit d’ailleurs de l’unique laboratoire civil de ce type en France, renchérit Julien.
— Civil… pourquoi le précises-tu ? s’enquiert pertinemment Margherita.
Julien sourit :
— Parce que les militaires du monde entier ont leurs propres laboratoires chargés d’étudier tous les méchants virus utilisables comme armes bactériologiques.
Marylin le regarde avec admiration :
— Comment tu sais ça ?
— Parce qu’avec les menaces d’attentat, ce type d’installation est surveillé par nos services, tout comme les centrales nucléaires, par exemple. J’ai eu à étudier de près ce laboratoire P4, afin d’y effectuer un audit de sécurité.
Puis après un temps d’attente, mon ami précise :
— En binôme avec Julia, d’ailleurs.
Il regrette aussitôt l’ajout de ce détail qui souligne l’absence de Julia, et passe rapidement à des précisions techniques :
— Cette construction sur pilotis, qui peut sembler un caprice d’architecte, permet d’isoler le labo du sol, et des intrusions.
— Je pensais que c’était pour le protéger des inondations du fleuve, ajoute Margherita d’un air faussement ingénu.
— Une inondation de plus de dix mètres, ça n’existe pas, murmuré-je.
***
Le lendemain matin, nous prenons la direction du Jura où j’ai loué un chalet. J’ai tellement mal à la tête que je fais appel au volontariat pour conduire à ma place. Marylin se propose, contrairement à Julien qui est dans le même état de fatigue que moi.
Au moins, aujourd’hui, je sais pourquoi j’ai des migraines. Le dîner, hier soir, dans le bouchon lyonnais que j’avais promis à ma petite troupe, fut épique. Les produits du terroir, tant culinaires que viticoles furent appréciés. Les filles, une fois encore, ont été plus raisonnables. Margherita déclara forfait après les quenelles, qu’elle arrosa d’une eau pétillante non millésimée. Après le saucisson brioché, ce fut le tour de Marylin. Julien et moi n’avions aucune intention de laisser pour compte le tablier de sapeur, d’autant plus que les pots de Beaujolais facilitaient la digestion… du moins nous l’espérions. Tout le monde renoua devant la cervelle de canut et la tarte aux pralines roses mais en ce qui concerne mon ami et moi, le mal était fait !
Nous prenons l’autoroute puis une voie rapide en direction d’un petit village sur les bords du lac de Vouglans. Marylin conduit si bien que j’ai tout de suite confiance et je me laisse bercer par les suspensions pneumatiques de notre Citroën. J’ai le temps de me payer un petit somme réparateur. Avant de sombrer totalement, je lance une proposition :
— Je vous suggère de nous arrêter au niveau du barrage, tout au sud du lac. La vue vaut l’étape, vous verrez.
Marylin, enthousiaste à l’idée d’être au volant, adhère sans délai :
— Bien commandant !
— Je ne t’avais jamais vu conduire, Marylin. Tu as l’air d’apprécier ?
— Oui ! Le contraire serait étonnant en tant qu’ancienne pilote de rallye.
— Quoi ?
Dans le rétroviseur, je regarde Julien qui somnole à l’arrière. Il soulève une paupière, remarque mon regard qui signifie : tu ne me l’avais jamais raconté, hausse les épaules et se rendort. Marylin a un petit rire :
— Ah, tu ne savais pas ? Bah, c’était quand j’étais jeune.
Je pouffe en pensant que Marylin a tout juste 30 ans.
Dimanche 24 septembre 2017, 10 h 15. Sur un promontoire dominant le barrage de Vouglans
Une ombre, occultant temporairement le franc soleil, me sort de ma léthargie. Je me tourne et Julia m’apparaît ! Toute vêtue de noir, elle me sourit tristement. Je veux lui parler mais l’émotion empêche les mots de sortir de ma bouche. Soudain, elle pose ses mains sur mon cou et serre ! J’essaie de me dégager. Je crie.
Marylin, contrite, retire sa main posée sur mon épaule gauche :
— Je voulais juste te prévenir que nous sommes arrivés.
J’émerge doucement d’un lourd sommeil, je respire profondément :
— Désolé, j’ai fait un cauchemar.
Ça va mieux. Je suis reposé et mon mal de tête a retrouvé son intensité malheureusement habituelle.
J’ouvre la vitre de la voiture. Je me frotte les yeux, ébloui par la luminosité de la moyenne montagne. Nous sommes garés sur un petit parking qui domine le barrage de Vouglans. Margherita et Julien sont déjà en train d’éplucher le panneau explicatif sponsorisé par EDF. Je descends laborieusement de la voiture, les muscles et les articulations encore endoloris. La température fraîche de ce milieu de matinée contraste agréablement avec Lyon :
— Alors, qu’en pensez-vous ?
— Quelle vue superbe ! s’enthousiasme Margherita. Positivement impressionnant ce barrage-voûte. Ça paraît tellement fragile, une structure si mince à même de retenir une telle masse d’eau.
— Huit cents millions de mètres cubes, confirme Julien qui lit le panneau, 103 mètres de hauteur et 427 mètres de large.
— Ce barrage appartient-il aux installations que vous surveillez à la DGSI, comme le laboratoire P4 et les centrales nucléaires ?
— Non, pas directement. EDF a ses propres équipes de surveillance. Et depuis la mise en place du plan antiattentats Vigipirate, les visites touristiques sont interdites.
Julien nous désigne un portail verrouillé, interdisant l’accès à la rampe goudronnée qui descend en pente raide vers le pied du barrage.
— J’ai vu un reportage télévisé il y a une dizaine de jours, qui parlait des risques de rupture du barrage, sans imaginer le côtoyer d’aussi près ! plaisante Margherita.
— Bah, on ne risque rien sur ce promontoire. Nous serions aux premières loges pour voir une vague géante s’engouffrer dans la vallée, lui répond Julien, sans rire le moins du monde.
Voyant que sa tirade tombe à plat, il se dépêche de préciser :
— Rassurez-vous. Comme toutes les installations sensibles, cet ouvrage est surveillé en permanence par des capteurs. Des spécialistes effectuent des contrôles réguliers et planifient des travaux de maintenance.
On croirait entendre un sous-préfet qui cherche à nous rassurer ! Marylin, encore une fois accrochée à ses jumelles, confirme les dires de son homme :
— Je vois deux voitures EDF en bas, au pied du barrage. Et aussi une camionnette.
Elle me passe ses jumelles, ça devient une habitude ! Peut-être pense-t-elle qu’étant fabricant d’optique, je suis dingue d’observation au travers de jumelles ? Bon, je colle mes yeux dans cette binoculaire. Je scrute la surface concave du barrage, des fois que je trouverais une fissure qui a échappé aux experts d’EDF… rien d’anormal, ouf ! Puis je plonge vers le pied du barrage et effectivement, deux utilitaires légers bleus d’EDF côtoient une camionnette d’entreprise avec une grande croix rouge et blanche, des natifs de Savoie, à coup sûr !
Nous repartons en direction de notre location, sur l’autre rive du lac, 20 km plus haut, dans un charmant village dénommé Maisod. J’ai repris le volant, Margherita sa place à mes côtés… Et nos deux sex addict ont repris leur séance de salade de langues à l’arrière ! Une nouvelle fois, Margherita a une question pertinente :
— Walter. Pourquoi réserver un gîte si loin du lieu du forum ? La région est superbe, j’en conviens. Cependant, il n’y avait pas de location plus près du fort où nous allons demain ?
Je lui souris :
— Deux raisons à cela, ma chère. La première, effectivement parce que la région est superbe. Regarde comme les eaux turquoise du lac sont magnifiques. Et nous bénéficierons d’une aussi belle vue depuis notre chalet. Mais, vous allez bientôt découvrir le motif essentiel.
Du coup, les deux érotomanes arrêtent de se bécoter afin de m’écouter.
— Tu vois le panneau indiquant Moirans-en-Montagne ? Nous allons nous y arrêter.
— Chouette, on va visiter le musée du jouet ! s’exclame Marylin.
— Bonne idée, mais plus tard dans le séjour, après le symposium.
Je m’amuse à laisser planer le mystère :
— Auparavant, nous allons dans un garage.
Aussitôt dit, aussitôt fait, aidé par le GPS, je quitte la route principale à un rond-point et je me dirige dans la zone commerciale de Moirans. Je m’arrête devant un discret hangar. Heureusement que mon correspondant me l’avait décrit, sinon j’aurais cru à une erreur.
Un visiophone : je m’annonce. Une porte coulissante électrique entame sa remontée. Mes trois amis sont restés groupés devant notre véhicule, trois pas derrière moi, n’osant me questionner sur la raison de notre présence. La porte arrête sa remontée à mi-hauteur. Un homme entre deux âges, d’une allure qui me rappelle mon ami Tristan Dularieux, se penche sous la porte et nous indique d’entrer.
Nous pénétrons dans un garage automobile spécialisé dans les voitures de collections, mais ça, vous l’aviez deviné ! Les automobiles sont exposées en épi, sur deux rangées séparées par une allée que nous remontons. Sans un mot, le bonhomme en salopette bleue nous précède jusqu’à une forme camouflée sous une bâche rouge vif, siglée Citroën sport.
J’ai le cœur qui bat comme un adolescent à son premier rendez-vous. Bien sûr, j’ai vu une multitude de photos de ma future merveille ! Pourtant, dans un instant, elle va se dévoiler à moi. Marylin est subjuguée par cette mise en scène, elle s’avance et s’accroche à mon bras. Margherita et Julien, plus curieux qu’intéressés, restent en retrait. L’homme attrape la bâche par un angle, il nous observe du coin de l’œil en prolongeant le suspense avant de la soulever. Le meilleur moment dans l’amour, c’est quand on monte les marches comme disait Clémenceau. Selon les collectionneurs, ce sont ces quelques secondes avant la révélation de l’objet tant attendu !
Puis, d’un geste assuré, le garagiste nous dévoile la belle.
— Un « nom de Dieu ! » franc et tonitruant s’échappe des lèvres de Marylin.
Je la regarde, amusé par sa réaction.
— Monsieur, c’est une reconstruction, pas une originale ? bafouille-t-elle.
— Une originale, voyons mademoiselle, répond le bonhomme, presque vexé, en désignant des inscriptions au pochoir sur l’aile droite.
Marylin s’approche à grands pas. Elle s’accroupit, effleure de ses doigts les deux noms peints l’un au-dessus de l’autre et précédés d’un drapeau français et d’un drapeau monégasque. Elle lit à haute voix, afin de se prouver qu’elle ne rêve pas :
— Lœb, Elena. Je n’arrive pas à y croire.
Pendant ce temps, l’homme me tend un trousseau de clés et un porte-documents :
— Elle est à vous maintenant.
Marylin se relève brusquement :
— Comment as-tu fait pour acheter une Xsara WRC ? Et… et… celle de Lœb en plus !
Je saisis les clés de ma toute nouvelle acquisition et les serre avec émotion :
— Bah, il a fallu négocier sérieusement.
La jeune femme fait maintenant le tour de la voiture de compétition, frôlant ici l’élargisseur d’aile, et caressant là l’imposant aileron arrière.
— C’est celle du championnat du monde 2003, n’estce pas ?
L’homme confirme, épaté par l’expertise de cette jeune inconnue. Je tends les clés de la CX à Marylin :
— Si tu peux ramener la limousine jusqu’à Maisod, pendant que monsieur m’explique la procédure de démarrage de cette bête de course.
— On peut inverser les rôles si tu veux ? tente la jeune passionnée de rallye. J’ai déjà piloté ce genre d’engin. Enfin, pas tout à fait la même catégorie…
Je hausse les épaules :
— Laisse-moi profiter des premiers tours de roues. Promis, je te la prêterai.
***
Réflexion faite, j’aurais peut-être dû accepter la proposition de Marylin. Bien entendu, je conduis toutes les Citroën de ma collection, tractions avant et autres CX. Les plus sportives, mes SM au moteur Maserati, feraient pâle figure devant cette bête de course arrivée deuxième au championnat du monde de rallye 2003. En réalité, je n’ai jamais piloté un tel engin de pure compétition, avec plus de 315 ch et moitié moins de poids qu’une SM !
Quel look d’enfer ! La Xsara WRC transpire la performance par tous les angles. Les ingénieurs de Citroën compétition avaient vraiment mis tout leur savoir-faire dans cette réalisation. Maintenant, je suis censé piloter cet engin, quelle gageure, pensez-vous !
Le court trajet vers notre chalet me vaut une bonne dose de sueurs froides. Par trois fois je cale, avant de parvenir à doser correctement l’embrayage, dur comme un bout de bois. Et le bruit, le BRUIT ! Il serait impossible de tenir une conversation avec les hurlements du moteur deux litres turbocompressé qui emplissent l’habitacle. Mais comme je suis seul à bord…
Je ne pense pas que j’irai la promener souvent en dehors de mon garage parisien celle-là !
Nous arrivons au chalet. Je rentre mon engin diabolique au garage (ne pas tenter les voleurs) et je n’y touche plus !
***
Quatre heures et un poulet au vin jaune plus tard, je suis revenu à de meilleures considérations sur ma Xsara WRC. Marylin m’a expliqué des trucs sur le pilotage de ce genre d’engins à quatre roues motrices pendant que nous dégustions la savoureuse cuisine jurassienne.
— Walter, tu vas y arriver ! Ta Xsara n’est qu’une automobile comme une autre, après tout.
Je ne la crois qu’à moitié. Pour un pilote comme elle, oui, mais pour moi, je sens bien que la conduite de cet engin dépasse mes compétences. Je demanderai à Marylin de la piloter jusqu’à Paris au retour, et en attendant, elle va rester bien tranquillement dans son garage.
— Écoute Walter, tu sais comment on va procéder ? Tu vas partir avec la WRC au colloque cet après-midi, et l’apprivoiser.
Ce n’est pas en me parlant de cette auto comme d’un animal sauvage qu’elle va me redonner confiance en moi, j’espérais autre chose :
— Je te propose un deal, Marylin, on l’emmène, et c’est toi qui conduis !
— Non, Walter, et pourtant, j’en meurs d’envie. Tu dois dominer la bête, mais je monterai à côté de toi si tu veux.
— Mouais, ça changera quoi, on ne pourra pas se parler avec le bruit du moteur.
— Bien sûr que si, tu verras ! Et elle éclate de rire.
— J’aimerais changer de conversation pendant que nous savourons cet excellent repas, si vous voulez bien, nous taquine Julien, l’air faussement agacé ; des bagnoles, toujours des bagnoles ! Et ma meuf qui s’y met maintenant !
Dimanche 24 septembre 2017, 16 h 15. Départementale 13, entre Oyonnax et Bellegarde-sur-Valserine
Marylin avait raison. On peut parfaitement tenir une conversation dans une Xsara WRC. Il suffit d’enfiler son casque et de brancher l’interphone ! Sinon, comment Elena arriverait à dicter ses consignes à Lœb ?
Il y a deux routes possibles entre notre chalet sur les bords du lac de Vouglans et Fort l’Écluse où se tient le colloque d’astronomie. La plus classique consiste à descendre la vallée de l’Ain puis d’emprunter l’A40, la célèbre autoroute blanche, du côté de Nantua. Marylin préfère que nous coupions par les montagnes du Jura :
— Un temps de parcours identique avec moins de kilomètres : tu en apprendras plus sur le pilotage de la Xsara WRC qu’en roulant pépère à 130 km/h sur l’autoroute ! Regarde, le GPS nous annonce 1 h 15 min de trajet…
Jusqu’à Oyonnax, la quatre-voies, large et rectiligne, se laisse sillonner par une Xsara en mode docile. Grâce aux conseils avisés de Marylin, je commence à maîtriser les trois éléments fondamentaux d’une voiture de course :
- Le passage des vitesses, fort différent d’une berline banale.
- L’utilisation de la pédale du milieu, en évitant les à-coups sur des freins surpuissants prévus pour stopper sur place le véhicule avant un virage.
- La tenue de trajectoire ou comment maîtriser l’accélération délivrée par les 300 ch.
Julien, au volant de la CX, nous suivait au départ en conservant une distance de sécurité conséquente, tellement il était perplexe sur ma maîtrise de cet engin. Il utilisait ses warnings comme dans un convoi exceptionnel ! Il nous suit maintenant à une distance normale : la preuve que je ne m’en sors pas si mal !
Arrivé à l’embranchement qui nous conduit dans la montagne, je prends donc de l’assurance, encouragé par Marylin.
Dès la sortie de l’agglomération d’Oyonnax, la départementale devient rudement étroite. Comme nous sommes les seuls véhicules sur cette route qui monte dans la forêt de sapins vers les cimes jurassiennes, Marylin m’incite à appuyer sur le champignon :
— Allez Walter, lâche les chevaux !
Ouah ! Ça pousse fort. Alors que je n’appuie qu’à micourse sur la pédale, nous sommes plaqués aux dossiers des baquets. Le moteur, déjà bigrement présent à bas régime, rugit comme un fauve dès 3 000 tours par minute. Un coup d’œil au tachymètre, déjà 120 km/h… Dans le rétroviseur, la CX est distancée par notre accélération, avant de revenir dans le peloton ! Margherita, qui déteste la vitesse, doit enfoncer ses ongles manucurés dans le velours du siège.
Un virage, oups ! faut freiner ! Euh, un peu trop fort, Julien a failli nous emboutir.
Les imperfections de la route remontent dans la colonne de direction, je donne des coups de volant inutiles, mais nous restons sur la chaussée et je réaccélère comme Marylin me l’a montré. Les quatre roues motrices donnent le sentiment que la Xsara se déplace sur des rails. Je reste loin, extrêmement loin de ses limites. Dès que je relâche un peu l’accélérateur, mon instructrice me houspille gentiment dans l’interphone.
Nous sommes maintenant sur un plateau, à 1000 mètres d’altitude, je peste car la route est toujours aussi sinueuse. J’enchaîne les virages sans perdre trop de vitesse, Marylin paraît à présent satisfaite de son élève, qui transpire méchamment sous son casque. Un petit bout de ligne droite, je tente une pointe à 150 km/h. Si je croise des gendarmes, il ne me restera qu’à pleurer mon permis de conduire !
Déjà, nous atteignons la bordure du plateau, la route redescend fortement, je ralentis… relativement… Les virages serrés s’enchaînent.
Soudain, au détour d’une épingle à cheveux, un véhicule devant mon parebrise ! La petite Clio me paraît à l’arrêt, en réalité elle doit friser les 60 km/h, vitesse fort raisonnable sur cette toute petite route. Je pile sur son parechoc : pas la place de doubler en toute sécurité. Le conducteur doit se demander d’où peu bien sortir cet engin extraterrestre. Dès qu’un bas-côté un peu plus large se présente, il se gare et nous laisse le passage.
En bas de la descente, un village, la rue semble encore moins large. Plus question de jouer les Fangio, je respecte la limitation à 30 km/h.
Nous sommes de retour dans une vallée, à la sortie du bourg, la route s’élargit enfin. En revanche, nous ne sommes plus seuls, le trafic a repris, me forçant à ralentir. De toute façon, je m’épuisais à tenir un tel rythme de conduite. Je suis en nage :
— Marylin, tu imagines que cette voiture de six cent mille euros n’a pas la climatisation !
— Comment ? Tu l’as payé six cent mille euros ?
— Ah non, celle-ci, avec son palmarès, vaut beaucoup plus. Mais je t’épargnerai son prix !
Pas de forfanterie dans mon propos, la jeune femme connaît l’origine de mes nouvelles ressources financières, depuis nos aventures avec Julia.
— Tu ferais bien de ralentir, on a semé la CX depuis un bon bout de temps.
Je m’arrête sur un parking à l’entrée de Châtillon-en-Michaille afin d’attendre Julien et Margherita, et laisser les freins de notre Xsara se refroidir.
— Pas mal, tu as gagné dix minutes sur la durée du trajet : une heure cinq minutes au lieu d’une heure quinze, apprécie mon instructrice, en regardant sa montre chronographe.
— Comme nous sommes en avance, et que la cérémonie d’ouverture du symposium n’est qu’à 18 heures, je propose de passer sur la rive gauche du fleuve d’où nous aurons la plus belle vue qui soit sur le Fort l’Écluse et la combe du Rhône.
Dimanche 24 septembre 2017, 17 h 00. En face du Fort l’Écluse
Nos deux véhicules roulent au pas. Je cherche une trouée dans l’abondante frondaison de frênes qui borde la route, mais pas un seul point de vue sur le fleuve et le fort ! Tant pis, nous verrons le fort de plus bas, en traversant le pont sur le Rhône, pensé-je, quand soudain, sur la gauche, un chemin communal s’enfonce sous les arbres et semble se rapprocher du bord de la falaise et donc du canyon creusé par les eaux du Rhône. Un panneau défend l’accès à tout véhicule mais bon… on ne va y rester que le temps d’une photo.
Nous continuons à pied tous les quatre le long de cette route forestière. Des ornières soulignent que de lourds véhicules ont dû y passer récemment. Au bout de 100 mètres, un panneau chantier interdit au public est accroché à une chaîne barrant le passage. Des bruits de machines nous parviennent de derrière une futaie, entre nous et le bord de la falaise.
— Flûte, et la photo que tu m’avais promis Walter, soupire Margherita, visiblement déçue.
— Bah, on passe rapidement et discrètement la barrière, une photo, et on s’éclipse, ni vu, ni connu !
Nous débouchons effectivement sur une pelouse qui jouxte la combe. En face de nous, de l’autre côté du Rhône, le Fort l’Écluse, et ses impressionnantes terrasses multiples étagées à flanc de montagne, surveille ce défilé ou les eaux doivent frayer leur passage sur une largeur réduite à 50 mètres. Entre nous et l’escarpement, quatre foreuses hautes comme des maisons à deux étages percent la roche. Impossible de voir le Rhône en contrebas, sans s’approcher plus. Nous tentons de traverser le chantier, quand deux ouvriers s’approchent de nous, l’air pas content du tout :
— Qu’est-ce que vous foutez là ? Vous n’avez pas vu le panneau accès interdit ? Allez, dégagez ! aboie le plus grand des deux types, le chef d’équipe sans aucun doute, un colosse qui doit tutoyer le quintal.
À son accent, c’est sûrement un travailleur détaché des pays de l’est. Même si c’est difficile à admettre, ils n’ont pas tort. La sagesse consistant à ne pas répondre sur le même ton afin d’éviter que ça dégénère, je leur demande paisiblement quel type de travaux ils font. En effet, le costaud me répond sur un ton beaucoup plus posé :
— On injecte du béton pour fixer des câbles comme tirants. Ça renforcera la falaise et évitera des risques d’éboulement.
— Oui, ça, y’a des risques. Vous ne voudriez pas que la montagne s’écroule sur le Rhône et bouche le défilé, ajoute avec un sourire étrange le deuxième ouvrier, un gaillard à la joue droite gentiment balafrée, que je verrais plus dans la Légion étrangère que sur un chantier de travaux public.
Instantanément, le costaud le foudroie du regard. L’ouvrier baisse la tête et exécute un demi-tour en direction de deux véhicules, un camion six roues motrices et une camionnette.
Encore des Savoyards d’après la croix qui orne les deux véhicules. Nous sommes en Haute-Savoie, après tout. Le Rhône délimite les deux départements car le fort, juste en face, sur l’autre rive du fleuve, est domicilié dans l’Ain.
Machinalement, je mémorise le nom de l’entreprise : Pliau Frères. En effet, ça sonne local.
Pendant nos palabres, Margherita a eu le temps de photographier le fort et la combe du Rhône en contrebas ; nous repartons aussitôt vers nos voitures.
***
En enjambant le pont qui traverse le fleuve, nouvelle séance photo express avec le fort en contreplongée puis nous arrivons enfin à destination.
Mon vieil ami le professeur Pascuale, titulaire de la chaire d’astronomie instrumentale à l’observatoire de Haute Provence nous attend dans la cour d’honneur.
— Bienvenue mes amis ! Et il me tend les bras.
Nous ne nous voyons qu’à peine une fois par an et je le regrette, Alphonse est d’un caractère si chaleureux. Il le doit sans doute à ses origines suisses mâtinées de latines, étant natif de Locarno dans le Tessin, c’est-à-dire plus italien qu’un napolitain ! Son accent, mi-helvète, mi-italien m’a toujours ravi.
Il nous entraîne dans l’escalier en colimaçon qui conduit en haut de la citadelle, sur la terrasse où se tiennent les festivités.
Tous les deux ans, Alphonse organise un colloque entre le monde des astronomes professionnels, celui des amateurs éclairés, et le petit milieu si discret des ingénieurs et techniciens qui conçoivent et entretiennent les instruments utilisés par les premiers. C’est là toute l’originalité de ces journées de rencontres entre les scientifiques et les fabricants de matériels de laboratoire et d’observatoire, et la raison de ma présence en tant que fabricant d’optiques pour télescopes !
— Alors, Alphonse, si tu nous présentais le programme de ce soir ?
— Comment Walter, tu n’as pas lu le livret qui vous a été envoyé ? rétorque perfidement mon vieil ami.
— Bah, j’ai été un peu perturbé ces derniers temps.
— Ah, oui, j’ai appris, excuse-moi. Et toujours pas de nouvelles de ton amie qui a été kidnappée ?
Je soupire :
— Non, hélas.
Alphonse me prend par l’épaule et se tourne vers mes trois amis, impressionnés par la présence de tant de savants :
— Allez, maintenant, tu vas te détendre avec tes amis. Le programme de cette modeste soirée, mesdemoiselles et messieurs, est tout ce qu’il y a de plus convivial, sans chichi, d’une grande simplicité, revendique-t-il avec une fausse modestie pleinement assumée.
Il nous désigne une petite estrade adossée aux remparts surplombant le fleuve, au bout de la terrasse couverte d’une centaine de fauteuils disposés en rangées :
— Chacun des intervenants des ateliers de demain et après-demain va se présenter et exposer son sujet brièvement.
— Et ensuite ?
— Après, en avant pour la fête, mon ami ! Dîner de gala, suivi d’une petite surprise en fin de soirée.
Il fait signe à mes amis de s’approcher comme s’il allait nous livrer un secret, et chuchote en désignant les fortifications :
— Un feu d’artifice sera tiré depuis la tour qui surplombe le fleuve. Moi, je serais à votre place, je monterais jusqu’au fort supérieur pour y assister. De là-haut, vous n’aurez pas à regarder en l’air, les fusées éclateront à votre niveau.
Nous levons les yeux vers la montagne. Plus haut, beaucoup plus haut et accrochée à la falaise, une structure fortifiée vertigineuse nous domine.
— Et on y va comment ? s’inquiète Marylin qui préfère les balades en voiture aux escalades.
— Un escalier souterrain creusé dans la roche. Huit cent trente marches… Je ne pourrai pas vous accompagner, à cause de mes vieilles jambes, mais vous qui êtes si jeunes tous les quatre, je vous le conseille !
Tous les quatre, tous les quatre… Surtout les trois autres, oui !
De manière à achever de nous convaincre, il ajoute :
— Un bar à cocktail sera installé au sommet, il vous récompensera de vos efforts !
Bar à cocktails, le déclic pour Julien et Marylin. Julia aurait adoré aussi. J’empoigne mon vieil ami Tessinois par le bras :
— Alphonse, tu as toujours de fantastiques idées dans l’organisation de nos congrès. Je me souviens qu’il y a deux ans tu avais privatisé le restaurant du deuxième étage de la tour Eiffel. Et il y a quatre ans, la citadelle de Forcalquier. Il est vrai que tu jouais à domicile !
Il Signore Pascuale savoure mes compliments. Il consacre tellement de temps à organiser cet évènement, et depuis si longtemps. Ses yeux pétillent. Pourtant, c’est un vieil homme soudain grave qui s’accroche à mon bras, maintenant que la représentation, sa commedia dell’arte, est terminée, et que nous nous éloignons des autres convives :
— Tu sais Petunia, je veux dire Walter, j’ai toujours eu un infini respect envers ton père. J’ai été son élève, il m’a tant appris. Je ferais tout pour t’aider à retrouver ton amie. Julia, je crois qu’elle s’appelle ?
Je hoche la tête sans prononcer un mot car je suis ému aux larmes. Parce qu’il me parle de Julia et aussi parce qu’il m’a appelé par mon véritable premier prénom, que peu savent : Petunia. Et puis parce qu’il me parle de mon père que j’ai si peu connu.
— J’apprécie que tu veuilles m’aider Alphonse, mais je ne vois vraiment pas comment. Tous les corps de police, y compris la sûreté intérieure et extérieure, sont sur la brèche.
Alphonse acquiesce, il sait que Julia travaille à la DGSE.
— L’enquête n’a rien donné. Pourtant, toutes les frontières étaient sous surveillance trente minutes après le déclenchement de l’alerte.
Depuis l’enlèvement, j’ai le sentiment profond que Julia se trouve encore sur le territoire français… Je n’en parle avec personne. En tout cas, je me refuse à envisager le pire. Et pourtant Upali a de bonnes raisons de vouloir se venger d’elle, comme de moi. Nous avons éliminé leur haute responsable, Arnijah Sashvilli, et réduit à néant leur monstrueuse opération dans le Var.
— Bien sûr, bien sûr, mon garçon, me souffle-t-il. Je comprends. Mais tu sais, lorsque les voies légales sont infructueuses, il faut envisager d’autres filières.
Ce vieil ami de mon père, qui m’a vu naître, et que je croyais connaître, adopte une expression énigmatique inhabituelle.